Alexis Ier Comnène

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Alexis Comnène Ier
Alexis Comnène Ier

Alexis Ier Comnène (1058-1118) est un empereur byzantin qui règne du 1er avril 1081 au 15 août 1118. Il est le troisième fils du curopalate Jean Comnène et d’Anne Dalassène et le neveu de l’empereur Isaac Ier Comnène.

Son règne de 37 ans est l’un des plus longs de l’empire byzantin et aussi l’un des plus agités. Il révèle les qualités d’homme d’État d’Alexis dans des circonstances dramatiques ou les menaces sur l’Empire s’amoncellent de toutes parts. Confronté à de nombreuses révoltes intérieures l'empire est aussi la proie de convoitises étrangères, qu'il s'agissent des Turcs, des Normands ou des Petchenègues. Son règne est donc une lutte continuelle pour la survie de l'empire. À sa mort Alexis lègue à son fils un empire consolidé et agrandi. Cependant si à court et moyen terme le gouvernement d'Alexis Ier est un succès son bilan reste contrasté. Est-il le responsable du déclin économique de l'empire du fait de ses accords commerciaux avec les cités italiennes ? Son gouvernement est-il responsable d'une fermeture de la société byzantine, a-t-il brisé une certaine renaissance culturelle ? En d'autres termes Alexis est-il le sauveur de l'empire byzantin ou a-t-il accéléré par son action un déclin qui semble inéluctable ?

Sommaire

[modifier] Une carrière militaire

Il est élevé, ainsi que ses frères, par sa mère Anne Dalassène en vue de s'asseoir un jour sur le trône. Anne en effet n'a jamais acceptée le refus de son mari, Jean Comnène, de succéder à son frère Isaac Ier Comnène lorsque celui-ci abdique en 1059 au profit de Constantin X Doukas. Aussi pratique-t-elle une stratégie matrimoniale qui unie les Comnène à toutes les grandes familles de l'empire. Alexis prend ainsi, de sa position de courtisan, connaissance des principaux clans aristocratiques et de l'estimation de leur importance. Le XIe siècle correspond, il faut le rappeler à l'ascension irrésistible d'une noblesse fondée sur la naissance et l'accès aux fonctions militaires, dont Alexis est l'un des plus illustres rejetons.

Son premier contact avec l'armée remonte aux mois qui précèdent la défaite de Manzikert (1071) quand sa mère l'envoi rejoindre l'empereur Romain IV Diogène pour remplacer son frère ainé Manuel Comnène, mort de maladie au cours de la campagne. Alexis n'a que 13 ans. L'empereur lui ordonne cependant de retourner immédiatement à Constantinople.

[modifier] La lutte contre Roussel de Bailleul

Au cours de la décennie de chaos, qui suit la défaite de Manzikert, Alexis se montre un général capable. Vers 1073 il dirige sous les ordres de son frère Isaac une petite armée, qui avec le mercenaire normand Roussel de Bailleul combat contre les Turcs. Il n'a que 15 ans. Cependant, la trahison du normand entraîne la défaite d’Isaac qui est fait prisonnier[1]. Alexis poursuit la lutte contre les Turcs avec une armée inférieure en nombre, bat en retraite avec courage et regagne Constantinople à l'automne 1073. Le César Jean Doukas, oncle de l'empereur, est battu et fait prisonnier par Roussel au pont du Sangarios (près d'Ancyre) ainsi que son fils Andronic[2]. Roussel proclame son illustre prisonnier empereur. Le chef normand représente une menace telle pour l’empire que Michel VII s’entend avec les Turcs seldjoukides pour s’en débarrasser. Battu en Cappadoce par l'émir turc Artouch, Roussel est fait prisonnier. Rapidement libéré contre rançon il se réfugie en Arménie à Amasya et se rend maître des principales villes du Pont. Alexis[3], qui a juste 17 ans est alors nommé stratopédarque (1075) et envoyé afin de s’emparer du Normand. Il ne dispose guère plus d'un millier d'hommes et pratique une campagne de harcèlement. Alexis utilise aussi la diplomatie, c'est une constante que l'on retrouve plus tard tout au long de son règne, et prend contact avec un chef turc nommé Toutach, sans doute envoyé par Malik Shah Ier. Celui-ci s'empare de Roussel et le livre à Alexis qui se trouve alors confronté au mécontentement des habitants d'Amasya sur qui il compte pour payer la somme promise aux Turcs[4]. Il rentre alors sur Constantinople par mer car la route terrestre est bloquée par des bandes turques, ce qui illustre l'affaiblissement de l'empire.

[modifier] Une période troublée

En novembre 1077 un général, membre d'une famille illustre Nicéphore Bryenne (le père du futur mari d'Anne Comnène, la fille d'Alexis), duc de Dyrrachium, se révolte et s'empare de la Macédoine tandis que son frère Jean Bryenne tente d'assiéger la capitale. Alexis commande alors la défense de la capitale. Avec l'aide de Roussel de Bailleul, sorti de sa prison sur ordre de l'empereur Michel VII, les deux anciens adversaires remportent la victoire sur l'armée de Jean Bryenne en janvier 1078. Cet exploit lève l'opposition de Michel VII au mariage d'Alexis avec Irène Doukas, petite-fille du César Jean Doukas, oncle de l'empereur et véritable chef de la famille Doukas. Le fils unique de celui-ci, Andronic, est mourant et il parait important à Jean Doukas et à sa bru, Marie de Bulgarie, d'assurer l'avenir de la famille à un protecteur à l'étoile montante d'autant que l'horizon politique du Basileus semble incertain.

En effet,à peine cette victoire est-elle obtenue qu'une seconde révolte éclate, menée par le duc des Anatoliques, Nicéphore Botaneiatès, en Asie mineure. Le 25 mars 1078 une émeute de ses partisans éclatent dans Constantinople. Alexis qui dirige les troupes de la capitale est persuadé qu'il est possible de tenir tête aux insurgés mais Michel VII préfère abdiquer (3 avril 1078). Alexis tente alors vainement de convaincre Constantin Doukas, le frère de Michel, d'accepter le trône puis devant le refus de ce dernier se rallie à Nicéphore Botaneiatès. Celui-ci trop content de ce soutien qui lui livre la capitale accepte avec empressement et monte sur le trône sous le nom de Nicéphore III et épouse la femme de Michel VII, l'impératrice Marie d'Alanie. Celle-ci cependant espère préserver les droits au trône de son fils Constantin et cherche un protecteur en la personne d'Alexis faisant de lui, en l'adoptant de façon officielle au printemps 1078, le frère de son fils âgé de 4 ans. Il est plus que probable qu'une liaison entre Alexis et Marie d'Alanie, réputée pour sa beauté, intervient vers 1078 d'autant que la femme d'Alexis n'a à l'époque qu'une douzaine d'années.

Alexis écrase définitivement l’insurrection de Nicéphore Bryenne grâce à l’utilisation de mercenaires turcs (printemps 1078). Bryenne est conduit à Constantinople et aveuglé sur ordre de Nicéphore III. Mais un troisième compétiteur, Nicéphore Basilakios, qui avait succédé à Nicéphore Bryenne comme duc de Dyrrachium, se soulève à son tour et s'empare de la Macédoine et de Thessalonique (printemps/été 1078). C'est Alexis, aidé de Tatikios, qui est chargé par Nicéphore III de mettre fin à l'insurrection. Basilakios est vaincu par ruse et livré par ses propres hommes. Il est aveuglé lors de son transfert vers la capitale. Alexis est alors autorisé à rentrer dans la capitale avec ses troupes par Nicéphore III et obtient la dignité de sébaste.

[modifier] La prise du pouvoir

Alexis Comnène est dans un premier temps considéré avec honneur par le nouvel empereur ainsi que sa famille. Le frère aîné d'Alexis, Isaac, de retour d'Antioche à l'été 1078, est nommé sébaste lui aussi. Marié à une cousine de l'impératrice Marie d'Alanie il réside au palais impérial et devient proche du Basileus. L'âge avancé de Nicéphore III déclenche des ambitions. Celles d'Alexis et de son frère Isaac, soutenus par leur mère Anne Dalassène, mais aussi celle de Jean Doukas qui a deux petit-fils, Michel et Jean, pouvant prétendre au trône. Marie d'Alanie enfin n'a pas renoncée à l'empire pour son fils Constantin. Alexis cependant reste le prétendant le plus sérieux car à la fois allié aux Doukas par son mariage, adopté par Marie d'Alanie et surtout général prestigieux ayant des relais nombreux dans l'armée.

La situation devient extrêmement critique pour l’empire avec l’installation du sultan seldjoukide Soleïman à Nicée en 1078 et une menace d'invasion de l'empire par Robert Guiscard et ses Normands. Nicéphore III commet alors une première maladresse en dépouillant des ses attributs impériaux le jeune Constantin Doukas s'attirant ainsi la haine de l'impératrice. Un complot se noue alors entre cette dernière et les frères Comnène et Alexis fait venir des troupes vers la capitale. Nicéphore mis au courant décide alors l'arrestation et l'aveuglement de ce dernier et de son frère mais Marie d'Alanie prévient les Comnènes.

Plan de Constantinople
Plan de Constantinople

Dans la nuit du 14 février 1081 Alexis prend contact avec les généraux Grégoire Pakourianos et Constantin Humbertopoulos et reçoit leur soutien. Puis il quitte la capitale et se rend à Schiza. Il reçoit alors l'appui, décisif sur le plan financier, du César Jean Doukas, chef de la famille éponyme. Pendant ce temps à Constantinople les femmes de la famille Comnène sont enfermées dans un monastère. À Schiza Alexis est alors proclamé empereur, après que son frère aîné, Isaac, se soit effacé devant lui. Il faut y voir la volonté du clan Doukas dont est issue la femme d'Alexis. Finalement c'est Isaac lui-même qui chausse son frère des pantoufles pourpres, insigne impérial par excellence. Il seconde, jusqu'à sa mort vers 1104, Alexis avec efficacité.

Alexis marche ensuite sur la capitale dont il fait le siège. Cependant Nicéphore Botaneiatès dispose de troupes non négligeables, en particulier les corps d'élites de mercenaires que sont les Varanges[5] et les Chomatènoi[6]. De plus le Sénat et le peuple de Constantinople sont hostiles à Alexis. Pour compliquer la situation la majeure partie des troupes d'Asie Mineure soutient un autre prétendant au trône, Nicéphore Mélissènos[7], qui s'empare de Damalis en face de la capitale. C'est surtout avec le soutien des troupes "européennes", ainsi que des auxiliaires Turcs qu'Alexis assiège la capitale. Quelques attaques infructueuses lui font prendre conscience que le plus simple est de circonvenir une partie des défenseurs[8]. Alexis rallie à sa cause le chef des Némitzoi[9] qui garde la porte d'Andrinople et pénètre le jeudi saint 1er avril 1081 dans Constantinople. Une partie de la ville est alors livrée au pillage par les mercenaires d'Alexis[10] avant que ce dernier ne reprenne le contrôle de ses troupes. Nicéphore propose alors à Alexis un partage du pouvoir mais, sous l'influence du patriarche Kosmas[11], il finit par abdiquer et se retire dans un monastère. Alexis écarte rapidement le dernier prétendant, Nicéphore Mélissènos, qui proposait un partage de l'empire, en lui octroyant la dignité de César et la ville de Thessalonique.

[modifier] Un homme d’État

C’est un homme jeune qui accède au pouvoir mais qui a déjà derrière lui une longue expérience militaire dont les succès ont dépendu pour l’essentiel de son habileté diplomatique plus que de ses qualités militaires. De petite taille, il dégage de lui un charisme certain (que noteront plus tard les chroniqueurs de la Première croisade) et un parfait contrôle de soi. Peu cruel de nature, ses deux prédécesseurs terminent leur vie l’un sur un trône épiscopal (Michel VII), l’autre dans un monastère (Nicéphore III)[12], il est capable d’utiliser la ruse et même la terreur quand la situation l’exige. En épousant Irène Doukas il s’allie à l’une des plus grandes familles de l’empire ce qui conforte son trône mais toute sa vie, et jusque sur son lit de mort, il se voit contraint de déjouer les intrigues et complots de l’aristocratie byzantine et de son entourage familial. Ainsi sa mère, une femme décrite comme dominatrice et possessive, éprouve une haine féroce envers la nouvelle impératrice et son clan, haine partagée par Marie d'Alanie, femme de Michel VII, de Nicéphore III Botaneiatès et probable maîtresse d’Alexis avant son accession au trône[13]. Pour limiter les risques d’usurpations, Alexis pratique une habile politique d’alliances matrimoniales. Sa fille aînée, Anne, épouse ainsi Constantin Doukas (le fils de Michel VII et de Maria d’Alanie), puis, après le décès de celui-ci, Nicéphore Bryenne, le fils du révolté de Dyrrachium.

Empereur Alexis Ier Comnène représenté sur une mosaïque de la basilique Sainte-Sophie
Empereur Alexis Ier Comnène représenté sur une mosaïque de la basilique Sainte-Sophie

[modifier] Le redressement financier

La situation de l’empire en 1081 est dramatique. Dans les Balkans les Byzantins sont confrontés aux Normands de Robert Guiscard ainsi qu’aux invasions des Petchenègues. Les peuples Slaves en Serbie et Dalmatie sont en dissidence[14]. La Cilicie, peuplée par des vagues de migrations arméniennes est quasi-indépendante et se déchire entre les luttes fratricides de plusieurs roitelets. De plus la perte de l’Anatolie prive le basileus d’importantes recettes fiscales et l’ancien système de recettes fiscales s’est effondré. L’un des premiers défis auquel s’attaque Alexis Ier est donc le problème financier. Les moyens utilisés par l’empereur pour faire rentrer de l’argent ne sont guères populaires mais néanmoins efficaces. La population est taxée à la limite du supportable, certains biens de nobles et de l’Église sont confisqués, les peines judiciaires sont fréquemment des amendes plutôt que des peines d’emprisonnement. Enfin Alexis Ier prend deux décisions majeures — et qui vont se révéler catastrophiques sur le long terme — à savoir qu’il accorde d’énormes avantages commerciaux à Venise par le chrysobulle de 1082, au détriment du commerce byzantin lui-même, ce qui dans un premier temps lui assure l’alliance de la puissante flotte de la cité des doges, et qu’il dévalue la monnaie impériale qui, durant sept siècles avait été la seule monnaie stable du bassin méditerranéen. Cette politique permet à Alexis de remettre sur pied une administration efficace, de recréer une véritable armée et une flotte et même d’entretenir une cour fastueuse.

[modifier] Le danger normand (1081-1085)

En politique étrangère, la difficulté à laquelle est confrontée Alexis c’est de savoir contre quel adversaire lutter en premier. Le calcul qu’il fait alors est que la lutte contre les Turcs suppose un effort sur le long terme qu’il n’est pas encore capable d’effectuer mais que les querelles internes affaiblissent provisoirement les Seldjoukides. Aussi choisit-il dans un premier temps de repousser l’attaque normande. Robert Guiscard et ses troupes viennent de s’emparer d’Avlona et assiègent Dyrrachium depuis l’été 1081. Robert justifie son intervention par sa volonté de rétablir sur le trône l'ex-empereur Michel VII avec lequel il avait signé un alliance en 1074[15]. Ses effectifs sont compris entre 10 000 et 15 000 hommes[16]. Alexis lors de sa prise du pouvoir à immédiatement remplacé le duc de Dyrrachium, Georges Monomachos, à la fiabilité douteuse, par son beau-frère Georges Paléologue qui en organise immédiatement la défense. La flotte vénitienne, alliée aux Byzantins, inflige une grave défaite aux Normands en juillet 1081 qui lèvent le siège maritime mais pas le siège terrestre.

l'empire byzantin en 1081
l'empire byzantin en 1081

En octobre de la même année Alexis intervient avec une armée dont le corps principal est la garde varègue composée, pour l’essentiel, d’Anglo-Saxons mais recrute aussi de nombreux mercenaires turcs. Alexis repousse l'avis de ses généraux expérimentés qui conseillent une guerre de harcèlement et attaque immédiatement Robert Guiscard. La bataille est longtemps incertaine mais finalement Alexis est battu sévèrement et doit fuir le champ de bataille en abandonnant la tente impériale[17]. Dyrrachium tombe en février 1082, après avoir ouvert ses portes aux Normands. Robert Guiscard contrôle ainsi la Via Egnatia qui lui ouvre la route de Thessalonique et surtout de Constantinople.

C'est dans ces circonstances dramatiques que se mesure l'habileté d'Alexis lequel a toujours plusieurs fers au feu. Ce désastre militaire est effectivement rapidement compensé par une habile politique diplomatique. Anne Comnène indique qu'Alexis avait fortifié « les endroits situés en face de Robert et devant lui; mais il n'avait pas négligé non plus d'intervenir derrière lui. » Un rapprochement est mené avec l'empereur Henri IV en lutte avec le pape Grégoire VII et ses alliés Normands[18]. L'empereur germanique intervient militairement devant Rome en mai 1081 puis de nouveau au printemps 1082. Alexis soutient aussi les revendication des neveux de Robert, Abagelard et Herman, qui lui dispute l'héritage d'Onfroi de Hauteville, son frère aîné. Une partie des Pouilles se soulève contre Robert au début de 1082. Enfin et surtout Alexis renforce son alliance avec Venise. C'est dans ce contexte difficile pour l'empire qu'il faut comprendre les privilèges commerciaux considérables obtenus par les Vénitiens avec le chrysobulle de mai 1082. Venise, aidée d'une flotte byzantine, remporte au printemps 1082 un second succès naval sur les Normands.

Ces évènements obligent Robert Guiscard a repartir en Italie en avril 1082 avec une partie de ses troupes. Il laisse son fils Bohémond en Grèce. Celui-ci s'enfonce en territoire byzantin et Alexis se précipite pour essayer d'arrêter la marche de l'envahisseur. Il est battu à Ioannina (mai 1082) puis de nouveau à Arta (juillet 1082) et retourne (aout 1082) à Constantinople reconstituer une armée. Bohémond cependant assiège Larissa pendant 6 mois ce qui laisse à Alexis le temps de recruter de nombreux mercenaires dont plus de 7 mille turcs. Il réussit à débaucher aussi une partie des officiers de Bohémond. A la fin de l'été 1083 il entame une campagne d'embuscades. Il parvient par un stratagème à faire sortir la cavalerie de Bohémond du siège de Larissa et massacre les fantassins de son adversaire. Les soldats normands sont découragés et ne sont plus payés. Il est ainsi aisé à Alexis de leur faire changer d'allégeance. Bohémond retourne alors à Avlona puis en Italie afin de trouver de quoi payer ses troupes.

Pièce de monnaie à l'effigie de Robert Guiscard
Pièce de monnaie à l'effigie de Robert Guiscard

Robert Guiscard cependant ne renonce pas. Il débarque en Grèce de nouveau en 1084 avec une flotte importante et une armée bien équipée. Après un premier échec face aux Vénitiens Robert remporte un large succès en face de Corfou et s'empare de l'île. Mais la mort de Guiscard en juillet 1085, et la lutte de succession qui éclate entre ses héritiers, libère l’empire d’un grand danger. Les troupes normandes retourne en Italie et l’autorité impériale est rétablie sur les provinces occidentales de l’empire.

[modifier] La politique d’Alexis face aux Turcs (1085-1092)

[modifier] Le déclin de Byzance en Asie Mineure

En Asie mineure la situation de l'empire byzantin s'est terriblement dégradée depuis la défaite devant les Turcs Seldjoukides de 1071. Le principal chef turc est Soleïman Ibn Qoutloumouch. Il chargé par le sultan Malik Shah Ier de poursuivre la guerre contre les Byzantins et s'acquiert de sa tache avec une telle vigueur que la quasi-totalité de l'Anatolie est perdue pour Constantinople. Cette situation est rendue possible pour plusieurs raisons. Depuis le règne de Basile II les grandes familles résident le plus souvent à Constantinople. Il n'y a pas de ce fait de système local de défense contre les Turcs, qui contrairement aux Arabes souhaitent s'établir en Anatolie, sur le modèle du château fort d'Europe occidental[19]. La défense de ces terres est laissée à l'empereur. De plus les rebellions incessantes contre les empereurs après la fin de la dynastie macédonienne, et le recours à des mercenaires turcs, favorisent l'avance de ces derniers. Soleïman soutient ainsi en 1082 la tentative de Nicéphore Mélissènos. Quand ce dernier se soumet à Alexis Soleïman s'est emparé de Nicée, d'une partie de la Bithynie et de quelques cités de la Phrygie et refuse de les rendre. Nicée devient même la capitale officielle du sultanat seldjoukides d'Anatolie. À partir de 1084/1085 les derniers territoires sous contrôle byzantin en Asie passent sous suzeraineté turque sauf quelques territoires côtiers d'Asie mineure (Propontide). Ainsi les Turcs s’emparent de la grande cité d’Antioche (13 décembre 1084) et des villes de Mélitène et Édesse peu après, peuplées d’Arméniens pour la plupart. Seule Trébizonde, sur la cote nord de la mer noire, reste byzantine

[modifier] La politique d'Alexis face aux Turcs

Quand Alexis devient empereur il est face à un choix. Quel ennemi combattre en premier, les Normands ou les Turcs? Contrairement à Robert Guiscard, dont l'objectif est clairement Constantinople, les Turcs n'ont pas de dessein impérial[20] et représentent aux yeux d'Alexis un danger moins pressant. Aussi, nous l'avons vu précédemment, fait-il le choix de défendre la partie occidentale de l'empire. Pour cela il mène une intense activité diplomatique pour acheter la paix aux seldjoukides afin de se consacrer à la guerre contre les Normands et n'hésite pas à recruter des mercenaires turcs dans ses propres troupes. Il parvient à reprendre Damalis, promontoire situé en face de Constantinople de l'autre côté du Bosphore.

Face aux Turcs la politique d'Alexis est d'une grande constance, « diviser pour régner ». La mort en 1086 du principal chef turc, Soleïman Ibn Qoutloumouch, qui venait de prendre Antioche et qui marchait sur Alep, tué par un de ses rivaux jette la confusion chez les Turcs d’Anatolie et vient en aide au basileus. Les différents subordonnés de Soleïman se rendent indépendants et Nicée ainsi reste 6 ans entre les mains d’un rebelle, Abul Qasim, et ce n’est qu’en 1092, peu avant sa mort, que Malik Shah Ier parvient à rétablir le fils de Soleïman, Kılıç Arslan Ier. Alexis profite de cette situation confuse pour reconquérir Cyzique et signe un traité d'assistance avec Abul Qasim (vers 1086)[21]. Alexis reçoit des propositions d'alliances de Malik Shah Ier lui-même (à l'époque le plus grand souverain du monde musulman) à au moins deux reprises. En 1086, au moment ou il négocie avec Abul Qasim (qui craint l'intervention du sultan et se rapproche de Byzance pour cette raison) puis vers 1091/1092. À cette époque Malik Shah cherche à se débarrasser de son frère Tutush, qui gouverne Antioche, et à rétablir le fils de Soleïman Ibn Qoutloumouch à Nicée. Il propose à Alexis la restitution des villes de Bithynie et du Pont et un mariage entre Anne Comnène et son fils aîné.

L'empire seldjoukide à la mort de Malik Shah I, 1092
L'empire seldjoukide à la mort de Malik Shah I, 1092

L'assassinat de Malik shah en 1092 entraîne l'abandon du projet. Cependant Alexis est confronté à un nouvel adversaire potentiellement plus dangereux, l’émir turc de Smyrne, Tzakhas

[modifier] La lutte contre Tzakhas

En effet l’émir turc de Smyrne, Tzakhas, tente à la fois de fédérer les roitelets turcs dans le cadre d’une alliance et se rend maître[22] de la côte égéenne et des îles de Lesbos, Chios, Samos et Rhodes avec la complicité de nombreux Grecs qui forment l’armature de sa puissance navale. Alexis qui vient de recréer une flotte lui inflige une défaite en mer de Marmara mais il n’est débarrassé du danger qu’en suggérant à Kılıç Arslan, qui avait épousé vers 1092, la fille de Tzakhas, l’assassinat de son beau-père ce qui est fait en 1093 lors d’un banquet à Nicée.[23] Alexis ne récupère pas pour autant les possessions de Tzakhas du moins pas tout de suite et il doit attendre la bataille de Dorylée et l’aide des Croisés pour en chasser le fils de Tzachas.

[modifier] Le danger Petchenègue (1086-1091)

L’un des facteurs qui explique la relative passivité d’Alexis dans les années 1086/1092 face aux Turcs est la menace immédiate et réelle que représente les Petchenègues sur la frontière danubienne. Ce peuple d’origine turque est repoussé vers le sud par les Russes. Quand en 1083 Alexis d'exiler les chefs Pauliciens, une secte dualiste implantée en Thrace et considérée comme hérétique, certains traitent avec les Petchenègues, qui vivent à l'époque au nord-est de l'actuelle Bulgarie, et qui commencent une série d'incursions. Une expédition armée dirigée par le domestique d'Occident Grégoire Pakourianos est vaincue à la bataille de Béliatova[24] en Janvier 1086[25]et les Petchénègues s’empare de la Thrace en 1086 ou 1087 avec l’aide des Hongrois. Les Byzantins sont battus à Silistrie en 1087 par un adversaire plus nombreux et mieux organisé[26]

Cependant la discorde s'installe entre Petchénègues et Coumans à propos du butin important de la bataille et Alexis en profite pour négocier une paix avec les premiers. Il redoute une alliance des deux peuples. Cette paix n'est qu'une fiction et les Petchénègues recommencent rapidement leurs incursions en Thrace. Au printemps 1089 ils massacrent à Charioupolis environ 300 archontopouloi[27] ce qui est ressenti à Constantinople comme une catastrophe majeure.

En 1091 les Petchenègues, occupent la région de Gallipoli et s'allie avec les Seldjoukides et en particulier Tzakhas en février. Cette alliance, potentiellement mortelle pour l’empire, échoue de part les divisions internes aux Turcs et grâce à l’habileté diplomatique d’Alexis qui s’allie aux Coumans dont près de 40 000 viennent d'arriver sur les pas des Petchénègues. C'est a ce moment qu'Alexis utilise avec habileté son arme favorite, la diplomatie. Il détache les Coumans de l'alliance petchénègue par une habile politique de cadeaux et un banquet mémorable. Les Coumans s'allient alors aux troupes byzantines et écrasent les Petchenègues le 29 avril 1091[28] à la bataille de la colline de Lebounion[29]. Le nombre de prisonnier est tel que les Byzantins craignent une révolte de ceux-ci. Un grand nombre est alors massacré probablement avec l'accord tacite d'Alexis bien qu'Anne Comnène tente de dégager sa responsabilité.

Alexis Ier est alors définitivement libéré des menaces sur sa frontière septentrionale et peut se consacrer entièrement à la lutte contre les Seldjoukides.

[modifier] Les rapports avec l’Occident

Les rapports diplomatiques d’Alexis Ier avec les pays occidentaux d’Europe sont dans un premier temps relativement conflictuels. Le pape Grégoire VII avait entretenu de bonne relations avec Michel VII et, après la déposition de celui-ci en 1078, excommunié immédiatement son successeur Nicéphore III. Cette excommunication s’étend en avril 1081 au nouvel empereur, Alexis Ier. Ce dernier tente en juin 1081 de renouer le contact et d’avoir l’appui du pape contre les entreprises de Robert Guiscard mais sans que ses lettres reçoivent de réponses. L’empereur Henri IV, en conflit avec le pape, prête une oreille plus attentive aux ambassadeurs d’Alexis et aux subsides que l’empereur byzantin lui verse. Alexis, en représailles à l’attitude de Grégoire VII, ferme les églises latines de Constantinople. La mort de ce dernier en 1085 est accueillie avec soulagement[30]. L’élection en mars 1088 sur le trône pontifical d’Eudes de Lagery sous le nom d’Urbain II permet une amélioration nette des relations diplomatiques. En délicatesse avec les Normands de Sicile et Henri IV, il parvient habilement à accroître son influence politique et spirituelle. En 1095 son autorité est considérable.

Urbain II souhaite renouer le contact avec la chrétienté orientale et entreprend des négociations avec Alexis, sous le contrôle étroit de Roger de Sicile qui a succédé à son frère Robert Guiscard mais qui se désintéresse de la conquête de l’empire byzantin. En septembre 1089 Urbain II lève officiellement le ban d’excommunication contre Alexis Comnène, en présence des ambassadeurs de celui-ci. Le même mois un synode s’ouvre à Constantinople et constate, opportunément, que le nom du pape a été omis dans les diptyques de l’Église non par quelques décision canonique, mais vraisemblablement par manque d’attention[31]. Le patriarche de Constantinople Nicolas III écrit à Urbain II et lui donne un délai de 18 mois pour expédier une lettre systatique afin de réparer cet "oubli". La réconcilation avec la papauté est un succès nécessaire à Alexis qui abandonne, par réalisme, les religieux grecs en Italie tels Romain, archevêque de Rossano et le métropolite de Trani inquiets des empiétement du pape sur leurs territoires et qui soutiennent l’anti-pape Guibert de Ravenne.

Même si Urbain II, peu soucieux d’aborder avec Byzance des questions de théologie, n’envoit pas de lettre systatique les bonnes relations sont rétablis. En 1090, une ambassade byzantine apporte un message d’amitié au pape. Certes les controverses théologiques se poursuivent[32], mais en sourdine.

[modifier] La Première croisade

[modifier] Une situation paradoxale

La situation pour Alexis Ier au milieu des années 1090 est paradoxale. Le pouvoir seldjoukide semble décliner. Le sultan Malik Shah Ier est mort en 1092 et sa disparition entraîne un guerre de succession qui divise profondément les Turcs. Le successeur de Malik Shah, son frère Tutuch, meurt à son tour en 1095 laissant deux fils, frères ennemis, régner l’un sur Alep (Ridwan) l’autre sur Damas (Dukak). Des chefs Turcs et Kurdes s’établissent en Irak et en Syrie. Kerbogha, l’atabeg de Mossoul, grignote progressivement le territoire de Ridwan. Les Fatimides s’implantent progressivement dans le sud de la Palestine et se rapprochent de Jérusalem ou gouvernent les Ortoqides. Enfin un clan chiite, les Banou Ammar s’implante à Tripoli. Pour Alexis, il existe donc un opportunité réelle de reprendre pied en Anatolie et en Syrie d’autant qu’il a rétabli la domination byzantine sur les Balkans et la côte ionienne. Mais le point faible des Byzantins est l’armée dont les effectifs restent trop faibles et peu expérimentés à l’exception des mercenaires[33] dont la fiabilité reste parfois douteuse. Alexis, qui doit garder des effectifs importants dans les Balkans et sur sa frontière danubienne, a donc besoin de recrues supplémentaires s’il souhaite passer à l’offensive contre les Turcs. Sa politique de rapprochement avec le pape se révèle utile si elle permet d’user de l’influence de celui-ci pour enrôler de nouvelles recrues. D’autant que par le passé des seigneurs occidentaux sont déjà venus combattre aux côtés des Byzantins[34]. C’est ainsi que des plénipotentiaires Byzantins sont amenés à prendre la parole lors du concile de Plaisance réuni par Urbain II en mars 1095, peu avant son départ pour la France et Clermont. Nous ignorons le détail de leurs discours mais ils semblent insister sur les épreuves subies par les chrétiens orientaux et sur la nécessité de s’enrôler sous la bannière impériale afin de chasser les « Infidèles ». Cette intervention marque fortement Urbain II qui invite les chrétiens qui l’écoutent à s’engager par serment à aller secourir l’empire de Constantinople[35]. De plus dans un contexte général de recul de l’Islam en Europe (Espagne, Sicile), le pape envisage un dessein plus vaste que le simple envoi de mercenaires à Alexis Ier, il songe désormais à une « guerre sainte »[36].

[modifier] L’appel de Clermont

Lors du concile de Clermont, convoqué pour le 24 novembre 1095, Urbain II invite ses auditeurs[37] à employer leurs forces pour la défense de leurs frères d’Orient victimes des sévices que leur infligent les musulmans. Ce n’est pas d’ailleurs un projet nouveau. Grégoire VII en avait formulé un similaire au moment de la défaite de Mantzikert mais qui avait été abandonné après la déposition de Michel VII. Lorsque le pape quitte Clermont le 2 décembre, il ignore encore le succès que va avoir son appel dans toute l’Europe et qu’il a déclenché un mouvement dont les conséquences pour la Chrétienté et Byzance sont incalculables.

[modifier] Alexis Ier se prépare à l’arrivée des croisés

En 1096, Alexis est dans une période de calme assez inédite dans l’histoire complexe de l’Empire. Il vient d’infliger une cuisante défaite aux Coumans et a ainsi stabilisé sa frontière danubienne pour longtemps. Mais les renseignements qui lui parviennent d’Europe sont inquiétants. Ce ne sont pas des troupes réduites, incorporables sans grandes difficultés dans son armée, qui proviennent de l’Occident mais de véritables armées. Si l’on en croit Anne Comnène, l’empereur et la cour apprirent que « Tout l’Occident et toutes les tribus barbares d’au-delà de l’Adriatique, jusqu’aux Colonnes d’Hercule faisaient mouvement vers l’Asie à travers l’Europe amenant des familles entières avec eux. ». Ce que semble craindre Alexis c'est une attaque sur sa capitale dont les richesses peuvent exciter les convoitises des occidentaux. De plus il apparaît clairement qu'une première expédition composée de bandes inorganisées (la croisade populaire) précède la croisade seigneuriale. L'idée d'une attaque sur Constantinople paraît avoir été retenue par l'entourage impérial[38] qui n'oublie pas les tentatives récentes de Bohémond de Tarente quelques années plus tôt, lequel Bohémond participe à la croisade.

Alexis cependant ne perd pas son sang-froid. Afin d’empêcher les pillages il est nécessaire de nourrir les armées croisées. Aussi fait-il aménager des dépôts de provisions dans les grands centres urbains de l’empire. Il organise aussi des unités afin d’encadrer les déplacements des troupes occidentales pout éviter tout débordements. Le neveu d’Alexis, Jean Comnène, gouverneur de Dyrrachium reçoit l’ordre d’accueillir les chefs de la Croisade cordialement mais de veiller à contrôler leur moindre déplacement. L’amiral Nikolaos Mavrokatalon est envoyé dans l’Adriatique afin de signaler l’arrivée des premiers navires francs.

[modifier] La croisade populaire

Les premières bandes de la croisade populaire, celles « dirigée » par Gautier Sans-Avoir, arrivent dans l'Empire fin mai 1096 dans la région de Belgrade et après quelques incidents, sont sévèrement encadrées jusqu’à Constantinople où elles arrivent en août. Le 26 juin les croisés, également de la croisade populaire, dirigés par Pierre l'Ermite pillent la ville de Belgrade[39]. En juillet Nicétas le gouverneur d'Alexis, qui vient d'envoyer des renforts, massacre une partie des croisés devant Nish. Finalement le reste du voyage se déroule sans encombre mais les troupes d'Alexis encadrent fortement les croisés. Habilement, Alexis reçoit Pierre l'Ermite, assure le ravitaillement de ces troupes indisciplinées. Il ne se fait visiblement aucune illusion sur la valeur militaire de cette croisade populaire mais cherche, afin de limiter les risques de pillages, à s'en débarrasser le plus vite possible. Arrivée le 1er août 1096 à Constantinople, la croisade populaire est transportée par la flotte impériale en Asie le 6 août. Elle est anéantie par les Turcs le 21 octobre, prés de Nicée[40].

[modifier] La croisade des seigneurs

Carte de la Ire croisade
Carte de la Ire croisade

Les grands seigneurs occidentaux arrivent en ordre dispersé quelque temps après l'échec de la croisade populaire. Le premier à partir est le frère du roi de France Philippe Ier, le comte Hugues de Vermandois. Il arrive début octobre 1096 à Bari et embarque pour Dyrrachium. Il prend la précaution d'envoyer une ambassade à Jean Comnène, le gouverneur de la ville, afin d'être reçu selon son rang. Son arrivée est mouvementée puisque son navire fait naufrage mais il est accueilli avec honneur par les Byzantins, selon les consignes données par Alexis. Ce dernier reçoit Hugues avec chaleur...tout en limitant sa liberté de mouvement[41]

Godefroy de Bouillon inquiète davantage Alexis car son armée est importante et il apparaît assez vite que la création d'une principauté en Orient ne déplairait pas, sinon à Godefroy du moins à son jeune frère Baudouin[42]. Godefroy et ses troupes passent par la Hongrie[43]. Alexis, tout en envoyant une escorte à la fois pour accueillir les croisés et les surveiller, organise un ravitaillement efficace des troupes lorraines et germaniques et la traversée de la péninsule balkanique s'effectue sans désordres jusqu'au 12 décembre 1096. Ce jour là les troupes de Godefroy ravagent pendant 8 jours les alentours de Selymbria sans que l'on sache les raisons précises[44]L'arrivée de Godefroy et d'une armée nombreuse pose problème à Alexis Ier. Il doit en effet s'assurer de l'allégeance des croisés mais les éloigner rapidement de sa capitale qui vient déjà de souffrir du passage des bandes de Pierre l'Ermite. Dans un premier temps Godefroy refuse l'allégeance[45] ce qui amène Alexis à lui couper le ravitailement pour faire pression sur lui. Baudouin pille alors les faubourgs de la capitale jusqu’à ce qu'Alexis fasse machine arrière. Godefroy décide d'attendre les autres chefs croisés avant de prendre une décision. En mars 1097 de nouveaux affrontements éclatent et le jeudi 2 avril[46] Godefroy tente de pénétrer dans la ville mais est repoussé par les troupes d'Alexis. Cette défaite révèle à Godefroy sa faiblesse et il prête serment quelques jours plus tard tandis que son armée est transportée sur la rive asiatique du Bosphore.

Arrivée des Croisés à Constantinople
Arrivée des Croisés à Constantinople

Pour Alexis il est temps car le 9 avril 1097, Bohémond de Tarente arrive à Constantinople. Ce dernier désire se constituer une principauté au Levant car en Sicile ses ambitions sont contrecarrée par son oncle Roger Ier de Sicile. Son armée est moins nombreuse que celle de Godefroy mais est bien équipée et d'une valeur militaire de premier ordre. Alexis le sait parfaitement, lui qui a déjà combattu les Normands au début de son règne. La traversée de la Grèce de cette troupe se déroule correctement, Bohémond maintenant une discipline de fer. Pour Alexis, Bohémond est le croisé le plus dangereux. Homme de guerre médiocre[47] c'est un redoutable diplomate et un politique avisé[48]. Il a pris conscience, bien mieux que Godefroy et Baudouin, du redressement byzantin, et qu'un affrontement direct conduirait la croisade au désastre. Il estime préférable de s'entendre avec Alexis (lequel le rencontre seul à seul) et prête sans hésitation le serment d'allégeance au Basileus[49]. Les troupes de Bohémond sont transportées par la marine d'Alexis en Asie le 26 avril. Le lendemain arrive une nouvelle armée croisée dirigée par le comte de Toulouse Raymond IV.

Le comte de Toulouse estime qu'il est le seul à pouvoir diriger la croisade. Il a déjà lutté contre les musulmans[50], est le seul à avoir rencontré Urbain II et il est accompagné du légat du pape, Adhémar de Monteil, évêque du Puy. Raymond offre aux yeux d'Alexis un contraste frappant par rapport aux autres chefs croisés. Plus civilisé, plus courtois il est considéré comme un homme fiable et honnête par les Byzantins. Cela n'empêche pas les troupes d'Alexis d'infliger une défaite cuisante aux troupes de Raymond[51] qui pillaient les Balkans en avril 1097. Raymond refuse de prêter serment à l'empereur[52] et n'accepte qu'un serment modifié dans lequel il s'engage à respecter la vie et l'honneur du Basileus et ne rien tenter contre lui. Alexis se contente de cet accord. Les relations entre Raymond IV et Alexis se réchauffent rapidement car l'empereur comprend vite qu'il dispose, avec le comte de Toulouse, d'un allié contre Bohémond à l'intérieur même de la croisade.

Godefroy de Bouillon et les barons reçus par l'empereur Alexis
Godefroy de Bouillon et les barons reçus par l'empereur Alexis

Peu après arrive la dernière armée des croisés, dirigée par le duc de Normandie, Robert II, Étienne de Blois et le comte de Flandre Robert II sans anicroches particulières. Le serment à l'empereur est prêté sans résistance aucune par les chefs de cette dernière expédition.

Au final la gestion par Alexis de cette arrivée massive de seigneurs occidentaux (entre 60 000 et 100 000 hommes, chiffres considérables pour l'époque) se révèle particulièrement habile. Entre 1096 et le printemps 1097 il a réussi à accueillir l'ensemble des forces croisées, à les ravitailler sans que les inévitables débordement et maraudes prennent une ampleur démesurée. De plus, à l'exception notable de Raymond IV de Toulouse avec lequel il conclut un arrangement particulier, l'empereur obtient un serment d'allégeance des chefs de la croisade. Il est peu probable qu'Alexis se fasse beaucoup d'illusion sur la validité de ce serment mais cela lui donne un avantage juridique en cas de litige.

[modifier] La reconquête de l'Asie Mineure

[modifier] La prise de Nicée

Plus que la prise de Jérusalem l'objectif d'Alexis Ier est la reconquête de l'Asie mineure sur les Turcs. L'objectif premier est donc la prise de Nicée la capitale seldjoukide. Le souverain turc Kılıç Arslan Ier vient de commettre l'erreur, après avoir écrasé la croisade populaire, de partir en guerre contre d'autres princes musulmans afin de contrôler Mélitène[53]. Il est tellement persuadé que les croisés ne pousseront pas jusqu’à sa capitale qu'il y laisse sa femme, ses enfants et son trésor.

L'armée croisée s'est réunie à Pélékan qu'elle quitte le 26 avril 1097 pour Nicomédie. Elle franchit le défilé où la croisade populaire a été massacrée. Godefroy de Bouillon, sur les conseils d'Alexis, avance prudemment et n'atteint Nicée que le 6 mai 1097. Le 13 mai arrive Bohémond et ses Normands, puis le 16 mai Raymond de Toulouse et le 3 juin les soldats du duc de Normandie. Alexis lui-même débarque à Pélékan afin de garder à la fois le contact avec sa capitale (si les choses tournent mal) et de pouvoir, en cas de victoire, mettre Nicée sous le tutelle byzantine. Le 21 juin Kılıç Arslan Ier arrive avec son armée mais ne peut forcer le dispositif croisé. Il se rend rapidement compte qu'en terrain découvert ses troupes ne sont pas de taille à vaincre les croisés et se retire dans les montagnes, abandonnant la ville à son sort.

Cependant les croisés constatent que la ville est bien protégée et que le siège risque de s'éterniser d'autant que le blocus est incomplet la ville étant ravitaillée par le lac Askanios. Les croisés demandent donc l'intervention d'Alexis. Celui-ci attend probablement ce moment de montrer que sa coopération est indispensable. Il envoie des troupes terrestres[54] et fournit une flottille pour bloquer le lac, dirigée par Manuel Boutoumitès. La garnison comprend alors que la situation est désespérée et entre en négociations avec l'empereur (par l'intermédiaire de Boutoumitès). Le 19 juin au matin les croisés ont donc la surprise de voir l'étendard impérial flotter sur la ville. Alexis récupère ainsi habilement Nicée sans que la ville subisse les conséquences brutales d'une mise à sac, d'autant que la majorité des habitants sont des chrétiens. Si les chefs croisés se satisfont de la situation[55] ce n'est pas le cas des hommes de troupes frustrés du pillage. Alexis anticipe tout mouvement de grogne en ravitaillant largement la croisade et en distribuant une partie du trésor de Kılıç Arslan. Alexis en profite alors pour demander l'allégeance des seigneurs de second rang, qu'il obtient, ainsi que celle de Tancrède. Celui-ci accepte après une violente algarade avec son oncle Bohémond.

Le traitement généreux des Turcs prisonniers par Alexis surprend et choque beaucoup les Croisés. Le Basileus autorise les officiers et fonctionnaires à racheter leur liberté et reçoit à Constantinople la famille de Kılıç Arslan avec des honneurs royaux avant de la renvoyer au sultan.

[modifier] La victoire de Dorylée
Article principal : Bataille de Dorylée (1097).

Le 26 juin, soit une semaine après la chute de Nicée, la croisade reprend sa route. Alexis prend la précaution de lui adjoindre un contingent byzantin dirigé par Tatikios. Kılıç Arslan s'est allié avec ses adversaires danishmendides et tente une embuscade près de Dorylée le 1er juillet 1097 sur l'avant-garde croisée dirigée par Bohémond. L'arrivée dans la journée du reste de l'armée transforme la bataille en déroute pour les Turcs qui abandonnent leur campement.

Tatikios conseille alors d'emprunter la route sud de l'Anatolie moins dangereuse. Cependant les relations entre les Byzantins, qui reprochent aux croisés leur indiscipline et leur ingratitude, et les « Francs », qui craignent une traîtrise des Byzantins, restent fraîches[56].

Alexis profite de la victoire de Dorylée et de la marche de la croisade vers Antioche pour consolider la présence byzantine dans l'ouest de l'Asie Mineure. Il constate, non sans crainte, que la défaite vient de réconcilier les Turcs seldjoukides et les Danichmendides créant de fait une puissance considérable. S'appuyant sur sa marine il expédie le césar Jean Doukas, son beau-frère, reconquérir l'Ionie et la Phrygie. Une simple démonstration de force a raison de l'émirat de Smyrne où le fils de Tzakhas se rend à condition d'avoir la vie sauve. L'amiral byzantin Kaspax réoccupe toutes les îles de la mer Égée de l'émirat tandis que Jean Doukas s'empare des grandes cités lydienne (Sardes, Philadelphie, Laodicée). À la fin de 1097 le contrôle byzantin sur la Lydie est total et Jean Doukas se prépare à entrer en Phrygie afin de rétablir le contrôle de l'empire sur la route sud (vers Attalie) puis jusqu'aux principautés arméniennes des montagnes du Taurus c'est-à-dire la route d'Antioche.

[modifier] Antioche

Les croisés arrivent devant Antioche le 21 octobre 1097[57]. Bohémond, impressionné par la taille et la puissance des murailles décide d'en faire son fief. Il a l'exemple d'Alexis à Nicée et décide que la ville doit se rendre à lui seul afin que ses prétentions soient difficiles à contester. Mais le siège dure longtemps et la famine s'installe. Le départ pour Chypre[58] de Tatikios (février 1098), représentant d'Alexis, départ qu'il justifie en annonçant qu'il doit retourner en territoire impérial afin d'organiser un meilleur ravitaillement, est exploité immédiatement par Bohémond. Puisque le représentant de l'empereur quitte l'armée, la croisade s'estime libérée de toute obligation envers Alexis. Ce qui en clair signifie qu'il ne faut pas lui remettre la ville d'Antioche. L'arrivée le 4 mars 1098 de matériel de siège envoyé par Alexis ne change pas l'état d'esprit des occidentaux. Finalement Bohémond parvient à se faire livrer la ville par trahison le 3 juin 1098. Mais le 7 juin une armée musulmane dirigée par Kerbogha assiège à son tour les croisés dans Antioche.

Prise d'Antioche par les Croisés
Prise d'Antioche par les Croisés

La seule chance de salut pour les croisés est donc l'arrivée de l'empereur Alexis. Celui-ci, après la reconquête du sud de l'Asie Mineure par Jean Doukas (fin 1097/début 1098), prend la tête de son armée et progresse vers Antioche. Mais il rencontre en chemin, à Philomélion près d'Attaleia, Étienne de Blois, l'un des chefs croisés qui s'est enfui du siège d'Antioche le 2 juin peu avant la prise de la ville, et qui lui indique que les Turcs ont certainement anéanti la croisade. Alexis n'a aucune raison de mettre en doute le récit d'Etienne de Blois[59] et poursuivre son offensive lui apparaît dangereux face à des Turcs qu'il imagine grisés par la victoire. Il apprend de plus que les Turcs concentrent des troupes dans la région du haut Euphrate. Le risque d'être pris en tenaille par deux armées turques lui semble important. Alexis réunit ses officiers et son conseil et annonce qu'il fait retraite et se contente des gains territoriaux non négligeables obtenus jusqu'alors. Un demi-frère de Bohémond, au service de l'empereur depuis des années, Guy, demande à Alexis de continuer, persuadé qu'il est encore temps de sauver la croisade mais Alexis demeure intraitable et l'armée byzantine remonte vers le nord[60].

Cette décision a, pour la suite des croisades, un impact considérable. À court terme elle arrange les ambitions de Bohémond qui en tire parti pour revendiquer avec plus de force la possession d'Antioche. Sur le long terme cette décision d'Alexis renforce chez les croisés le sentiment de méfiance envers les Byzantins orthodoxes. La victoire des croisés sur Kerbogha, le 28 juin, pose immédiatement le problème de la dévolution de la ville. Dans un premier temps des ambassadeurs sont envoyés, à la fureur de Bohémond, prévenir Alexis et lui demander de prendre le contrôle de la ville. Mais la nouvelle du départ d'Alexis parvient peu après aux croisés. À leurs yeux cela équivaut à un suzerain qui manque à ses obligations d'assistance. L'opinion qui prévaut chez les croisés c'est que l'empereur est déchu de ses droits sur la ville et qu'eux-mêmes sont libérés de leur serment envers Alexis.

Alexis envoie cependant en mars 1099 une ambassade pour réclamer la restitution de la ville. En vain. Alexis offre de venir en personne participer à la reconquête de Jérusalem mais les croisés refusent (à l'exception notable de Raymond de Saint-Gilles). Le comte de Toulouse est le seul chef croisés à maintenir de bonnes relations et des rapports privilégiés avec Alexis[61]. Il rend ainsi aux Byzantins la ville de Laodicée (février 1099) dont il était le protecteur depuis l'été 1098[62]. Alexis cherche en effet à reprendre le contrôle des ports de la Cilicie et de la Syrie du nord. Pour cela il envoie des troupes venues de Chypre. Une flotte venue de Pise pille en ce début de 1099 les îles Ioniennes avant d'être vaincue par la flotte d'Alexis près de Rhodes. Les rescapés de cette flotte tentent alors de s'emparer de Laodicée avec l'aide de Bohémond. Raymond de Saint-Gilles revient rapidement de Jérusalem et force Bohémond à lever le siège.

[modifier] L'échec de Raymond de Saint-Gilles

En ce début d'année 1100 deux seigneurs occidentaux se partagent donc la Syrie du Nord : Bohémond à Antioche et Raymond de Saint-Gilles qui contrôle Laodicée « au nom de l'empereur ». Il est certain qu'Alexis compte sur Raymond pour reprendre Antioche à Bohémond. Une occasion se présente avec l'arrivée à Constantinople d'une nouvelle croisade. Raymond se rend en toute hâte (juin 1100) à Constantinople où il est investi du commandement des croisés[63]. Il prête une seconde fois serment à Alexis mais un serment différent de celui de 1097. Il ne s'agit plus de restituer à l'empire les anciennes terres byzantines reconquises (à l'exception d'Antioche) mais plutôt de constituer un état indépendant, dirigé par Raymond, sous suzerainté byzantine. Cette nouvelle croisade, composée pour l'essentiel de Lombards, de Normands et de Français (on y retrouve Étienne de Blois) emprunte, contre l'avis d'Alexis, la route au nord-est de l'Anatolie. Il semble que l'objectif affiché par certains de ses chefs soit la libération de Bohémond fait prisonnier peu de temps auparavant par les Turcs (août 1100) danishmendites et retenu en Cappadoce à Sivas. Les croisés sont vaincus par les divers émirs Turcs de la région. Raymond de Saint-Gilles et Étienne de Blois parviennent cependant à s'enfuir et à rejoindre la capitale de l'empire (septembre 1101). Alexis est de prime abord furieux contre Raymond qui s'est enfui en pleine bataille mais très vite se réconcilie avec lui. Le comte de Toulouse demeure quelques temps à Constantinople avant de repartir en Syrie.

En effet le neveu de Bohémond, Tancrède de Hauteville, reprend Laodicée aux Byzantins (1102) et s'empare de quelques bourgades de Cilicie. Raymond de Saint-Gilles tente en vain de s'emparer à nouveau de la ville puis signe un traité avec Tancrède qui reconnaît aux Normands la possession d'Antioche et Laodicée. Le comte de Toulouse s'empare alors de Tortose avant de descendre plus au sud afin d'assièger Tripoli dont il souhaite faire sa capitale. Cependant son échec, ainsi que celui d'Alexis, face à Bohémond et Tancrède est patent. Antioche reste aux Normands et Raymond n'est plus en mesure de disputer la Syrie du nord à son concurrent. Alexis toutefois dissoçie ses mauvaises relations avec Bohémond de ses relations avec les autres croisés. Ainsi il obtient, contre rançon, la libération des Francs qui avaient été fait prisonniers à la bataille de Ramla en mai 1102.

[modifier] Le traité de Dévol

Alexis cependant tente une nouvelle intervention en 1103. C'est ainsi que Laodicée est reprise par un corps expéditionnaire byzantin tandis que les villes de Cilicie se révoltent contre les Normands. Bohémond (libéré par les Turcs en mai 1103) et Tancrède ne possédent pas les effectifs nécessaires pour tenir la principauté et Alexis à la maitrise de la mer. Bohémond se décide alors à partir pour l'Italie (janvier 1105) ou il lève une armée de Normands. Il se rend ensuite en France et cherche à mettre au point une croisade contre Alexis. Il affirme que l'empereur à trahit les croisés à Antioche ainsi que la croisade de 1101. Ces mensonges rencontrent un large échos en occident. Les lettres diplomatiques d'Alexis, trouvées en 1099 dans les bagages du sultan fatimide d'Égypte[64] après la bataille d'Ascalon prouvent aux yeux des croisés la collusion entre Alexis et les princes musulmans. C'est pourquoi les captifs de Ramla, libérés par Alexis, sont comblés de cadeaux par le basileus avant d'être renvoyés en Europe afin de réfuter les calomnies de Bohémond.

Ce dernier reçoit la bénédiction du pape Pascal II pour une croisade contre Byzance. Il épouse Constance, la fille du roi de France Philippe Ier et obtient la main de Cécile de France, une autre fille de Philippe, pour Tancrède resté à Antioche. Le 9 octobre 1107 Bohémond débarque à Avlona en Épire avec une importante armée puis le 13 il met le siège devant Dyrrachium. Rapidement l'expédition se transforme en désastre. Alexis, s'appuyant sur l'alliance avec Venise parvient à couper les communications de son adversaire avec l'Italie. Puis il bloque les cols des montagnes isolant l'armée de son adversaire de tout ravitaillement. La famine guette rapidement les troupes normandes. Alexis en profite alors pour acheter de nombreux barons normands à qui il distribue honneurs et largesses. A partir de septembre 1108 des négociations s'ouvrent et une rencontre directe entre Alexis et Bohémond a lieu[65].

Le traité de Dévol (septembre 1108) spécifie que Bohémond se reconnaît l'homme lige du basileus pour Antioche. Bohémond ne peut contracter de nouvelles alliances qu'avec l'accord de l'empereur[66]. Bohémond promet son appui militaire contre tout ennemi d'Alexis en Europe et en Asie. Il promet aussi de traîter Tancrède en ennemi si celui-ci refuse le traité. Bohémond reçoit en échange un fief constitué d'Antioche, du port de Saint-Syméonmais un fief en viager qui doit retourner à Alexis après la mort de Bohémond. Ce dernier est donc, selon les clauses de ce traité inspiré directement des pratiques occidentales et non byzantines, à la fois le lieutenant de l'empereur et son vassal. Le littoral de Cilicie revient à l'empire. En théorie à la conclusion de ce traité l'empire retrouve la suzeraineté de toute la syrie du nord et sur l'ensemble des états croisés à l'exception du royaume de Jérusalem. Parmi les signataires du traité figurent les représentants du roi de Hongrie, Coloman, beau-père du fils d'Alexis Jean[67] ainsi que de nombreux conseillers d'Alexis, tous occidentaux tel Marinos Néapolitès (originaire de Naples), Pierre d'Alipha et Roger le Franc. Ce phénomène témoigne de l'occidentalisation de la cour d'Alexis ou vivent et travaillent pour l'empereur des Lombards et Italiens du sud ainsi que de nombreux Normands y compris de la famille de Bohémond[68]

[modifier] L'échec final d'Alexis en Syrie

Par le traité de Dévol Alexis espère avoir mis fin à la question d'Antioche, par la soumission de Bohémond, d'autant qu'il estime avoir fait preuve de modération. Mais Tancrède de Hauteville qui gouverne en réalité la ville depuis près de 10 ans au nom de son oncle ne l'entend guère ainsi. Son objectif n'est pas, comme Bohémond, de s'emparer du trône byzantin mais bien d'imposer la domination normande en Syrie du nord. Le départ de Bohémond pour l'Europe, après la signature du traité[69] lui laisse les mains libres car lui ne l'a pas ratifié. Ainsi en 1108 il reprend, avec l'aide d'une escadre pisane, la ville de Laodicée puis s'empare (en 1109) des villes de Cilicie, en particulier Mamistra, aidé il est vrais par l'incapacité du général en chef de l'armée d'orient, l'arménien Aspiétès. Alexis envoie une ambassade et propose une négociation, en vain.

A la fin de 1108 le bilan de l'intervention des croisés est, pour l'empire, assez ambigu. Certes Alexis a ainsi pu repousser les Turcs et reprendre l'Asie mineure occidentale (Nicée et Smyrne en particulier) mais la Syrie du nord reste indépendante et toute idée de suzeraineté byzantine sur les états latins d'orient reste chimérique. Alexis se révèle ainsi incapable d'aider Bertrand, le fils de Raymond de Saint-Gilles contre les visées de Tancrède et de Guillaume Jourdain. C'est le roi de Jérusalem Baudouin Ier de Jérusalem qui à Tripoli[70] en 1109 convoque un plaid solennel qui règle la question du partage des terres croisées. C'est donc le roi de Jérusalem qui possède le rôle de suzerain et d'arbitre sur l'ensemble des états latins d'orient et non le basileus.

Alexis ne se décourage pas cependant mais il dispose d'une faible marge de manœuvre. Il tente de nouer des alliances contre Tancrède, y compris auprès des chefs musulmans[71]. Il envisage vers 1111 une expédition militaire mais en est dissuadé par son conseil. Il tente alors d'isoler le normand par une intense activité diplomatique. À l'automne 1111 une ambassade conduite par Michel Boutoumitès est envoyée auprès de Bertrand, avec de fortes sommes d'argent. L'objectif est de persuader les autres chefs croisés du bien fondé d'une attaque contre Tancrède[72].

[modifier] Après la première croisade

La période qui suit la première croisade voit Alexis consolider ses positions en Asie Mineure occidentale ainsi que sur ses côtes nord et sud. Mais il est confronté en permanence à des infiltrations de Turcs, souvent nomades avec des troupeaux d'ovins et de caprins, dont la présence ruine progressivement l'agriculture sédentaire de ces régions. En 1115 Alexis remporte une victoire contre Malik Châh Ier seldjoukide du sultanat de Roum à Philomélion[73] mais qui reste sans lendemains. Les Turcs reprennent rapidement Laodicée de Phrygie (Denizli) et pénètrent dans la vallée du Méandre. Ils coupent ainsi la piste d'Attalie. Alexis se prépare à une nouvelle expédition militaire lorsqu'il est atteint par la maladie (en 1118)[74]

[modifier] Lutte autour d'un mourant

Une sévère lutte d'influence a lieu autour d'Alexis lorsqu'il apparaît, au cours de l'été 1118, qu'il ne se relèvera pas de sa maladie. L'héritier désigné est le fils d'Alexis, Jean. Mais sa sœur ainée, Anne Comnène ne l'entend pas ainsi. Enfant elle est fiancée à Constantin Doukas à qui Alexis promet l'accès au trône impérial à sa mort. Mais Constantin meurt assez jeune (en 1087) et la naissance de Jean Comnène (en 1088) donne un héritier à Alexis. Anne épouse alors Nicéphore Bryenne. Son père à l'article de la mort, elle tente, avec l'aide de sa mère, de faire déshériter Jean au profit de son mari. Elle échoue en grande partie à cause de la pusillanimité de Nicéphore. En effet pendant l'agonie d'Alexis au monastère de Mangana (Il meurt le 15 août 1118) Jean s'empare, avec l'aide de son frère Alexis, de l'anneau impérial et se fait proclamer empereur par la foule tandis que la garde du palais et Nicéphore Bryenne hésitent. Cette hésitation est favorable à Jean II qui consolide sa position en nommant ses proches st ses principaux soutiens aux postes-clés[75]. Le rôle principal est confié à un ami d'enfance, d'origine turque, Jean Axouch qui devient Grand Domestique et commandant de l'armée. Quelques jours plus tard Anne ourdit un nouveau complot contre son frère qui se repose dans sa résidence de Philopation mais celui-ci est prévenu à temps par Nicéphore Bryenne lui même qui décidément n'a guère envie de devenir empereur.

Selon Nicétas Choniatès, c'est Jean Axouch qui parvient à réconcilier l'empereur avec sa sœur Anne, laquelle, avec son mari, se console de la perte de ses ambitions par les joies plus tranquilles du métier d'historien. De façon générale Jean II se montre clément avec ceux qui se sont opposés à lui, une fois son trône affermi.

[modifier] Notes et références

  1. Steven Runciman, Histoire des Croisades, 1951 [détail des éditions]
  2. le futur beau-père d'Alexis Ier
  3. son frère Isaac a été nommé en 1074 duc d'Antioche et se trouve confronté à la révolte de la ville qu'il écrase dans le sang. Il est de nouveau fait prisonnier par les Turcs peu après avant d'être de nouveau libéré sans doute contre une rançon. Cet éloignement d'Isaac pendant 4 ans, il ne rentre à Constantinople qu'en 1078, favorise sans aucun doute la carrière militaire d'Alexis devenu l'aîné des Comnène dans la capitale.
  4. En effet les habitants d’Amasia estiment le gouvernement de Roussel si efficace qu’ils tentent de le sauver et ne renoncent qu’à la nouvelle (fausse) de son énucléation.
  5. Ces troupes d'élites sont chargées de la sécurité personnelle de l'empereur. Créé par Basile II ce corps est composé à l'origine de Russes puis plus tard d'Anglais et de Danois
  6. Troupes originaires de la ville de Chôma
  7. Il est le beau-frère d'Alexis dont il a épousé la sœur Eudoxie
  8. souvent des mercenaires étrangers
  9. mercenaires allemands
  10. Jean Zonaras,Epitomé historion, XVIII, 20.
  11. Un proche de la famille Doukas
  12. Après la bataille de Dorylée la sultane, femme du vaincu Kılıç Arslan Ier, est traitée avec honneur (avec son nouveau né) puis conduite auprès de son frère l’émir de Smyrne.
  13. Steven Runciman, Histoire des Croisades, 1951 [détail des éditions]
  14. ..en même temps qu'il montait sur le char impérial, aussitôt affluèrent à la fois de partout tous les dangers: le Celte s'était ébranlé et montrait la pointe de sa lance, l'Ismaélite tendait l'arc, l'ensemble de la population nomade et tous les Scythes se précipitèrent sur nous avec d'innombrables chariots., Anne Comnène, L'Alexiade, XIV, 7, 1.
  15. Le fils de ce dernier, Constantin Doukas, avait été fiancé à Hélène la fille de Robert Guiscard en 1076 et cette dernière était venu vivre à la cour de Constantinople en attendant que le mariage soit consommé. Alexis parvenu au pouvoir la traîte d'ailleurs fort bien.
  16. le chiffre de 30 000 donné par Anne Comnène est très exagéré
  17. Guillaume de Pouille estime à au moins 5 000 le nombre de Byzantins tués, sans compter les mercenaires turcs.
  18. Malgré ses difficultés financières Alexis envoie 144 000 pièces d'or à Henri, soit 2 000 livres, et une alliance matrimoniale entre Jean Comnène, le neveu d'Alexis, et une princesse germanique est envisagée
  19. Elisabeth Malamut, Alexis Ier Comnène, Ellipses, 2007
  20. Du moins pas encore
  21. A l'occasion de ce traité Abul Qasim est reçu en grande pompe à Constantinople et l'hippodrome est réouvert. Ce traité rend la cité de Nicomédie et les rives anatolienne de la mer de Marmara à l’Empire.
  22. Entre 1080 et 1090
  23. Anne Comnène, l’Alexiade, IX, III, 3.
  24. aujourd'hui Plovdiv en Bulgarie
  25. Grégoire Pakourianos est tué au cours de la bataille
  26. Les Petchénègues ont des troupes en lignes protégées par des chariots couverts et Alexis opte imprudemment pour une bataille en terrain ouvert face à un adversaire aux effectifs supérieurs
  27. corps de troupe créé par Alexis à son avènement et constitué de soldats recrutés parmi les fils de soldats tués à la guerre
  28. Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, éditions Larousse-Bordas 1996, pp 4281-4282.
  29. Ils seront définitivement vaincus par Jean II Comnène en 1122.
  30. Anne Comnène, l’Alexiade, III, X, 1-8.
  31. Steven Runciman, Histoire des Croisades, 1951 [détail des éditions]
  32. L’archevêque de Bulgarie, Théophylacte, écrit un traité ou il demande à ses lecteurs de ne pas attacher une importance démesurée aux divergences et explique certains malentendus entre les églises orientales et occidentales par la pauvreté du latin pour les termes théologiques. Le patriarche de Jérusalem Siméon II critique à la même époque l’usage latin du pain azyme dans la communion mais en des termes très modérés (Bernard Leib, Deux Inédits byzantins sur les azymites, éditions A.Picard, 1924, pp. 85-107).
  33. Les mercenaires sont pour l’essentiel des Anglo-Saxons qui constituent la Garde varègue, laquelle cependant ne comporte plus de Normands, et des Petchénègues dont les survivants ont été en partie recrutés par Alexis.
  34. Le comte Robert le Frison vers 1090 par exemple.
  35. Jean Richard, Histoire des croisades, editions Fayard (édition), 1996
  36. Charles Joseph Hefele, Histoire des Conciles, Edit.Le Touzey et Ané, 1930
  37. Pour la grande majorité des seigneurs régionaux impliqués dans la gestion des diocèses mais aucun grand baron
  38. Jean Richard, Histoire des croisades, Fayard (édition), 1996, p.57
  39. Le gouverneur byzantins, Nicétas, avait tenté d'imposer un seul point de passage de la Save puis comprenant que ses troupes étaient insuffisante pour contenir une telle horde il s'était réfugié à Nish et les habitants de Belgrade avaient abandonnés la ville
  40. Alexis envoie sa flotte chercher les survivants réfugiés à Kibotos mais prend la précaution de les faire désarmer
  41. Ce qu'admet parfaitement Anne Comnène dans l'Alexiade, X, VII, 2-5. Les sources occidentales affirment qu'il est retenu prisonnier (Foucher et Albert) mais cela ne correspond pas avec son comportement posterieur.
  42. Celui-ci est d'ailleurs parti à la croisade avec sa femme normande, Godvère de Toëni et ses enfants.
  43. Le roi de Hongrie, Coloman, exige que Baudouin et sa famille lui soit livré en otage le temps du passage de la croisade dans son pays
  44. Godefroy invoque pour excuse l'emprisonnement supposé d'Hugues de Vermandois.
  45. son suzerain est l'empereur d'Allemagne
  46. le jeudi de la Semaine Sainte
  47. Mais son neveu Tancrède de Hauteville (régent d'Antioche) supplée à cette faiblesse
  48. Anne Comnène dans l'Alexiade (XIII, X, 4-5) dresse de lui un portrait dans lequel, bien qu'elle haïsse profondément Bohémond, elle ne peut dissimuler son admiration pour son charme et sa prestance
  49. Ce que refuse absolument son neveu Tancrède qui parvient à passer en Asie sans l'aide des navires impériaux
  50. En Espagne
  51. Raymond d'Aguilers, Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem, I-II
  52. Il craint en effet de devoir être soumis aux ordres de Bohémond lequel a prêté serment et de perdre aussi sa relation privilégiée avec le pape
  53. D'après la chronique de Matthieu d'Edesse, II, CXLIX.
  54. dirigées, selon Anne Comnène, l'Alexiade, XI, II, 3-4 et III, 11-12, par les généraux Tatikios et Tzitas.
  55. Ils estiment que l'objectif de la croisade est loin d'être atteint
  56. Tatikios est traité d'inimicus pas la Gesta Francorum, VI, 16.
  57. sauf Baudouin de Boulogne occupé à se tailler un fief au nord-est qui va devenir le comté d'Edesse
  58. Chypre est l'île par laquelle transite le ravitaillement et l'assistance byzantine en monnaie, arme et chevaux
  59. Etienne de Blois selon la Chronique anonyme (115) dit ceci à l'empereur : « Sache bien qu'Antioche est prise (...) et que tous les nôtres subissent un siège accablant, et sont, je le présume, à l'heure où je parle, exterminés par les Turcs. Tourne les talons au plus vite, pour ne pas tomber à ton tour entre leurs mains, toi et l'armée, que tu mènes avec toi. »
  60. Gesta Francorum, IX, 27
  61. Il est vrai que les rapports entre Raymond et Bohémond sont exécrables
  62. Laodicée, reprise aux Turcs par le corsaire Guynemer de Boulogne vers août 1097, est arrachée à ce dernier par des marins anglais et cédée au duc de Normandie Robert Courteheuse. Finalement lors de l'été 1098 c'est Raymond de Saint-Gilles qui en devient le protecteur.
  63. Sans que l'on sache si c'est de sa propre initiative ou de celle de l'empereur
  64. avec lequel il a d'excellentes relations
  65. Bohémond demande à être dispensé de la proskynèse au cours de l'entrevue ce que refuse Alexis qui accepte cependant de se lever de son trône et de prendre Bohémond par la main. L'époque ou l'empereur communique par un intermédiaire, y compris avec ses hôtes dans son palais, est bien révolue.
  66. .« .Car l'unique suzeraineté à laquelle j'ai promis obéissance est celle de votre Majesté et celle de votre fils très cher.. ». Anne Comnène, L'Alexiade, XIII, 12, 9.
  67. Le futur Jean II a épousé Irène Pyriska, la fille de Coloman, en 1105
  68. Le demi-frère de Bohémond, Guy de Hauteville, fils de Robert Guiscard passe au service d'Alexis en 1084 et y reste jusqu'en 1097 ou il s'insurge contre la décision du basileus de ne pas porter secours aux croisés à Antioche.
  69. Il meurt vers 1111 en Italie
  70. après la prise de la ville
  71. Élisabeth Malamut, opus cité, p.427
  72. Alexis écrit à Bertrand la lettre suivante: Tu ne dois pas te montrer inférieur à ton père dont tu dois aussi scrupuleusement la fidélité envers nous. Apprends que je pars en personne à Antioche pour châtier celui qui n'a pas tenu les serments redoutables qu'il avait fait à Dieu et à moi-même. Quant à toi, aie soin de ne lui prêter nulle assistance, et de pousser les comtes à nous rester fidèles, de telle sorte que d'aucune manière Tancrède ne soit soutenu. Anne Comnène, L'Alexiade, XIV, 2, 6.
  73. Philomélion, Philomelium, Φιλομήλιο, Filomilio : actuellement Akşehir près d'Iconium/Konya la capitale des Seldjoukides de Roum
  74. Anne Comnène, l'Alexiade, XV, XI, 1-23.
  75. Il n'assiste toutefois pas aux funérailles d'Alexis persuadé que son assassinat est prévu ce jour


Empereur romain d'Orient ou Basileus
Précédé par
Nicéphore III
Botaniatès

Alexis Ier
Comnène
Suivi par
Jean II
Comnène