Grégoire VII

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Grégoire VII
Pape de l’Église catholique romaine
Image du pape Grégoire VII
'
[[|100px|Armoiries pontificales de Grégoire VII]]
Nom de naissance Ildebrando Aldobrandeschi de Soana
Naissance vers 1020/1030
Élection
au pontificat
22 avril 1073
Intronisation: 30 juin 1073
Fin du
pontificat :
25 mai 1085
Rome (Italie)
Prédécesseur : Alexandre II
Successeur : Victor III
{{{note}}}
Antipape : Clément III
Listes des papes: chronologie · alphabétique
Projets Catholicisme et Cliopédia · Modèle

Ildebrando Aldobrandeschi de Soana (vers 1020/1030 - 25 mai 1085), membre de la noblesse toscane, devient pape sous le nom de Grégoire VII en succédant à Alexandre II en 1073.

Son pontificat est dominé par trois desseins, dont la réalisation constitue la réforme dite grégorienne :

  • lutter contre la simonie, le trafic des bénéfices et notamment des évêchés ;
  • purifier les mœurs du clergé (obligation du célibat des prêtres, lutte contre le nicolaïsme) ;
  • rappeler le fondement évangélique que nul pouvoir politique sur la terre ne peut se rendre maître des destinées de l'Église mais qu'au contraire, fondée sur la primauté de l'Apôtre Pierre, l'obéissance par tous est due au Pape, son successeur, à commencer par la soumission des princes qui gouvernent les peuples chrétiens.

Sommaire

[modifier] Enfance

Grégoire VII nait à Sovana en Toscane vers 1020[1]. Il est nommé, Hildebrand ce qui suggère une origine germanique. On connait peu de choses sur sa famille qui était de condition moyenne[1]: son père aurait exercé la profession de charpentier[2].

[modifier] Élève puis chapelain de Grégoire VI

Pape Grégoire Ier
Pape Grégoire Ier

Hildebrand s'instruit dans le couvent de Sainte-Marie-sur-l'Aventin et aurait pour maître Jean-Gratien, le futur Pape Grégoire VI. Ce dernier est un fervent réformateur. La culture de Hildebrand est plus spirituelle que philosophique: il se nourrit plus de psaumes ou des écrits de Grégoire le Grand (dont lui-même et son mentor prendront le nom en accédant au trône de saint Pierre) que ceux de Saint Augustin[1]. Il s'attache à Jean-Gratien qui fait de lui son chapelain. Il le suivra jusqu'à sa mort[2].

Du fait du gigantisme de l'empire, l'autorité de l'empereur est faible en Italie. Les grandes familles romaines (et en particulier les comtes de Tusculum) habituées à faire élire le pape, tentent de reprendre leurs prérogatives. les Tusculani font élire Benoit IX à la papauté. Critiquant sa faible moralité les romains élisent un antipape: Sylvestre III. Mis en difficulté Benoit IX revend sa charge à Jean Gratien qui pour remettre de l'ordre accepte cet acte de simonie et prend le nom de Grégoire VI. Cependant, il ne peut pas appliquer la réforme: Il y a 3 papes concurrents. Depuis Henri II les Empereurs sont contraint de descendre périodiquement avec leur Armée pour y restaurer leur autorité[3]. Henri III intervient donc militairement et restaure l'ordre en déposant les 3 pontifes au synode de Sutri, le 20 décembre 1046[4]. L'empereur impose le pape réformateur Clément II. Hildebrand suit son mentor Grégoire VI en exil en Allemagne et reste auprès de lui jusqu'à sa mort en 1048. Sa vie austère est remarquée par Brunon l'évêque de Toul et proche parent de L'empereur, qui l'attache à sa personne.

[modifier] Éminence grise des souverains pontifes

Icône de détail Article détaillé : Léon IX.

A Rome les désordres persistent, coup sur coup deux papes désignés par l'empereur sont assassinés (Clément II et Damase II). En 1048, Brunon, est proclamé pape par une diète tenue à Worms. Il n'accepte qu'à la condition d'obtenir le consentement du clergé et du peuple romains. Il est confirmé dans cette résolution par Hildebrand qui le persuade de quitter ses vêtements épiscopaux et de se rendre à Rome comme un simple pèlerin, pour demander le renouvèlement et la confirmation de sa nomination. Les Romains sont sensible à cette humilité: Brunon est élevé à la charge pontificale sous le nom de Léon IX le 1er février 1049[4]. Élevé dans l'esprit de la réforme monastique, il conclut que c'est l'indignité des papes précédents qui leur a valu leur désaveu par les Romains et leur déchéance. Il nomme Hildebrand sous-diacre et le charge de l'administration des revenus du saint-siège, proche de la faillite[5]. Les actes les plus importants de son pontificat sont conseillés et dirigés par Hildebrand[6]) qui, agit en véritable éminence grise et est à l'origine des actes les plus importants du pontificat de Léon IX et de ceux de ses successeurs (Victor II (1055-1057), Étienne IX (1057-1058), Nicolas II (1058-1061), Alexandre II (1061-1073))[2]. De fait Hildebrand lance la réforme grégorienne vingt cinq ans avant de devenir pape lui-même.

Les organes de gouvernement sont réorganisés ; les services de la chancellerie, désormais très actifs, suivent le modèle impérial et le rôle des cardinaux, auxquels sont confiés des postes clés de l'administration, s'accroit très sensiblement ; ces fonctions, naguère réservées aux représentants des familles romaines sont ouvertes aux "étrangers", ce qui souligne le caractère universel du Saint Siège et montre que ces nominations ne doivent plus relever du clientèlisme[7].

Une doctrine est élaborée, qui tend à donner au Saint-Siège le pouvoir nécessaire à l'accomplissement de la réforme. Les Dictatus papae en révèlent les idées maîtresses: Dans la société chrétienne, cimenté par la foi , l'ordre laïque a pour fonction l'exécution des commandements de l'ordre sacerdotal dont le pape est le maître absolu. Vicaire du Christ, il est le seul titulaire légitime de l'Empire, puisqu'il est le vicaire du Christ, « l'empereur suprême ». Il peut déléguer ce pouvoir et reprendre sa délégation. L'empereur n'est plus le coopérateur du pape, mais son subordonné. Il doit exécuter le programme de réforme défini par le pape. Or ce programme remettait en cause l'Église impériale. L'un des théoriciens du mouvement, Humbert de Moyenmoutier, affirme en effet que l'inconduite des clercs provient de leur soumission aux laïcs car ceux-ci les désignent en fonction non pas de leur piété mais des avantages matériels que cette nomination peut leur procurer[8].

Léon IX meurt en 1054, mais une délégation romaine comprenant Hildebrand parvient à convaincre Henri III de choisir Victor II, le parti réformateur reste donc dans l'entourage saint siège, mais le pape reste choisi par l'empereur. Après avoir présidé aux obsèques impériales le 28 octobre 1056, Victor II est, le 5 novembre suivant, le principal artisan de l'élection du jeune fils de 6 ans d'Henri III comme empereur, sous le nom d'Henri IV, et met en place la régence d'Agnès d'Aquitaine, veuve de l'empereur. Cette dernière est proche du mouvement clunisien: le monastère de Cluny est une fondation de sa famille et Hugo, son abbé, est le parrain de l'héritier du trône, le futur Henri IV, et le confident intime de la famille impériale. Elle n'a pas l'autorité politique de son mari et doit concéder de nombreuses possessions aux Ducs pour garder leur fidélité.

Victor II décède en 1057 et Étienne IX est élu sans que l'avis de la régente ne soit demandé[1]. le nouveau pape s'oppose à la nomination du pape par l'empereur. Il est assassiné après seulement 8 mois de pontificat.

En 1058 le cardinal Humbert rédige un traité condamnant la simonie. Il dénie à l'empereur le droit d'intervenir dans la nomination des évêques. Il proclame la prééminence du pouvoir spirituel sur celui de l'empereur[1].

Le 13 avril 1059, Nicolas II fait décider par un concile réuni au Latran, que l'élection des pontifes sera dorénavant confiée au collège des cardinaux[1],[9]

[modifier] Pontificat

[modifier] Élection

Grégoire VII
Grégoire VII

En Juin 1073, à la mort d'Alexandre II, il est élu par les cardinaux, sous la pression du peuple. Cette élection effraye les évêques, qui redoutent sa sévérité. Le consentement impérial n'ayant pas été encore donné ainsi que l'exige encore le droit établi, les évêques de France, qui ont subi l'expérience de son zèle réformateur, quand il était venu chez, eux comme légat, tentent de pousser l'empereur Henri IV a ne pas la reconnaître. Mais Hildebrand sollicite et obtient la confirmation impériale. Il ne prend possession du siège apostolique qu'après l'avoir obtenue.

Dès son avènement, il réclame, en vertu de la donation de Constantin, la Corse, la Sardaigne et même l'Espagne; il soutient que la Saxe avait été donnée au saint-siège par Charlemagne, la Hongrie par le roi Étienne ; et il réclama de la France le denier de Saint-Pierre. Ces prétentions risquant de se heurter à un refus général et de lui attirer trop d'ennemis, il se recentre son action dans la lutte contre le nicolaïsme et la simonie.

[modifier] Lutte contre la Simonie et le Nicolaïsme

Lors du concile du Carême de 1074, des décisions sont prises pour écarter les prêtres simoniaques ou concubinaires. En particulier, il fait interdire l'accès aux églises aux prêtres mariés ou vivant en concubinage[9]. Mais les évêques nationaux, principalement les Allemands, ne montrent aucun empressement à appliquer les décisions du concile. Dans un premier temps, l'empereur Henri IV propose de jouer les conciliateurs entre les légats pontificaux et les évêques allemands[10]. Aux fêtes de Noël de cette année, une révolte fut organisée à Rome, par Censius, chef de la noblesse opposée aux réformes. Le peuple aida le pape à la réprimer.

Dès 1073, il attaque Philippe Ier, roi de France, pour simonie; en 1074, il essaya de soulever contre lui les évêques de son royaume; il leur écrivit : « Entre tous les princes qui, par une cupidité abominable, ont vendu l'Église de Dieu, nous avons appris que Philippe, roi des Français, tient le premier rang. Cet homme, qu'on doit appeler tyran et non roi, est la tête et la cause de tous les maux de la France. S'il ne veut pas s'amender, qu'il sache qu'il n'échappera pas au glaive de la vengeance apostolique. Je vous ordonne de mettre son royaume en interdit. Si cela ne suffit pas, nous tenterons, avec l'aide de Dieu, par tous les moyens possibles, d'arracher le royaume de France de ses mains; et ses sujets, frappés d'un anathème général, renonceront à son obéissance, s ils n'aiment mieux renoncer à la foi chrétienne. Quant à vous, sachez que, si vous montrez de la tiédeur, nous vous regarderons comme complices du même crime, et que vous serez frappés du même glaive. ». Philippe Ier promet de s'amender, mais continue d'autant que les évêques français ne mettent pas le royaume en interdit, et le pape s'abstint de donner suite à ses menaces.

Lors du concile du Carême de 1075, non seulement les prêtres simoniaques et concubinaires sont menacés d'excommunication mais des évêques sont aussi condamnés[11] : « Si quelqu'un désormais reçoit de ta main de quelque personne un évêché ou une abbaye, qu'il ne soit point considéré comme évêque. Si un empereur, un roi, un duc, un marquis, un comte, une puissance ou une personne laïque a la prétention de donner l'investiture des évêchés ou de quelque dignité ecclésiastique, qu'il se sache excommunié »[12].

Grégoire VII fait élire le légat Hugues de Die, l'un de ses plus proches collaborateurs comme Archevêque de Lyon. Ce dernier est issu d'une puissante famille aristocratique (il est le neveu d'Hugues Ier de Bourgogne l'abbé de Cluny et du Duc Eudes Ier de Bourgogne) et peut appliquer sur son archidiocèse la réforme grégorienne, convoquant maints conciles, au cours desquels il excommunie et dépose à tour de bras les clercs simoniaques et concubinaires : 1075 à Anse, 1076 à Dijon et Clermont, 1077 à Autun (contre le tyrannique Manassès de Gournay, qui a privé Bruno, le fondateur des Chartreux, de ses charges et de ses biens), 1078 à Poitiers[13].

Grégoire VII publie également un décret interdisant aux laïcs de choisir et d'investir les évêques. C'est la première fois que l'Église prend position sur la question des investitures laïques.

L'empereur Henri IV vient de vaincre une rébellion en Saxe[7]. Face à la turbulence des grands seigneurs, le soutien d'une Église impériale lui est indispensable. Pourtant, dans un premier temps, Henri IV, qui n'est pas hostile à la réforme, cherche à négocier tout en continuant à nommer les évêques. Il a comme objectif de renforcer en Italie une Église d'Empire, Reichskirche, qui lui serait totalement fidèle[14]. Deux évêchés vacants sont donnés à deux fidèles de l'empereur, ainsi que l'archevêché de Milan contre l'avis du pape et des bourgeois de la ville[15]. Le pape proteste en des termes très vifs. Alors éclate le conflit. Au-delà de la question des investitures, c'est le sort du dominium mundi qui se joue, la lutte entre le pouvoir sacerdotal et le pouvoir impérial. Les historiens du XIIe siècle appellent cette querelle Discidium inter sacerdotium et regnum[16].

[modifier] La querelle des investitures

Icône de détail Article détaillé : Querelle des Investitures.

[modifier] Les Dictatus papae

Grégoire VII promulgue alors, en 1075, les fameux Dictatus Papae, définissant canoniquement cette doctrine pour contrecarrer le césaro-papisme, à savoir : l'ingérence du pouvoir politique dans le gouvernement de l'Église (voir Querelle des Investitures). S'appuyant sur des princes comme Philippe Ier ou Guillaume le Conquérant, le Pape parvient à réduire les prérogatives de la féodalité et à mettre en place un épiscopat beaucoup plus indépendant du système des fidélités séculières.

Icône de détail Article détaillé : Césaro-papisme.

Grégoire VII trouve dans l'ordre de Cluny, présent dans l'ensemble de la chrétienté latine par-delà les frontières politiques, l'allié nécessaire à une telle entreprise.

[modifier] L'affrontement avec Henri IV

Grégoire VII entreprend des négociations avec Henri IV, soutenu par quelques évêques de l'Empire à propos de l'investiture royale (c'est-à-dire laïque). Les négociations ayant échoué, Grégoire jette l'anathème sur le conseiller du roi.

En septembre 1075, suite au meurtre d'Erlembald, Henri investit laïquement (contrairement aux engagements pris) le clerc Tedald archevêque de Milan, ainsi que des évêques dans les diocèses de Fermo et de Spolète[17]. Grégoire envoie alors en décembre une lettre virulente à Henri, dans laquelle il l'exhorte vivement à l'obéissance :

« L'évêque Grégoire, serviteur des serviteurs de Dieu, au roi Henri, salut et bénédiction apostolique (si toutefois il veut bien se soumettre au Siège apostolique, comme il sied à un roi chrétien) [...][18] »

[modifier] La Diète de Worms

Henri IV
Henri IV

En janvier 1076, Henri réunit autour de lui la majorité des évêques lors de la diète de Worms ; la plupart des évêques d'Allemagne et de Lombardie entrent alors en dissidence avec le pape qu'ils reconnaissaient jusqu'alors, et déclarent Grégoire destitué. Les évêques et les archevêques se considèrent en effet comme des princes de l'Empire, dotés de privilèges importants ; que l'attribution des charges ecclésiastiques relève du pape leur paraît une menace pour l'Eglise de l'Empire, pierre d'angle de son administration. Ils rédigent donc depuis Worms une réponse à Grégoire VII, le sommant de quitter sa fonction :

« Henri, roi, non par usurpation, mais par la juste ordonnance de Dieu, à Hildebrand [prénom de Grégoire VII avant son accession au siège pontifical], qui n'est plus le pape, mais désormais le faux moine [...] Toi que tous les évêques et moi-même frappons de notre malédiction et de notre sentence, démissionne, quitte ce siège apostolique que tu t'es arrogé. [...] Moi, Henri, roi par la grâce de Dieu, te déclare avec tous mes évêques : démissionne, démissionne ![19] »

On justifie cette révocation en prétendant que Grégoire n'a pas été élu régulièrement : il a en effet été tumultueusement élevé à cette dignité par le peuple de Rome. De plus, en tant que Patricius de Rome, Henri a le droit de nommer lui-même le pape, ou du moins de confirmer son élection (droit dont il n'a pas usé). On prétend encore que Grégoire aurait juré de ne jamais se faire élire pape, et qu'il fréquente intimement les femmes.

[modifier] Le concile de Synode de Rome (1076)

La réponse de Grégoire ne se fait pas attendre ; il prêche au synode de Carême de 1076[20] :

« que m'a été donné de Dieu le pouvoir de lier et de délier, sur Terre comme au Ciel. Confiant dans ce pouvoir, [...] je conteste au roi Henri, fils de l'empereur Henri, qui s'est élevé avec un orgueil sans bornes contre l'Eglise, sa souveraineté sur l'Allemagne et sur l'Italie, et je délie tous les chrétiens du serment qu'ils lui ont ou qu'ils pourraient encore lui prêter, et leur interdis de continuer à le servir comme roi. Et puisqu'il vit dans la communauté des bannis, puisqu'il fait le mal de mille manières, puisqu'il méprise les exhortations que je lui adresse pour son salut, [...] puisqu'il se sépare de l'Eglise et qu'il cherche à la diviser, pour toutes ces raisons, moi, Ton lieutenant, je l'attache du lien de la malédiction.[21] »

Grégoire VII déclare Henri IV déchu et l'excommunie ; s'étant rebellé contre la souveraineté de l'Eglise, il ne peut plus être roi. Celui qui refuse ainsi l'obéissance au représentant de Dieu et fréquente d'autres excommuniés est de fait déchu de sa souveraineté. En conséquence, tous ses sujets sont déliés de l'allégeance qu'ils lui ont prêtée.

Cette excommunication du rex et sacerdos, dont les prédécesseurs ont, en tant que patricius Romanorum et dans une conception sacrée et théocratique du roi, arbitré l'élection d'un pape, est à l'époque inimaginable et suscite une vive émotion dans la Chrétienté occidentale. On rédige quantité de pamphlets pour ou contre la suprématie de l'empereur ou du pape, en se référant souvent à la théorie des deux pouvoir de Gélase Ier (pape de 492 à 496) ; la chrétienté allemande est profondément divisée.

[modifier] La Pénitence de Canossa

Icône de détail Article détaillé : Pénitence de Canossa.

Après cette excommunication, beaucoup de princes allemands qui soutenaient auparavant Henri, se détachent de lui ; à l'assemblée de Tribur en octobre 1076, ils le contraignent à renvoyer les conseillers condamnés par le pape et à faire pénitence avant le terme d'un an et un jour (soit avant le 2 février suivant). Henri doit en outre se soumettre au jugement du pape lors de la diète d'Augsbourg, pour que les princes renoncent à élire un nouveau roi[22].

Pour intercepter le pape avant sa rencontre prévue avec les princes, Henri décide en décembre 1076 de traverser les Alpes enneigées pour se rendre en Italie. Comme ses adversaires lui barraient l'accès aux cols allemands, il doit passer par le Col du Mont-Cenis pour s'entretenir avec le pape avant la diète d'Augsbourg, et ainsi faire lever son excommunication (obligeant par là les princes de l'opposition à se soumettre à lui). Henri n'a pas d'autre moyen de recouvrer sa liberté politique de roi.

Grégoire craint l'approche d'une armée impériale et souhaite éviter une rencontre avec Henri ; il se retire à Canossa, château bien fortifié de la margravine Mathilde de Toscane. Henri obtient avec son aide et celle de son parrain Hugues de Cluny, une rencontre avec Grégoire. Le 25 janvier 1077, fête de la Conversion de saint Paul, Henri se présente en habit de pénitent devant le château de Canossa. Au bout de trois jours, soit le 28 janvier, le pape lève l'excommunication[7], cinq jours avant l'expiration du délai imparti par les princes de l'opposition.

L'image d'Epinal d'Henri se rendant à Canossa dans une humble pénitence repose essentiellement sur notre source principale, Lampert de Hersfeld, qui était par ailleurs partisan du pape et membre de la noblesse d'opposition. La recherche actuelle juge cette image tendancieuse et propagandiste. La pénitence était un acte formel, accompli par Henri et que le pape ne pouvait refuser ; elle apparait aujourd'hui comme une habile manœuvre diplomatique, qui rendait à Henri sa liberté d'action tout en restreignant celle du pape. Il est pourtant acquis que, sur le long terme, cet évènement a porté un sérieux coup à la position de l'Empire allemand.

[modifier] Les anti-rois

Bien que l'excommunication ait été levée cinq jours avant le délai d'un an et un jour et que le pape lui-même considère officiellement Henri comme roi, les princes de l'opposition le destituent le 15 mars 1077 à Forchheim, en présence de deux légats pontificaux. L'archevêque Siegfried Ier de Mayence fait procéder à l'élection d'un anti-roi, Rodolphe de Rheinfelden, duc de Souabe, qui est sacré à Mayence le 26 mars ; les princes qui l'élèvent au trône lui font promettre de ne jamais avoir recours à des pratiques simoniaques lors de l'attribution de sièges épiscopaux. Il doit aussi accorder aux princes un droit de vote à l'élection du roi et ne peut transmettre son titre à d'éventuels fils, abandonnant le principe dynastique qui prévalait jusqu'alors. C'est le premier pas vers l'élection libre que réclament les princes de l'Empire. En renonçant à l'hérédité de la couronne et en autorisant des nominations d'évêques canoniques, Rodolphe affaiblit considérablement les droits de la royauté.

Comme au cours de la guerre contre les Saxons, Henri s'appuie surtout sur les classes sociales montantes (petite noblesse et ministériels), ainsi que sur les villes libres d'Empire au pouvoir croissant, comme Spire et Worms, qui lui doivent leurs privilèges, et sur les villes proches des châteaux du Harz, comme Goslar, Halberstadt et Quedlinbourg.

La montée des ministériels, autrefois privés de pouvoirs, tout comme l'émancipation des villes, se heurte à la solide résistance des princes. La plupart d'entre eux se placent du côté de Rodolphe de Rheinfelden, contre Henri. Le pape reste tout d'abord neutre, conformément aux accords conclus à Canossa.

Au mois de juin, Henri met Rodolphe de Rheinfelden au ban de l'Empire. L'un et l'autre se réfugient en Saxe. Henri subit d'abord deux défaites : le 7 août 1078 à Mellrichstadt et le 27 janvier 1080 à Flarchheim près de Mühlhausen (Thuringe). A la bataille de Hohenmölsen, près de Mersebourg[12], qui tournait pourtant à son avantage, Rodolphe perd la main droite et est frappé mortellement à l'abdomen ; il succombe le lendemain, 15 octobre 1080. La perte de la main droite, la main du serment de fidélité prêtée à Henri au début de son règne, est utilisée politiquement par les partisans d'Henri (c'est un jugement de Dieu) pour affaiblir un peu plus la noblesse d'opposition.

Après la mort de Rodolphe, l'opposition a du mal à se trouver un nouvel anti-roi ; elle met un an à s'unir autour du faible Hermann de Salm, qui est élu par les Souabes et les Saxons réunis à Ochsenfurt, puis couronné le 26 décembre à Goslar par l'archevêque Siegfried Ier de Mayence, alors qu'Henri séjourne déjà en Italie. Quand celui-ci, devenu empereur, revient et fait irruption en Saxe avec son armée en 1085, Hermann s'enfuit d'abord chez les Danois. Il revient pourtant, s'unit au duc Welf IV et bat l'empereur à Pleichfeld-sur-le-Main en 1086, prenant ainsi Wurtzbourg. Fatigué de ne jouer qu'un misérable rôle, pion entre les mains de plus puissants que lui, Hermann de Salm se retire dans son domaine. Il perd la vie le 28 septembre 1088 dans une rixe privée.

[modifier] L'empereur en Italie

En 1079-1080 , Grégoire VII fait venir Eudes de Chatillon (qui est le grand prieur de Cluny et le futur pape Urbain II) à Romeet le nomme cardinal-évêque d'Ostie. Eudes devient un conseiller intime du pape, et soutient la réforme grégorienne.

En mars 1080, Grégoire VII excommunie de nouveau Henri, qui soumet alors la candidature de Wibert, archevêque de Ravenne, à l'élection de l'(anti)pape. Il est élu le 25 juin 1080 au synode de Bressanone par la majorité des évêques allemands et lombards, sous le nom de Clément III[23].

Henri et l'antipape Clément III. Mort de Grégoire VII
Henri et l'antipape Clément III. Mort de Grégoire VII

La société se trouve donc à ce moment-là scindée en deux : Henri est roi et Rodolphe anti-roi, Grégoire pape et Clément antipape. Dans les duchés aussi le pouvoir est contesté : en Souabe, par exemple, Berthold de Rheinfelden, fils de Rodolphe, s'oppose à Frédéric de Hohenstaufen, fiancé d'Agnès, fille d'Henri, qui l'a nommé duc.

Après sa victoire sur Rodolphe, Henri se tourne en 1081 vers Rome, afin de trouver là aussi une issue au conflit ; il réussit, après trois sièges successifs, à prendre la ville en mars 1084. Henri se doit alors d'être présent en Italie, d'une part pour s'assurer le soutien des territoires qui lui étaient fidèles, d'autre part pour affronter Mathilde de Toscane, fidèle au pape et son ennemie la plus acharnée en Italie du nord.

Après la prise de Rome, Wibert est intronisé sous le nom de Clément III le 24 mars 1084. Un nouveau schisme commence : il dure jusqu'en 1111, quand le dernier anti-pape wibertiste, Sylvestre IV, renonce officiellement au siège pontifical.

Une semaine après l'intronisation, le dimanche de Pâques, 31 mars 1084, Clément sacre Henri et Berthe empereur et impératrice[24][12].

Eudes de Chatillon est nommé légat en France et en Allemagne, dans le but de démettre Clément III, et rencontre Henri IV à cette fin en 1080, en vain. Il préside plusieurs synodes, dont celui de Quedlinburg (1085) qui condamne les partisans de l'empereur Henri IV et de l'antipape Clément III, c'est-à-dire Guibert de Ravenne.

Tombe de Grégoire VII à Salerne
Tombe de Grégoire VII à Salerne

Au même moment, Grégoire VII se retranche dans le château Saint-Ange et attend une intervention des Normands soutenus par les Sarrasins, qui marchent sur Rome, emmenés par Robert Guiscard avec qui il s'est réconcilié[24]. L'armée d'Henri est très affaiblie et n'affronte pas les assaillants. Les Normands libèrent Grégoire, pillent Rome et l'incendie. Après les désordres perpétrés par ses alliés, Grégoire doit fuir la ville suivant ses libérateurs et se retire à Salerne, où il meurt le 25 mai 1085[24].

Ayant accompli l'un des pontificats les plus importants de l'histoire, d'un tempérament à la fois courageux et tenace, le pape meurt le 25 mai 1085. Il est enterré dans la cathédrale de Salerne sur sa tombe sont gravés ses derniers mots: « Dilexi iustitiam,odivi iniquitatem, propterea morior in esilio ! » (J'aimais la justice et détestait l'iniquité, je meurt donc en Exil!).

La relève sera prise efficacement dix ans plus tard par Urbain II. Grégoire VII est déclaré saint et canonisé en 1606 par Paul V.

[modifier] Notes et références

  1. abcdef Pierre Milza, Histoire de l'Italie, Fayard, 2005, p. 209
  2. abc MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg et F.-Camille Dreyfus, Le pape Grégoire VII, La Grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres, Paris, Société anonyme de La Grande encyclopédie, 1885-1902, Encyclopédie universelle
  3. Pierre Milza, Histoire de l'Italie, Fayard, 2005, p. 198-199
  4. ab Prosper Alfaric, Un pape alsacien: Léon IX d'Eguisheim, Annuaire de la Société Historique, Littéraire et Scientifique du Club Vosgien, volume I (1-2), Strasbourg Imprimerie Alsacienne 1933, Encyclopédie universelle
  5. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p. 176
  6. Francis Rapp, Léon IX, un grand pape, Heimetsproch.org
  7. abc Francis Rapp, Léon IX, un grand pape, Heimetsproch.org
  8. Francis Rapp, Les relations entre le Saint-Empire et la papauté, d'Otton le Grand à Charles IV de Luxembourg (962-1356), clio.fr, consulté le 7 novembre 2007
  9. ab XIe siècle: la réforme grégorienne,Le Temps
  10. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 70
  11. En Allemagne, Liémar, Werder de Strasbourg, Henri de Spire, Hermann de Bamberg
  12. abc encyclopedie-universelle, « Le pape Grégoire VII: La querelle des Investitures » sur [1]. Consulté le 2 avril 2008
  13. encyclopedie-universelle, « La réforme grégorienne » sur [2]. Consulté le 1 Juin 2008
  14. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 71
  15. Joseph Rovan, p 119
  16. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 121
  17. Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Seuil, 1994, p 119
  18. Cité dans Canossa 1077 – Erschütterung der Welt, Essays, p 72.
  19. Cité dans Sources pour l'histoire de l'empereur Henri IV, p 65.
  20. Sous la direction de J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, Histoire du christianisme, tome 5, Desclée, 1991-2001, pp 72 et 122
  21. Cité dans Sources pour l'histoire de l'empereur Henri IV, p 289.
  22. Jean-Marie Martin, Canossa, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  23. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 72
  24. abc Pierre Milza, Histoire de l'Italie, Fayard, 2005, p. 210

[modifier] Voir aussi

commons:Accueil

Wikimedia Commons propose des documents multimédia libres sur Grégoire VII.


Précédé par Grégoire VII Suivi par
Alexandre II
Liste des papes
Victor III


[1]