Malédiction de Cham

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La Malédiction de Cham ou plus exactement Malédiction de Canaan est un épisode biblique au cours duquel Canaan est puni à la place de son père, Cham. Celui-ci a en effet contemplé la nudité de son propre père, Noé.

Cham s'écrit également Ham, selon la manière dont on transcrit le nom hébraïque חם. Ce nom se prononce avec un h fortement aspiré : Hham.

Sommaire

[modifier] Les fondements bibliques

Le sommeil de Noé
Le sommeil de Noé

[modifier] La malédiction

Après le Déluge, Noé sort de l'arche avec ses trois fils : Sem, Cham et Japhet.

La Genèse 9:19-21 indique : Ces trois-là étaient les fils de Noé et à partir d'eux se fit le peuplement de toute la terre. Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l'intérieur de sa tente.

En Genèse 9:22-27, la Bible relate ensuite l'épisode de la malédiction :

22. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et avertit ses deux frères au-dehors. 23. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur épaule et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. 24. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils, le plus jeune. 25. Et il dit : Maudit soit Canaan ! Qu'il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! 26. Il dit aussi : Béni soit YHWH, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! 27. Qu'Elohim agrandisse Japhet, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave !

[modifier] La descendance de Cham

La tradition judéo-chrétienne considère souvent Cham comme l'ancêtre des peuples noirs. Ses frères Sem et Japhet sont respectivement les ancêtres des habitants de l'Orient et de l'Europe. Sem, en particulier, est l'aïeul d'Abraham, lui-même ancêtre des Arabes et des Hébreux.

D'après la Bible, Canaan a dix fils. Selon la tradition, ces "Cananéens" sont notamment les Phéniciens de Sidon, les Amorites et les Jébuséens. Le pays de Canaan tel qu'il est défini en Genèse 10:19 correspond à l'ancienne Phénicie, leur territoire. Ce territoire est formé aujourd'hui par la Syrie, le Liban et une partie de la Jordanie.

[modifier] Malédiction de Cham ou de Canaan ?

Gustave Doré, La Malédiction de Canaan
Gustave Doré, La Malédiction de Canaan

[modifier] L'acte de Cham

Le texte biblique cité plus haut reste elliptique quant à la nature de l'acte de Cham : il "vit la nudité de son père". Le judaïsme et l'exégèse chrétienne proposent plusieurs interprétations, qui d'ailleurs n'ont pas forcément une connotation sexuelle. En effet, l'expression hébraïque "voir (ou découvrir) la nudité de quelqu'un" peut signifier simplement : faire honte à quelqu'un, l'humilier. Mais elle peut également sous-entendre un acte d'une extrême gravité. Dans ce cas, selon l'une des interprétations du judaïsme, Cham aurait "humilié" son père en commettant un inceste avec sa mère [1] ou même, d'après le Talmud, en abusant de lui[2]. Ce qui laisse le champ libre à de multiples hypothèses.

[modifier] La tradition judaïque

Autant l'acte de Cham demeure mystérieux dans ce texte, autant l'objet de la malédiction y apparaît de façon explicite : Noé maudit Canaan, et lui seul. Aucune parole n'est prononcée contre Cham. Pourquoi est-ce Canaan qui doit "payer" ? Que s'est-il passé ? Cela n'est pas précisé. En tout état de cause, il n'existe pas de "malédiction de Cham" à proprement parler, ni dans ce passage ni ailleurs dans la Bible.

La tradition judaïque se réfère uniquement à la "malédiction de Canaan" et ne désigne que les Cananéens, c'est-à-dire les Phéniciens et les peuples de la même région.

Enfin, les trois autres fils de Cham, c'est-à-dire Koush, Misraïm et Pout, ne font l'objet d'aucune malédiction. Koush correspond en principe aux Éthiopiens, Misraïm aux Égyptiens et Pout aux Somaliens.

[modifier] La justification de l'esclavage

[modifier] Dans l'islam

Le thème d'une prétendue "malédiction de Cham" vise à accréditer la thèse d'une suprématie raciale des Blancs sur les descendants de Cham, "noircis par leurs péchés". Il est avéré que les razzias dans les régions païennes de l'Afrique aboutirent au commerce triangulaire et à la traite des Noirs [3]. Pourtant, il n'existe pas de preuve que l'islam, en tant que tel, ait servi à tenter de justifier l'injustifiable. Le fait est d'autant moins probable que le Coran ne relate aucun épisode montrant Noé ivre et nu. Dans l'islam, Noé, considéré comme un prophète, est un homme exemplaire qui ne saurait s'enivrer. Il n'est donc humilié par aucun de ses fils et n'a pas lieu de prononcer quelque malédiction que ce soit.

[modifier] Les débuts du christianisme

En Occident, le mythe de la "malédiction de Cham" est attesté dès les premiers siècles de l'ère chrétienne.

[modifier] La controverse de Valladolid

Cependant, c'est surtout dans la seconde moitié du XVIe siècle que l'on utilisa l'idée d'une prétendue infériorité des peuples d'Afrique. L'intérêt économique, pour les Espagnols partis à la conquête des Antilles et de l'Amérique du Sud, exigeait qu'ils trouvent une main-d'œuvre gratuite (ou plus exactement ne coûtant que le "prix d'achat") pour exploiter les territoires du Nouveau Monde. Dans un premier temps, dès le début de la Conquista, il avait été question de réduire en esclavage les Indiens d'Amérique du Sud, du moins ceux qui avaient survécu aux épidémies ainsi qu'aux massacres perpétrés par les conquistadores[4]. On estime qu'avant l'arrivée des Européens, le Mexique central comptait 25 millions d'habitants. Il n'en restait plus qu'un million vers 1650[5]. Pour les besoins de la cause, ces Indiens se virent alors définis comme des animaux, des êtres dépourvus d'âme. Mais, lors de la controverse de Valladolid, en 1550, le moine dominicain Las Casas, seul, prit leur défense contre les intérêts de l'empereur Charles Quint et obtint qu'on les considérât comme des êtres humains à part entière. Dès lors, son intervention mit fin à cette tentative d'asservissement. Ce dénouement s'inscrivait dans la logique d'une bulle pontificale publiée 13 ans plus tôt par le pape Paul III, Veritas ipsa ("la Vérité elle-même"), pour condamner l'esclavage des Indiens.

La question de la main-d'œuvre gratuite se déplaça alors vers les peuples d'Afrique:à la fin de la controverse de Valladolid, le légat du nouveau pape, Jules III, allié politique de Charles Quint, préconisa l'utilisation des Africains à la place des Indiens.

Restait alors à démontrer qu'il était légitime d'utiliser comme esclaves les hommes et les femmes à la peau noire. L'aspect elliptique du texte de la Bible permettait sans doute d'assimiler Cham à Canaan. Et donc de pervertir le sens de ce passage pour le transformer en une justification a posteriori.

[modifier] La pratique

Esclaves enchaînés, Afrique orientale
Esclaves enchaînés, Afrique orientale

À la fin du XVIIe siècle, le Code noir promulgué en France, par exemple, entérine ce qui est déjà un état de fait. L'esclavage n'y est ni expliqué, ni justifié : il existe. La pratique est établie. Il s'agit de lui ajouter un cadre juridique. En d'autres termes, le sort des Africains et du commerce triangulaire s'est joué en l'espace d'environ un siècle.

Ensuite, aux XVIIIe et XIXe siècles, alors que se développe une idéologie raciste sur une base cette fois pseudo-scientifique, le mythe de la "malédiction de Cham" réapparaît pour justifier l'"infériorité" des Noirs dans le contexte esclavagiste puis colonialiste. réf. à confirmer : [6],[7]

À cet égard, deux pays occupent une place particulière dans la relation entre l'esclavage des Africains et la prétendue malédiction de Cham : les États-Unis et le Congo belge.

[modifier] Notes et références

  1. Cf. Lévitique 18.
  2. Cf. Talmud de Babylone, Sanhédrin 70a.
  3. Jacques Heers, Les Négriers en terre d'islam.
  4. Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, tome 3 : Le temps du monde, Paris, Armand Colin, LGF-Le Livre de Poche, (ISBN 2253064572), 1993, p.489
  5. Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, tome 3 : Le temps du monde, Paris, Armand Colin, LGF-Le Livre de Poche, (ISBN 2253064572), 1993, p.489
  6. Benjamin Braude, "The Sons of Noah and the Construction of Ethnic and Geographical Identities in the Medieval and Early Modern Periods, "William and Mary Quarterly LIV (janvier 1997) : 103–142. See also William McKee Evans, "From the Land of Canaan to the Land of Guinea: The Strange Odyssey of the Sons of Ham,"American Historical Review 85 (février 1980) : 15–43
  7. Le pasteur Auguste-Laurent Montandon écrit ainsi en 1848 dans un ouvrage scolaire : Étude des récits de l’Ancien en forme d'instructions pour les écoles du dimanche : « Il suffit de vous désigner les nègres pour vous rappeler à quel point la sentence de Noé s’est accomplie sur la postérité de Cham.» On trouve aussi un livret scolaire de 1911, publié au Congo belge par les Sœurs du Précieux Sang, et dans lequel trois chants mentionnent un lien causal entre la malédiction lancée par Noé et l'esclavage dans lequel le Congo était maintenu par les musulmans avant la venue de la Belgique.

[modifier] Bibliographie

  • (en) David M. Goldenberg, The Curse of Ham : Race and Slavery in Early Judaism, Christianity, and Islam (Jews, Christians, and Muslims from the Ancient to the Modern World), Princeton University Press, 2003. À lire sur googlebook

[modifier] Liens internes

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