Otton III du Saint-Empire

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Otton III (né en juin ou juillet 980 dans la forêt royale de Kessel (Ketil) près de Clèves; † le 23 ou 24 janvier 1002 à Paterno (Latium) sur le mont Soracte, en Italie), prince de la lignée ottonienne puis Roi des Romains à partir de 983 et empereur du Saint-Empire romain germanique de 996 à 1002.

Lorsque son père (Otton II) meurt en 983, il est couronné roi des romains mais il n'est encore qu'un enfant incapable de régner. Le prince Henri le Querelleur profite de cette faiblesse pour l'enlever et tenter de se faire attribuer sa tutelle. Mais l'archevêque de Mayence, soutenu par d'autres grands, condamne cette usurpation et impose la régence de sa mère la princesse byzantine Théophano. Après le décès de celle-ci, en 991, c'est Adélaïde, grand-mère de l'empereur, qui assure sa tutelle.

Otton III du Saint-Empire
Enluminure de l'abbaye de Reichenau (Évangéliaire d'Otton III, v. 1000, Bayerische Staatsbibliothek, Munich).
Dynastie Ottoniens
Naissance 980
Clèves
Décès 23  janvier   1002
Manoir de Paterno, non loin de Rome
Pays Germanie
Titre roi de la Francie Orientale (Germanie)
(996 - 1002)
Grade militaire
Arme
Service de {{{débutdecarriere}}} à {{{findecarriere}}}
Couronnement 983
Sacre 996
Investiture
Prédécesseur Otton II du Saint-Empire
Successeur Conrad II du Saint-Empire
Conflits
Commandement
Faits d'armes
Distinctions
Hommage
Autres fonctions Roi des Romains
Enfant de Otton II du Saint-Empire
et de
Théophano
Conjoint
Enfants
Maîtresses {{{maîtresses}}}
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En 995, Otton est majeur et prend officiellement le pouvoir ; il rêve de fonder un empire universel qui réunirait d'abord tous les peuples chrétiens d'Occident. Il intervient dans les affaires de l'Église en faisant placer son cousin Brunon sur le Saint-Siège : il s'agit de Grégoire V, premier pape d'origine germanique. Ce dernier le couronne empereur le 21 mai 996 et Otton installe sa cour à Rome. Sous son règne, l'Italie redevient le siège du gouvernement. La régence est marquée par des décisions autoritaires : ainsi impose-t-il contre l'avis des cités rebelles de la péninsule ses propres candidats au trône papal, d'abord son homme de confiance Bruno de Carinthie couronné sous le nom de Grégoire V, puis l'érudit Gerbert d'Aurillac, futur Sylvestre II. À l'est de l'empire, il dote la Pologne d'une Église autonome. En l'an 1001, Otton est contraint de fuir Rome à la suite d'un soulèvement. La mort prématurée de l'empereur l'empêche de reconquérir le Latium. Sa dépouille fut inhumée à Aix-la-Chapelle.

Avec l'aide de Sylvestre II, son précepteur qu'il a placé sur le saint-siège, il se rapproche de la Pologne et fait parvenir à Étienne de Hongrie la première couronne royale de ce pays. Dans un texte de janvier 1001, les rapports entre le pape Sylvestre II et l'empereur sont redéfinis. Otton III refuse de confirmer le Privilegium Ottonianum accordé par Otton Ier en 962. L'empereur accorde au souverain pontife huit comtés de la Pentapole. Otton III se voit comme « Esclave des Apôtres », le représentant direct de Pierre et le responsable de son patrimoine. Il se met donc sur le même plan que le pape et souhaite gouverner la chrétienté, présidant à ses côtés les synodes[1]. Mais les deux hommes se trouvent bientôt chassés de la Ville éternelle par la population et la tentative d'unir le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel à Rome tourne court. Otton meurt très jeune de maladie et son corps est ramené d'Italie en Allemagne par ses proches.

Sommaire

[modifier] Contexte

[modifier] L'Europe Ottonienne

Pendant la 2ème moitié du Xe siècle, les Ottoniens sont la dynastie la plus puissante d'Occident. Otton Ier grâce à une puissante clientèle à pu mettre fin aux incursions des Magyars, en leur infligeant une sévère défaite à la bataille du Lechfeld en 955. À la suite de cette victoire face aux Hongrois, Otton Ier rétablit les marches d'Ostmark, la future Autriche, au sud de la Germanie dont les Babenberg vont devenir les marquis jusqu'au XIIIe siècle[2]. Il reconstitue aussi la marche de Carinthie, et apparaît ainsi comme le défenseur de la chrétienté[3]. La même année, il bat les Slaves Obodrites en Mecklembourg[4].

Ces victoires lui permettent aussi de jouer un rôle majeur sur le plan européen. Il obtient l'allégeance des rois de Bourgogne. Face aux Slaves, il conduit une véritable politique d'expansion vers l'est. Il établit des marches à l'est de l'Elbe : marche des Billung autour de l'évêché d'Oldenbourg, Nordmark (ancien nom du Brandebourg) et trois petites marches chez les Sorbes[5]. En 968, il fonde l'archevêché de Magdebourg avec des évêques suffrageants à Meissen, Mersebourg, et Zeitz dans le but de convertir les peuples slaves de l'Elbe. Mieszko Ier, premier souverain historique de la Pologne, lui rend hommage en 966[6]. En Germanie, il rend la Bohême tributaire et vainc les ducs de Franconie et de Lotharingie.

Otton le Grand recevant la soumission de Bérenger d'Ivrée
Otton le Grand recevant la soumission de Bérenger d'Ivrée

Le pape Jean XII étant menacé par les projets expansionnistes du roi de Lombardie Bérenger II doit demander la protection d'Otton Ier[7]. Celui peut ainsi se faire couronner Empereur et promulguer, le 13 février 962, le Privilegium Ottonianum qui accorde au souverain pontife les mêmes privilèges que ceux que les Carolingiens avaient reconnus à la papauté, à savoir les donations faites par Pépin le Bref et Charlemagne, mais oblige tout nouveau pape à prêter serment auprès de l'empereur ou de son envoyé avant de recevoir la consécration pontificale. Tout en donnant des privilèges au Saint-Siège, le Privilegium Ottonianum place la papauté sous tutelle impériale. Le pape ayant éssayé de s'opposer à cette main-mise en s'alliant au fils de Béranger et aux Byzantins, Otton revient en Italie à la tête de son armée et le fait déposer le 4 décembre 963. Jean XII est remplacé par un laïc, qui prend le nom de Léon VIII. Otton Ier fait jurer aux Romains « qu'ils n'éliraient ni n'ordonneraient aucun pape en dehors du consentement du seigneur Otton ou de son fils. »[8] Les Ottoniens contrôlent alors totalement l'élection du pape, or la collaboration du pontife garantit l'autorité impériale sur les Églises locales du Saint-Empire. Comme Charlemagne, Otton reçoit de Rome la mission de défendre l'ordre et la paix de la chrétienté.

Le nouvel empereur accroît sa puissance sur la Francie occidentale en portant son attraction sur l'ensemble des évêchés frontaliers (Reims, Verdun, Metz); par exemple, l'archevêque de Reims (qui assure le choix des rois de Francie) Adalbéron tend à afficher ses sympathies impériales[9].

À la mort de leurs pères en 954 et 956, Lothaire, nouveau roi des Francs n'a que 13 ans et Hugues Capet, l’aîné des Robertiens, seulement 15. Otton Ier entend mettre sous tutelle la Francie, ce qui lui est possible étant l'oncle maternel d'Hugues et de Lothaire. Le royaume de Francie en 954 et la principauté robertienne en 956 sont mis sous la tutelle de Brunon, archevêque de Cologne et duc de Lotharingie, frère du roi Otton Ier. Son objectif est de maintenir l'équilibre entre les Robertiens, les Carolingiens et les Ottoniens[10]. La tutelle d'Hugues Capet est doublée par celle de Lothaire. En 960, le roi des Francs consent à rendre à Hugues l'héritage de son père, avec le marquisat de Neustrie et le titre de duc des Francs. Mais, en contrepartie, le duc doit accepter la nouvelle indépendance acquise par les comtes de Neustrie pendant la vacance du pouvoir[11]. Son frère Otton n'obtient que le duché de Bourgogne[12]. Sous la tutelle de Brunon de Cologne, la Francie devient de plus en plus un royaume satellite d'Aix-la-Chapelle. En 965, Lothaire fait pâle figure au rassemblement des vassaux et parents d'Otton.

[modifier] L'empire: puissance économique

Avoir une clientèle suffisamment puissante pour contrôler l'empire nécessite de grandes ressources financières. Avec la généralisation du denier d'argent par les carolingiens une révolution économique est en cours: les suroplus agricoles deviennent commercialisables et on assiste dans tout l'occident à la multiplication de la productivité et des échanges. En réunissant Italie et Germanie dans un même empire Otton Ier contrôle les principales voies de commerce entre Europe du Nord et la méditerranéens. Le trafic commercial avec Byzance et l'orient transite en effet de la méditerranée vers l'Italie du sud et surtout le bassin du Po et rejoignait celui du Rhin via les voies romaines traversant les cols alpins. Cette voie est à l'époque plus utilisée que la traditionnelle voie rhodanienne tant que l'Adriatique est plus sur que la méditerranée occidentale ou sévissent les pirates sarrazins. Les Ottoniens ont su garder la main mise sur les péages prélevés sur ce trafic et développer les marchés nécessaires à l'augmentation de ce trafic. Ainsi contrairement à ce qui se passe en Francie, les ottoniens gardent le monopole de la frappe monétaire et font ouvrir des mines d'argent près de Goslar[13]. Or, la création d'un atelier monétaire dans une ville ou une abbaye entraine la création d'un marché ou peut être prélevé le tonlieu[13]. Cette puissance commerciale leur permet d'acheter un clientèle qui est la base de leur pouvoir, mais aussi d'étendre leur influence à la periférie de l'empire: les marchands italiens ou anglais ont besoin de leur soutien, les slaves adoptent le denier d'argent...[14]

[modifier] L'Église, clef de voûte de l'administration ottonienne

Sous les Carolingiens, la mise en place progressive de l'hérédité des charges avait fortement contribué à l'affaiblissement de leur autorité. Pour éviter une pareille dérive, les Ottoniens s'appuient sur l'Église germanique qu'ils comblent de bienfaits mais qu'ils assujettissent.

Les évêques et les abbés constituent l'armature de l'administration ottonienne. L'empereur s'assure la nomination de tous les membres du haut clergé de l'empire. Une fois désignés, ils reçoivent du souverain l'investiture symbolisée par les insignes de leur fonction, la crosse et l'anneau. En plus de leur leur mission spirituelle, ils doivent remplir des tâches temporelles que leur délèguent l'empereur. Ainsi l'autorité impériale était-elle relayée par des hommes compétents et dévoués[15]. Cette Église d'empire ou Reichskirche, assure la solidité d'un État pauvre en ressource propre. Elle permet de contrebalancer le pouvoir des grands féodaux (ducs de Bavière, Souabe, Franconie, Lotharingie). L'évêché d'Utrecht constitue, jusqu'aux environs de 1100, l'entité la plus puissante des Pays-Bas du Nord, Liège et Cambrai celles des Pays-Bas du Sud[16]. Le pouvoir impérial choisit ses hauts dignitaires de préférence dans sa parentèle, proche ou élargie. Celle-ci bénéficie des plus hautes charges épiscopales ou monastiques. Le meilleur exemple en est le frère propre d'Otton, Brunon, évêque de Cologne, qui adopte la règle de l'abbaye de Gorze pour les monastères de son diocèse[17]. On peut citer aussi Thierry Ier, cousin germain d'Otton, évêque de Metz de 965 à 984 ; un parent proche d'Otton, le margrave de Saxe Gero, qui fonde l'abbaye de Gernrode vers 960-961, en Saxe ; Gerberge, nièce de l'empereur, abbesse de Notre-Dame de Gandersheim.

L’empire en l'an mil.
L’empire en l'an mil.

[modifier] La puissance des grands féodaux

Cependant l'empire ottonien est relativement décentralisé et contrairement aux évêques dont la charge est remise entre les mains de l'empereur après leur mort, les grands féodaux jouissent d'une transmission héréditaire de leurs possessions. Dès lors le souverain n'a que peu de contrôle contre eux et de grandes familles aristocratiques soutenues par de fortes clientèle sont en mesure de leurs contester leur pouvoir. Ainsi Otton II doit faire face aux velléités du puissant Duc de Bavière son cousin Henri le Querelleur. En effet, les ducs de Bavière disposent des évêchés du sud de l'Allemagne qu'ils attribuent à des membres de leur famille. La Bavière impose sa suzeraineté à une grande partie de l'Autriche actuelle et au sud jusqu'à la mer Adriatique et au lac de Garde. Allié à Boleslav II de Bohême, à Mieszko Ier de Pologne, aux Danois et des minorités slaves Henri est en mesure de menacer le jeune Otton II qui doit le vaincre militairement, ainsi que ses alliés pour prendre effectivement le pouvoir. Ce danger ressurgit à chaque affaiblissement du pouvoir impérial. C'est le premier défit auquel sont confrontés Otton III et sa mère la régente Théophane, à la mort d'Otton II.

[modifier] Des frontières menacées

Durant tout le règne d'Otton II celui ci doit lutter à ses frontières. A l'ouest les carolingiens veulent récupérer leur berceau familial qui pourrait leur permettre de revendiquer la couronne impériale: la Lotharingie. Au Nord, les Danois ou à l'est les slaves s'allient à ses ennemis. Au sud, il doit lutter contre les Byzantins et les sarrasins pour le contrôle du sud de la péninsule. C'est donc d'un empire plus fragile qu'il n'y parait qu'hérite Otton III en 983.

[modifier] Biographie

[modifier] Période de régence

[modifier] Des débuts difficiles

La Couronne d'Otton III, probablement ceinte lors du couronnement à Aix-la-Chapelle, est conservée depuis des siècles dans le trésor de la cathédrale d'Essen.
La Couronne d'Otton III, probablement ceinte lors du couronnement à Aix-la-Chapelle, est conservée depuis des siècles dans le trésor de la cathédrale d'Essen.

Otton III est, avec ses trois sœurs Adélaïde, Sophie et Mathilde, l'un des enfants de l'empereur Otton II et de la princesse byzantine Théophane.

Otton n'a que deux ans en juillet 982, quand l'armée impériale est anéantie en Calabre par les Sarrasins à la Bataille du cap Colonne. Son père Otton II est alors en grande difficulté et doit demander des renforts en Germanie. Il est courant à l'époque de faire sacrer son successeur de son vivant surtout quand le souverain est à la tête de l'armée pour que le pays ne subisse pas de remous politique en cas de décès sur le champ de bataille , Hugues Capet a par exemple fait couronner Robert le Pieux dès le début de son règne sous prétexte qu'il devait prêter secours à son vassal Borrell II dont le comté de Barcelone était menacé par les sarrasins[18] et son père Otton II avait été associé à la couronne par Otton Ier dès 967.

Otton III est donc élu roi des Romains par les Grands de Germanie et d'Italie dès l'âge de trois ans, et du vivant même de son père, lors d'un ban royal à Vérone en mai 983. Les sources ne nous disent pas pourquoi il a fallu, à ce moment précis, attribuer la succession au trône au fils mineur du souverain régnant, mais il est possible que la défaite du cap Colonne ai fragilisé la position de l'empereur vis à vis de ses vassaux et qu'il ai voulu assurer une succession dynastique (dont le principe n'est pas garanti par le système électif utilisé dans le Saint-Empire). Après avoir pris congé des princes électeurs du ban, Otton III traverse les Alpes pour être couronné au lieu de sacre traditionnel des Ottoniens, à Aix-la-Chapelle. Lorsque l'enfant est couronné roi à Aix-la-Chapelle à la Noël de l'an 983 par l'archevêque de Mayence Willigis et par Jean de Ravenne, son père Otton II est déjà mort depuis trois semaines. Peu après les fêtes de couronnement, la cour apprend la mort du souverain ce qui « met un terme aux réjouissances[19] ».

L'Empire est dans une situation politique instable. En juillet 982, l'armée impériale est anéantie à la Bataille du cap Colonne. L'année suivante, les premiers succès des missionnaires chrétiens à l'est de l'Elbe sont effacés par le soulèvement des Slaves[20]. La mort d'Otton II provoque de nombreux soulèvements contre les représentants du pouvoir royal en Italie. Cette situation précaire incite de nombreux évêques à prendre leurs distances vis-à-vis de l'enfant roi. Or ceux ci sont la colonne vertébrale du pouvoir ottonien: ils sont nommés par l'empereur qui récupère leur charge à leur mort, il constituent normalement une clientèle fidèle qui garanti la puissance de l'empereur vis à vis de ses grands vassaux.

[modifier] La guerre de succession

Le Saint Empire Romain vers l'an mil.
Le Saint Empire Romain vers l'an mil.

En tant que chef de la maison de Bavière, Henri le Querelleur est le plus proche parent d'Otton. Emprisonné à la suite d'une rébellion armée à Utrecht, l'évêque Folcmar lui rend sa liberté dès que l'on apprend la mort d'Otton II. L'archevêque de Cologne, s'appuyant sur le lien de parenté (jus propinquitatis), lui remet immédiatement le jeune roi. Cela n'a rien de surprenant, car outre la mère d'Otton, Théophane, sa grand mère Adélaïde de Bourgogne et sa tante Mathilde sont alors toujours en Italie.

Les menées du Querelleur visent moins à accaparer la régence qu'à s'assurer un véritable partage du pouvoir avec l'enfant à la tête du royaume. Pour Lothaire, roi des Francs carolingien, le contrôle de la Lotharingie - berceau des Pippinides- lui permettrait de revendiquer l'empire. N'ayant pu assurer la tutelle impériale, Lothaire renonce au rapprochement qu'il a négocié vis à vis des Ottoniens pour neutraliser son rival Hugues Capet, et décide de reprendre l'offensive contre la Lotharingie : en janvier 985 à la tête d'une armée de 10.000 hommes, il prend Verdun en mars et fait prisonnier le comte Godefroi Ier de Verdun (frère d'Adalbéron de Reims), Frédéric (fils de Godefroi Ier), Sigefroi de Luxembourg (oncle de Godefroi) et Thierry de Haute-Lotharingie (neveu de Hugues Capet)[21].

Hugues Capet, lui se garde bien d'être de l'expédition[22]. Henri organise sans retard une rencontre à Brisach avec le roi de Francie Lothaire, qui est parent du jeune Otton III au même degré que lui[23]. Mais, Henri redoute le face-à-face avec Lothaire qui pourrait le doubler dans la course à la couronne impériale: il quitte précipitamment Cologne, où il a enlevé le jeune Otton, et part en Saxe via Corvey[24]. Là, il invita tous les Grands de l'empire à fêter les Rameaux à Magdebourg. Il appelle ouvertement ses convives à proclamer son avènement, mais sa proposition ne reçoit qu'un accueil mitigé. Il trouve toutefois suffisamment de partisans pour gagner Quedlinbourg et pour fêter Pâques avec une suite de fidèles dans la grande tradition des Ottoniens. Henri s'efforce par des tractations avec les princes présents d'obtenir son élévation à la royauté et parvient à ce que plusieurs lui « prêtent serment d'honneur et d'aide comme leur roi et suzerain »[25]. Parmi ses partisans, il faut citer Mieszko Ier de Pologne, Boleslav II de Bohême et le prince slave Mistui.

Pour barrer la route d'Henri vers le trône, ses opposants quittent Quedlinbourg et, réunis au château d'Asselburg forment une conjuration. Lorsqu'il a vent de cette conjuration, Henri le Querelleur mène ses troupes à Werla, non loin de ses ennemis, pour les intimider ou tenter de les raisonner. Il dépêche vers eux l'évêque Folcmar d'Utrecht pour négocier. Mais lors des pourparlers, il apparait clairement que ses adversaires ne sont pas prêts à lui prêter « serment en tant que leur roi[26] ». Il n'obtient que la promesse de reprise des pourparlers ultérieurement à Seesen. Sur ces entrefaites, Henri gagne la Bavière, où il obtient la reconnaissance de tous les évêques et de quelques comtes. Après son demi-échec en Saxe et l'appui de la Bavière, tout dépend à présent de la position des princes francs. Or ces derniers ne veulent à aucun prix revenir sur le sacre d'Otton III. Redoutant l'issue d'un éventuel conflit, Henri renonçe au trône et remet l'enfant roi à sa mère et à sa grand-mère le 29 juin 984 à Rohr (Thuringe).

[modifier] La régence des impératrices (985–994)

Henri le Querelleur sur un frontispice franc (miniature tirée de la règle  de Niedermünster, vers 985).
Henri le Querelleur sur un frontispice franc (miniature tirée de la règle de Niedermünster, vers 985).

La longue régence des impératrices est entièrement épargnée par les conflits. De 985 à sa mort, la mère d'Otton, Théophane, exerçe pleinement le pouvoir. Elle s'efforçe de rétablir l'évêché de Merseburg que son mari Otton II avait dissout en 981. Elle réorganise la chapelle royale d'Otton II et en confie la direction à l'évêque chancelier Hildebold de Worms et à l'archevêque Willigis de Mayence. Par leur loyalisme, ces deux prélats parviennent à s'assurer le rôle de premiers conseillers de l'impératrice.

En 986, Otton III, alors âgé de six ans, organise les festivités de Pâques à Quedlinburg. Le service du roi est confié aux quatre ducs : Henri le querelleur en tant qu'écuyer tranchant, Conrad de Souabe en tant que chambellan, Henri de Carinthie le Jeune en tant que goûteur et Bernard de Saxe en tant que maréchal[27]. On a déjà mis en scène ce service des ducs lors des sacres d'Otton le Grand en 936 et d'Otton II en 961 : les Grands manifestant ainsi leur loyauté envers le jeune roi. En particulier, Henri le Querelleur tâche de faire oublier sa tentative d'usurpation manquée deux ans plus tôt et montre sa soumission à la dignité royale. Otton III reçoit des comtes Hoico et de Bernard, le futur évêque d'Hildesheim, une formation complète aux rites et usages de la - future - « chevalerie » ainsi qu'une instruction spirituelle et profane accomplie.

Au cours de la régence de Théophane éclate la querelle de Gandersheim, opposant l'évêché d'Hildesheim à l'archevêché de Mayence pour l'administration de l'abbaye. La querelle éclate lorsque Sophie, la propre sœur du roi, refuse de recevoir l'habit de moniale des mains du père supérieur d'Hildesheim, l'évêque Osdag, lui préférant l'archevêque de Mayence Willigis. La menace d'un scandale en présence du roi Otton III et de la régente Théophane put être évitée par un compromis : les deux évêques devaient remettre l'habit à la princesse, tandis que les autres moniales d'Osdag prendraient seules l'habit[28].

Si les marches orientales du royaume sont apaisées tout le temps que dura l'affrontement avec Henri le Querelleur pour la succession au trône, le soulèvement des Slaves n'en représente pas moins un échec pour la politique d'évangélisation. Par la suite, des armées saxonnes partent en campagne contre les Slaves de l'Elbe en 985, 986 et 987. Otton prend part à la seconde de ces campagnes, n'ayant alors que seize ans. Le duc de Pologne Mieszko appuya à plusieurs reprises les Saxons par la mobilisation d'un armée importante et prêta serment à Otton lors de cette campagne, lui offrant en cadeau un chameau[29].

l'impératrice Théophane
l'impératrice Théophane

A l’ouest, la mort de Lothaire en mars 986 qui est carolingien met fin à ses prétentions sur la Lotharingie (berceau des carolingiens et dont la possession permet de revendiquer l'empire)[30]. Son fils et successeur, Louis V, a à peine le temps de prendre le pouvoir et de consentir à faire la paix qu'il meurt d'un accident de chasse en forêt de Senlis, fin mai 987[31]. l'archevêque de Reims, fervent soutien des Ottonniens, fait élire Hugues Capet contre Charles dit « de Lorraine », frère du défunt[32]. L’arrivée des Capétiens sur le trône de France instaure une nouvelle dynastie et les carolingiens, évincés du pouvoir ne sont plus un danger pour l'empire ni pour la Lotharingie. Les francs neutralisés, Otton qui n'a rien à craindre des princes allemands, peut se laisser aller au rêve qu'a dû entretenir sa mère, de porter la couronne de Empire d'Occident réunifié.

En 989, Théophane prend le chemin de Rome sans son fils pour prier pour le salut de l'âme de son époux Otton II le jour anniversaire de sa mort. Parvenue à Pavie, elle confie les rênes du pouvoir à son homme de confiance, Jean Philagathos, qu'elle a fait archevêque de Plaisance. Théophane meurt à Nimègue le 15 juin 991, un an après son retour d'Italie, avec Otton III à son chevet. Elle est inhumée dans la crypte de la basilique Saint Pantaléon de Cologne. On ignore quelles sont les dernières paroles ou les derniers conseils de Théophane au jeune roi. La basilique que Théophane voulait ériger à la mémoire de son époux Otton II, et dont elle avait confié la direction à l'abbesse Mathilde II d'Essen, n'est commencée par Otton III qu'en 999, à l'occasion de la translation des reliques de Saint Marsus[33]. Le roi, quant à lui, ne fait pas, par la suite, d'efforts comparables pour le salut de sa mère. Il la qualifie dans ses actes de « mère bien-aimée », et fait de riches dons au diocèse de Cologne.

Lors des dernières années de minorité d'Otton, sa grand-mère Adélaïde assume la régence, largement secondée par l'abbesse Mathilde de Quedlinbourg et l'archevêque Willigis de Mayence. C'est sous sa régence que le monnayage du royaume atteint son apogée[34]. Par contre, alors que Théophane voulait de toute force rétablir le diocèse de Mersebourg, Adélaïde n'y tient pas.

[modifier] L'éducation d'Otton

Otton III reçoit une instruction solide: ses maitres sont Willigis qui restera l'un de ses principaux conseillers,Bernard d'Hildesheim (de 987 à 993) et Jean Philagathos le futur antipape qui lui enseigne quelques rudiments de grec.

En, 996, arrivé à l'adolescence et alors qu'il règne déjà, il se sent insuffisamment instruit et il demande à Gerbert d'Aurillac alors archevêque de Reims et qui est considéré comme le plus grand esprit de son temps de venir compléter son instruction[35]. Ce dernier est en position délicate vis à vis du saint siège car il a pris la tête de l'épiscopat de Francie dans le conflit qui oppose Hugues Capet (dont Gerbert est secrétaire) à Arnoul qui a le soutient du pape (Arnoul a trahi Hugues Capet en livrant l'archevêché de Reims à son oncle Charles de Lorraine le prétendant carolingien à la couronne de Francie). Gerbert est alors sous la menace d'une excommunication ainsi que les évêques ayant siégé au concile de Sainte-Basle. Cette excommunication collective ouvre la voie à un schisme entre l'église de Gaule et celle de Rome. Robert le Pieux cherche à ménager le pape car il s'est marié avec sa cousine sans l'approbation du saint siège et lâche Gerbert qui fut son précepteur et dont il est très proche. Gerbert préfère lâcher prise et répond favorablement à la demande du jeune empereur, cette solution lui permet d'échapper à l'excommunication et évite à l'occident un schisme.

Précepteur de l'empereur,il l'initie à l'arithmétique (Gerbert tente d'introduire les chiffres arabes en occident), à la musique et à la philosophie[35]. Devenu son conseiller, il souhaite voir appliquer les principes de la philosophie à la vie politique: car l'usage de la raison enseigne la modération et la maitrise des passions. Il rédige pour l'empereur un traité sur le raisonnable et l'usage de la raison qui s'ouvre sur un programme de de rénovation de l'empire romain, considérant que l'empereur mi grec par sa mère est à même de reconstruire un empire universel[36].

[modifier] Le début du règne

En 994, Otton III a quatorze ans ce qui, pour les canons de l'époque, signifie qu'il est adulte : au Haut Moyen-Âge, un acte rituel, l'adoubement, sanctionne normalement ce passage. Mais dans le cas d'Otton, l'adoubement aurait signifié la fin de la régence et le début du règne personnel, ce dont les sources ne font pas état. Un diplôme du 6 juillet 994[37], par lequel Otton offre à sa sœur Sophie le fief d'Eschwege, a parfois été considéré comme le premier acte personnel du règne du roi[38]. Quoiqu'il en soit, Otton fit un grand nombre de donations (y compris pour sa sœur) alors qu'il était encore mineur.

Dès 994, Otton prend ses premiers décrets et nomme contre l'usage un Germain à la tête des affaires italiennes de la chancellerie : son homme de confiance, Herbert de Cologne. La même année, à Ratisbonne, Otton confère la mitre d'évêque à son chapelain Gebhard, au lieu du prélat Tagino élu par le chapitre de Ratisbonne.

Au cours de l'été 995, il convoque le ban à Quedlinbourg et avec l'aide de contingents de Bohême et de Pologne, se lance au cours de l'hiver 994-95 puis à nouveau au printemps 995 dans une campagne militaire plus au nord contre les slaves rebelles de l'Elbe, expéditions qui depuis le soulèvement de 983 reprenaient presque chaque année[39]. À son retour, il élargit considérablement le diocèse de Meißen et multiplie ainsi les bénéfices de la Dîme. Au mois de septembre 995, on dépêche l'archevêque Jean Philagathos et l'évêque Bernard de Wurtzbourg à Byzance pour demander la main d'une princesse de la part d'Otton III[40]. Les négociations avec Byzance n'aboutirent que peu de temps avant la mort d'Otton ; on ignore le nom de la princesse qui lui était promise.

[modifier] L'empereur Otton III

[modifier] La première campagne d'Italie

Couronnement d'Otton III (Apocalypse de Bamberg, XIe siècle).
Couronnement d'Otton III (Apocalypse de Bamberg, XIe siècle).

Otton III part pour l'Italie, non seulement à l'occasion de son couronnement impérial, mais aussi pour répondre à l'appel à l'aide du pape Jean XV, agressé et chassé de Rome par le préfet Crescentius et ses partisans. Otton quitte Ratisbonne et se met en marche pour Rome en mars 996. À Vérone, il accepte de devenir le parrain d'un fils du Doge Pietro II Orseolo inaugurant ainsi les relations traditionnellement cordiales entre les Ottoniens et Venise.

À Pavie, Otton reçoit une délégation romaine qui lui confie le choix du successeur du défunt pape Jean XV. Il n'est encore qu'à Ravenne lorsqu'il nomme comme souverain pontife son parent et chapelain privé Brun de Carinthie, et le fait accompagner par l'archevêque de Mayence Willigis et l'évêque Hildebold jusqu'à Rome, où il fut le premier pape d'origine germanique à recevoir la tiare pontificale[41]. Le lendemain de son arrivée dans Rome, Otton est joyeusement acclamé par le Sénat et la noblesse. Le 21 mai 996, jour de l'Ascension, il est couronné empereur des Romains par le pape qu'il a nommé.

Avec la nomination du pape lui-même, Otton III est allé au delà des espérances de son grand-père Otton Ier, dans la mesure où il ne se contente plus d'agréer l'issue d'un vote, mais où il impose son propre candidat à la Curie romaine. Mais de par sa nomination à discrétion, le pape n'avait plus de partisans déclarés à Rome et dépendait d'autant plus de l'appui de l'empereur. Déjà sous le règne d'Otton Ier ces circonstances avaient opposé les papes fidèles à l'empereur et les candidats de la noblesse romaine. L'influente dynastie patricienne des Crescentii devait son autorité à la cession des droits pontificaux et des bénéfices tirés de la province de Sabine aux premiers papes italiens.

Au milieu de l'agitation des cérémonies du couronnement, on décide de convoquer un synode, au cours duquel la coopération étroite entre l'empereur et le pape se manifesta par la coprésidence du synode et la double signature de décrets. Ce synode met aussi Otton en relation avec deux personnalités hors du commun, lesquelles vont influencer grandement le reste de sa vie. Gerbert d'Aurillac, archevêque de Reims, proche de l'empereur qui rédige plusieurs lettres en son nom. Otton III fait de même la connaissance d'Adalbert de Prague, un représentant du courant ascétique et érémitique qui fait de plus en plus d'adeptes à l'approche de l'an mil. S'il est vrai que l'empereur se défie d'abord de Gerbert d'Aurillac, il demande quelques mois plus tard à l'archevêque d'entrer à son service : il s'agit d'aider Otton III à se dépouiller de sa grossièreté (rusticitas) saxonne, et de le faire accéder à la finesse (subtilitas) grecque[42].

Le préfet Crescentius (le Jeune) est condamné à l'exil par Otton III, mais obtient sa grâce par l'intercession du pape Grégoire V. Ainsi, Otton III peut se prévaloir de la clementia des césars, un concept-clef de l'exercice du pouvoir chez les Ottoniens.

Une fois couronné empereur, Otton III gagne la Germanie. De décembre 996 à avril 997, il séjourne en Rhénanie, notamment à Aix-la-Chapelle. On ne connaît pas le détail de cette partie de son règne, comme la tenue de bans.

[modifier] La seconde campagne d'Italie

Portrait du prince sur l'évangéliaire de Liuthar d'Aix-la-Chapelle, don d'Otton III au chapitre épiscopal d'Aix. Il est souvent considéré comme le plus impressionnant témoignage de la sacralisation du pouvoir : l'empereur y adopte les attributs christiques à un tel degré qu'il est à peine possible de le distinguer du Messie. La sacralisation de la royauté connut son apogée sous Otton III (miniature du scriptorium de Reichenau, début du XIe siècle).
Portrait du prince sur l'évangéliaire de Liuthar d'Aix-la-Chapelle, don d'Otton III au chapitre épiscopal d'Aix. Il est souvent considéré comme le plus impressionnant témoignage de la sacralisation du pouvoir : l'empereur y adopte les attributs christiques à un tel degré qu'il est à peine possible de le distinguer du Messie. La sacralisation de la royauté connut son apogée sous Otton III (miniature du scriptorium de Reichenau, début du XIe siècle).

Grégoire V est le premier pape étranger et donc non désigné parmi l'aristocratie romaine. Les romains et en particulier les Crescenzi vivent d'autant plus mal cet empiètement sur leurs prérogatives que le nouveau pape est particulièrement peu diplomate[43]. Rapidement, il s'aliénie la noblesse romaine. Dans les derniers jours du mois de septembre 996, quelques mois seulement après avoir été gracié, Crescentius entreprend de faire chasser Grégoire V de Rome. Crescentius complote alors avec l'archevêque de Plaisance et ancien conseiller de Théophane, Jean Philagathos, pour faire élire un antipape. Mais Otton III, plutôt que d'intervenir immédiatement, donne la priorité à la sauvegarde des frontières saxonnes et lançe en été 997 une nouvelle campagne contre les Slaves de l'Elbe.

Ce n'est qu'en décembre 997 qu'il retourne en Italie. On ignore l'effectif exact de son armée, mais il est accompagné des princes et prélats de tout l'empire, à l'exception de sa « très chère sœur[44] » Sophie (dilectissima soror), qui l'a accompagné lors de son sacre à Rome, et qui réside auprès de lui à Aix-la-Chapelle. Il n'est plus jamais question désormais de sa présence à la cour.

Lorsqu'Otton III pénétre en Italie en février 998, les Romains adoptent une attitude conciliante et le laissent marcher sur Rome sans combattre. Entretemps, le préfet Crescentius se barricade dans le Château Saint-Ange. L'antipape Jean Philagathos s'enfuit de Rome et se réfugie dans un donjon, mais il est capturé par un détachement de l'armée impériale. Il est jugé par un synode et est sévèrement puni pour avoir nui à la main-mise de l'empereur sur la chrétienté : on lui crève les yeux, on lui coupe le nez et il est amputé de la langue alors même qu'il a été le précepteur de l'empereur. Ramené à Rome, il est traîné dans les rues de la ville juché sur un âne que chacun sache ce qu'il en coute de se rebeller contre l'empereur[43].

De la même manière, lorsqu'après un siège acharné l'armée impériale parvient à se saisir de Crescentius, le rebelle est décapité. Son cadavre est d'abord pendu aux créneaux du château Saint-Ange, puis finalement, avec les corps de douze de ses comparses, suspendu par les pieds sur le Monte Mario et exposé aux outrages du public[45].

Le comportement cruel de l'empereur et du pape est contreproductif: il est critiqué dès cette époque et nuit fortement à leur crédit. C'est ainsi que le vieil abbé Nil de Rossano part pour Rome dès qu'il apprend la mutilation de l'antipape, pour héberger Jean Philagathos dans son monastère. Mais Grégoire V et Otton III repoussent cette requête. Nilus aurait alors voué l'éternelle punition divine à l'empereur en quittant Rome[46].

Sur un décret impérial d'Otton III daté du 28 avril 998 concernant le monastère d'Einsiedeln, dont la date coïncide avec l'exécution de Crescentius, apparaît pour la première fois un sceau portant la devise Renovatio imperii Romanorum (Renaissance de l'Empire romain)[47]. Cette nouvelle devise figure ensuite systématiquement sur les décrets impériaux jusqu'au retour d'Otton III de Gniezno, avant d'être remplacée à partir de janvier 1001 par la formule Aurea Roma.

[modifier] Le séjour d'Italie (997–999)

Péninsule italienne en l'an mil
Péninsule italienne en l'an mil

Au cours des quelques années qu'ils passent ensemble en Italie, l'empereur et le pape entreprennent de réformer l'Église. Les biens de l'Église confisqués doivent être remis à disposition des institutions religieuses. La lutte contre un parent de Crescentius, un comte de Sabine du nom de Benoît, s'inscrit dans ce cadre : ils le contraignent par la force à restituer les biens confisqués au monastère de Farfa.

Otton se fait ériger une résidence royale sur le Mont Palatin. Il prend plusieurs mesures pendant ce séjour italien, notamment en attribuant les évêchés à des hommes de confiance.

Une fois que fut décédé l'évêque d'Halberstadt Hildiward, naguère un des instigateurs de la dissolution de l'évêché de Mersebourg en novembre 996, Otton III et Grégoire V s'attaquent à la reconstitution de ce diocèse et justifient l'entreprise sur une motion qu'ils font adopter par le synode de la Noël 998-99, selon laquelle la dissolution prononcée en 981 était une infraction au droit ecclésiastique : le diocèse aurait été dissout sine concilio (sans vote[48]). Ce n'est toutefois qu'en 1014, sous le règne du successeur d'Otton, l'empereur Henri II que le diocèse de Mersebourg est rétabli.

En 999, Otton délaisse quelques temps les affaires pour un pélerinage en Bénévent sur le Mont Gargano, que Romuald, prêcheur d'Einsiedeln, lui aurait imposé en expiation des atrocités commises envers Crescentius et Jean Philagathos [49]. En chemin, Otton apprend que Grégoire V venait de mourir à Rome après une brève maladie. Aussi cherche t'il à rendre visite au père Nil en rémission de ses péchés. Mais cela ne suffit pas à lui rendre son crédit, au contraire il fait montre ainsi de vulnérabilité[43].

Dès son retour, il élève à la dignité papale, son précepteur Gerbert d'Aurillac, connu pour être l'un des plus grands esprits de son temps (il a entre autres introduit les chiffres arabes en Occident). Ce dernier prend le nom de Sylvestre II. Pour la seconde fois d'affilée le pape nommé est un non-romain (Gerbert est Français). Toujours à Rome, il continue à renforcer son pouvoir en attribuant les évêchés à ses proches. C'est ainsi par exemple qu'il nomme son propre chapelain Léon évêque de Verceil, lui confiant par là-même un diocèse difficile, car son prédécesseur Petrus de Verceil vient d'être assassiné par le margrave Arduin d’Ivrée. Un synode romain condamne Arduin en 999 à faire amende honorable. Il lui est demandé de déposer les armes et de ne pas passer la nuit deux fois de suite au même endroit, dans la mesure où sa santé le lui permet. Il peut s'exonérer de cette peine en entrant dans les ordres. On ne sait si le margrave se soumit à cette décision. Otton attribue en outre la succession de l'évêque de Cologne Everger à son chancelier Herbert .

[modifier] Intervention en Europe orientale

L'empereur trône entouré des princes d'Empire et des évêques ; à sa gauche, les 4 nations (la Slavonie, la Germanie, les Gaules et Rome) lui rendent hommage en tant que successeur à l'imperium (miniature du scriptorium de Reichenau, Évangéliaire d'Otton III, XIe siècle).
L'empereur trône entouré des princes d'Empire et des évêques ; à sa gauche, les 4 nations (la Slavonie, la Germanie, les Gaules et Rome) lui rendent hommage en tant que successeur à l'imperium (miniature du scriptorium de Reichenau, Évangéliaire d'Otton III, XIe siècle).

En décembre 999, Otton quitta finalement Rome pour un pélerinage à Gnesen : il voulait prier sur la tombe de son ami Adalbert[50]. Les hagiographies laissent entendre qu'Otton serait allé à Gnesen pour s'accaparer des reliques d'Adalbert.

Toujours est-il qu'à son arrivée dans cette ville, les motifs du monarque étaient d'abord religieux. Otton se fit mener pieds nus jusqu'au tombeau d'Adalbert par l'évêque de Posen Unger et par ses prières en larmes supplia les martyrs d'intercéder pour lui auprès du Christ. Puis il éleva la ville au rang d'archevêché, fondant par là l'Église autonome de Pologne. L'Archidiocèse de Cracovie et les nouveaux évêchés de Kolberg et Breslau furent rattachés à la nouvelle province ecclésiastique de Gnesen où siégerait un évêque métropolite. Ainsi le royaume de Boleslas Chrobry était doté d'une église indépendante.

Les autres activités d'Otton à Gnesen sont controversées. L'« Histoire de Pologne » de Gallus Anonymus, qui n'a été rédigée qu'au XIIe siècle, offre le seul récit détaillé des événements. Elle rapporte avec force comment Otton III a fait roi Boleslas[51], ce que les sources saxonnes passent systématiquement sous silence. Le fait qu'un couronnement ait pu avoir lieu est aujourd'hui très débattu. La thèse de Johannes Fried, selon laquelle Gnesen aurait été le théâtre de la création purement civile d'un roi[52], a été recemment combattue par Gerd Althoff, pour qui le couronnement de Boleslas à Gnesen n'est que la célébration particulièrement fastueuse du pacte d'amitié avec l'empereur Otton III[53].

Pour son retour en terre d'empire, Boleslas confie à l'empereur un équipage fastueux, et l'accompagna via Magdebourg jusqu'à Aix-la-Chapelle. Là, Otton lui aurait offert le trône de Charlemagne[54].

[modifier] Retour à Rome

Otton fête les Rameaux à Magdebourg et Pâques à Quedlinbourg. Puis passant par Trebur il rentra à Aix-la-Chapelle, « la ville qu'il aimait le plus après Rome », comme le disent les Annales de Quedlinbourg[55]. Au cours de ces quelques mois, il appela à l'occasion de plusieurs synodes tenus à Magdebourg, Quedlinbourg et Aix-la-Chapelle à la renaissance de l'évêché de Mersebourg, sans parvenir à arracher la décision. À Aix-la-Chapelle, il distribua les reliques d'Adalbert à certaines églises. Il fait aussi rechercher et ouvrir le tombeau de Charlemagne. Même aux yeux de ses contemporains, ce comportement passe pour une violation de sépulture, pour laquelle Dieu l'aurait puni d'une mort prématurée[56]. Actuellement on interprète l'action d'Otton comme un premier pas vers la création du culte de Charlemagne[57].

D'Aix il retourne à Rome au cours de l'été de l'an mil. C'est à ce moment que reprend la querelle de Gandersheim, qui oppose l'évêque de Mayence Willigis à l'évêque Bernard d'Hildesheim : la consécration d'une nouvelle église à Gandersheim rend inévitable une décision sur le rattachement de la paroisse à l'un des deux évêchés. L'évêque Bernard prend le temps d'aller à Rome pour y faire valoir sa cause devant Otton III et un synode romain. En conséquence de la démarche de Bernard, deux nouveaux synodes se réunirent presque simultanément pour trancher l'affaire de Gandersheim : l'un, provincial, à Gandersheim même, et l'autre, impérial, à Rome sous la présidence de l'empereur et du pape. Toutefois, ni ces deux conclaves, ni celui qui suivit, à Pöhlde, ne parvient à décider du parti à prendre. Cette querelle va occuper plusieurs empereurs et de multiples synodes, avant d'être finalement tranchée en 1030.

L'empereur passe la fin de l'année en Italie sans qu'il en ressorte d'initiative politique significative. Il faut attendre le début de l'année 1001 pour que le pouvoir se manifeste à nouveau, et cela à l'occasion d'un soulèvement des habitants de Tivoli contre l'autorité impériale. Otton assiége donc cette ville, bien que la Vita Bernwardi, un éloge de l'évêque Bernard composé par son professeur Thangmar, vante plutôt le rôle de Bernard dans la soumission durable des rebelles[58]. Le mois même où ce siège de Tivoli eut lieu, survint un autre évènement inhabituel, à savoir la publication d'un acte de donation impérial au bénéfice du pape Sylvestre. Cette donation met brutalement un terme à la politique habituelle des papes qui, déchus de leurs propres territoires par leur insouciance et leur incompétence, ont essayé, hors de tout cadre juridique, de s'y approprier les droits et les devoir de l'imperium. Par cet acte, Otton est considéré comme le défenseur de l'autorité impériale contre la Papauté. Il dénonçe comme « mensongères » les prétentions territoriales de l'Église romaine exprimées dans la donation de Constantin, y compris la donation elle-même ou sa restitution par Jean Diacre, tout en abandonnant à Saint Pierre par pure bienveillance impériale huit comtés de la Pentapole italienne[59].

Dans les semaines qui suivirent la publication de cet acte de donation, un soulèvement éclate à Rome. On a attribué la cause de cette émeute à l'indolence excessive du pouvoir après les événements de Tivoli. Elle est contenue pacifiquement au bout de quelques semaines par voie de négociation. Le doyen du chapitre d'Hildesheim, Thangmar, qui en 1001 avait accompagné son évêque Bernard d'Hildesheim à Rome, rapporte la teneur d'un discours fameux adressé par Otton aux Romains au cours de ces négociations, par lequel l'empereur aurait exprimé à la foule son amour pour Rome et son renoncement complet à ses attaches saxonnes[60]. Émus aux larmes par cette profession de foi, les Romains se saisissent de deux hommes qu'ils molestent cruellement pour manifester leur regret et leur souhait de retour à la paix civile. Malgré ces gestes d'apaisement, la versatilité de l'opinion inspirent la méfiance aux conseillers de l'empereur, qui l'engagent à s'éloigner des dangers et à regrouper ses troupes autour de Rome.

[modifier] La mort de l'empereur

Otton III et le pape Sylvestre II s'éloignent de Rome et prennent la direction du Nord vers Ravenne. Par la suite, Otton reçevant une ambassade de Boleslaw Chobry, conclut avec la délégation hongroise la création d'une nouvelle province de l'Église avec pour métropole l'évêché de Gran et s'assure que le nouvel archevêque, Askericus, couronne roi le prince Étienne de Hongrie. Otton fait aussi en sorte de resserrer encore les liens avec le Doge de Venise.

Mais les sources hagiographiques (la « Vie du Bienheureux Romuald » de Pierre Damien et la « Vie des Cinq Frères » de Brun de Querfurt) donnent au même moment plutôt l'image d'un monarque abattu moralement. La détresse reflétée par ces témoignages culmine avec la promesse d'Otton de renoncer aux choses terrestres et d'entrer dans les ordres. Il aurait en tout cas voulu prendre encore trois ans pour corriger les erreurs de son règne[61] : on ignore cependant de quelles erreurs il s'agissait.

Vers la fin de l'année 1001, il rejoint Rome avec l'appui des contingents de quelques évêques de l'empire, qui n'ont pu rallier l'Italie que très lentement. Ayant contracté une fièvre violente, il décède le 23 janvier 1002, au manoir de Paterno, non loin de Rome. Plusieurs témoignages rapportent la mort apaisée et édifiante du prince chrétien[62].

La mort de l'empereur est d'abord tenue secrète, jusqu'à ce que sa garde personnelle soit informée et mise en état d'alerte. L'armée, continuellement entourée d'ennemis, quitte l'Italie afin d'exaucer les dernières volontés d'Otton d'être inhumé à Aix-la-Chapelle. En février 1002, alors que le convoi, parti de Paterno, a traversé Lucques et Vérone et pénétré en Bavière, le duc Henri II l'aurait pris en charge à Polling et aurait exigé des évêques et des nobles, par des menaces et des promesses, qu'ils le proclament roi[63]. Mais aucun de ceux qui accompagnaient le convoi, à l'exception de l'évêque d'Augsburg, n'aurait pris le parti d'Henri. On ignore au juste quelles préventions les collaborateurs d'Otton éprouvaient à l'égard d'Henri. Quelques semaines plus tard, pendant les célébrations de la mort de l'empereur, ces hommes confirmèrent leur refus, car de leur avis, Henri, à bien des égards, n'était pas apte à gouverner le royaume[64]. Ainsi, alors qu'en Italie dès le 15 février 1002 les barons lombards avaient à Pavie acclamé roi Arduin d’Ivrée, adversaire d'Otton III, le duc Henri II continuait de se débattre au milieu d'interminables négociations et de querelles privées.

[modifier] Bilan du règne

[modifier] Politique économique et monétaire

Les ottoniens ont fait leur prospérité et celle de leur empire en favorisant et en accompagnant les échanges via leur empire entre l'Europe du Nord et de l'est et la méditerranée, via les bassins du Rhin, de la Meuse et du Danube et leur connection à celui du par les routes passant par les cols alpestres. Ils ont dévelloppé les échanges en créant des ateliers de monnayages et par là de marchés. Ils ont alimentés ces ateliers de frappe monétaire par l'exploitation de mines d'argent. C'est sous la régence d'Adélaïde que le monnayage en germanie atteint son apogée[34]. Otton III s'inscrit dans cette politique économique et monétaire en autorisant par exemple l'évêque de Freissing à fonder un marché quotidien et place la fréquentation de ce marché sous le ban de la paix impériale[14].

[modifier] La succession d'Otton

Couronnement d'Henri II (Sacramentaire d'Henri II, XIe siècle, Bayerischen Staatsbibliothek Munich).
Couronnement d'Henri II (Sacramentaire d'Henri II, XIe siècle, Bayerischen Staatsbibliothek Munich).

Dès le début de son règne, Henri II permit les célébrations pour le salut de l'âme de son prédécesseur, son « oncle bien-aimé », et pour la mémoire du « bon empereur Otton[65] ». Il fit connaître les dernières volontés et les legs d'Otton, et comme lui célébra les Rameaux en 1003 à Magdebourg, sur la tombe d'Otton Ier, ainsi que la Pâque à Quedlinbourg, lieu de sépulture d'Henri Ier et de son épouse Mathilde[66]. Mais avant tout Henri II fit de la Saxe le nouveau centre du pouvoir. Il se laissa ainsi au moins une décennie, avant de s'en prendre à son rival en Italie.

On a longtemps vu dans l'abandon par Henri II de l'inscription d'Otton III : Renovatio imperii Romanorum (Renaissance de l'empire romain) sur les sceaux impériaux au profit de Renovatio regni Francorum (Renaissance du Royaume des Francs) un virage décisif de la politique des empereurs. Mais plus récemment, Knut Görich a attiré l'attention sur le nombre des sceaux concernés : il faut en effet rapporter les 23 décrets d'Otton III aux quatre décrets d'Henri II. Ainsi, l'emploi occasionnel et éphémère de l'apostille franque, qui n'était apparue que de façon circonstancielle après une succession réussie à la tête du royaume en janvier et février 1003, n'a été qu'une formule d'authenfication parmi toutes celles qui nous sont parvenues, et fut bientôt elle-même abandonnée[67].

C'est bien en revanche un tournant que représente la politique extérieure d'Henri II en ce qui concerne les affaires polonaises ; car si en l'an mil Boleslas Chobry était gratifié de l'épithète de « frère et appui de l'empereur », d'« ami et allié du peuple romain » (fratrem et cooperatorem imperii constituit et populi Romani amicum et socium appelavit[68]), la politique d'Henri II tourna à une confrontation armée, seulement rythmée par les trois traités de paix successifs de Posen (1005), Mersebourg (1013), et Bautzen (1018).

[modifier] Les témoignages d'époque

La politique italienne d'Otton a visiblement suscité l'incompréhension de ses contemporains.

Selon les Annales de Quedlinbourg, qui reflètent fidèlement le point de vue des monastères ottoniens et de leurs abbesses royales, à savoir la tante et la sœur d'Otton III, il aurait voulu marquer sa préférence pour les Romains sur les autres peuples[69]. Mais elles s'abstiennent de critiquer la politique d'Otton III ; sa mort, qui apparaît comme la conséquence de ses propres péchés ou de ceux des étrangers, est déplorée par la terre entière[70].

Dithmar, évêque de Mersebourg (ou encore Thietmar, ou Dietmar), dont le récit est imprégné de l'idée que la dissolution de l'évêché de Mersebourg a été une injustice profonde, désapprouve la politique italienne d'Otton III. C'est ainsi que selon lui l'empereur aurait, dans son palais, dîné sur une table en demi-cercle portée par ses proches, un usage tout contraire aux habitudes des cours franques et saxonnes[71].

Plus tard encore, Bruno de Querfurt reprocha à l'empereur d'avoir voulu faire de Rome sa résidence ordinaire et de l'avoir considérée comme sa véritable patrie[72]. Selon les propos de Bruno, qui vise à l'hagiographie, Rome symbolise le dépassement des cultes païens par les croyances chrétiennes ; avec son monarque païen, la Ville aurait perdu son rayonnement spirituel universel, elle qui depuis la Donation de Constantin était la ville des apôtres, sur laquelle plus aucun monarque profane ne devait régner. C'est pourquoi la répression exercée contre le siège des apôtres constitue pour Bruno un péché si grave, que la mort prématurée de l'empereur était un châtiment inévitable[73]. Cependant Bruno de Querfurt salue certains traits agréables chez l'empereur, comme son tempérament chaleureux : encore enfant, et livré aux errements de son comportement, il fit un bon empereur, un Imperator Augustus d'une profonde humanité[74].

Aussi Otton III, avec sa culture inaccoutumée et sa finesse reconnue, ne tarda-t-il pas à faire l'admiration de tous et fut surnommé, aussi bien en Germanie qu'en Italie, « Merveille du Monde »[75].

[modifier] Historiographie

Couronnement d'Otton III par le pape Grégoire V, image du XVe siècle
Couronnement d'Otton III par le pape Grégoire V, image du XVe siècle

Les jugements critiques des cercles dirigeants contemporains déteignaient d'ordinaire sur l'œuvre des historiens du XIXe et du début du XXe{{{5}}} siècle. L'opinion sur Otton III fut longtemps celle exprimée par Wilhelm von Giesebrecht dans son « Histoire du Saint-Empire » (Geschichte der deutschen Kaiserzeit), qui critiquait fondamentalement l'absence du sentiment national chez Otton III et lui reprochait ses rêveries et son manque de pragmatisme. Pire même, Otton III aurait dilapidé un gros héritage par sa frivolité, aurait poursuivi des chimères et se serait commis avec des intellectuels et des étrangers[76]. Giesebrecht forgea les conceptions des historiens nationalistes pour des décennies.

Au début du XXe siècle, plusieurs objections concrètes remirent en cause ces idées reçues. Avec son ouvrage intitulé Kaiser, Rom und Renovatio (1929), l'historien Percy Ernst Schramm a imposé une nouvelle image d'Otton III. Son nouveau portrait de l'empereur, contredisant l'image traditionnelle du souverain non-allemand, bigot et évaporé, constituait une réhabilitation dans la mesure où Schramm essayait de saisir Otton III dans la tourmente religieuse de son époque. La nouveauté résidait avant tout dans une interprétation historico-religieuse de la politique d'Otton III, selon laquelle la politique de renaissance de Rome constituait la véritable motivation du gouvernement de l'empereur. Schramm donnait comme preuve essentielle de cette politique de renaissance l'adoption à partir de 998 de la fameuse devise Renovatio imperii Romanorum sur les sceaux.

Robert Holtzmann rejoignait encore en 1941 dans son « Histoire des empereurs saxons » (Geschichte der sächsischen Kaiserzeit) le point de vue de Giesebrecht et concluait : « L'État d'Otton le Grand vacillait sur ses bases lorsqu'Otton III mourut. Si cet empereur avait vécu plus longtemps, son empire se serait effondré[77] ». Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, les opinions sur Otton III dans la veine d'Holtzmann sont devenues plus rares.

Mathilde Uhlirz compléta en 1954 le point de vue de Schramm, en considérant la politique de l'empereur plutôt sous l'angle d'une consolidation du pouvoir du prince dans les régions méridionales de l'empire, et en prêtant ainsi à Otton III l'intention d'y renforcer son autorité[78]. Contrairement à Schramm, Uhlirz mettait l'accent sur la collaboration entre l'empereur et le pape, lequel était surtout soucieux de gagner la Pologne et la Hongrie à la Chrétienté de spiritualité romaine[79]. Par la suite, il apparut une synthèse entre les points de vue de Schramm et d'Uhlirz , qui voit dans les efforts de consolidation de l'autorité impériale au Sud, autant que dans le rapprochement avec la Pologne et la Hongrie les grandes lignes de la politique d'Otton III. Mais la tentation persistait d'expliquer la politique d'Otton III par son caractère et ses traits de personnalité.

Ces dernières années, le sens que Schramm a donné au terme de renovatio a été contesté à plusieurs reprises. D'après Knut Görich, il faut analyser la politique italienne et les campagnes contre Rome plutôt comme une préoccupation de pérennité de la papauté que comme un programme de régénération de l'Empire Romain[80].

Gerd Althoff s'est plus récemment détourné des concepts politiques employés en histoire médiévale, qu'il juge anachroniques, dans la mesure où la place de l'écrit et les équivalences institutionnelles nous échappent pour comprendre la royauté au Moyen-Âge[81]. En outre, d'après Althoff, les sources invoquées à l'appui sont ambivalentes. On ignore s'il faut les rattacher à la tradition de la Rome antique ou à celle de la Rome chrétienne[82].

[modifier] Otton III dans la poésie et les romans

Un poème du XIe siècle, dans lequel le conseiller impérial Léon de Verceil chante la collaboration de l'empereur et du pape, évoque la reconstitution de l'Empire romain par Otton III. Ce poème commence surtout par une invocation au Christ, afin qu'il daigne porter les yeux sur Rome et lui rendre son lustre, pour qu'elle puisse prospérer sous le règne du troisième Otton.

Depuis le XVIe siècle, Otton III, de par sa vie courte et les évènements dramatiques qui ont émaillé son règne, sert de personnage-titre à de nombreux témoignages littéraires ; mais bien peu ont pu survivre par leur valeur littéraire.

Dans son poème intitulé la Complainte de l'empereur Otton III (Klagelied Kaiser Otto III.), August von Platen-Hallermünde rabaisse Otton III par pur nationalisme. Ricarda Huch, dans son livre intitulé Römisches Reich Deutscher Nation (1934), compara Otton III à Otton Ier : son rejet d'Otton III s'appuie sur les idées de Giesebrecht[83]. Mais les jugements favorables à la carrière d'Otton III. se sont aussi exprimés dans la littérature. Ainsi parurent vers la fin de la Seconde Guerre mondiale deux romans historiques sur l'empereur ottonien. Gertrud Bäumer donna à sa reconstitution de la vie d'Otton III le titre Le jeune homme au manteau d'étoiles : grandeur et tragédie d'Otton III (Der Jüngling im Sternenmantel. Größe und Tragik Ottos III). Et simultanément, Henry Benrath essaya de saisir la personnalité d'Otton III de façon plus subjective et avec davantage d'emphase. Il s'agissait pour lui d'appréhender la spiritualité dans la vie d'un monarque[84].

[modifier] Sources

[modifier] Sources primaires et vitæ

[modifier] Sources littéraires

[modifier] Bibliographie

[modifier] Présentations générales

  • (de)Gerd Althoff: Die Ottonen. Königsherrschaft ohne Staat. 2e éd. augm., Kohlhammer Taschenbücher, Stuttgart u. a. 2005, ISBN 3-17-018597-7.
  • (de)Helmut Beumann: Die Ottonen. 5e éd. Stuttgart 2000, ISBN 3-17-016473-2.
  • (de)Hagen Keller: Ottonische Königsherrschaft, Organisation und Legitimation königlicher Macht. Darmstadt 2002, ISBN 3-534-15998-5.
  • (de)Bernd Schneidmüller, Stefan Weinfurter (éd.): Otto III. – Heinrich II. Eine Wende?. Sigmaringen 1997, ISBN 3-7995-4251-5.
  • Francis Rapp, Le Saint Empire romain germanique, Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », Lonrai, 2003 (ISBN 978-2020555272).

[modifier] Biographies

  • (de)Gerd Althoff: Otto III. Gestalten des Mittelalters und der Renaissance. Darmstadt 1997, ISBN 3-89678-021-2.
  • (de)Ekkehard Eickhoff: Theophanu und der König. Otto III. und seine Welt. Stuttgart 1999, ISBN 3-608-91798-5.
  • (de)Ekkehard Eickhoff: Kaiser Otto III. Die erste Jahrtausendwende und die Entfaltung Europas. 2e éd. Stuttgart 2000, ISBN 3-608-94188-6.
  • (de)Knut Görich: Otto III. Romanus Saxonicus et Italicus: kaiserliche Rompolitik und sächsische Historiographie. Sigmaringen 1995, ISBN 3-7995-0467-2.
  • (de)Percy Ernst Schramm: Kaiser, Rom und Renovatio. Darmstadt 1962 (réimpr. de l'éd. de 1929).
  • (de)Mathilde Uhlirz: Jahrbücher des Deutschen Reiches unter Otto II. und Otto III. Zweiter Band: Otto III. 983–1002, Verlag Duncker & Humblot, Berlin 1954.

[modifier] Articles d'encyclopédie

  • (de)Knut Görich, Otto III in Neue Deutsche Biographie, vol. 19 (1999) pp. 662–665.
  • (de)Tilman Struve, Otto III in Lexikon des Mittelalters, vol. 6 (1993) pp. 1568–1570.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes

  • Otton III (980-1002) Roi de Germanie (983) et empereur (996-1002) dans Atrium [4]

[modifier] Notes et références

  1. Otton III (980-1002) Roi de Germanie (983) et empereur (996-1002) dans [1]
  2. Georges Castellan, « Drang nach Osten », l'expansion germanique en Europe centrale et orientale
  3. Otton I le Grand dans Mémo
  4. Francis Rapp, Le Saint Empire romain germanique, Tallandier, 2000, p 53
  5. Encyclopaedia Universalis, article Allemagne médiévale, DVD, 2007
  6. La Pologne féodale : les Piast
  7. Gérard Rippe, Ivrée, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  8. Otton Ier le Grand (912-973). Roi de Germanie (936-973) et empereur (962-973)
  9. F. Menant (1999), p. 22.
  10. Claude Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, PUF, Paris, 1999, p. 119.
  11. Y. Sassier, Royauté et idéologie au Moyen Âge, Colin, Paris, 2000, p. 183.
  12. Ce laps de temps entre la mort d'Hugues le Grand (956) et l'action de Lothaire en faveur d'Hugues Capet (960) semble avoir été organisé par Brunon de Cologne qui souhaitait peut-être laisser une longueur d'avance à Lothaire. François Menant (et alii), Les Capétiens. Histoire et dictionnaire. 987-1328, Robert Laffont, Paris, 1999, p. 19-20.
  13. ab Pierre Riché, Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe, Hachette 1983, p.351.
  14. ab Pierre Riché, Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe, Hachette 1983, p.352.
  15. Les relations entre le Saint-Empire et la papauté, d'Otton le Grand à Charles IV de Luxembourg (962-1356) sur [2]. Consulté le 27 octobre 2007
  16. Guido Peeters, Pays-Bas, Encyclopaedia Univzersalis, DVD, 2007
  17. encyclopedie universelle, « Le temps des Ottoniens » sur [3]. Consulté le 30 octobre 2007
  18. L. Theis, Robert le Pieux. Le roi de l'an mil, Perrin, Paris, 1999, p. 52-53.
  19. Dithmar III, 26.
  20. Dithmar III, 17–18.
  21. Yves Sassier, Hugues Capet, Fayard, Paris, 1987, p. 180.
  22. Laurent Theis, Histoire du Moyen Âge Français, Perrin, Paris, 1992, p. 73
  23. Lothaire et Henri le Querelleur sont, comme Otton II, des oncles en ligne directe d'Henri Ier.
  24. Dithmar, Chroniques, IV, 1.
  25. Dithmar, Chroniques, IV, 2.
  26. Dithmar, Chroniques, IV, 4.
  27. Dithmar, Chroniques, IV, 9.
  28. Thangmar, Vita Bernwardi, cap. 13.
  29. Dithmar, Chroniques, IV, 9.
  30. Laurent Theis, L'Héritage des Charles, De la mort de Charlemagne aux environs de l'an mil, Seuil, Paris, 1990, p. 188-189.
  31. M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, PUN Serpoise, 1990, p. 32.
  32. M. Bur, « Adalbéron, archevêque de Reims, reconsidéré », Le roi de France et son royaume autour de l'an mil, Picard, Paris, 1992, p. 57.
  33. Klaus Gereon Beuckers, Der Essener Marsusschrein. Untersuchungen zu einem verlorenen Hauptwerk der ottonischen Goldschmiedekunst (2006), Münster, pp. 11f, 50ff.
  34. ab Heiko Steuer, « Das Leben in Sachsen zur Zeit der Ottonen », pp. 89–107, et sur ce point précis : p. 106. In: Matthias Puhle (éd.): Otto der Grosse, Magdeburg und Europa (2001), 2 vol, Zabern, Mayence (catalogue de la 27e expositions du Conseil de l'Europe et exposition régionale de Saxe-Anhalt).
  35. ab Pierre Riché, Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe, Hachette 1983, p.384.
  36. Pierre Riché, Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe, Hachette 1983, p.385.
  37. Diplôme n° 146 in Ottonis II. et Ottonis III. Diplomata, sous la dir. de Theodor Sickel, MGH Diplomata, Hanovre, 1893, p. 556–557
  38. Johannes Laudage, Das Problem der Vormundschaft über Otto III, in: Anton von Euw/ Peter Schreiner (éd.), Kaiserin Theophanu: Begegnung des Ostens und Westens um die Wende des ersten Jahrtausends, pp. 261–275, et plus spécialement : p. 274.
  39. Böhmer-Uhlirz, Regesta Imperii II, 21: Die Regesten des Kaiserreiches unter Otto III, n° 1143a, p. 597.
  40. Bernard trépasse le 20 septembre 996 en Eubée, avant que son ambassade Constantinople puisse aboutir.
  41. Gerd Althoff, Die Ottonen, Königsherrschaft ohne Staat, p. 176.
  42. La lettre d'Otton III à Gerbert de Reims. Diplôme n°241 dans Ottonis II. et Ottonis III. Diplomata, sous la dir. de Theodor Sickel, Hanovre, 1893, p. 658–659
  43. abc Pierre Milza, Histoire de l'Italie, Fayard, 2005, p. 197
  44. Diplôme n°255 du 1er Octobre 997, in Modèle:MGH
  45. Böhmer-Uhlirz, Regesta Imperii II,3: Die Regesten des Kaiserreiches unter Otto III, chap. 1272a, p. 685f.
  46. Vita S. Nili, cap. 91. In: Modèle:MGH
  47. Diplôme n°285, in Modèle:MGH
  48. MGH Constitutiones 1, éd. par Ludwig Weiland, Hanovre (1893), n°24, cap. 3, p. 51, Digitalisat.
  49. Mathilde Uhlirz, Jahrbücher Ottos III, p. 292 et p. 534–537.
  50. Dithmar, Chroniques, IV, 44.
  51. Gallus Anonymus, « Chronicæ et gesta ducum sive principum Polonorum », I, 6.
  52. Cf. Johannes Fried, Otto III. und Boleslaw. Das Widmungsbild des Aachener Evangeliars, der „Akt von Gnesen“ und das frühe polnische und ungarische Königtum. Eine Bildanalyse und ihre historischen Folgen, Wiesbaden, 1989, p. 123–125.
  53. Gerd Althoff, Otto III (1996), Darmstadt, p. 144 sq.
  54. Adémar de Chabannes, 1, III.
  55. Annales Quedlinburgenses ad annum 1000.
  56. Annales Hildesheimenses a. 1000.
  57. Gerd Althoff, « Die Ottonen », p. 193.
  58. Thangmar, Vita Bernwardi, cap.23.
  59. Diplôme n°389, in Modèle:MGH [trad. par] Wolfgang Lautemann (éd.): Geschichte in Quellen 2, Munich 1970, p. 205f.
  60. Thangmar, Vita Bernwardi, cap. 25.
  61. Pierre Damien , Vita beati Romualdi, cap. 25; Brun de Querfurt, Vita quinque fratrum, cap. 2.
  62. Thangmar, Vita Bernwardi, cap. 37; Brun von Querfurt, Vita quinque fratrum, cap. 7; Dithmar IV, 49.
  63. Dithmar, Chroniques, IV, 50.
  64. Dithmar, Chroniques, IV, 54.
  65. D H II. 3: pro salute anime dilecti quondam nostri nepotis dive memorie boni Ottonis imperatoris.
  66. Annales Quedlinburgenses ad an. 1003.
  67. Knut Görich, Otto III Romanus Saxonicus et Italicus. Kaiserliche Rompolitik und sächsische Historiographie, Sigmaringen, 1993, p. 270ff.
  68. Gallus Anonymus, Chronica et gesta ducum sive principum Polonorum, éd. Karol Maleczyńsky, coll. « Monumenta Poloniae Historica NS 2 », Cracovie, 1952, p. 20.
  69. « Annales Quedlinburgenses ad annum 1001 » f.
  70. « Annales Quedlinburgenses ad an. 1002 ».
  71. Dithmar IV, 47.
  72. Bruno de Querfurt, « Vita quinque fratrum », cap. 7.
  73. Bruno de Querfurt, Vita quinque fratrum, cap. 7.
  74. Bruno, Vita Adalberti c.20.
  75. « alter mirabilia mundi dicebatur » : Cf. Annales Spirenses, MGH; Chronica Pontificum et Imperatorem S. Bartholomaei in insula Romana, MGH
  76. Cf. Wilhelm Giesebrecht, Geschichte der deutschen Kaiserzeit, vol. 1, p. 719,720f. et 759.
  77. Robert Holtzmann, Geschichte der sächsischen Kaiserzeit, S. 381f.
  78. Mathilde Uhlirz, Jahrbücher Ottos III. S. 414–422
  79. Mathilde Uhlirz, « Das Werden des Gedankens der Renovatio imperii Romanorum bei Otto III»., in: Sent. cnet. it. 2 (Spoleto, 1955) pp. 201–219, et plus spécialement p. 210.
  80. Knut Görich, « Otto III. Romanus Saxonicus et Italicus: kaiserliche Rompolitik und sächsische Historiographie » (1995), Sigmaringen , pp. 190 sq. ; p. 267 sq.
  81. Gerd Althoff, Otto III, S. 31.
  82. Gerd Althoff, Otto III, S. 172.
  83. Ricarda Huch, Römisches Reich Deutscher Nation, p. 66f.
  84. Henry Benrath, « Kaiser Otto III », p. 5.


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