Robert de Gloucester

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Robert de Gloucester[1] (vers 109031 octobre 1147Bristol), 1er comte de Gloucester, fut pendant la guerre civile pour la couronne d'Angleterre le commandant en chef du parti de sa demi-sœur Mathilde l'Emperesse et donc, l'opposant au roi en place, Étienne d'Angleterre.

Il avait toutes les qualités pour succéder à son père Henri Ier sur le trône d'Angleterre, sauf une, la légitimité. Alors que son grand-père Guillaume le Bâtard (plus tard le Conquérant) réussit à prendre le contrôle du duché de Normandie cent ans plus tôt, Robert dut se contenter d'un rôle politique secondaire.

Sommaire

[modifier] Sous le règne d'Henri Ier d'Angleterre (1100-1135)

[modifier] L'ascension de Robert

Il était l'aîné des enfants illégitimes d'Henri Ier d'Angleterre[2]. Il est généralement dit qu'il était le fils de Sybille Corbert[3], mais sa mère n'est pas connue avec certitude. Les recherches de David Crouch[2] suggèrent que sa mère était une fille de la famille Gay[4], de la petite noblesse du Oxfordshire.

Le roi reconnaît l'enfant et l'amène à la cour une fois devenu roi d'Angleterre (1100). À l'image de son père, Robert reçoit certainement une éducation importante, car il a la réputation d'un homme éduqué, écrivant le latin, et ayant un intérêt certain pour l'histoire et la philosophie. Il est donc vraisemblablement élevé dans un établissement religieux. Il devient rapidement un adepte de la politique de faction pratiquée à la cour de son père. Il est aussi mécène, soutenant notamment Guillaume de Malmesbury et Geoffroy de Monmouth qui lui dédicacent plusieurs de leurs œuvres.

Il se marie avec Mabel, fille aînée et héritière de Robert FitzHamon († 1107), lord de Gloucester, et de Sybille de Montgommery. La date la plus probable de leur mariage est 1121 ou au tout début de 1122[2].

En 1119, il combat à la bataille de Brémule contre le roi de France. Il est déjà l'un des capitaines les plus capables du roi. Ce dernier créé pour lui le titre de comte de Gloucester (1122)[5], et par son mariage avec Mabel, il obtient d'importants domaines en Normandie (Creully, Thaon, Évrecy, Torigni-sur-Vire), en Galles du sud (Glamorgan), et dans le West Country. Robert doit donc son élévation aux faveurs de son père et à un mariage stratégique. En cela, l'origine de son ascension ne diffère pas de celle d'Étienne de Blois et de Brian Fitz Count, autres grands barons anglo-normand. Le noyau central de ses terres dans le comté de Gloucester avait été formé par son beau-père[6], un membre du personnel militaire royal. L'historien C. W. Hollister qualifie Robert de « supermagnate »[7], autrement dit de très puissant propriétaire. Forte de 300 fiefs, sa fortune le place au premier rang parmi les barons anglo-normands, à un niveau proche d'Étienne de Blois, le neveu du roi Henri[8].

Le château de Cardiff rebâti par Robert de Gloucester
Le château de Cardiff rebâti par Robert de Gloucester

Il conduit une armée dans le Cotentin en septembre 1123, pour mater la rébellion menée par Amaury III de Montfort, comte d'Évreux et Galéran IV, comte de Meulan. Il est un temps chargé de garder prisonnier son oncle Robert Courteheuse, l'ex-duc de Normandie, en 1126.

[modifier] Le problème de la succession d'Henri

En 1120, le naufrage de la Blanche-Nef entraîne la mort du seul héritier mâle légitime du roi d'Angleterre, Guillaume Adelin. La bâtardise de Robert l'exclut d'une position éventuelle de successeur. « Après trois quart de siècle de réforme religieuse, il n'était plus question pour un fils illégitime d'accéder au trône, comme cela avait été le cas pour le duc de Normandie, Guillaume, en 1035 »[9]. Les barons du royaume, dont les titres et droits fonciers reposent sur la légitimité de la naissance, étaient eux aussi peu enclins à accepter un héritier illégitime[10].

En 1127, conscient qu'il ne pourra pas avoir d'enfants avec sa deuxième épouse, le roi d'Angleterre réunit les grands du royaume à Londres et leur fait jurer de reconnaître sa fille aînée Mathilde comme son successeur et de lui être fidèle après sa mort. Les barons acceptent mais avec réticence. Ils ne sont pas enthousiastes à l'idée d'être dirigés à l'avenir par une femme et son mari angevin. Henri Ier compte sur Robert pour que son souhait soit respecté.

Au début des années 1130, sur ordre du roi, il combat les Angevins de Geoffroy Plantagenêt, qui, en temps qu'époux de Mathilde, réclame une part du duché de Normandie.

À la mort du roi le 1er décembre 1135, Robert se trouve à son chevet à Lyons-la-Forêt en Normandie. C'est lui qui organise les funérailles tandis qu'Étienne de Blois traverse la Manche pour débarquer en Angleterre. Il se fait élire roi par les Londoniens puis se précipite à Winchester, siège de l'administration royale et du Trésor. Robert aurait pu avoir sa chance au trône d'Angleterre, mais son hésitation profite à son cousin Étienne qui se fait finalement couronner le 22 décembre 1135, soit trois semaines après le décès d'Henri Ier.

[modifier] Lutte pour la couronne d'Angleterre (1135-1147)

[modifier] Un ralliement tardif et limité à Étienne d'Angleterre

L'historiographie anglo-normande dépeint Robert comme un noble et preux chevalier défenseur des droits héréditaires de sa demi-sœur, mais cette image favorable est due aux écrits de Guillaume de Malmesbury, son protégé. Pourtant, les actions de Robert entre 1135 et 1139 suggèrent plutôt qu'il sert ses propres intérêts.

Le 21 décembre 1135, Robert participe au conseil de barons qui envisagent d'offrir la couronne au frère d'Étienne, Thibaut IV de Blois. Ce dernier refuse[11].

En avril 1136, après avoir traversé la Manche, Robert se rend à la cour réunie à Oxford et prête hommage hommage au nouveau roi d'Angleterre, Étienne de Blois mais c'est un hommage conditionnel[12]. Le fils du défunt Henri Ier le reconnaît roi aussi longtemps qu'Étienne promet de défendre les intérêts de Robert et de ne pas remettre en cause son rang[13]. L'adhésion, même réservée, de Robert est pour le souverain une excellente nouvelle. Comte de Gloucester, maître de Cardiff et du sud du Pays de Galles, le fils d'Henri Ier est de plus un des principaux barons de Basse-Normandie grâce à la possession des seigneuries de Creully, Thaon, Évrecy, Torigni-sur-Vire et grâce à ses fonctions de gouverneur des châteaux de Caen et de Bayeux[14]. En outre, l'un des fils de Robert, Richard, est à la tête de l'important évêché de Bayeux. Le ralliement de Gloucester s'explique peut-être par suivisme, l'essentiel du baronnage anglo-normand s'étant déjà soumis à Étienne. Par ailleurs, une révolte galloise menace ses terres en Galles du sud et ne lui donne pas les mains libres pour tenter une rébellion.

Robert assiste donc Étienne au siège d'Exeter contre Baudouin de Reviers en 1136 et l'année suivant, l'accompagne en Normandie où Mathilde trouve de plus en plus de soutien à sa cause. Cependant, du fait des faveurs accordées aux jumeaux Beaumont[15], Galéran et Robert, il se retrouve rapidement en marge du nouveau règne.

Il prend de plus en plus de distance avec le roi, en particulier à cause de l'influence grandissante de Galéran en Normandie, et de la peur d'être assassiné par les mercenaires royaux de Guillaume d'Ypres[16].

[modifier] À la tête du parti de Mathilde

C'est en juin 1138 qu'il rompt définitivement son hommage à Étienne, et qu'il prend le parti de sa demi-sœur. Le roi d'Angleterre est furieux et part assiéger le château de Caen où s'est retranché le traître[17]. Il ne réussit pas à prendre la forteresse. La guerre en Normandie s'enlisant, Mathilde avec l'aide de son demi-frère Robert, débarque le 30 septembre 1139 à Arundel en Angleterre, pour reprendre le trône à Étienne.

Important soutien matériel, Robert est le commandant militaire du parti de Mathilde. Son entremise assure l'adhésion à la cause de l'Emperesse de plusieurs aristocrates (notamment le shériff de Gloucester, Miles). Le sud-ouest de l'Angleterre (Somerset, Gloucestershire, l'équivalent moderne du Monmouthshire, Herefordshire et occasionnellement le Worcestershire)[18] s'affirme comme la base territoriale des enfants d'Henri Ier.

1141 voit la plus importante victoire du parti de l'Emperesse, puisque Étienne est capturé à la bataille de Lincoln. Le prisonnier est emmené à Bristol, la "capitale" de Robert. Mais à son tour, Robert est fait prisonnier suite à la bataille de Winchester le 14 septembre, en couvrant la fuite de Mathilde[19]. Il est gardé prisonnier à Rochester. Étienne et Robert sont échangés sans contrepartie, car bien que Robert ne soit pas roi, il est l'âme et le capitaine du parti de Mathilde.

Libre, Gloucester est envoyé en juin 1142 sur le continent demander l'appui du mari de Mathilde, Geoffroi Plantagenêt mais ce dernier est déjà assez occupé à s'emparer du duché de Normandie[20]. À défaut de revenir en Angleterre avec des forces angevines, Robert amène sur l'île le jeune fils du comte d'Anjou et de Mathilde, Henri. Si les barons rechignent à être dirigés par une femme, son fils pourrait être plus facilement accepté, tel est le calcul de Robert. Sauf que la jeunesse de l'enfant - il n'a que 8 ans - ne provoque pas les ralliements attendus.

La même année, l'évêque de Bayeux et fils de Robert meurt et Étienne en profite pour nommer à sa place son fidèle chancelier Philippe d'Harcourt. Gloucester réagit en interdisant l'accès du nouvel évêque à son diocèse tandis que ses fidèles s'emparent des biens de l'évêché[21].

Alors qu'en Normandie, Geoffroy Plantagenêt est sur la voie de l'emporter, la situation en Angleterre reste indécise. Les combats continuent. Robert affronte Étienne et son frère Henri à Wilton en 1143[22]. Il les force à la retraite, et Guillaume Martel, steward du roi, est capturé en couvrant la fuite du roi. Ce dernier est obligé de rendre le château de Sherborne pour le libérer. C'est une forte avancée pour la cause de Mathilde. Par contre, pour une raison obscure, Philippe, le quatrième fils de Robert, se déclare pour Étienne en 1144, et rejoint son parti[23]. Le père et le fils se trouvent donc dans des camps opposés.

Au début de l'année 1147, le fils de Mathilde, le bouillant Henri, âgé maintenant de 13 ans, organise une expédition pour prendre la couronne. L'adolescent rassemble une troupe de mercenaires et de chevaliers renégats puis débarque en Angleterre. Robert l'accueille à Bristol et considérant les moyens dérisoires d'Henri, le fait renoncer à son projet. Le fils de Mathilde retourne en Normandie[24].

Robert meurt le 31 octobre 1147 alors qu'il se prépare depuis Bristol à une nouvelle campagne contre le roi d'Angleterre. Avec sa mort, la cause de Mathilde subit un coup terrible, et celle-ci se retire d'Angleterre quelques mois plus tard. Henri reprendra le flambeau de sa mère, mais pour son propre compte cette fois-ci.

[modifier] Portrait

Les chroniqueurs contemporains définissent Robert comme un homme aux multiples qualités. Il fut un chef militaire réputé, ce qui explique sûrement pourquoi Mathilde le choisit pour diriger ses forces en Angleterre. Durant la guerre, il se comporta avec tempérance (on ne connaît pas d'actes cruels de sa part) et courage (il est fait prisonnier après la bataille de Winchester en couvrant la fuite Mathilde). Malgré l'abandon du camp d'Étienne en 1138, Robert est vu comme un homme fidèle et intègre.

Outre son rôle politique, le fils illégitime d'Henri est reconnu comme un personnage pieux. Le prieuré bénéditin Saint-James de Bristol où il se fait inhumé selon sa volonté et l'abbaye cistercienne de Margam en Pays de Galles ont été fondé par sa femme et lui. Sa culture ne fait aucun doute. Il était le point de focalisation d'un groupe d'écrivains qui comprenait entre autres l'historien Guillaume de Malmesbury et le romancier historique Geoffroy de Monmouth. Ils partageaient un intérêt commun pour l'histoire de leur pays et la légende arthurienne. La version révisée de la Gesta Regum de Guillaume de Malmesbury lui est dédicacée, et son Historia Novella contient un portrait élogieux du comte.

[modifier] Famille et descendance

De son mariage en 1121 ou 1122 avec Mabel de Gloucester (1090 – 1157), fille de Robert FitzHamon, lord de Gloucester, et Sibyl de Montgommery, naquirent :

Enfants illégitimes possibles :

Précédé par Robert de Gloucester Suivi par
comte de Gloucester
1121-1147
Guillaume FitzRobert

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes et références

  1. dit aussi Robert FitzRoy (fils du roi) ou Robert de Caen.
  2. abcd David Crouch, « Robert of Gloucester's Mother and Sexual Politics in Norman Oxfordshire », in Historical Research, vol. 72 (1999), p. 323-332.
  3. Sybille Corbet, fille de Robert Corbet, bourgeois de Caen.
  4. ou Gayt, Gait, probablement dérivé du surnom le Gai.
  5. Il est possible que ce soit le seul titre comtal créé par Henri Ier durant son règne. Il n'y a en effet pas de preuves formelles que Robert Ier de Meulan ait été créé comte de Leicester, même s'il possédait la plupart des terres de ce comté.
  6. J. O. Prestwich, « The Military Household of the Norman Kings », in The English Historical Review, vol. 96, n°378 (1981), p. 1-35.
  7. C. W. Hollister, « Henry I and the Anglo-Norman magnates », Reginald Allen Brown (éd.), Proceedings of the Battle Conference. Studies II, Boydell & Brewer, 1980, p. 98-99.
  8. C. W. Hollister, idem
  9. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, Rennes, Ouest France, 1998, p. 486.
  10. Christopher Teyerman, « Mathilda », in Who's Who in Early Medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 129.
  11. Robert de Torigni, Chronique, 128-129
  12. Un hommage « pour aussi longtemps que le roi maintiendra son rang intact et respectera notre accord [sur la confirmation des seigneuries, titres et charges du comte]. », rapporté par Guillaume de Malmesbury, Historia Novella. Edmund King, « Dispute Settlement in Anglo-Norman England », dans Anglo-Norman Studies XIV - Proceedings of the Battle, Boydell & Brewer Ltd, 1992, p 125.
  13. Chris Given-Wilson, Alice Curteis, The Royal Bastards of Medieval England, Routledge, 1984, p. 78.
  14. François Neveux, ibid, p. 505
  15. D'importants dons de terres et les fiancailles de Galéran avec Mathilde de Blois, la fille du roi.
  16. David Crouch, « Robert, earl of Gloucester and the Daughter of Zelophehad », Journal of Medieval History, 11, 1985, p.&nbsp227-243.
  17. François Neveux, ibid, p. 506.
  18. H. W. C. Davis, « The Anarchy of Stephen's Reign », in The English Historical Review, vol. 18, n°72 (1903), p. 630-641.
  19. François Neveux, ibid, p. 509.
  20. François Neveux, ibid, p. 512.
  21. François Neveux, ibid, p. 512-516.
  22. Chris Given-Wilson, Alice Curteis, ibid, p. 90.
  23. Chris Given-Wilson, Alice Curteis, idem.
  24. Chris Given-Wilson, Alice Curteis, ibid, p.91

[modifier] Sources

  • Chris Given-Wilson, Alice Curteis, The Royal Bastards of Medieval England, Routledge, 1984
  • Christopher Teyerman, « Robert, Earl of Gloucester », dans Who's Who in Early Medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 103-105, (ISBN 0856831328). utilisant pour source D. Crouch, « Robert, earl of Gloucester and the daughter of Zelopheliad », in Journal of Medieval History, vol. XI, n°3, 1985.