Galéran IV de Meulan

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Galéran de Meulan[1] (1104 – inhumé le 9 avril 1166, Préaux), seigneur de Beaumont-le-Roger et de Gournay-sur-Marne, comte de Meulan (à partir de 1118), vicomte d'Évreux[2] et 1er comte de Worcester (1138), fut un noble franco-normand proche des rois d'Angleterre Henri Ier et Étienne et du roi de France Louis VII.

Il était le fils aîné de Robert de Beaumont († 1118), 1er comte de Leicester et d'Élisabeth de Vermandois. Il avait un frère jumeau, Robert II de Beaumont surnommé « le Bossu ».

Sommaire

[modifier] Sous le règne d'Henri Ier d'Angleterre

Adolescents, les jumeaux furent adoptés par la cour royale peu après la mort de leur père en 1118. Attaché à ce dernier, le roi les éleva comme ses propres enfants. Lettré lui-même, il leur donna une solide éducation et les arma chevaliers en 1120[3]. Galéran avait reçu pour héritage le comté de Meulan en Vexin français ainsi que les châteaux normands de Beaumont, Brionne, Pont-Audemer et Vatteville. Il était donc à la fois vassal du roi de France et du roi d'Angleterre. Quant à son frère jumeau et cadet Robert, il reçut les possessions anglaises et le titre de comte de Leicester. Ils devinrent rapidement les principaux conseillers du roi.

Ils accompagnèrent Henri Ier dans diverses missions, d'abord en Normandie, puis à une rencontre avec le pape Calixte II, en 1119. Leur sœur Isabelle devint la maîtresse du roi.

En 1123, Galéran prit part à la rébellion menée par Amaury III de Montfort, comte d'Évreux, pour le compte de Guillaume Cliton. Ce dernier, en tant que fils de l'ancien duc Robert Courteheuse, revendiquait le duché de Normandie. La participation du comte de Meulan étonne car comme son père, il avait témoigné jusque-là d'une fidélité sans faille pour les rois d'Angleterre. Notamment, il n'avait pas participé à la précédente révolte des barons contre Henri Ier en 1118-1119. Le duc-roi débarqua donc en Normandie, brûla Pont-Audemer. Galéran, ses trois beau-frères et Amaury de Montfort s'enfermèrent dans le château de Vatteville, près de la Seine. Ils le quittèrent en mars 1124 pour se rendre à Beaumont-le-Roger mais un fidèle du roi, Ranulf de Briquessart, comte de Chester, leur tendit une embuscade sur la route, près de Bourgtheroulde, le 26 mars 1124[4], Tous furent capturés sauf Amaury et Guillaume Louvel qui parvinrent à s'enfuir. Henri Ier condamna Galéran et ses deux beaux-frères, Hugues IV de Montfort et Hugues de Neufchâtel, à l'emprisonnement. Dépouillé de ses possessions normandes, le comte de Meulan fut détenu cinq ans, d’abord à Rouen puis en Angleterre à Bridgenorth et Wallingford, parfois attaché à des chaînes.

Il fut soudainement libéré et restauré dans la faveur royale en 1129. Une des raisons possibles à ce revirement d'attitude d'Henri Ier fut le besoin de d'hommes sûrs pouvant convaincre les barons sceptiques d'accepter sa fille Mathilde comme successeur. Une autre explication serait qu'il aurait été convaincu par Isabelle, la sœur de Galéran, sa maîtresse qui avait porté l'un de ses nombreux bâtards. Tout le restant de règne du roi, Galéran fut régulièrement présent à sa cour et jouit pleinement de sa confiance.

Les deux frères étaient présents au chevet de son lit de mort. La succession était promise à Mathilde l'Emperesse, la fille du roi, mais Étienne de Blois usurpa le trône en prétendant que le roi avait changé d'avis en ses derniers instants.

[modifier] Guerre civile

S'ensuivit une guerre civile pour la couronne d'Angleterre. Les deux frères prirent alors parti pour Étienne d'Angleterre en échange d'un don important de terres et du mariage de Galéran avec Mathilde, l'une des filles du roi (âgée seulement de deux ans).

Avec ses terres importantes et ses contacts politiques en Normandie et en Île-de-France, Galéran joua un rôle central en essayant d'obtenir l'allégeance des Normands à Étienne de 1136 à 1139. Apparemment, c'est à lui que le roi confia la défense du duché face aux prétentions de Geoffroy V d'Anjou, l'époux de Mathilde l'Emperesse, et donc le gendre d'Henri Ier[5]. Il repoussa deux offensives de ce dernier et fit prisonnier Roger III de Tosny, partisan des Angevins[6]. En récompense, le roi le fit comte de Worcester en décembre 1138.

La position de Galéran à la cour d'Angleterre s'apparentait à un statut de favori du roi. Le clan des Beaumont-Meulan se heurta rapidement à une autre faction puissante : celle formée autour du justicier Roger, évêque de Salisbury. Roger faisait partie des conseillers d'Henri Ier qu'Étienne avait dû maintenir pour porter à son tour la couronne d'Angleterre. Son fils occupait la charge de chancelier. Ses neveux étaient évêques de Lincoln et d'Ely. Selon les Gesta Stephani, les frères jumeaux convainquirent le roi d'abattre le parti de l'évêque de Salisbury. En 1139, la cour royale réunie à Oxford ordonna l'arrestation des évêques et la saisie de leurs châteaux et de leurs charges[7]. Roger et son fils moururent peu après tandis que son neveu Alexandre, évêque de Lincoln put recouvrir sa chaire épiscopale mais pas ses forteresses. Étienne d'Angleterre choisit comme nouveau chancelier Philippe d'Harcourt, un proche de Galéran de Meulan[8]. Le parti des jumeaux triomphait donc auprès du roi. Leur position exclusive fut confortée cette même année 1139 par la défection de Robert de Gloucester, fils illégitime d'Henri Ier, au profit de Mathilde l'Emperesse et de son mari.

En octobre 1139, Robert de Gloucester, comte de Gloucester, attaqua Worcester, détruisant une partie de la ville et emportant un large butin. Le 13 novembre, Galéran reprenait la ville faisant de nombreux prisonniers. Il combattit avec énergie dans le Worcestershire et le Gloucestershire, là où les combats étaient les plus féroces.

En 1141, il commandait pour Étienne à la bataille de Lincoln, où le roi fut fait prisonnier. Il réussit à s'enfuir. Après plusieurs mois de résistance, Galéran, à la suite de nombreux officiers de la cour et de barons anglais, abandonna la cause du roi pour embrasser la cause de l'Emperesse[9]. Un revirement d'autant plus urgent qu'en Normandie, l'avance des Angevins menaçait ses terres. Le comte de Meulan partit pour le duché, et ne remit plus les pieds en Angleterre. Il fut accueilli par son nouveau seigneur, le comte d'Anjou Geoffroy Plantagenêt. Pour prix de sa soumission, ce dernier lui remit le château de Montfort-sur-Risle, soit une nouvelle forteresse dans la vallée de la Risle.

[modifier] Fin de carrière

Il fut bien accueilli par les Angevins, étant un guerrier et un leader reconnu, d'une lignée prestigieuse et riche. Il aida notamment Geoffroy à soumettre Rouen, la capitale ducale (1144). Le comte d'Anjou devenait ainsi duc de Normandie.

Le comte de Meulan fut absent de France de 1144 à 1145, car il partit en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. À peine revenu, il s'engagea dans la désastreuse deuxième croisade aux côtés de Louis VII de France, de l'empereur Conrad III et de Guillaume III de Warenne. Il est peu probable qu'il ait fait partie de l'expédition collatérale qui aida le roi du Portugal, Alphonse Ier à prendre Lisbonne aux Maures[10]

De retour en 1149, l'ancien favori d'Étienne d'Angleterre fut peu à peu exclu du pouvoir en Normandie. Son influence déclina avec la venue à maturité d'Henri Plantagenêt, le fils de Mathilde l'Emperesse et de Geoffroy Plantagenêt. En 1153, il fut capturé par son neveu Robert de Montfort[11],[12], qui l'emprisonna à Orbec jusqu'à ce qu'il le rétablisse dans son fief de Montfort-sur-Risle. La même année, son titre de comte de Worcester lui fut confisqué, et contrairement à son frère, il n'y eut pas de place pour lui après l'accession d'Henri Plantagenêt au trône d'Angleterre en 1154. En 1161, le nouveau roi s'empara des principaux châteaux normands de Galéran (Pont-Audemer, Beaumont-le-Roger[13]) mais il les restitua. Henri II d'Angleterre goûtait peu le soutien du comte à son ennemi le roi de France Louis VII.

Galéran de Meulan se fit moine en 1166 à Préaux, quelques jours avant sa mort.

[modifier] Portrait d'un aristocrate

Dans sa Chronique, Robert de Torigni, qui vécut à la même époque, dit de Galéran qu'il était « le seigneur le plus grand, le plus riche, le mieux allié de Normandie ». Pour ses contemporains c'était un homme qui inspirait le respect et dont on faisait l'éloge. Par ailleurs, plusieurs preuves attestent de sa haute culture. Geoffroy de Monmouth dédicaça entre autres son Histoire des rois de Bretagne à Galéran. Guillaume de Malmesbury raconte que le comte de Meulan était aussi poète. Enfin, en 1119, le pape Calixte II fut étonné par la maîtrise de la dialectique chez son frère et lui[14].

Il se montra un grand fondateur de monastères. Il installa des abbayes cisterciennes en Angleterre (Bordesley dans le Worcestershire en 1139) et en Normandie (le Valasse vers 1150) ainsi qu'un prieuré bénédictin à Gournay-sur-Marne, non loin de Paris. L'abbaye familiale de Préaux, près de Pont-Audemer, l'accueillit dans ses derniers jours.

Le personnage est parfois décrit comme un intriguant et un politicien irréfléchi. Orderic Vital, contemporain de l'homme, abonde dans ce sens. Décrivant la rébellion de 1123-1124, il présente Galéran avec les défauts de sa jeunesse (il a à peine 20 ans) : irréfléchi, intrépide, bouillant. Le moine rappelle aussi sa cruauté : en mars 1124, Galéran captura plusieurs paysans qui coupaient du bois frauduleusement dans sa forêt de Brotonne. En punition, il les estropia[15]. Mais son relatif échec politique et sa mise à l'écart finale doivent aussi être recherchés dans la situation délicate de Galéran, à la fois vassal du roi de France, du duc de Normandie et du roi d'Angleterre.

Avec Gilbert de Clare, Galéran est le plus ancien baron anglo-normand dont on possède les armes héraldiques[16]

[modifier] Familles et descendance

En 1136, il épousa Mathilde de Blois († v. 1140), fille d'Étienne, roi d'Angleterre, et de Mathilde de Boulogne, comtesse de Boulogne. Ce mariage ne donnera pas de descendants, Mathilde étant morte à l'âge de six ans.

Il se remarie en 1141 à Agnès de Montfort (1123-1181), fille de Amaury III de Montfort, comte de Monfort-l'Amaury, comte d'Évreux, et d'Agnès de Garlande.

Descendance connue :

  1. Robert II de Meulan († 1204), comte de Meulan. Marié à Mathilde de Cornouailles ;
  2. Isabelle de Meulan († 10 mai 1220), mariée vers 1161 à Geoffroy III de Mayenne, seigneur de Mayenne et vers 1170 à Maurice II de Craon ;
  3. Amaury de Meulan († vers 1180[17]), seigneur de Gournay-sur-Marne et de la Queue-en-Brie. Il épousa dame Adèle (Alix ou Aélis) de Luzarches, veuve de Mathieu II, comte de Beaumont-sur-Oise ;
  4. Roger de Meulan, vicomte d'Évreux jusqu'en 1204, épousa dame Élisabeth d'Aubergenville ;
  5. Galéran de Meulan, seigneur de Montfort ;
  6. Etienne de Meulan ;
  7. Hugues de Meulan, seigneur de Blinchefeld ;
  8. Marie de v, mariée à Hugues Talbot, baron de Cleuville, seigneur de Hotot-sur-Mer ;
  9. Amice de Meulan, mariée à Henri, sire de Ferrières ;
  10. Duda de Meulan, mariée à Guillaume de Molines.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. Son prénom s'écrit aussi Galeran en français et Waleran en anglais. Son toponyme est parfois orthographié Bellomonte. Il est parfois désigné de Wigonia relatif à Worcester en langue anglo-normande.
  2. D. Crouch pense que cette fonction fut confiée par Étienne d'Angleterre à Galéran en 1137 en récompense de ses services mais Pierre Bauduin propose un argument qui inviterait à penser que le comte de Meulan hérita de la charge vicomtale à la mort de son père en 1118. Pierre Bauduin, La première Normandie (Xe-XI{{e} siècle, Presses Universitaires de Caen, 2002, p. 353.
  3. Orderic Vital, Histoire de la Normandie, éd. Guizot, 1826, vol. IV, tome XII, p. 377
  4. Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique, XIIe siècle, , éd. Guizot, p. 373-394. Le frère de Galéran, Robert, resta fidèle au roi.
  5. Robert Bartlett, England Under the Norman and Angevin Kings, 1075-1225, Oxford University Press, 2000 p. 22.
  6. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, Xe-XIIe siècles, Rennes, Ouest-France, 1998, p. 501-506.
  7. Robert Bartlett, ibid, p. 35.
  8. Graeme J. White, Restoration and Reform, 1153-1165. Recovery from Civil War in England , Cambridge University Press, 2000, p. 23.
  9. Son frère jumeau négocia pour lui la paix avec l'Emperesse et Geoffroy Plantagenêt.
  10. Pour arriver en Palestine, plusieurs croisés anglais prirent la route de l'Océan Atlantique. Sur le chemin, ils répondirent à l'appel du roi du Portugal. Mais il semble que ce soit seulement des chevaliers de second rang qui aient pris cette route maritime. Galéran a dû prendre la route terrestre pour rejoindre le roi de France et l'empereur à Worms. Austin Lane Poole, From Domesday Book to Magna Carta, 1087-1216, Oxford University Press, 1958, p. 149.
  11. Petit-fils de Gilbert de Gand, et fils d'Hugues de Gand, dit Hugues IV, seigneur de Montfort-sur-Risle.
  12. J. H. Round, « Waleran of Beaumont », Dictionary of National Biography, 1885.
  13. Daniel Power, The Norman Frontier in twelfth and early thirteenth centuries, Cambridge University Press, 2004, p. 31.
  14. D. Crouch, The Beaumont Twins : the Roots and Branches of Power in the Twelfth Century, Cambridge, 1986, p. 207-211.
  15. Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique, XIIe siècle, éd. Guizot, p. 373-394.
  16. Bartlett, ibid, p. 247.
  17. Amaury de Meulan dut mourir en cette année 1180; il existe en effet un acte de 1180 où il figure au nombre des témoins. Il a été publié in-extenso par M. Le Prévost, au tome I, p. 212, de ses Documents et notes sur l'Eure.

[modifier] Sources

  • Christopher Teyerman, « Waleran, Lord of Meulan, Earl of Worcester », dans Who's Who in Early Medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 135-137, (ISBN 0856831328).

[modifier] Bibliographie

  • D. Crouch, The Beaumont Twins : the Roots and Branches of Power in the Twelfth Century, Cambridge, 1985.
  • Dictionary of National Biography, J.H. Round, 1885.
  • Robert Bartlett, England Under the Norman and Angevin Kings, 1075-1225, Oxford University Press, 2000, 600p. (ISBN 0199251010)