John Duns Scot

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John Duns Scot (vers 1266 a Duns - 1308 a Cologne), dit aussi John Duns Scotus en anglais, Johannes Duns Scotus en allemand et Jean Duns Scot en français, surnommé le docteur subtil, théologien et philosophe irlandais, fondateur de l’école scolastique dite scotiste. Il est appelé Maistre Jehan d'Escosse par Rabelais dans Gargantua[1].

Sommaire

[modifier] Biographie

Nous ne savons pas où il est né. Sa vie est peu connue et a donné lieu à des légendes. Il fut béatifié par Jean Paul II en 1993.

[modifier] Philosophie et méthode

[modifier] Raison et révélation

Duns Scot, comme une grande partie des philosophes de son temps, sépare nettement philosophie et théologie, mais recourt parfois à l'une pour éclairer l'autre. Néanmoins c'est la philosophie qui tend surtout à prendre le plus de place dans son œuvre, jusque dans les questions touchant la révélation. On peut ainsi dire que la pensée de Duns Scot est préoccupée de tirer toutes les conséquences rationnelles du dogme de la liberté de la création divine. Mais, rejetant tous les raisonnements censés expliquer les plans divins, il affirme le caractère arbitraire des lois instituées par Dieu : « Non quaerenda ratio quorum non est ratio. » (on ne doit pas chercher la raison de ce dont il n'y a pas de raison). Sa méthode a ainsi pu paraître purement critique à l'égard de la raison et être une forme de scepticisme.

[modifier] Connaissances en soi et par rapport à nous

Duns Scot définit la science comme l'intuition complète de l'objet de cette science, i.e. la connaissance de son essence et des conséquences qui découlent de ce principe. Mais c'est une connaissance qui n'est pas pour nous possible, et il distingue alors la science en soi et la science pour nous. Il y aura donc deux méthodes scientifiques bien distinctes :

« Le propre de la métaphysique est de fonder ses divisions et définitions sur l'essence, puis de faire des démonstrations par la considération des causes essentielles absolument premières. Mais c'est le propre de la métaphysique en soi. »

Cette connaissance a priori n'est pas possible, car :

«[...] par suite de la faiblesse de notre entendement, c'est en partant des choses sensibles et moins connues en elles-mêmes que nous venons à la connaissance des choses immatérielles qui sont en soi plus connues et devraient être en métaphysique prises comme les principes de la connaissance des autres choses. » (Questions sur la Métaphysique)

Nous ne pouvons donc partir de la notion de Dieu pour en déduire tout le reste. Rien ne nous est naturellement connu avant l'expérience qui nous vient des sens (il n'y a pas d'idée innée, ni d'intuition de l'absolu), et toute connaissance sera ainsi a posteriori.

[modifier] Division des sciences

Il divise les sciences en deux suivant leur objet : d'une part les sciences qui portent sur des êtres (mathématiques, métaphysique, physique qui sont les sciences théorétiques d'Aristote) ; d'autres part les sciences qui ont pour objet les formes de la pensée et les lois du langage (logique, rhétorique, grammaire). Dans la logique, il distingue la logique formelle (qui est une science, i.e. une théorie des démonstrations nécessaires) et la logique pratique (qui est un art de la discussion sur ce qui est probable).

[modifier] La connaissance

Aristote distinguait la sensation, qui n'existe pas sans les organes corporels (elle est donc commune à tous les animaux) et l'intellect qui en est indépendant (du moins dans l'interprétation scolastique du Philosophe)et n'appartient qu'à l'homme. Cette distinction est reprise dans la scolastique. L'étude de ces facultés pose les problèmes suivant pour la connaissance :

  • quel est le rôle de l'intellect dans la connaissance ?
  • quelle connaissance l'âme a-t-elle d'elle-même ?
  • quelle connaissance avons-nous de Dieu ?
  • quel rapport y a-t-il entre notre intellect et Dieu en tant que principe ?

[modifier] La sensation

Duns Scot admet l'existence de cinq sens externes (sièges et sujets de la sensation) et d'un sens commun interne. Il rejette le sens appréciatif de certaines théories selon lesquelles ce sens est une faculté inférieure à l'entendement, et qui ferait sentir sans juger ce qui utile et ce qui est nuisible. Il semble en outre parfois confondre en un seul sens le sens commun, la mémoire (car le temps n'est pas perçu par les sens) et l'imagination (car l'imagination complète parfois les sensations).

Les cinq sens se distinguent par leur organe ; chaque sens fait connaître des contraires du même ordre. Quant au sens commun, cause et racine des sens particuliers, et qui a sa base dans le cœur et sa terminaison dans le cerveau, il a pour objet les sensibles propres et les sensibles communs, telles que la grandeur et la figure. Il nous fait ainsi connaître les différences des sensibles d'ordres différents. Duns Scot emploie l'image du centre du cercle : le centre reçoit les informations de chaque sens qui sont à la périphérie.

Pour Duns Scot, la sensation n'est pas entièrement passive ; elle a une certaine activité (De anima, 7). En effet, s'il faut qu'un organe soit d'abord modifié pour qu'il y ait sensation, il peut y avoir des modifications sans sensations quand l'activité de l'âme est suspendue ou tournée d'un autre côté. Il faut donc que l'âme agisse avec la cause de la modification d'un organe pour que se produise une sensation.

Dans la scolastique, ces modifications des organes sont des impressions d'espèces sensibles, dont Duns Scott distingue trois sortes (De Rerum Principio, 14) :

  • l'apparence attachée à l'objet ;
  • l'espèce entre l'objet et l'organe ;
  • l'espèce formée dans l'organe.

Cette théorie doit tout d'abord être distinguée de la théorie des émanations de Démocrite et d'Épicure ; en effet, l'émanation est produite par les mouvements des atomes, et sur ce point Aristote ne se prononce pas. En revanche, la scolastique admet que la sensation soit produite par un changement dans le milieu entre l'objet et l'organe ; la connaissance n'est ainsi pas directe. Duns Scot semble cependant admettre la possibilité d'une connaissance sans milieu intermédiaire dans le cas du toucher (et cela, au contraire d'Aristote).

Il reste que la sensation nous fait connaître directement les qualités des choses telles qu'elles sont, mais cette connaissance a besoin de l'entendement.

[modifier] L'intellect

« L'intellect a des opérations propres qui le distinguent de la puissance sensitive : ces opérations sont la conception universelle, l'analyse et la synthèse, le raisonnement. » (In ium. sent. 3, 6).

L'intellect nous fait donc concevoir les espèces et les genres, les principes et les liens entre nos idées. L'objet adéquat de l'intellect est l'être en général, i.e. que toutes nos pensées se ramènent aux catégories de l'être, car tout ce que nous pensons (genre, espèce, individu, rapport, qualité) sont des êtres ou des modifications de l'être. Mais il ne nous fait rien connaître sans le secours des sens, de même que sans la possession de l'intellect et la réflexion sur ses opérations, nous n'avons pas la science mais seulement des sensations par lesquelles nous ne pouvons pas nous élever à la question de la vérité et de la réalité d'une chose sentie. Réduit à la sensation, à un état animal, nous sentons mais ne jugeons pas :

« Savoir c'est percevoir la vérité d'une chose ; tel n'est pas le rôle du sens, mais seulement de la raison. » (Ibid.)

Ainsi l'intellect reconnait-il la vérité ; mais, en outre, c'est par lui que nous acquérons la certitude sur des choses particulières. L'intellect exerce alors un contrôle sur les sens pour éviter l'erreur :

  • en comparant les données des sens, et en les rectifiant ;
  • en jugeant d'après des principes (causalité, contradiction, etc.) ce qui est possible ou impossible.

L'intellect découvre donc dans les sens ce qui est certain ; et, en conséquence, selon Duns Scot, il peut connaître directement les particuliers. « De grands hommes se sont trompés » sur ce point (i.e. Thomas d'Aquin), en affirmant que l'intellect a pour objet de connaissance immédiat l'universel dégagé de l'espèce sensible, et en suivant Aristote selon qui le particulier n'est connu que par les sens. Selon Thomas, pour déterminer ce qui individualise un être, il faut le caractériser des termes qui sont des genres (tel individu est un homme, il est théologien, il est ceci et cela, etc.), jusqu'à ce que nous soyons obligés de distinguer deux individus par leurs espèces sensibles. Or, pour Duns Scot, cette distinction par les espèces sensibles est justement un jugement de l'intellect ; c'est l'intellect qui juge de la vérité des données des sens, donc les espèces sensibles ne nous font pas connaître les individus.

[modifier] Les universaux

L'intellect conçoit les choses générales ; mais comment arrivons-nous à ces connaissances ? La connaissance des universaux implique une généralisation et la connaissance des lois : ainsi connaissons-nous à part l'idée d'animal et les qualités qu'on lui rattache. Duns Scott rejette l'idée que nous puissions connaître les universaux par un principe supérieur ou une sorte de révélation surnaturelle ; mais il rejette également l'idée que l'universalité puisse venir des sens (car ils ne saisissent que la présence d'un objet).

Il faut alors distinguer deux rôles de l'intellect, un rôle par lequel il produit l'universel, et un rôle par lequel il le connaît. Autrement dit, il faut distinguer un intellect actif et un intellect possible. L'intellect possible est la pensée qui en acte ou en puissance ; et l'intellect actif est ce qui cause la pensée. L'intellect est alors un habitus principiorum, un état des principes, ce que va expliciter la théorie des espèces intelligibles.

[modifier] L'espèce intelligible

De cette division de l'intellect en agent et possible découle en effet l'idée de l'existence des espèces intelligibles. L'espèce intelligible est définie comme le produit de l'intellect agent en transformant les données des sens ou de la mémoire. Alors que l'espèce sensible est dans l'âme et dans l'organe, l'espèce intelligible est dans l'âme, et elle est « une forme nouvelle que revêt l'intelligence. » L'universel est donc crée et pensée ; ce qui vient alors à l'intelligence, après avoir reçu des images, c'est une forme qu'elle se donne à elle-même et qui précède logiquement la pensée, et qui subsiste quand la pensée n'est plus en acte. Mais ce qui subsiste n'est pas une idée (car on saurait qu'on l'a), c'est une réalité supérieure à la pensée et à la représentation, dans la mesure où, au contraire de la pensée, elle est permanente.

[modifier] La psychologie

[modifier] La théologie

[modifier] Les preuves de l'existence de Dieu

Duns Scot pense que Dieu peut être cherché par la raison, même s'il y a une révélation, car croire ce n'est pas comprendre. Il y a donc une science de Dieu, et la connaissance que nous pouvons en avoir comporte plusieurs degrés :

  • le plus haut est la connaissance de Dieu dans son essence, mais il ne se trouve qu'en Dieu ; c'est la théologie parfaite ;
  • vient ensuite la théologie des anges et des bienheureux qui est un don de Dieu ;
  • vient ensuite la connaissance que nous pouvons en avoir par notre entendement, et que Duns Scot divise en deux :
    • la théologie humaine qui s'appuie sur la révélation ;
    • la philosophie qui se passe de l'autorité de l'Église et des livres saints.

La théologie humaine a besoin des autres sciences, mais elle leur reste pourtant supérieure par la nature de son objet. Ainsi les sciences sont-elles subordonées à la foi. La philosophie relève de la théologie et doit s'accorder avec les Écritures, bien qu'elle en soit indépendante. Que peut alors la raison naturelle pour connaître Dieu ? Puisque Dieu seul se connaît sub ratione deitatis, nous avons besoin de démonstrations.

Nous pouvons connaître qu'il y a un Dieu, i.e. un être infini et nécessaire, mais cette connaissance n'est pas la connaissance de l'essence. Nous savons que Dieu est, nous ne savons ce qu'il est. La connaissance de l'essence de Dieu nous ferait connaître a priori son existence ; en l'absence de cette connaissance, nous devons raisonner a posteriori, i.e. que nous ne formons l'idée de Dieu que d'après le témoignage des sens, et c'est en remontant de l'effet à la cause que nous pouvons fournir la preuve de son existence.

Ce raisonnement commence par la question de savoir s'il y a quelqu'être infini : utrum in entibus sit aliquid actu existens infinitum. Nous avons en effet l'idée d'un être infini, mais c'est une notion formée à l'aide d'autres notions. Dieu devra alors être conçu comme cause efficiente : puisque le néant ne peut rien produire, et qu'une chose ne peut se produire elle-même, tout ce qui est produit est produit par autre chose ; et cet autre chose, parce que l'on ne peut remonter à l'infini, doit être par elle-même et n'être pas produite. Ainsi chaque être est-il dans une série et causé par autre chose que soi, mais en dehors de cette série, il y a une cause efficiente d'une autre nature. La série contingente des êtres suppose un être nécessaire.

Cette cause première est également la fin suprême, en effet :

  • ce qui agit par soi-même, agit en vue d'une fin ;
  • la fin précède l'action ;
  • mais il ne peut y avoir de fin suprême précédant la cause première ;
  • donc la cause première et le fin suprême sont une seule et même chose.

Duns Scot propose également une preuve par l'idée de nature éminente.

[modifier] Attributs de Dieu

Duns Scot en déduit que Dieu est nécessaire, un, possède intelligence et volonté, qu'il est infini.

En effet, un être qui est par soi ne peut être produit ni détruit, c'est un être nécessaire ; cet être ne peut qu'être unique, car par quoi pourrait se différencier deux êtres nécessaires si ce n'est par quelque accident qui contredirait leur nature ? Il ne peut donc y avoir deux natures éminentes.

[modifier] Œuvres

  • Avant 1295 :
    • Parva logicalia :
      • Quaestiones super Porphyrii Isagogem
      • Quaestiones in librum Praedicamentorum
      • Quaestiones in I et II librum Perihermeneias
      • Octo quaestiones in duos libros Perihermeneias
      • Quaestiones in libros Elenchorum
  • Lectura
  • Quaestiones super libros De anima
  • Quaestiones super libros Metaphysicorum Aristotelis (Questions sur la Métaphysique, avant et autour de 1300)
  • Expositio super libros Metaphysicorum Aristotelis
  • Ordinatio (vers 1300 - 1304)
  • Collationes oxonienses et parisienses (vers 1303 - 1305)
  • Reportatio parisiensis (1304 - 1305 ?)
  • Quaestiones Quodlibetales (1306 - 1307)
  • De primo principio
  • Theoremata

[modifier] Bibliographie

La très probablement légendaire inhumation prématurée de Duns Scot a été réfutée par des franciscains du dix-septième siècle, notamment :

  • Luc Wadding, notice Authoris Vita dans Ioannes Duns Scotus, Opera omnia, t. 1, Lyon, 1639, pp. 15-16. Se lit aussi dans les Annales Minorum du même Wadding (rééd. Quaracchi, 1931, t. 6, pp. 124-131).

La première attestation connue de ce thème (vers 1400) a été publiée dans :

  • K. J. Heilig, « Zum Tode des Johannes Duns Scot », Historisches Jahrbuch, t. 49, 1929, pp. 641-645. Pour une discussion de cet article, voir Abate, Giuseppe, « La tomba del ven. Giovanni Duns Scoto (...) », Miscellanea francescana, Rome, 45 (1945), pp. 29-79, qui renvoie à Collectanea Franciscana, t. 1, 1931, p. 121.

[modifier] Notes et références

  1. Fin du chapitre XII, où Maître Jehan d'Escosse sert de caution à l'opinion que « la béatitude des héros et semi-dieux est en ce qu'ils se torchent le cul d'un oison ». Rabelais, Gargantua, ch. XII, éd. par Gérard Defaux, Deuxième édition revue et corrigée; Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre; Le Livre de Poche, Bibliothèque classique, 2003, p. 181.

[modifier] Voir aussi



Philosophie médiévale ( Modifier ce cadre)

Augustin d'Hippone · Boèce · Pseudo-Denys l'Aréopagite · Proclos · Al-Kindi · Al-Farabi . Avicenne · Averroès · Ibn Khaldoun · Maïmonide · Jean Scot Erigène · Anselme · Pierre Abélard · Albert le Grand · Thomas d'Aquin · Thomisme · Scolastique · Hugues de Saint-Victor · Roger Bacon · Bonaventure · Raymond Lulle · Mysticisme · Maître Eckhart . Duns Scot · Nominalisme · Guillaume d'Occam · Buridan · Al-Biruni · Nicolas de Cues ·