Maître Eckhart

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Le portail de maître Eckhart au prieuré d'Erfurt.
Le portail de maître Eckhart au prieuré d'Erfurt.

Maître Eckhart (né Eckhart von Hochheim en 1260 - 1327) est un dominicain, le premier des mystiques rhénans. Il étudia la théologie à Erfurt, puis Cologne et Paris. Il enseigna à Paris. Prêcha à Cologne et Strasbourg, et administra la province dominicaine de Teutonie depuis Erfurt.

Sommaire

[modifier] Biographie

Le prieuré d'Erfurt
Le prieuré d'Erfurt

L'enseignement spirituel de Maître Eckhart est essentiellement une invitation au détachement considéré comme la condition nécessaire de l'union à Dieu, et à l'enfantement de Dieu dans l'âme, fruit de la « divinisation » reçue de et par l'union à Dieu. Il s'agit d'un détachement de tout ce qui rend l'être indisponible à l'action de la grâce ; le dernier degré de ce détachement consistant même à s'affranchir de l'effort pour se rapprocher de Dieu. Il s'agit en effet moins de se décharger du poids de réalités contingentes extérieures que de cultiver et entretenir une intériorité conçue comme fragment de l'union à ce monde, autrement que le Christ, qui en sa chair humaine fut attaché au monde. Ainsi disposé, l'esprit libre, le cœur humble, toute attente ou aspiration personnelle éteinte, l'intériorité insensible à toute turpitude, Dieu ne peut faire autrement que de s'y loger, comblant cette vacuité par la félicité ; «l'homme devenant par grâce ce que Dieu est en nature. » (Maxime le Confesseur). C'est ce que l'on appelle la divinisation, thème mal connu, jugé parfois hétérodoxe, alors que remontant, outre Maxime le Confesseur à Augustin, et se prolongeant en de très grands penseurs tels que Nicolas de Cues. Cet apparent empiètement sur la puissance divine et la suspension du mouvement spontané de la piété ont été les prétextes principaux des accusations d'hérésie, confortées par des énoncés dégagées de leur contexte de prédication, le tout amplifié par le goût de formules paradoxales.

Ainsi, contre la tendance générale à l’abandon du monde, Eckhart proclame et justifie théologiquement la possibilité de réintégrer l’identité ontologique avec Dieu tout en restant dans le monde.

Il distingue le Dieu (Gott) de l’essence divine (Gottheit), en latin Deus et Deitas. Cette distinction, remise à la pointe de la théologie par Gilbert de la Porée au premier quart du XIIe siècle appelle la définition d'un tiers-terme : la divinitas. Selon l'adage « Tout ce qui est en Dieu est Dieu », alors, demanda Gilbert de la Porrée, par quoi, Dieu est-il Dieu, puisque ce par quoi on est quelque chose, n'est pas celui qu'on est ? Ainsi il introduisit la distinction entre Dieu, divinité et déité. Eckhart sans le suivre dans sa radicalité, montrera dans son ontologie sa connaissance du maître chartrain.

L’expérience mystique est vue comme le retour à la Déité manifestée dans le Christ vivant en l'âme du croyant. L’union avec Dieu est comparée à une goutte d’eau retournant à l’océan. La vocation prédestinée de l’homme est d’être en Dieu. Si le Père engendra le Fils dans l’éternité, Dieu engendre le Fils dans le fond sans fond, l'abditus mentis d'Augustin, ou Grund en moyen-haut allemand, de l’âme. Cette dernière thèse a beaucoup irrité ses adversaires, car Eckhart la formule avec le vocabulaire des béguines, affirmant qu'existe dans le fond sans fond de l'âme un quelque chose échappant au temps, à l'espace et à tout mode d'existence, un quelque chose d'éternel et de divin : une divine étincelle. La peur du panthéisme a nourri dés lors les critiques.

La difficulté de ses thèses a conduit à de nombreuses interprétations erronées de son message. Eckhart avait pour projet d'écrire une œuvre originale. À l'époque des Sommes Théologiques, il envisageait un ouvrage tripartite, combinant les commentaires bibliques et la spéculation, organisé autour de mille questions. Cet Opus Tripartitum n'a pas été achevé, et les chercheurs tentent actuellement d'en retrouver des éléments dans les œuvres qui nous sont parvenues.

Il fut accusé d’hérésie en 1326, et en 1329 les thèses extrêmes extraites de ses œuvres furent condamnées. Cependant, de l'avis de Josef Ratzinger lui-même lorsqu'il n'était pas encore pape, le procès n'a pas eu lieu, Eckhart n'est pas au sens strict du terme condamné. Il n'a donc même pas à être réhabilité. Ratzinger, après examen, n'a pas trouvé d'hérésie, mais des maladresses de langage dans ses œuvres.

On ignore la date exacte de son décès : il partit de Cologne à destination d'Avignon pour défendre ses thèses. Ensuite, sa trace est totalement perdue, ce qui ajoute encore au mystère l'entourant, puisqu'il n'a pas laissé d'autobiographie, et a restreint au strict minimum les confidences sur sa vie.

[modifier] Chronologie biographique

  • 1260 environ - naissance à Hochheim
  • Hypothèse d'étude es arts à Paris
  • 1280 - Études de théologie à Cologne
  • 1293-1294 - il commente les Sentences à Paris
  • À partir de 1294 - prieur d'Erfurt et vicaire de Thuringe. Élaboration des Entretiens spirituels « ... que le vicaire de Thuringe, prieur d'Erfurt, frère Eckhart, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, eut avec les fils spirituels qui lui posaient maintes questions pendant leurs discussions du soir», ainsi qu'il est rappelé au-début du livre.
  • 1302-1303 - Première période d'enseignement à Paris
  • 1303 - Élu prieur provincial de Saxe
  • 1306 - Nommé au chapitre de Strasbourg, dans le cadre du problème des béguines et pour dialoguer avec les partisans du Libre-Esprit
  • 1307 - Vicaire général de la province de Bohême
  • 1311-1313 - Nommé magister actu regens à Paris, il entreprend une somme théologique à ambition encyclopédique.
  • Vers 1314 - Vicaire général de Teutonie
  • 1325 - Une enquête disciplinaire traduit les premiers soupçons sur son orthodoxie
  • 1326 - Deux dominicains dénoncent certaines de ses propositions à l'inquisition
  • 1327 - Instruction du procès sur des phrases privées de leur contexte
  • 1327-1328 - Décès ; peut-être sur la route d'Avignon, où siégeait alors la Curie Pontificale
  • 27 mars 1329 - Condamnation par une bulle de Jean XXII

[modifier] Œuvres de Maître Eckhart

  • Sermons Allemands
  • Sermons Latins
  • Commentaire de la Genèse
  • Commentaire de l'Exode
  • Commentaire de l'Ecclésiaste
  • Commentaire de l'Évangile de Jean
  • Traité du Détachement
  • Traité de l'Homme noble
  • Livre de la Consolation
  • Les Entretiens Spirituels
  • Commentaire du Cantique des Cantiques (fragments)
  • Réponse aux accusations
  • Commentaire de l'Évangile de Matthieu
  • Opus Tripartitum

Un nombre important de ces œuvres sont déjà traduites en français. Les œuvres restantes sont en cours de traduction.

[modifier] L'inspiration de Maître Eckhart

  • L'influence directe d'Albert le Grand doit être considérée comme légendaire vu la date de son décès.
  • Maître Eckhart semble avoir partagé selon certains[Qui ?] une démarche spirituelle des Pères du Désert et particulièrement le concept de discernement et de "discretio" : il ne dit rien à son sujet. Beaucoup retiennent pourtant à son sujet l'influence d'Augustin, et de Denys l'Aréopagite, principalement dans toute la thématique dite "théologie négative", où ce qui est dit de Dieu est toujours au moins imparfait, au pire faux, bien qu'il soit cependant nécessaire d'apporter une parole.
  • On trouve dans «Le Miroir des simples âmes anéanties», une thématique proche de celle que développera Maître Eckhart. Son auteur, Marguerite Porète, fut brûlée à Paris le 1er juin 1310, peu de temps avant le premier séjour qu'il y fit. Or, l'inquisiteur chargée d'instruire son procès résidait dans le même couvent qu'Eckhart. Il y a de discrètes mais fermes allusions à l'ouvrage de Marguerite Porrète, Le miroir des âmes simples anéanties, et à d'autres béguines disséminées dans l'œuvre d'Eckhart.

En outre, il montre une excellence connaissance des sources habituelles de la scolastique (les Règles de Théologie d'Alain de Lille), et même du droit (décret de Gratien).

  • Si Platon est souvent cité, Aristote ne l'est pas moins.

[modifier] La postérité de Maître Eckhart

Maître Eckhart fut le fondateur de la Mystique Rhénane. Deux grands prédicateurs dominicains furent ses disciples immédiats: Jean Tauler (±1300, †1361) a prêché à Strasbourg et à Bâle. Il reste très proche d'Eckhart, tout en donnant moins de place, au moins apparemment à la spéculation, et plus à la parénèse. Henri Suso (1296-1366) à Cologne se distingue par une grande place accordée aux images et à l'imitation du Christ souffrant. Nicolas de Cues fut un lecteur attentif d'Eckhart : c'est de sa bibliothèque que nous conservons le seul manuscrit des sermons latins d'Eckhart, annoté de la main de Nicolas de Cues. Jacob Boehme dans sa vision mystique globale s'en inspire. Maître Eckhart a été cité à de nombreuses reprises par les Premiers Réformateurs, mais c'est dans la philosophie, principalement allemande, qu'il fut le plus fréquemment cité. Parmi les philosophes le citant, en soulignant ses qualités et son importance, on peut citer Hegel, qui dit le lire avec intérêt.

Au XXe siècle, le pangermanisme nazi crut possible de s'accaparer Eckhart, au moins comme l'un des fondateurs de la langue allemande et interdit à Raymond Klibansky, parce qu'il était juif, (1905-2005) d'étudier ses ouvrages. Cette tentative de récupérer Eckhart échoua, comme le note Wolfang Wackernagel, spécialiste suisse de cet auteur, il n'y a pas de traces d'antisémitisme chez un auteur qui dit toute son admiration pour Maïmonide. C'est avec Heidegger que les références sont les plus explicites. Dès son étude de Jean Duns Scot Heidegger annonce la nécessité d'approfondir la pensée du Maître Thuringien. D'après Pierre Capelle, Heidegger a cherché dans Eckhart une phénoménologie de la religion, et la pensée de l'être (ontologie) et l'attente de Dieu. L'ontologie heideggerienne, et sa pensée de l'Un, s'enracinent dans plusieurs systèmes médiévaux, dont celui d'Eckhart. Plus proche de nous, la parenté de la philosophie de Michel Henry est assez forte pour qu'une thèse et de nombreuses publications lui ait été consacrées, principalement dans le registre de l'ineffable et de l'engendrement.

[modifier] Bibliographie

  • Dom André Gozier, Prier 15 jours avec Maître Eckhart, Nouvelle cité, 2000 (ISBN 2853133702)
  • Julie Casteigt, Connaissance et vérité chez Maître Eckhart, Vrin.
  • Maître Eckhart, Roman vrai d'un épisode de la vie de Maître Eckhart, Jean Bédard, Stock, France, 1998
  • Maître Eckhart, Du miracle de l'âme, Calmann-Lévy, 1996
  • Maître Eckhart, Œuvres de Maître Eckhart - Sermons-traités, Editions Gallimard, 1992
  • Marie-Anne Vannier,«Création et négativité chez Eckhart», Revue des sciences religieuses 67/4 (1993), p. 51-67.
  • Voici maître Eckhart, éd. par E. Zum Brunn, Grenoble, J. Millon, 1994.
  • Marie-Anne Vannier,"La connaissance de soi chez Augustin et Eckhart", La France latine 132 (2001), p. 15-37.
  • Alain Dierkens et Benoît Beyer de Ryke, éd., Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec. Études sur la mystique "rhéno-flamande" (XIIIe-XIVe siècle), Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2004 ("Problèmes d'histoire des religions", 14).
  • La naissance de Dieu dans l'âme (Eckhart, Sermons 101 à 103), trad. G. Pfister, Présentation Marie-Anne Vannier.
  • Benoît Beyer de Ryke, Maître Eckhart, une mystique du détachement, Bruxelles, Ousia, 2000 (« Figures illustres », 1) [diffusion : Vrin].
  • Benoît Beyer de Ryke, Maître Eckhart, Paris, Entrelacs, 2004 ("Sagesses éternelles") [Prix Henri Davignon de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 2005].
  • Wolfgang Wackernagel, Imagine denudari. Éthique de l'image et métaphysique de l'abstraction chez Maître Eckhart, Études de philosophie médiévale n° 68, Paris, Vrin (Sorbonne) 1991. (224 pages)
  • Jean Devriendt-Denis Delattre, Répertoire bibliographique, Strasbourg, Ercal, 1997 (Bibliographie regroupant plus de 600 études disponibles en France sur les Maîtres Rhénans)
  • La naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart et Nicolas de Cues, M-A Vannier dir., Cerf, Patrimoines, 2006,
  • Hervé Pasqua, Maître Eckhart. Le procès de l'Un, Cerf, 2006.
  • Initiation à Maître Eckart "jetez-vous en Dieu" de Suzanne Eck Moniale dominicaine, edition du Cerf.
  • Reiner Schurmann, Maître Eckhart ou la Joie Errante, coll. L'expérience intérieure, Paris, Denoël, 1972.

[modifier] Liens externes