Mi-Carême au Carnaval de Paris

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Le Carnaval de Paris est d'abord et avant tout une fête féminine.
Le Carnaval de Paris est d'abord et avant tout une fête féminine.

La Mi-Carême, est, de facto, au moins depuis le XVIIIe siècle, la fête des femmes de Paris, dans le cadre du très féminin Carnaval de Paris.[1] Longtemps appelée fête des blanchisseuses, la Mi-Carême à une histoire très riche et pleine d'enseignements. Ses premières traces écrites remontent, au moins, à 1659. Un texte de Jean Loret[2] décrit la course de faquin,[3] organisée cette année-là, pour la Mi-Carême, place Royale,[4] par le Marquis de Montbrun.

Avec les jours gras, la fête des blanchisseuses est un des deux grands moments du Carnaval de Paris. Aux jours gras, défile le Bœuf Gras, à la Mi-Carême défilent les Reines.

Sommaire

[modifier] Généralités

[modifier] Les Écosseuses[5] des Halles

Écosseuses, marchandes d'oranges,[6] harengères ou blanchisseuses, les femmes sont, depuis toujours, l'élément le plus joyeux, actif et dynamique du Carnaval de Paris.

Le rôle des écosseuses apparaît dans ce passage, extrait d'un texte intitulé « Les Festes de Paris », brochure anonyme,[7] éditée vers 1749 :

...« le seul divertissement que la populace se donnoit à ses frais tous les ans tire à sa fin, le Carnaval n'a plus de mascarades, les foires de parades, il est à craindre que la tristesse ne gagne les Halles, que les Ecosseuses ont préservé jusqu'à présent; du moins si le peuple n'atteint pas aux honneurs, il est juste de l'en recompenser par des amusemens. »

[modifier] La fête femme

Election de la reine des blanchisseuses au lavoir de la rue neuve Saint-Médard, au XIXe siècle. Cliquez sur l'image, pour l'agrandir, puis l'obtenir en plus haute résolution.
Election de la reine des blanchisseuses au lavoir de la rue neuve Saint-Médard, au XIXe siècle. Cliquez sur l'image, pour l'agrandir, puis l'obtenir en plus haute résolution.

Au moins dès le XVIIIe siècle, la Mi-Carême parisienne se présente à nous comme une immense fête féminine et populaire, dont les premières héroïnes sont les blanchisseuses. À Paris, « Mi-Carême » et « fête des blanchisseuses », à un moment-donné, deviennent synonymes. Et le restent, bien après que les blanchisseuses aient cessées d'être les héroïnes "officielles" de la Mi-Carême.[8] Le défilé des reines, sur les Grands Boulevards, puis le cortège de la Reine des Reines, à partir de 1891, jusqu'aux années 1930, sont les seuls qui ont pu acquérir, dans le cadre du Carnaval de Paris, une stature considérable, au même titre que la Promenade du Bœuf Gras et la descente de la Courtille.

La fête des blanchisseuses est alors également très importante dans les banlieues de Paris, comme Boulogne, Clichy, Montrouge, et aussi en province.

Benjamin Gastineau[9] écrit, en 1855 :

Paris ne célèbre pas seule la mi-carême ; la banlieue, diverses provinces de la France la fêtent aussi. Dans beaucoup de villes, les jeunes filles et les porteurs d'eau prennent leur fête à cette époque de l'année.[10]

Cependant, son histoire n'a jamais été écrite.

Les festifs font la fête et n'écrivent pas. Les historiens écrivent et ne font pas la fête.

Les historiens ont longtemps rédigés leurs ouvrages en ignorant les femmes, à part quelques-unes. Or, la Mi-Carême est une grande fête féminine. Qui plus est, une fête populaire.

Fête, féminin et populaire, ce triple pêché de la Mi-Carême fait qu'elle est oubliée, versée aux oubliettes de l'Histoire officielle. C'est « juste » des femmes qui prennent le temps de vivre, s'amusent entre elles, chantent, dansent, boivent, festoient, se costument, élisent des reines, y ajoutent des rois et défilent...

À cette époque, c'est le seul moment où des femmes françaises votent. Elles n'acquerront le droit de vote qu'en 1945

Des milliers de femmes élisent des centaines de reines, des centaines de milliers de femmes mettent toute la ville en fête, c'est juste cela, la Mi-Carême. Toutes les blanchisseuses votent, sont éligibles, y compris les plus jeunes.

Quoiqu'il en soit, la reine des reines, celle des blanchisseuses, dont nous publions la photo, est remarquablement jolie.
Elle se nomme Henriette Delabarre. Elle a été élue par les autres reines, au scrutin et au premier tour, par une trentaine de souveraines de lavoir qui ont donné aux membres du parlement une leçon de justice en s'inclinant devant la grâce, devant la beauté de leur compagne.
Melle Delabarre a seize ans. Blonde, la taille élancée, très aimable, très enjouée, elle fera, dans sa riche parure d'un jour, grand honneur à sa corporation, et tout Paris s'apprête à lui faire cortège.
Elle habite rue des Trois-Couronnes et travaille avec sa mère, reine aussi jadis, et sa jeune sœur au lavoir Moderne de la rue Oberkampf.[11]

Le lavoir, en général, occupe alors une place essentielle dans la vie de toutes les femmes (exceptées celles qui ne lavent ni leur linge, ni celui des autres), en tant que lieu de travail, de réunion et d'échanges.

[modifier] Les blanchisseuses

À Paris, durant très longtemps existe une très importante corporation féminine, populaire et laborieuse, celle des blanchisseuses, qui travaille dans les dizaines de lavoirs et bateaux-lavoirs parisiens.

Elle est composée de personnes de condition très modeste, énergiques, faisant un travail physique et aimant bien s'amuser.

Cette corporation est très importante, pas seulement en nombre, mais aussi par sa présence quotidienne dans la rue. Car les blanchisseuses lavent, mais aussi livrent le linge. Voir ainsi passer de nombreuses femmes et jeunes filles seules, transportant du linge, fait rêver plus d'un homme sur leur passage. Le linge transporté, entre autres, permet de les identifier.

La vie des blanchisseuses et des rares hommes présents dans les blanchisseries, garçons de lavoirs qui portent l'eau et patrons, ne comporte guère de loisirs. On travaille de très longues heures, six jours sur sept, sans congés payés, retraites ou congés maladies.[12]À Boulogne, près de Paris, où l'eau est réputée très peu calcaire, on creuse des trous dans la berge de la Seine. Les blanchisseuses descendues dedans, ont le linge posé sur le sol, juste à la bonne hauteur pour le laver.[13] L'Illustration, en mars 1874, publie un dessin montrant Le marché aux blanchisseuses dans la rue aux Ours, où celles-ci vont chercher du travail.[14]

Un jour de fête et de congé, où on est mis à l'honneur... Une fois par an, la Mi-Carême c'est la journée des blanchisseuses, qui fait partie de la grande fête populaire du Carnaval de Paris.

[modifier] Origine de la féminité marquée de la Mi-Carême

« Tous nos lecteurs savent qu'il est d'usage, à Paris, d'élire à l'occasion de la fête de la Mi-Carême, une reine dans chaque lavoir ; on choisit de même une reine du (marché du) Temple et une reine des Halles.
...
 » On suppose que l'usage de ces réjouissances s'est répandu à la suite de la coutume établie dans quelques petites villes, parmi les jeunes gens, de donner le mardi gras un dernier bal aux jeunes filles. Celles-ci offraient, à leur tour, une fête le troisième jeudi de Carême.
 » De là à Paris serait venu l'habitude des blanchisseuses qui nomment une reine à cette époque, se déguisent et dansent le soir sur leurs bateaux ou dans les salles publiques.
 » Cela est certainement une tradition, un souvenir des anciens rois des métiers. »[15]

[modifier] Cooptée ou élue ?

La reine, telle qu'elle existe dans cette fête parisienne, est plus ou moins élue. Il ne s'agit pas, traditionnellement, d'élections avec liste, scrutin, etc.

Il s'agit plus d'un consensus que d'un vote.[16] Il arrive que, quand il y a vote, le nombre de participants au scrutin soit très réduit.

Une reine peut être belle et souriante, mais elle est surtout représentative. Cette fonction fondamentale de représentation la différencie de la rosière, choisie pour sa vertu et son mérite et de la miss, choisie pour sa beauté.

La reine apparaît comme un élément essentiel de la Mi-Carême, qui est une occasion de s'amuser.[17]

[modifier] Origine du cortège de la Mi-Carême

Les journaux parisiens, au XIXe siècle, insistent plus d'une fois, sur le fait que les blanchisseuses prennent la liberté, à la Mi-Carême, d'endosser les plus beaux vêtements qu'elles trouvent parmi ceux qu'elles viennent de laver.

On peut supposer que se montrer avec, en sortant du lavoir pour aller dans une guinguette, peut être à l'origine du défilé.

Il y a des bateaux-lavoirs sur la Seine et des guinguettes appréciées, aux barrières, juste après qu'on soit sorti de Paris.[18] C'est également tentant de se montrer, en passant, sur les Grands Boulevards. Comme les autres y vont aussi, on s'y retrouve ensemble, joyeusement.

Qui dit beaux vêtements, dit louage de carrosse, pour compléter le déguisement festif.

En 1895 et certainement avant cette date, les reines portent la couronne. Elles sont coiffées d'un cercle de cuivre doré.[19]

Le manteau aux armes de la ville de Paris, offert par un grand couturier, l'impressionnant char de la Reine des Reines, construit spécialement pour l'occasion, seraient les lointains héritiers, au début du 20ème siècle, de ces pratiques festives des blanchisseuses.

Char de la Reine des Reines de Paris 1909, Mademoiselle Antoinette Orlhac.
Char de la Reine des Reines de Paris 1909, Mademoiselle Antoinette[20] Orlhac.

[modifier] Spoliation et disparition de la fête des blanchisseuses

À partir de 1891, des hommes, les maîtres de lavoirs, vont spolier les femmes, les blanchisseuses, de leur fête.

Le prétexte invoqué, comme toujours en pareil cas les spoliateurs avancent masqués, sera l'efficacité et l'amélioration de la fête. Il y aura aussi l'argent, grâce auquel on récompensera, on fera plus beau, etc. Et aussi le mensonge, qui consiste à dire que la chose qu'on veut organiser, c'est la même fête "améliorée".

Le nom est le même, le conserver est rentable, incontournable, mais le but est différent.

Ce n'est plus une fête, c'est un spectacle.

Dans les années qui suivent 1891, une rivalité éclate entre les lavoirs, halles et marchés.

Exceptée une certaine Madame Massot, présidente de l'association la Renaissance des Halles,[21] les halles et marchés parisiens étaient également dirigés par des hommes. Les marchés s'emparent de la fête à partir de 1895. Puis, ils sont éliminés par le commerce parisien, représenté par le Comité des fêtes de Paris,[22] qui leur succède en 1903.

Le Comité des fêtes de Paris, à partir de 1921, se révèle incapable de gérer ce qui reste de la fête des blanchisseuses. Il discute même de l'idée de déplacer la Mi-Carême à un autre moment de l'année, situé en dehors de la période traditionnelle et où le temps serait plus doux.[23] Après diverses innovations douteuses, la fête disparaît dans les années 1930.

Elle est alors encore vivante dans les écoles. Un témoin, né en 1929, se souvient[24] que dans les écoles du 13e arrondissement, qu'il a fréquenté, enfant, un repas costumé était organisé, à la Mi-Carême. Les enfants s'inventaient leurs propres costumes, défilaient dans le quartier, couraient dans la cour de récréation, formaient des groupes, jouaient à chat-perché ou à se faire peur. Par ailleurs, Mardi Gras était également fêté.

À la Mi-Carême défile encore un très grand cortège le 28 mars 1946 et des cortèges d'enfants sur les Champs-Elysées, dans les années 1950.

Après sa disparition, la grande fête des femmes est littéralement effacée de la mémoire collective. Dans les livres, on n'en trouve aucune traces. Ceux qui l'ont conduit à disparaître, ont cherché ensuite à en effacer le souvenir.

[modifier] Histoire de la fête

[modifier] La Mi-Carême à Paris, place Royale, mars 1659

Jeudy, le Marquis de Montbrun,
En sa jeunesse un fort beau brun,
Et qui, nonobstant un peu d'âge,
Est, encor, charmant personnage,
Brave et bien fait, s'il en fut onc ;
Ledit Marquis de Montbrun, donc,
Non sans une dépense extresme,
Solenniza la Mi-Caresme,
Avec quantité de Traîneaux
Courans le Faquin[3] aux Flambeaux,
Récréation rare et belle,
En France, jusqu'alors, nouvelle.
Ce furent des Seigneurs masquez,
(Par conséquent, point remarquez)
Qui firent ce noble Exercice
Dans une spacieuse lice,
Au son de quatre Trompeteurs
Qui plaizoient fort aux spectateurs.
Ce superbe et nouveau Régale
Se fit dans la Place Royale
(Où l'on courût de tous côtez)
En prézence des Majestez,
De Monsieur,[25] de Mademoizelle,[26]
Et d'une Cour mignonne et belle,
Etans dans l'Hôtel des Hameaux,
Eclairé de bien des flambeaux,
Ajusté de meubles fort riches,
De moulures, frizes, corniches,
Dont les dedans sont embellis
De jaspes, de marbres polis,
D'or, d'argent, d'azur et d'albâtre,
D'où comme d'un Amphi-théatre,
Avec un grand contentement,
Ils voyaient tout l'êbatement.
Quantité de feux d'artifices
En augmentèrent les délices,
Qui furent admirez, cent fois,
Tant de la Cour, que du Bourgeois ;
Et pour honorer davantage
Cette Cour si noble et si sage,
La Place, durant ces beaux Jeux,
Brilloit de tant de divers feux,
Qu'on ne pouvoit, pour la soirée,
La souhaiter plus êclairée,
Y comptant, par mes propres doigts,
Des lanternes deux mille et trois.
N'ayant point d'Amy dans la Place,
Qui me voulût faire la grace
De me placer, tout en un tas
Dans chambre, sale, ou galetas.
Je montay, de fort grand courage,
Sur un chariot de bagage,
Où je pozay mon chien de cu,
Payant la moitié d'un êcu,
Auprés d'une aimable inconnüe
Qui, d'une façon ingénüe,
Me fit prézent de deux pruneaux,
Durant que couroient les Traîneaux[27]

[modifier] La Mi-Carême au XVIIIe siècle

La Mi-Carême parisienne est une très importante fête féminine depuis, au moins, le XVIIIe siècle. On en connaît une description de cette époque :

Les blanchisseuses s'élisent une reine et lui donnent un écuyer ; le maître de cérémonies ordinairement est un porteur d'eau. Le jour de la fête arrivé, la reine soutenue par son écuyer, se rend dans le bateau (le bateau-lavoir), où des menétriers l'attendent. On y danse et c'est elle qui ouvre le bal. La danse dure jusqu'à cinq heures du soir ; les cavaliers font pour lors venir un carosse de louage[28] ; la reine y monte avec son écuyer ; et toute la bande gaie suit à pied ; elle va, avec elle, dans une guinguette pour s'y réjouir toute la nuit.[29]

[modifier] La Mi-Carême en 1805

Il existe une description de cette fête en 1805 :[30]

Jeudi 21 Mars 1805 30 Ventose an 13
Dès le matin, la gaité s'est manifestée parmi les diverses classes du peuple.
Suivant un ancien usage, les blanchisseuses ont célébré la mi-carême, par des danses et des chants dans leurs bateaux.[31]
Les garçons-bouchers (1) ont promené un enfant vêtu en amour, sur un char élégant, trainé par deux moutons d'une superbe race
Le char était environné de jeunes filles à cheval, en costume de bergères, parées de guirlandes de fleurs.
Un corps de musique et de tambours précédait le cortège.
Vendredi 22 Mars 1805 1er Germinal an 13
Les bals ont duré toute la nuit du jeudi au vendredi.
Les ouvriers ont encore été réunis toute la journée du vendredi
Le bal de l'opéra a été nombreux et a produit 9.300f
L'ordre et la gaité ont régné partout.
(1)Les garçons-bouchers étaient à cheval en grand costume de bergerie.

[modifier] Jeanne Sauterie, reine de 1830 à 1847

Les blanchisseuses élisent leur reine, pour la Mi-Carême.[32] Nous connaissons le nom d'une d'entre elles.

Un article du journal Le Rappel, du 23 novembre 1875,[33] fait l'éloge posthume de Jeanne Sauterie, « la plus belle des blanchisseuses, dont elle a été dix-sept fois la reine »  :

Jeanne Sauterie, qui était admirablement jolie, était en 1830 âgée de dix-huit ans. Malgré les propositions de toutes sortes que lui firent ses admirateurs, elle resta sage et se maria.
Tous les ans, quand venait la fête des blanchisseuses, Jeanne Sauterie trônait en haut du char classique, vêtue en Diane chasseresse. Comme elle était extrêmement économe, le même costume lui a servi pendant ses dix-sept ans de royauté !

Cet article nous indique donc, que Jeanne Sauterie est la reine des blanchisseuses, de 1830 à 1847.

[modifier] La Mi-Carême en 1864

Deux éléments, intéressants à relever ici. À l'époque, la messe fait partie de la journée de fête de la Mi-Carême. Et la pluie battante n'arrête pas les fêtardes :

—La pluie presque continuelle qui avait signalé la journée et la soirée d'hier, a redoublé aujourd'hui de grand matin. Cela n'a pas empêché les reines choisies dans les lavoirs et les blanchisseries, de se rendre en grand équipage à la messe et de faire ensuite leur promenade sur les boulevards, dont l'aspect était assez triste, sous l'influence d'une pluie battante.[34]

[modifier] Description de l'élection des reines, en 1868

En 1868, Timothée Trimm explique [35] comment une blanchisseuse devient reine de son lavoir ou bateau-lavoir :

Si chaque lavoir a sa souveraine, il s'en suit que nous pourrons compter des reines par centaines, dans ce Paris d'aujourd'hui tout plein de gens en habits de fêtes.
Et j'ai appris comment l'élection se faisait généralement.
On ne vote pas, on complote, on convient à l'avance, dans un lavoir, quelle sera la souveraine de la Mi-Carême.
Il y a souvent 100, 120 et 150 lavandières dans un lavoir ; on voit que le choix parmi les postulantes ne manque pas...
Un beau matin, quinze jours avant la Mi-Carême, une jeune laveuse arrive à sa place.
Et voit un bouquet déposé dans son modeste baquet !...
C'est le signe de son avénement prochain ; c'est la marque qu'elle a été choisie dans son lavoir ou bateau de blanchissage... pour représenter gracieusement la communauté.
On rit, on chante, on danse le soir à son heureux avénement.
Les pratiques elles-mêmes sont souvent invitées à ces fêtes où règne une aimable gaieté.
La Reine choisit son Roi, et le jour de la Mi-Carême, c'est ce monarque bénévole qui la vient chercher pour la conduire en pompe dans Paris.
Devant chaque Reine flotte la bannière de la localité qu'elle représente.
Je viens de voir passer la bannière portant Lavoir Bellefonds, la Reine est fraîche comme un linge fin, elle a les yeux plus ressemblants au saphir que le bleu qu'elle emploie à certains blanchissages.

Il apparaît donc que la reine est cooptée, élue par une sorte de comité restreint et non sujette aux suffrages d'une assemblée. Ce qui changera, par la suite.

Ici, la reine choisi son roi. Comme il n'y a pratiquement pas d'hommes dans le lavoir, il arrive aussi que, d'office, un porteur d'eau ou le patron du lavoir soit couronné.

Un journal parisien[36] écrit, le mardi 23 février 1869 :

Que d'ambitions satisfaites dans la journée d'hier ou bien qui le seront dans celle de jeudi prochain ! Plus de cent royautés vacantes auxquelles il a été pourvu.
Rien de la politique bien entendu : ce sont les sociétés de blanchisseurs, les bateaux (les bateaux-lavoirs) et les lavoirs qui ont fait leurs élections en vue de la mi-carême et qui ont fixé les cotisations et organisé leur journée de plaisir.

Après 1870, les problèmes internes aux bouchers parisiens[37] font disparaître, pour longtemps,[38] le cortège de la Promenade du Bœuf Gras].

Seule restent en lice les cortèges informels (celui du Moulin Rouge, par exemple, qui défile pour le Mardi Gras et la Mi-Carême 1892)[39] et, bien sûr, les cortèges des lavoirs.

[modifier] La reine des blanchisseuses de Paris, en 1878

Un banal fait divers, sans rapport direct avec le Carnaval, survient en 1878, sur les lieux où les blanchisseuses de Paris viennent de choisir leur reine.

Ce qui fait que le journaliste qui rapporte l'affaire, nous informe en passant sur ce qui nous intéresse ici :

Les blanchisseuses de Paris étaient réunies au lavoir de la rue Balagny, dans le but de nommer leur "reine" pour la fête annuelle de la mi-carême.
Après le vote, souper[40] et sauterie, où ne se trouvaient mélés à l'élément féminin que quelques amis et quelques employés des lavoirs.

[modifier] La Belle Lurette, en 1880

En 1880, Jacques Offenbach fait de la Belle Lurette, blanchisseuse de Paris, l'héroïne de l'opéra-comique du même nom.

Le clou de celui-ci est le défilé des blanchisseuses pour la Mi-Carême, qui se déroule sur scène.

[modifier] La Mi-Carême en 1882

Un poème, publié en mars 1882,[41] nous donne d'intéressantes précisions sur la fête des blanchisseuses.

Il existe, sans doute, comme dans d'autres Carnavals, des cris propres au Carnaval de Paris, « Ohé ! », en est peut-être un.

Jeanne Sauterie, reine des blanchisseuses, de 1830 à 1847, se costumait en Diane. En 1882, les blanchisseuses affectionnent, toujours, les costumes mythologiques : Minerve, Vénus.

Le troisième quatrain indique la présence de musiciens, sur les chars des blanchisseuses.

La pratique consistant à « emprunter », les vêtements des riches, pour se costumer, est rappelée, au quatrième quatrain.

Le sixième quatrain évoque la reine des blanchisseuses. Le poète parle d'une personne précise, sans la nommer.

Jeanne Sauterie a été reine des blanchisseuses durant 17 ans. Il s'est passé 35 ans entre la fin de son règne et 1882. Les blanchisseuses paraissent fidèles à leur reine. Une fois choisie, elle est reconduite dans sa fonction pendant longtemps. On peut supposer que la « commère aux airs farceurs » de 1882, est la troisième reine depuis Jeanne Sauterie.[42] Trois reines, depuis 1847, totalisant, chacune, un règne d'environ douze d'ans.

Le huitième quatrain nous indique que la reine des blanchisseuses porte une couronne.

Soyons gais ! C'est la Mi-Carême !
Crions : Ohé ! tous à la fois,
Et regardons passer la crème
Du tuyotage et de l'empois !
C'est la fête des Blanchisseuses
On va contempler les bras nus
D'un tas de petites noceuses
Figurant Minerve ou Vénus.
Sur les chars où toute la clique
Dès le matin se cramponna,
Nous entendrons cette musique
Qui fait rêver à Namouna,[43]
Les dames plus ou moins bien mises,
Les messieurs plus ou moins exquis,
Auront emprunté les chemises
Des duchesses et des marquis.
Mais, sans faire de la politique,
Le Français est toujours tenté,
Même au sein de la République,
De célébrer la Royauté.
Les blanchisseuses ont leur reine,
Une commère aux airs farceurs,
Qui recevra, l'âme sereine,
Les hommages des blanchisseurs.
Qu'elle risque un simple sourire,
Et la foule va se presser ;
Un geste ? Et le peuple en délire
Tombe en ses fers... à repasser.
Et le soir venu, la matrone,
Cédant aux vœux du plus malin,
N'a plus qu'à jeter sa couronne
Par-dessus le premier moulin.
C'est bien ! Mais la reine idéale
Serait celle qui, proprement,
Saurait laver le linge sale
De notre cher gouvernement !

[modifier] La Mi-Carême en 1887[44]

Les Parisiens en général et plus particulièrement les blanchisseurs et blanchisseuses, pour qui la Mi-Carême est le jour de fête par excellence, ont eu une désagréable surprise, hier matin, à leur réveil.

La neige était tombée en assez grande abondance, pendant la nuit, blanchissant le toit des maisons et le sol des rues; le temps semblait pris irremédiablement pour toute la journée.

Malgré le mauvais état de la température, la Mi-Carême n'a pas laissé cependant d'être très animée.

Comme cela a lieu tous les ans depuis plusieurs années, c'est spécialement autour de l'hôtel du Petit Journal, rue Lafayette et place Cadet, que l'animation a été plus vive dans Paris et que l'entrain a été le plus grand.

L'entrée de l'hôtel avait été décorée avec beaucoup de goût par M. Storm, propriétaire du Jardin d'hiver de la rue Milton.

Le vaste hall, qui vient d'être construit dans l'immeuble récemment annexé à notre hôtel pour l'agrandissement des services du Petit Journal, a servi hier à la réception des nombreux amis qui sont venus nous faire leur visite annuelle.

Le lavoir du boulevard de la Villette, numéro 80, est le premier dont nous ayons reçu la visite, vers deux heures de l'après-midi. Nous avons demandé au roi, M. Montorier, et à la reine, Mme Cartin, si le mauvais temps n'allait pas décourager les blanchisseuses.

—Les blanchisseuses, voyez-vous, monsieur, nous a répondu la reine, comment voulez-vous qu'elles aient peur de l'eau ?...

En fait, rien n'a découragé les blanchisseuses et jamais Mi-Carême n'a été plus brillante, au Petit Journal tout au moins.

Le lavoir de l'Espérance, rue de Belleville, 15, est le second dont nous avons reçu le roi et la reine, M. Loubière et Mme Dru, qui nous ont remis un très beau bouquet.

Un grand char à cinq chevaux, avec musique, a ensuite amené M. Lagache et Mme Lambert, le président et la reine du lavoir Saint-Pierre, rue de Tardieu, qu'accompagnaient Mesdemoiselles Rosine Séquet, Marie Rousseau et Adèle Roudier, trois jeunes filles costumées en trois couleurs.

Le lavoir Saint-Jean, rue Tandon, arrivé à la suite, avait aussi, pour représenter les trois couleurs, Melle Marie Fricher et Mesdames Michel et Soules. Le roi était M. Simon et la reine Mme Weller.

Des sonneries de trompes ont annoncé l'arrivée du lavoir Jeanne d'Arc, rue Patay, venu dans un char à quatre chevaux, avec son roi M. Rognion, et sa reine Mme Piot.

Deux charmantes jeunes filles, Mesdemoiselles Julia Evrard et Louise Buque sont venues nous offrir deux splendides bouquets, au nom du grand lavoir Sainte-Marie, 127, faubourg du Temple, dont le roi est M. Fouillet et la reine Mme Buque.

Le patron de ce lavoir, M. Digard, nous a, en outre, remis une somme de dix francs pour les pauvres.

Le lavoir Sainte-Marguerite, de la rue du même nom, a versé également entre nos mains la somme de vingt francs au profit de la caisse des écoles du onzième arrondissement, par l'intermédiaire de leur jeune roi et reine M. Normand et Melle Gavanier.

A ce moment, une très belle cavalcade, organisée par le Biberon-Robert,[45] a défilé vers trois heures et demie, dans la rue Lafayette. Le ciel s'est un peu éclairci, et, tout aussitôt, une foule considérable s'est massée autour de l'hôtel du Petit Journal, entravant toute circulation.

Deux mousquetaires à cheval, précédant les landaus et un char renfermant un orchestre de douze musiciens, nous ont annoncé l'arrivée du lavoir de Jouvence, rue d'Avron. La reine, Mme Joseph Petit, fêtait en même temps ses noces d'or et le roi était M. Gustave François.

Après une sérénade donnée par les Amis de Saint-Hubert, est venu le lavoir Sainte-Marthe, dont M. et Mme Vognin étaient roi et reine, avec leur demoiselle d'honneur Melle Simone Zelea.

Le lavoir d'Orléans, de la rue Bisson, nous a présenté son roi M. Sandoz, et sa reine, Melle Failly, accompagnés de Mesdemoiselles Marie Clévenot et Louise Leroy, l'une demoiselle d'honneur, et la seconde fort bien costumée en République.

Deux chars à cinq chevaux, avec une musique de dix-sept exécutants, ont amené en même temps le lavoir Saint-Jean, rue de Belleville. M. Charles Ridel et Melle Levrey étaient roi et reine, ayant comme garçon et demoiselle d'honneur M. Etienne Collas et Melle Vilzinski, accompagnés de M. Berthe, patron du lavoir.

M. Ancien, patron du lavoir de ce nom, situé 32, rue de Belleville, nous a remis peu après le produit d'une collecte faite au profit des pauvres et montant à 25 francs. M. Ancien était roi et Mme Bacot reine de ce lavoir.

Trois landaus du lavoir de la rue du Buisson-Saint-Louis ont amené M. Eugène Martin et Melle Delahaye, roi et reine, qui ont eu la gracieuseté de nous offrir un splendide bouquet.

Après le passage de la ménagerie incohérente, dont le dompteur et les animaux férôces renfermés dans une cage ont obtenu le plus vif succès dans Paris, sont venus simultanément le bateau-lavoir de la Villette et le bateau-lavoir de la Gare-Carré.

Le premier avait comme roi et reine M. Jules et Mme Etévé; le second M. Benoist et Mme Gigon.

Une musique nous annonce l'arrivée du lavoir de la rue Germain-Pilon, ayant pour roi M. Déglise et pour reine Mme Noirel.

Après la visite d'une jeune cantinière, Melle Églantine Grosca, qui nous a remis un franc pour l'œuvre de la Bouchée de pain, la société de la Mi-Carême d'Arcueil-Cachan, le pays par excellence des blanchisseurs, s'est présentée à notre hôtel, accompagnée de la musique des Touristes montrougiens, dirigée par M. Millard.

Un immense tambour-major, M. Ernest Legorgu, menait cette société, pleine d'entrain, dont le roi et la reine sont M. et Mme Louis Lorrain.

Un bal s'est improvisé dans notre hall. Il aurait pu durer longtemps, si le trajet n'avait été si long pour retourner à Arcueil.

Après une sérénade des Trompettes de Paris, le défilé a été clos par la société la Républicaine, de Charonne, qui avait organisé une charge très réussie en imaginant le lavoir des rosiers à Nanterre.

En somme, charmante journée, bien faite pour resserer les liens amicaux qui unissent le Petit Journal et ses lectrices, tout aussi bien que ses lecteurs.

Dans la soirée, la société en formation, l'Espérance, est venue nous sonner de brillantes fanfares.

[modifier] La Mi-Carême en 1890

Une encyclopédie,[46] à son article « Carnaval », décrit la Mi-Carême :

« La mi-carême. Il était déjà d'usage au XVe siècle de fêter la mi-carême. On élisait des rois et des reines, qui après une promenade triomphale dans les rues, donnaient à danser à leurs sujets d'un jour. À Paris, c'était le jour consacré où l'on faisait embrasser aux nouveaux apprentis la Truie qui file, sculptée à l'encoignure de l'une des maisons du marché aux poirées. On heurtait fortement le nez des malheureux contre la pierre et ce spectacle soulevait les rires et les quolibets des badauds ameutés. Plus spécialement, les harengères[47] se distinguèrent dans la célébration de la mi-carême. Aujourd'hui, ce sont les blanchisseuses qui continuent la tradition, élisent des rois et des reines, parcourent Paris sur des chars et dansent éperdûment toute la nuit. »

[modifier] Élections au lavoir, en 1891[48]

Dans l'atmosphère âcre de la coulerie, à travers la buée qui monte de la cuve, et la pluie de goutelettes d'eau distillée retombant des poutrelles du toit ; tout le long de la grande salle où s'alignent les baquets, où gicle l'eau chaude ; au plein du travail, quand les brosses frottent énergiquement ; à l'heure du déjeûner sur le pouce, on sentait, ces jours derniers, qu'il se passait quelque chose. Il s'agissait d'élire un roi et une reine. Que de compétitions, que de diplomatie, que de faux fuyants ! Donner sa voix, n'est pas une petite affaire. Déjà quand il est question d'un député... donc pour un roi !
Enfin ! il a bien fallu aboutir. Du reste, au lavoir comme ailleurs, il est des personnalités qui s'imposent. Au parlement, on dit de certains de nos représentants qu'ils sont ministrables ; il y a des rois de race dans le savon et la lessive. Ici, c'est le patron de l'établissement, un bon gros qui ne refoulera pas sur la question des litres — toute gloire se paye ! — là on s'arrêtera à un garçon de coulerie, jarret infatigable et, dit-on, un cœur d'or. Reste la reine. Branche aînée ou branche cadette ? La forte commère qui tiendra tête au roi, premier modèle, ou la jeune femme plus délurée, qui formera un joli couple avec l'élu genre numéro deux ? Si ce sont les vieux partis qui l'emporte, si l'on plaide la cause de la raison, en convenant qu'il faut se faire représenter par quelqu'un « ayant de la tenue » alors nous aurons le duo solennel, redingote et robe de soie noire, à peine un bouquet, et un grand cordon en bandoulière. Les freluquets — la partie un peu antique du lavoir traite ainsi la jeunesse — abordent plus aisément le costume.

[modifier] Le tournant de 1891

Parlant du cortège de la reine d'un lavoir parisien, l'Illustration écrit, en 1891 :[48]

Le char est parti au grand trot, les cors emplissent l'air de leurs éclatantes fanfares, les gamins suivent en criant, les curieux s'amassent, le boulevard[49] envahi représente une mer humaine. Cinq cent mille spectateurs attendent cinquante ou soixante chars ! Et l'on est content, et l'on rit à qui mieux mieux ! Parce que les grandes pensées, les réflexions amères ont besoin d'être coupées de temps en temps par un vent de folie. c'est humain.
Autrefois[50] les chars se répandaient par la ville à leur gré. On a voulu cette fois les réunir en cortège officiel et stimuler le zèle des organisateurs par une distribution de primes.
Ce sera-t-il plus gai, étant plus beau ? C'est à voir. Mais on ne s'ennuyera pas tout de même ce jour-là dans le monde des lavoirs. Après la promenade, banquet, toasts nombreux au roi et à la reine ; après le banquet, bal ; après le bal, les huitres et la soupe à l'oignon pour se reconforter. Vingt-quatre heures de sommeil par là-dessus, et il n'y paraîtra plus.

[modifier] Apparition de la Reine des Reines de Paris, en 1891

En 1891, le président de la chambre syndicale des maîtres de lavoirs, Morel, prend l'initiative de fédérer les cortèges des lavoirs parisiens et apparaît alors la première Reine des Reines de Paris.

Le jour de la Mi-Carême, tous les cortèges, ou tout au moins un grand nombre d'entre eux, convergent, pour défiler de concert. Place du Château d'Eau,[51] ils sont photographiés. Le plus beau char reçoit une médaille d'or. Le succès est immense.

Les facétieux étudiants des Beaux-Arts en profitent pour se joindre au cortège avec le char du lavoir des Beaux-Arts ![52]

L'année d'après, pour la Mi-Carême, l'évènement est reédité, toujours avec un grand succès et avec la Reine des Reines suivante.

[modifier] Quelle organisation pour quelle fête ?

En 1892, un journal parisien[53] écrit :

Voici la Mi-Carême : il n'y aura pas de char promenant dans les environs et sur les grands boulevards la reine élue. Depuis deux ans, par tristesse, cette coutume est tombée en désuétude.

On peut supposer que « la reine élue » et sa cavalcade, dont il est question ici, c'est une reine et une cavalcade, émanation des blanchisseuses elles-mêmes, évincées par une "reine et une cavalcade des blanchisseuses", émanation de la chambre syndicale des maîtres de lavoirs.[54]

La fête des femmes dans le cadre du Carnaval de Paris, avec l'élection et la cavalcade des reines des blanchisseuses, organisées par les intéressées elles-mêmes, disparaît. Son nom et son prestige sont usurpés par d'autres qui l'ont remplacé par un spectacle.

[modifier] Raisons possibles du changement

Plusieurs raisons peuvent être envisagées :

Simplement souhaiter transformer la Mi-Carême en spectacle de prestige, vitrine publicitaire.

Réduire l'espace que les femmes contrôlent.

Dans les années 1890 et autour d'elles, la pression des femmes pour acquérir de nouveaux droits, espaces d'expression et liberté, connaît des avances significatives, même en termes symboliques.

En 1897, par exemple, pour la première fois, une femme intègre, comme élève, l'Ecole des Beaux-Arts].

On débat de la possible entrée des femmes en politique.

Devant l'avancée féminine générale, les hommes qui dirigent les lavoirs, ont pu, en reaction, souhaiter priver les femmes de la maitrise de la Mi-Carême.

Ils ont pu aussi liquider le réseau des reines, échappant au contrôle des maîtres de lavoirs, pour prévenir sa possible transformation en réseau revendicatif.[55]

[modifier] Les femmes exclues de l'organisation de leur fête

Extrait du programme de 1892[56] :

Programme de la fête populaire de la Mi-Carême 1892
Approuvé par la Reine des Reines Mademoiselle Henriette Delabarre
Comité :
Président d'honneur : M.Villard, Président de la Société centrale du Travail professionnel. — Président : M.Morel, Président de la Chambre syndicale des Lavoirs de Paris. — Vice-Présidents : M.Rancès, vice-président de l'Association des Étudiants ; M.Merwart, de l'Association des Étudiants[57] ; M.Rémy Leroy, vice-président de la Chambre syndicale des blanchisseurs. — Secrétaires : MM.Semichon,[58] Bailly, Isoard, Gaston Mayaud. — Trésorier : M.Raynal, Maître de Lavoir. — Commissaires : Vacquerie, Muller. — Membres du Jury : MM.Gastiné, Schwob, Dehaître, Lamothe, Cuau, Delaroch, Denterbecq et les Délégués de la Presse Parisienne.
Eugénie Petit, Reine des Reines de Paris 1893.
Eugénie Petit, Reine des Reines de Paris 1893.[59]

[modifier] La fête réduite à un spectacle

Le Journal illustré écrit, le 3 avril 1892 :

Cette journée (de la Mi-Carême), à Paris, pourrait s'appeler, ad libitum, la journée des blanchisseuses, son titre officiel, ou la journée des confetti, ou encore la journée des bousculades.
Dans tous les cas la gaîté en a été le principal élément, et si l'effervescence joyeuse du public a revêtu parfois un caractère quelque peu brutal, il en faut peut-être rendre responsable le splendide soleil de mars qui semblait avoir exercé largement son action sur le cerveau des Parisiens.
La grande attraction de la journée était le cortège organisé en l'honneur de la reine des reines des blanchisseuses, Melle Henriette Delebarre, dont nous avons publié le portrait.
Grâce à de généreuses subventions, les promoteurs de cette promenade carnavalesque ont pu arriver à un fort beau résultat et le défilé des chars, corps de musique et groupes de travestis dont se composait l'importante escorte de la reine des reines, a obtenu un succès mérité.

[modifier] 1893 : convergences sociales

Le 9 mars 1893, sur les Grands Boulevards, défilent pour la Mi-Carême, plusieurs cortèges : de la reine des reines, de la reine du Temple,[60] de la reine du syndicat (de l'Alimentation parisienne). A ces cortèges se joint celui des étudiants de Paris, avec l'armée du chahut. Son succès est immédiat. [5]

À la Mi-Carême suivante, le 1er mars 1894, les étudiants sont toujours présents dans la fête.[61] On remarque, dans leur prestation, les chats mousquetaires à cheval d'Alfort, la rosière du XXIe arrondissement de Paris (un jeune homme travesti), etc.

Ainsi, à la Mi-Carême, à partir de 1893, les extrémités sociales se touchent. Défilent ensemble, les étudiants, issus de familles privilégiées, les employés des marchés et de l'alimentation et les femmes des lavoirs, représentants les couches populaires les plus modestes.

[modifier] Programme de la Mi-Carême des étudiants de Paris, en 1895[62]

Le comité central des étudiants vient d'arrêter, en ce qui le concerne, le programme de la cavalcade de la Mi-Carême.
Rendez-vous place de la Sorbonne. Départ à onze heures pour le boulevard Saint-Michel, les rues de Médicis et de l'Odéon, le boulevard Saint-Germain. Fusion, au Cours-la-Reine, avec la cavalcade des blanchisseuses.
À l'arrivée du cortège, place de l'Hôtel-de-Ville, simulacre d'une course de taureaux, défilé devant le char de la reine des reines et rentrée au quartier latin.
Le soir, place du Panthéon, autodafé du "Prince Carnaval" ; à sept heures, grand dîner fraternel à l'hôtel des Sociétés savantes, rue Serpente, et grand bal auquel la reine des reines est invitée.

[modifier] Rivalités pour un titre

Eugénie Barbier, Reine de la Renaissance des Halles, en 1900 et 1909.
Eugénie Barbier, Reine de la Renaissance des Halles, en 1900 et 1909.[63]

Ce que Morel n'avait sans doute pas prévu, c'est qu'en créant une Reine des Reines, il allait faire naître une concurrence avec les marchés parisiens, pour la possession du titre.

Les marchés s'en emparent, à partir de 1895. Puis, en 1903, c'est au tour du Comité des Fêtes de Paris, organisme privé,[64] dirigé par Léon Brezillon, de se saisir de l'organisation de la Mi-Carême.

L'élection échappe aux femmes. Ce sont des journalistes, députés, élus de Paris, de sexe masculin, qui choisissent la reine.

La popularité de la Reine des Reines reste immense. Elle est reçut à l'Hôtel de ville, la préfecture de Police, l'Elysée et acclamée par quatre cent mille parisiens !

[modifier] 1904-1905 : échanges franco-italiens

La Reine de Turin, à droite, accueille les Reines de la Mi-Carême parisienne, Turin 1904.
La Reine de Turin, à droite, accueille les Reines de la Mi-Carême parisienne, Turin 1904.

La popularité de la Reine des Reines, vers 1900, a franchi les frontières.

À l'époque, c'est une élue des marchés parisiens. Ce serait à son exemple que d'autres reines apparaissent dans le monde.[65]

Ce qui est certain, en tous cas, c'est qu'en 1902, de grandes fêtes sont organisées au célèbre marché de Porta Palazzo, à Turin. Bien qu'ayant un caractère carnavalesques, elles ont lieu en septembre, loin de la période du Carnaval. Est élue, à cette occasion, la première reginetta palatina,[66] Margherita Rosa.[67]

À l'initiative du journal turinois satirico-humoristico-politico-sociale « Il Fischietto »,[68] en septembre 1904, la Reine des Reines, avec d'autres reines de la Mi-Carême parisienne, participent aux fêtes de Porta Palazzo.[69]

C'est un voyage fabuleux pour l'époque et pour des reines d'extraction très modeste.[70]

C'est le début d'une période de dix ans d'échanges internationaux, entre la Mi-Carême parisienne et des villes d'autres pays que la France.

L'annonce de la participation italienne à la fête à Paris, en 1905, galvanise les Parisiens et amène la réunification de la Mi-Carême parisienne, qui s'était divisée, avec une Reine des Reines de la rive gauche et une Reine des Reines de la rive droite de la Seine.

Le 23 décembre 1904, « M. Brezillon a exposé au préfet (de Police Louis Lépine) la fusion des deux comités, suscitée surtout par le désir de faire mieux que ce qui a été fait jusqu'alors, en unissant les ressources, les efforts et les initiatives pour pouvoir organiser une réception grandiose aux délégations des halles et marchés de Turin et aux commerçants des grandes villes italiennes qui se joindront à elles. »[71]

Une délégation parisienne est invitée au Carnaval de Milan, en 1905.[72]

A la gare de Turin, Torino Porta Nuova, le 28 mars 1905, à 0 heures 20, une foule énorme acclame le convoi de douze voitures, attelées de deux locomotives, qui part vers Paris.[73]. Trois cents Italiens, de Turin et Milan, partent participer aux fêtes de la Mi-Carême 1905. A leur tête se trouvent la reginetta palatina Rosina Ferro-Pia, reine du marché de Porta Palazzo et Maria Nulli, reine des marchés de Milan.

Dans le programme pour les fêtes de la Mi-Carême 1905[74] est indiqué qu'il est prévu, que le 30 mars, défileront dans la grande cavalcade des marchés, lavoirs et cortège allégorique des syndicats de l'Alimentation parisienne 40 chars et 2000 figurants.

Ce jour-là, la cavalerie du Wild West Show, le célèbre cirque de Buffalo Bill,[75] arrivé la veille de la fête à Paris, rejoint le cortège et l'accompagne ensuite :

Mais une surprise nous était réservée : Buffalo-Bill nous envoyait quelques-uns de ses meilleurs cavaliers, qui venaient se joindre au cortège à la place de la Concorde, et ce fut le plus beau défilé, où, après les Peaux-Rouges, superbement empanachés, on vit cosaques, gauchos et cowboys, sans oublier une batterie d'artillerie anglaise, qui représentait sans doute quelque entente cordiale.[76]

Le soir, les reines, avec leur suite officielle, sont reçues à l'Hôtel de ville et à la préfecture de police.

Puis l'on se sépare, un peu ahuris d'avoir accompli, avec quelques bigophones, des légumes grotesques, des seigneurs Louis XIII et des jolies filles, de si grandes choses sans s'en douter.[77]

Le lendemain soir, une retraite aux flambeaux de la gare de l'Est à l'Observatoire, rassemble 1000 musiciens et 1500 figurants, avec chars lumineux, illuminations et feux d'artifices.[78]

[modifier] Une fête, comment ?

Mademoiselle Concepcion Ledesma, Reine de Madrid, au centre, et ses demoiselles d'Honneur, Louise Mungira et Mathilde Gomez, en 1906.
Mademoiselle Concepcion Ledesma, Reine de Madrid, au centre, et ses demoiselles d'Honneur, Louise Mungira et Mathilde Gomez, en 1906.[79]

En 1906, au scrutin pour l'élection de la Reine des Halles, présidé et organisé par une large majorité d'hommes, les électrices sont très nombreuses.[80] En revanche, quand il s'agit de choisir, parmi les candidates, reines ou demoiselles d'honneur, la Reine des Reines, c'est tout autre chose :[81]

Cela s'est passé dans la grande salle des fêtes de la mairie du dixième arrondissement, car le temps n'est plus où l'élection de la reine des reines avait lieu sous les quatre vents des pavillons des Halles. Jamais, non plus, on n'avait vu autant de personnages officiels : MM. Tournade et Auffray, députés; Achille Barillier, Joseph Ménard, Gay, Chassaigne-Goyon, Gally, Moreau, Dausset, Leriche, Pannelier, Congy, Quentin, Massard, conseillers municipaux, et, sur l'estrade, MM. Marguery, président de l'Alimentation parisienne, et les actifs organisateurs des fêtes de la Mi-Carême, MM. Brézillon, Leroy, Leray, etc.
En toilettes claires, dans leurs plus beaux atours, les dix concurrentes se rangent face aux électeurs, qui sont les députés, les conseillers municipaux, les membres du comité et les membres de la presse ; chacune porte à la main une sorte de houlette qui porte un numéro distinctif.

Quand on étudie le « Seul Programme Officiel » de la Mi-Carême 1911,[3] on réalise que chacune des 10 Reines présentées comme « Reine de Paris », est en fait l'élue d'une des associations qui adhère au « Comité des Fêtes de Paris », organisme à caractère privé, déposé selon la loi de 1901. Certes, les Reines n'ont jamais été des élues du peuple, mais pourquoi présenter les Reines d'une fédération d'associations parisiennes comme les Reines de Paris en général ? Il aurait été plus juste de les présenter comme les « Reines du Comité des Fêtes de Paris ».

Ce Comité, ne cherche-t-il pas à se substituer aux autorités municipales, et surtout à plonger les mains, généreusement, dans les caisses de la ville ?

Le programme de la Mi-Carême parisienne 1906, annonce que l'organisation de sa tombola est faite « au Profit des Pauvres de Paris et de la Société de Secours Mutuels ». Cette Société de Secours Mutuels, est-elle celle dépendante du Comité et de l'Harmonie des Fêtes de Paris, c'est à dire des organisateurs de la tombola ?

En 1906, 1909, 1910 et 1911, les échanges festifs internationaux se poursuivent. Participent à la Mi-Carême parisienne des délégations avec les reines et demoiselles d'honneur de Lisbonne, Vevey,[82] Madrid, Rome, Ostende, Prague.

Participent également à la fête à Paris des délégations de provinces françaises.

Des Reines parisiennes visitent Londres, Rome,[83] Saint-Sébastien,[84] Madrid,[85] Naples,[86] Prague.[87]

Aux commandes de son appareil, l'aviateur Jules Védrines jette des bouquets de violettes sur le cortège de 1911, qui est ensuite survolé par le dirigeable espagnol Torrès.[88]

En 1912, pour fêter son cinquantième anniversaire, le Petit Journal fait monter à Paris, pour participer au cortège de la Mi-Carême, groupes et chars du Carnaval de Nice.[89]

Comme aucun atelier parisien n'a de portes assez larges pour laisser sortir les chars, une fois remontés, un atelier de fortune est installé sous les arcades du métro aérien, station Corvisart. Celles-ci sont fermées avec de grandes bâches.[90]

[modifier] Une fête, pourquoi ?

 Mademoiselle Ruzena Brazova Reine Tchèque, en .

Mademoiselle Ruzena Brazova
Reine Tchèque, en 1910.[91]

En 1905, viennent à Paris les Reines italiennes. Puis, en 1906, arrivent un nombre impressionnant de délégations étrangères, espagnole, italienne, portugaise et veveyzanne. Ensuite, plus rien jusqu'en 1909, où Paris reçoit la visite de Reines d'Ostende. Ostende, ce n'est pas aussi loin que Madrid ou Rome.

Le Comité parisien n'a-t-il pas espéré des subventions et devant ses efforts non recompensés, après 1906, a réduit l'ampleur de ses activités ?

En 1909, la Reine des Reines a une identité régionale, comme le rapporte Le Petit Parisien :[92]

La Ligue Auvergnate a donné, hier soir, sa fête annuelle au Salon des familles, sous la présidence de Melle Orlach[93] reine des reines, originaire de l'Aveyron.
Etaient également présents : MM. Brézillon, président du comité des fêtes de Paris, Bonnet directeur de l'Auvergnat de Paris, et Me Piton avocat à la cour d'appel de Paris et Ranvier, conseiller municipal.
Au champagne des discours ont été prononcés par MM. Brézillon et Bonnet.

En 1910 et 1911, arrivent des délégations praguoises. Mais 1910 est, selon une source tchèque, l'année de l'échec d'un gros emprunt de la ville de Prague, placé à Paris.[94] La reine tchèque de 1910, portant un vêtement décoré avec le lion de Bohème, les reines des fleurs praguoises l'année d'après, seraient-elles... des panneaux publicitaires tchèques pour capter la manne financière des souscripteurs français ?

L'accueil de la foule parisienne, en tous cas, est enthousiaste. Elle leur crie, en tchèque : « Nazdar ! », ce qui est le salut des Sokol, les faucons, sociétés sportives et patriotiques tchèques.[95]

En 1912, le président du Comité des Fêtes de Paris, exprime sa philosophie dans l'Almanach pratique du journal « Le Petit Parisien » :[96]

« Il faut des fêtes aux Parisiens, il faut que les pouvoirs publics nous aident, il faut que les particuliers se rendent compte que les réjouissances populaires déterminent un mouvement considérable de capitaux !» Ainsi nous parlait un jour M. Léon Brézillon qui, depuis dix ans, ne ménage ni son temps, ni sa peine, ni même son argent pour donner à la fête de la Mi-Carême un éclat digne de Paris.
» Mais, malheureusement, ajouta-t-il, on ne nous aide guère. Le Conseil municipal nous alloue une somme de vingt-cinq mille francs. C'est peu ! La tombola nous rapporte quelques billets de mille et nous ramassons le reste, très péniblement, chez les particuliers. Et cependant !!! Nous laissons chaque année de 75 à 80.000 francs chez les costumiers façonniers et décorateurs. Nous donnons là-dessus de 3 à 4.000 francs aux figurants. et nous mettons en branle les fabricants de confetti, de serpentins, de masques. Nous faisons venir les gens de la banlieue, voire de la province... Les restaurateurs, les limonadiers, triplent ou quadruplent le chiffre de leurs affaires ce jour-là...[97] L'octroi[98] lui-même huit jours avant et huit jours après, encaisse de belles recettes, car on fait des provisions, en prévision de la fête, avant qu'elle ait lieu, et on remplace les marchandises vendues quand les lampions se sont éteints.
Il est bien prouvé que les fêtes provoquent une hausse des affaires... On parle toujours des fêtes que l'on organise à l'étranger. On vante leur éclat, leur harmonie, leur belle composition, leur splendeur artistique. On vante les triomphes des cortèges lumineux, si vraiment beaux d'ailleurs, que l'on organise à tout bout de champ, en Italie ; la magnificence des cortèges historiques dont nos bons voisins les Belges sont si friands, les beautés pittoresques, l'art — le mot n'est pas trop gros — des défilés que l'on offre aux étrangers à Saint-Sébastien. On prône les représentations d'Oberammergau, les fêtes décennales de Munich, de Prague, du diable vauvert. Et naturellement on n'a pas assez de brocards pour cette pauvre Mi-Carême parisienne. On n'oublie qu'une chose... C'est qu'à Bruxelles, à Saint-Sébastien ou à Munich, on dépense des sommes énormes ; à Bruxelles, notamment, on a soldé par près d'un demi-million les frais occasionnés par le cortège historique de l'Exposition ! Que l'on nous donne tous les ans une pareille somme et l'on verra un peu ce que nous pouvons faire. ... Et n'allez pas croire que ces fêtes seraient inutiles. Avec une publicité bien organisée, avec le concours de la Presse parisienne, on amènerait des milliers d'étrangers à Paris, on susciterait de l'émulation en province, on provoquerait un formidable mouvement de curiosité et d'argent. Les fêtes sont nécessaires au peuple parisien. Sans fêtes, il s'assome, il devient morose, revêche, quinteux. Il s'ennuie, ce bon peuple parisien, si spirituel, si gai, si peu difficile en matière de réjouissances... Pourquoi ne lui en donnerait-on pas ? Pourquoi ne chargerait-on pas une commission mixte de les organiser... Le Comité des Fêtes de Paris mettrait bien volontiers sa compétence et ses ressources à la disposition de la commission qui serait composée, par exemple, de conseillers municipaux et généraux, de commerçants et de journalistes.
Le Comité des Fêtes de Paris est outillé merveilleusement pour organiser cela, à très bon compte. Pourquoi n'instituerait-on pas quatre grande fêtes au Printemps, en Été, en Automne et en Hiver ? Les cent mille francs que nous dépensons annuellement pour la Mi-Carême suscitent un mouvement de fonds de deux millions au bas mot... sur lesquels on fait dix pour cent de bénéfices nets... La chose en vaut la peine et mérite d'être étudiée... Dites donc cela dans l'Almanach du « Petit Parisien ! »[99]
Voilà qui est fait, cher monsieur Brézillon.[100]

[modifier] Les femmes

Marcelle Guillot, Reine des Reines 1914.
Marcelle Guillot, Reine des Reines 1914.

En 1914, la Mi-Carême parisienne accueille, pour la deuxième fois, une délégation turinoise.[101]

La même année, Le Gaulois,[102] écrit, à propos des Reines :

N'ont-elles pas un réel mérite, toutes ces jeunes filles que le Comité prend à l'atelier ou au magasin, qui ne sont jamais sorties de leur milieu, et qui savent se montrer dignes du rôle momentané qui leur est échu et ne pas se laisser éblouir par les honneurs dont elles sont l'objet ?
Cette courte royauté n'est pas sans quelque profit. Chaque année le Comité attribue à l'élue (la Reine des Reines) un livret de caisse d'épargne de deux cents francs; couturiers, modistes, fourreurs, commerçants s'empressent de lui donner robes, chapeaux, manteaux et autres objets de toilette; partout où passe la Reine elle reçoit des bijoux ou des cadeaux de prix. Tout compte fait, cela représente une somme variant de huit à dix mille francs, qui constitue une petite dot et permet aux Reines descendues du pouvoir de se marier et s'établir. Et c'est très bien ainsi, car toutes sont des jeunes filles méritantes, choisies après une rigoureuse enquête, travailleuses, honnêtes et tout à fait dignes de cette chance inespérée, comme le démontre leur simple et touchante histoire que nous venous de raconter.

Les Reines ne sont plus Reines que de noms. Elles ne règnent pas sur la fête, mais servent de décoration. Après les avoir sélectionnées, on les exhibe, on les couvre de cadeaux, on leur offre des voyages, mais elles ne décident plus et ne sont plus élues par les femmes.

[modifier] 1919 et les années 1920

Après l'interruption de la Grande Guerre, la fête redémarre, dès mars 1919.[103]

Le Comité des Fêtes de Paris, organisme privé qui organise les festivités de la Mi-Carême, depuis 1903, connaît une crise en 1921.

La fête, pour exister, a besoin d'être organisée. L'organisation défaillant, la fête va aussi connaître des problèmes.

En 1922, la fête des femmes est organisée par un Comité des fêtes de Paris qui a une conception très particulière de la femme. Vingt reines ont été élues, une par arrondissement de Paris. On donne à chacune des reines dix-neuf bulletins de vote nominatif, correspondant aux dix-neuf autres reines en dehors d'elle.

Ainsi, elle ne pourra élire que quelqu'un d'autre qu'elle. Cette façon d'organiser le scrutin est justifiée par les organisateurs comme permettant de rabattre la coquetterie féminine. La reine doit s'engager à ne faire ni du théâtre, ni du cinéma, ni de la boxe.[104]

La même année, l'Association générale des étudiants de Paris procède à l'élection de « La Lisette », reine des étudiants de Paris.[105]

Les Corses de Paris, de leur côté, élisent également leur Reine :[106]

Le Comité des Fêtes corses, affilié au Comité des Fêtes de la Ville de Paris, organise une grande soirée artistique et dansante pour le samedi 4 mars, à 20 h. 30, dans la grande salle des Fêtes de la mairie du 10e arrondissement.
Au cours de cette brillante soirée et en présence de toutes les reines des arrondissements, sera élue la reine des Corses de Paris.[107]

En 1923, le Comité des fêtes de Paris annonce que, dorénavant, on ne récompensera plus la beauté, mais la vertu et le travail.[108] Bref, chose bien peu originale, sous le nom d'abeilles, le Comité a “reinventé” la très classique rosière.

Au lieu de vingt reines d'arrondissements, en 1923, il y aura vingt abeilles et une reine des abeilles, parmi elles, en lieu et place des Reines et de la Reine des Reines.

Autre “innovation”, au lieu de recevoir quelques cadeaux de coût limité, on promet des récompenses beaucoup plus chères.

Fin 1923, le Comité se révèle incapable de les verser.

En 1924, il n'organise pas d'élections de Reine (des abeilles ou Reine des Reines). Pour sauver le cortège de la Mi-Carême du désastre, on y joint, au dernier moment, des animaux primés au Salon de l'Agriculture, faisant de ce défilé une Promenade du Bœuf Gras.

Bœuf Gras qui, lui, n'est plus sorti depuis 1913.

Dans les années 1920, la Reine des Reines de Paris reparaît, cependant qu'existe, parallèlement, une « Reine de Paris ». Ce serait là l'expression de la concurrence entre le Comité des fêtes de Paris et le Comité des fêtes des Grands Boulevards.[109]

[modifier] La Mi-Carême en 1926[110]

Sous une bise assez aigre et un ciel où apparaissent de vagues menaces de pluie, le cortège de la reine de Paris[111] se forme sur la place Daumesnil, après la réception à la mairie du 12e. Il y a un peu de retard sur l'horaire prévu, mais le pittoresque n'y perd rien, s'il est vrai qu'un peu de désordre le favorise. Les cavaliers de la garde républicaine[112], qui vont prendre la tête du cortège, sont là bons, premiers. Le char des « Femmes qui votent » suit, avec l'auto fort joliment décorée où prendra place Mlle Ménétrat, reine de l'Association des élèves et anciens élèves de rhétorique, philosophie et mathématiques. Peu à peu, arrivent les chars de la T.S.F., le char de l'alliance franco-russe et diverses voitures où s'étale la publicité coutumière. Enfin, le long cortège se forme tout entier : il est assurément varié à souhait, imposant par sa masse et comprend des parties décorées avec beaucoup de goût.

En tête, les cavaliers et les trompettes de la garde républicaine. Puis nous notons, dans l'ordre : l'Harmonie du XIVe, les étudiants, le char de la Basoche, le Rallye Saint-Hubert de Boulogne, la reine des Catherinettes ; les reines de l'Alimentation, de la Bonneterie, les étudiants de Clamart, la reine de la Couture, la reine des Dactylos, les Féministes, la reine des Fleurs, la reine de la Mode, les reines du Music-Hall et du Cinéma, la commune libre de Montmartre, originale come il convient ; la reine de la Parfumerie, la reine de la Corse, la Fanfare de la ville de Paris, la République de l'ile Saint-Louis, la reine de la Presse, le Soutien de Saint-Louis, la reine de la Presse, le Soutien de Saint-Gilles : 153 musiciens belges, qui sont très applaudis. Ils précèdent immédiatement la reine de Paris, dont le trône est une auto de 18 Ch. Cinq ou six chars ferme la marche.

Le cortège se déroule par l'avenue Daumesnil, les rues de Charenton, Crozatier et le Faubourg Saint-Antoine.

L'autre cortège, celui de la reine des reines, organisé par le Comité général des fêtes (fédération des comités d'arrondissement), se forme, à 13 heures, devant la mairie du 12e arrondissement où Mlle Izembert, reine des reines, ses compagnes et les reines d'Alsace et de Lorraine sont reçues avant de monter dans les vingt-quatre voitures à chevaux qui viennent de ranger autour de l'édifice.

A 13 heures 30, les reines d'Alsace et de Lorraine, en costumes de leurs contrées, prennent place dans le premier landau, qui se met à la tête du cortège ; dans les vingt landaus suivants, tous découverts et décorés de guirlandes de fleurs en papier, montent les reines des vingt arrondissements et leurs demoiselles d'honneur, vêtues de robes claires et légères, malgré le vent froid et les nuages menaçants. Le vingt-deuxième landau est destiné à la Esméralda et à ses compagnes, les « foraines », en costumes de gitanes.

Le cortège se termine par trois voitures à la Daumont ; dans la première, ornée de fleurs, prend place la charmante reine des reines, Mlle Izembert, qui porte avec autant de grâce que de majesté le manteau de cour, la couronne dorée et le sceptre. Ses demoiselles d'honneur sont dans les deux autres voitures, qui n'ont reçu aucune décoration.

Les deux cortèges ont passé à travers deux compactes rangées de curieux. Ni la sympathie ni les compliments ne manquent aux élues et au spectacle qui les encadre : il manque seulement du soleil et de la lumière. Les reines, frileuses, relèvent leurs manteaux somptueux, mais comme leur sourire rayonne ! Et on les acclame, puisqu'elles représentent, en ces temps mélancoliques, l'éternelle et invincible grâce de la Parisienne.

_______

Le quartier latin a été parcouru, dans ses principales voies, par la cavalcade des étudiants à la gloire de Mimi-Pinson ; elle a rejoint le cortège de la reine de Paris, pour parcourir les grands boulevards, où la foule était presque celle des mi-carêmes d'autrefois.

[modifier] Les années 1930-1960

Le jeudi de la Mi-Carême 19 mars 1936, défile le dernier cortège du Bœuf Gras sorti à grande échelle à Paris au XXe siècle[113]

Le 28 mars 1946, pour la Mi-Carême, cette fois-ci sans Bœuf Gras, défile le dernier grand cortège du Carnaval de Paris au XXe siècle.

Il est organisé par les étudiants, les forts des Halles de Paris et les grands journaux parisiens.

Au début des années 1950, les marchés de Paris élisent pour la dernière fois une reine. Les conditions à remplir pour être candidate, sont qu'il faut être fille de commerçants, travaillant sur les marchés, pour les aider, souriante et accepter toutes les danses, à la fête annuelle des marchés, qui a lieu en salle. Faute de candidates répondant à ces critères, la profession se raréfiant, les commerçants des marchés élisent, à la place d'une reine, un d'entre eux. Il est choisi sympathique et âgé. Il reçoit un beau lot, par exemple, un poste de télévision. Cela dure un an ou deux. Puis la tradition est abandonnée.[114]

Pour la Mi-Carême, dans les années 1950, défilent sur les Champs-Elysées des cortèges d'enfants costumés.[115]

Puis, la Mi-Carême comme la Promenade du Bœuf Gras, est oubliée, avec le reste du Carnaval de Paris, jusqu'en 1993.

La tradition des reines se maintient chez les forains, qui continuent à élire l'Esmeralda des forains.[116]

Jusqu'au début des années 1980, cette élection est suivie par un défilé de vingt à trente chars dans Paris, chaque char représentant un métier de la foire. Sur le dernier, la reine des forains prend place.

Des amicales parisiennes d'originaires ou descendants d'originaires de provinces de France conservent la tradition des reines. Il existe toujours une Belle Pastourelle des Auvergnats de Paris. Il a existé une Reine des Bretons de Paris, etc.

[modifier] La Mi-Carême parisienne aujourd’hui

En l'absence du Bœuf Gras,[117] l'évolution moraliste et peu festive du Comité des Fêtes de Paris, à partir de 1921, a conduit au recul général du Carnaval de Paris.

Recul qui est renforcé par l'absence de maire de Paris[118]et la suppression des congés scolaires du Carnaval, dans les années 1930.[119]

De 1891 jusqu'aux années 1930, la fête femme résiste, tant bien que mal, à ceux qui veulent la transformer en autre chose.[120] Les dernières lueurs de la Mi-Carême parisienne, sont les défilés d'enfants costumés, organisés sur les Champs-Élysées, dans les années 1950.[121]

En 1993, au cours des recherches entreprises sur le Bœuf Gras, pour sa renaissance, Basile Pachkoff se trouve rapidement confronté à une masse d'articles sur la Mi-Carême, rangés avec ceux concernant le Bœuf Gras, dans les dossiers Actualités Carnaval de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, qu'il consulte.

D'abord, il ne s'y intéresse pas. Puis, la curiosité aidant, il dépouille la masse d'articles.

Il apprend, entre autres, que les premiers échanges entre la Mi-Carême parisienne et une ville hors de France, se sont faits avec Turin, en 1904-1905.

Coïncidence, il connaît Turin, le Piémont et a des amis là-bas.

Des contacts sur place sont pris avec la mairie de Turin, la région du Piémont, le Comité des fêtes de Verceil,[122]des associations et des particuliers, dès 1994, pour renouer les liens carnavalesques qui existaient jadis.

Au marché de Porta Palazzo, où furent élues les reines turinoises venues à Paris, en 1905 et 1914, pour la Mi-Carême, il n'y a plus de reines depuis très longtemps.

En 2005, après onze ans d'efforts, est finalement renoué le lien carnavalesque, pas seulement avec Turin, mais avec l'Italie en général. De nombreux étudiants des Beaux-Arts d'Italie, à l'appel de leur Comité National,[123] avec les étudiants de l'antique société festive de la Goliardia de Turin, participent au Carnaval de Paris. Ils viennent commémorer festivement le centième anniversaire de la participation italienne à la Mi-Carême parisienne. [6]

[modifier] Renaissance de la fête des blanchisseuses, en 2009

En 1994, plusieurs reines et rois : Ophélie, reine de Paris, Alexandre, prince de l'étable, Zizi Chiffon, reine des biffins,[124] le roi des bouchers,[125] sont pressentis pour participer au cortège de renaissance du Bœuf Gras, prévu pour 1995.[126] Celui-ci est annulé, faute d'autorisation pour défiler. En 1996, est envisagé que le Carnaval de Paris retrouve une de ses sources dans les marchés parisiens, jadis acteurs importants de la Mi-Carême. En 1998, c'est la renaissance du Carnaval de Paris, dans la rue, avec la réapparition du cortège de la Promenade du Bœuf Gras. Le Mardi Gras n'étant plus chômé à Paris, depuis très longtemps, il sort un dimanche. À partir de 2002, la date annuelle de sortie est fixée le Dimanche Gras, dimanche qui précède le Mardi Gras.

La fête sœur du Bœuf Gras, c'est la fête des blanchisseuses, la Mi-Carême au Carnaval de Paris.

La Mi-Carême n'est plus un jour chômé en France.[127] C'est pourquoi, en avril 2008, Basile Pachkoff a proposé la renaissance de la fête femme, fête des blanchisseuses,[128] le dimanche qui précède la Mi-Carême. Soit le 15 mars 2009, 21 jours après l'autre cortège du Carnaval de Paris, la Promenade du Bœuf Gras 2009, où la renaissance de la fête des blanchisseuses pourra être largement popularisée.

Aux écosseuses, marchandes d'oranges[6] et harengères,[47] succedèrent jadis les blanchisseuses. La disparition des lavoirs n'explique pas celle de la Mi-Carême. Car il existe, aujourd'hui, beaucoup de groupes, sociétés ou corporations de femmes, notamment dans les hôpitaux.[129]

[modifier] Annexes

[modifier] Chanson

Cette chanson date, sans doute, de 1891, année où fut créée la Reine des Reines.
Cette chanson date, sans doute, de 1891, année où fut créée la Reine des Reines.[130]
  • La Reine des Blanchisseuses ou La Reine des Reines

Chansonnette créée par Melle Valti, à la Scala.

Paroles de A. Poupay. Musique de E. Spencer

- 1 -

Dans le corps des blanchisseurs
On a fait choix d'une reine
Pour lui rendre les honneurs
D'la Bastille à la Mad'leine,
En la voyant sur son char,
Orné de son diadème,
On chant'ra sur le boul'vard
Le jour de la Mi-Carême:

Refrain

V'là la rein'qui passe!
Qui passe et repasse!
La voilà!
R'gardez-là!
Quel chic ell'vous a!
C'est la rein'des reines,
La fille à Sosthène,
Faut la voir
Au lavoir
Avec son battoir!

- 2 -

Cette année on a choisi
La plus jeune et la plus belle;
Et s'il faut croire les on dit,
Elle est encor demoiselle.
Aussi que de prétendants
Vont s'empresser autour d'elle
Et la suivre sur deux rangs,
En chantant cett'ritournelle:

- 3 -

Déjà plus d'un reporter
A franchi son domicile
Afin de l'interwiever,
Elle qu'était si tranquille!
Tout le monde bientôt, saura,
Ce qu'ell'boit ou ce qu'ell'mange
Et l'journal nous apprendra
Si, quéqu'part, ça la démange.

- 4 -

Comme aux grand's célébrités,
On f'ra sa biographie
Et les journeaux illustrés
Donn'ront sa photographie.
On dit qu'un américain,
Un millionnaire excentrique
Pour lui demander sa main
A pris le transatlantique.

- 5 -

Tous les jours à son lavoir,
Abonde la clientèle,
On fait queu' matin et soir
Pour se fair'blanchir par elle.
On voit même des dandys
Des gommeux, c'est par trop bête!
Offrir jusqu'à cinq louis
Pour se fair'rincer la tête.

[modifier] Liste de Reines

Concernant la Reine des blanchisseuses de Paris, la Reine des chiffonniers de Paris, les Reines venues des provinces françaises ou de villes hors de France, et les Reines parisiennes en général, voir l'article Reines du Carnaval de Paris

[modifier] Reines des Reines de Paris et dates de la Mi-Carême[131]

Demoiselles d'honneur :
Félicie Pierre,
Bouffé.
Leclinf, Reine des Reines de la rive droite
Sarah Balmadier, Reine des Reines de la rive gauche
Demoiselles d'honneur :
Jeanne Loth,
Marie Albaret.[140]
Victorine Hervé,
Marie Salat.[143]
Demoiselles d'honneur :
Madeleine Dubois,
Eugénie Choque.[145]

[modifier] Reines de Paris et dates de la Mi-Carême[152]

Demoiselles d'honneur :
Henriette Camier, Esmeralda des forains,
Monique Delapierre, reine du 5e arrondissement,
Yvonne Henri, reine du 8e arrondissement,
Renée Laurent, reine du 10e arrondissement.[154]
Accompagnée de :
Alexandre, prince de l'étable,
Son écuyer tranchant,[157]
Zizi Chiffon, reine des biffins,[158]
Le roi des bouchers,[159]
Elena, reine du Bœuf Gras.[160]

[modifier] Filmographie de la Mi-Carême

Elle a été filmée en 1897 et 1899, par les frères Lumière, et par d'autres, en 1905. Puis, pour les actualités Éclair en 1911, 1922, 1929, 1930, 1933, 1935, 1936, 1937 et 1946, et pour les actualités Gaumont, en 1935.

Le film de 1905 est perdu. Les autres, à part les deux premiers, sont facilement consultables au Forum des images de la ville de Paris.

Pour plus de détails, voir la Filmographie du Carnaval de Paris.

[modifier] Sources

[modifier] Notes

[modifier] Lien externe