Descente de la Courtille

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La descente de la Courtille reste, avec la Promenade du Bœuf Gras et les cortège des reines de la Mi-Carême un des trois principaux moments du Carnaval de Paris. À la différence des deux autres, la descente de la Courtille n'a existé que durant une quarantaine d'années, au XIXe siècle.

Sommaire

[modifier] Histoire

En 1788, Paris fini d'être entourée par un mur : l'enceinte des fermiers généraux[1] On trouvait beaucoup de guinguettes près des barrières,[2] juste après la sortie de Paris.[3] Si on avait économisé assez d'argent durant la semaine,[4] on venait y faire la fête le dimanche. Parfois aussi le lendemain, jour de la saint lundi, où certains préféraient ainsi doubler leur repos dominical sans être payé.

Le moment le plus intense des réjouissances aux barrières, c'était, bien sûr, la période du Carnaval de Paris. Cette période durait depuis le 11 novembre, jour de la Saint Martin, jusqu'aux jours gras, en février-mars.[5] Le paroxysme de la folie festive était atteint avec les jours gras, qui prenaient fin avec la grande fête qui durait toute la nuit du mardi gras au mercredi des Cendres.[6] Le matin des Cendres, les guinguettes fermaient et on descendait des barrières dans Paris.

Ce phénomène, certainement toujours bruyant et agité (on buvait, dans les guinguettes, du vin, qu'on achetait au litre), prit une ampleur gigantesque et une forme organisée, en 1822, à la barrière de Belleville.[7]

Celle-ci était la plus réputée des barrières, par le nombre et la qualité des lieux de plaisir de la Courtille, située juste là, à la sortie de Paris..

Cette année-là, les membres de la troupe du Cirque Moderne eurent l'idée de rentrer dans Paris en parade. Comme ils avaient passé la nuit à fêter Carnaval tout en haut de la rue de Belleville,[8] dans le village du même nom, la parade passa devant la masse des fêtards de la Courtille, qui sortait des guinguettes qui fermaient. La foule emboîta le pas. Ce fut la première édition de la très célèbre [9] descente de la Courtille.

L'évènement frappa les esprits. Par la suite et chaque année, la foule s'accru. D'autant plus que, durant la nuit du mardi gras au mercredi des Cendres et le matin de celui-ci, on accourait de tous les bals du Carnaval de Paris, les plus chics comme les plus populaires, pour participer à la fameuse parade.

Cette dernière durait bien deux heures, pour aller, depuis la barrière de Belleville jusqu'à la Seine, en empruntant la rue du Faubourg du Temple, la place du Château d'Eau[10] et la rue du Temple.

Les spectateurs s'agglutinaient le long du parcours. Des malins louaient très cher des places à leurs fenêtres ou sur de petits escabeaux installés dans les terrains vagues.

La descente de la Courtille se répéta tous les ans et exista durant bien longtemps. Elle se passa très vite de la troupe du Cirque Moderne, car ce cirque fut détruit par un incendie et sa troupe ne reparu plus à la parade qu'elle avait fait naître.

Quand la descente a-t-elle disparu finalement ? Quand a-t-elle connu son ultime édition ? C'est difficile à préciser exactement. Ce qui est certain, c'est que dans son « Histoire de la folie humaine, le carnaval ancien et moderne », ouvrage datant de 1855,[11] Benjamin Gastineau affirme que la descente de la Courtille existe toujours.

L'extension de Paris, en janvier 1860 (qui engloba la Courtille et Belleville), porta un coup fatal aux établissements de plaisir de la Courtille[12] et par voie de conséquence, à la descente de la Courtille.

Elle résista plusieurs années. En 1864, Alfred Delvau, dans son livre Cythères parisiennes, écrit « La descente de la Courtille est en train de rendre l'âme parisienne qu'elle avait avalée de travers. Cette tradition se perd d'année en année, comme tout d'ailleurs ce qui jure avec nos goûts, sans que nous soyons devenus plus moraux. »[13] Ce qui prouve qu'à cette date on descendait encore la Courtille.

[modifier] Les détracteurs

La descente de la Courtille a connu des détracteurs.

Essentiellement, elle est stigmatisée comme un lieu d'intempérance alcoolique et populaire.

L'alcoolisme au Carnaval n'était pas alors l'apanage exclusif des milieux populaires. Sur les estampes de Gustave Doré consacrées au très renommé bal masqué de l'Opéra, se remarquent également quantité de saoûlards chics.

Les critiques de la descente de la Courtille, ont pratiqué aussi une politique consistant à affirmer qu'elle n'existe plus ou guère, en des temps où elle existait encore.

À lire certains d'entre eux, l'évènement a cessé d'exister dès 1838. Un ouvrage de 1848,[14] déclare qu'il n'y a plus rien de significatif depuis au moins vingt-cinq ans.

[modifier] Description de la descente de la Courtille en 1830[15]

Mais c'est le mercredi des cendres qu'il est beau de voir la Courtille. Sur les sept ou huit heures du matin, ceux qui ont passé la nuit du mardi gras à la barrière n'attendent plus, pour rentrer dans la capitale, que l'arrivée des masques des différens bals de Paris. Bientôt ils arrivent en foule chez Desnoyez,[16] et, après s'être régalés du bouillon bien faisant, ils se disposent tous à partir. C'est ici que le tableau devient intéressant : des hommes et des femmes masqués sortent de tous les côtés, parcourant la rue de Belleville, les habits en désordres, crottés jusqu'aux genoux, la figure pâle et remplie de poussière ; des femmes hurlant, véritables bacchantes, excitant leurs maris à s'enivrer et leur en donnant l'exemple ; des menuisiers, des cordonniers, des marchands, des commis, des étudians, toute éspèce de gens mêlant et confondant les conditions, et ne connaissant plus aucune distance ; des filles de joie, à pied ou en voiture découverte, proférant des paroles auxquelles les oreilles ne sont pas accoutumées ; des hommes trébuchant à chaque pas, se querellant, se battant, cherchant leurs femmes qu'ils viennent de perdre dans la foule, jurant, les traitant d'infidèles, en se servant de termes plus expressifs ; des chiffonniers se roulant par terre sans pouvoir se relever, des buveurs crians aux fenêtres et inondans les passans, des cris de joie, des paroles obscènes, des gestes et des manières dégoutans : voilà ce que l'on voit et ce que l'on entend pendant la matinée du mercredi des Cendres, voilà ce que l'on nomme la descente de la Courtille. Un célèbre voyageur prétendait que dans ce jour les Français étaient méconnaissables ; sans vouloir appuyer cette opinion, nous nous contenterons de dire qu'ils donnent une grande preuve de légèreté.

[modifier] La descente de la Courtille, vue par un témoin, en 1855[17]

Une charge très-commune et très-goûtée des boulevards[18] de Paris représente un couple misérable, avec chapeaux défoncés, robes et pantalons en lambeaux, regards de mendiant, figures barbouillées de suie. Cette charge de la misère obtient chaque année le plus grand succès à Paris : les gamins, les curieux, suivent par colonnes serrées les misérables époux en les raillant et en les outrageant jusqu'à satieté. C'est très-original sans doute... mais que pensez-vous d'un peuple qui se moque ainsi de sa misère ?

Ces scènes sont pourtant très inoffensives comparées à la descente de la Courtille, qui couronne dignement le carnaval. La descente de la Courtille ou la sortie du dernier bal de l'Opéra, comme vous voudrez, c'est une chose inouïe et confuse qui ne peut se rendre que par des hoquets et des soulèvements d'estomac. Quand un homme de sens a assisté à pareil spectacle, il ne lui reste plus qu'à demander son passe-port et à gagner au plus vite d'autres contrées moins civilisées. — Après avoir dansé, chaloupé et cancané aux bals masqués de la Courtille, à quatre sous le cachet ; après avoir galvaudé et gobelotté toute une nuit chez Desnoyers, chez Favié ou aux Folies de Belleville, ils ne sont pas encore satisfaits, il faut les expulser violemment des guinguettes où ils se complaisent à boire du trois-six en compagnie de femmes sans nom. Ils s'en vont ivres, écumant, jurant, chancelant sur chaque pavé. Tant pis pour ceux qui tombent !... on les foule aux pieds... La descente de la Courtille !... Figurez-vous une immense cohue-arlequine aux mille couleurs sortant déguenillée, pâle et sale, de l'orgie du petit bleu et du Cupidon frelatés, faisant des yeux de souris effarouchée au soleil qui éclaire leurs turpitudes de ses purs rayons, suant le dégoût par toutes les pores, vomissant des infamies sur tout ce qu'il y a de sacré, insultant Dieu, vertu, père, épouse, sœur, ponctuant les onomatopées, interrompant les phrases par des vomissements... Et les femmes ? Oh ! des femmes neutres, le bonnet de police sur l'oreille, la pipe culotée entre les dents, et déguisées en paillasses, en pierrettes, en titis, en poissardes, en vivandières... des femmes échevelées,[19] crottées, déchirées, aux seins froissés, aux vêtements maculés. Des femmes qui s'engueulent, des femmes de je ne sais quelles impasses boueuses qui font honte à leurs cavaliers en jouant avec leurs jupons ; à tel point que j'ai vu plusieurs chicards laisser leurs moitiés en plan, comme ils disent, aux prises avec d'autres mégères et s'en aller tristes. Et cette foule en délire serpente dans la rue, dans le ruisseau, clapotant, chantant, hurlant, cancanant, grinçant, glapissant, grimaçant et s'accrochant aux liquoristes, aux marchands de trois-six, et rendant toute cette boisson, toute cette débauche, toute cette volupté de pourceau, en injures aux passants, en gestes impossible à traduire.

Ce sont des cris imitatifs des animaux, c'est une cacophonie diabolique. Les épithètes empruntés à Piron et au dictionnaire de la compagnie générale des vidanges viennent de tous côtés, de la chaussée, des fiacres, des croisées. Les spectateurs débraillés, les spectatrices décolletées et avinées aux fenêtres escortent leurs aimables paroles d'une grêle d'arlequins,[20] débris de volaille, de poisson, de ragoût, qui tombent sur la tête des masques de la rue et que ceux-ci ramassent pour les jeter à la face des privilégiés traînés par des voitures de place.

Et après ? Après viennent les balayeurs, qui ont mal au cœur en nettoyant cette boue humaine, forcés qu'ils sont de donner un coup de pied à celui-ci, un coup de main à celui-là, sans savoir par où le prendre. Sur le champ de bataille de l'orgie, les uns sont ivres-morts, les autres gravement atteints. Certains enragés, qui voudraient éterniser le carnaval, reprochent aux autres masques d'abandonner le champ d'honneur. Ils crient à tue-tête contre les fuyards, jusqu'à ce qu'on les conduise entre quatre chandelles au poste le plus voisin. Ils y vont en chantant des refrains de cet acabit :

Pour rigoler, restons
Restons à la barrière !

Ou bien :

Mais n'attendons pas pour vivre
Que nous soyons chez les morts.

Et encore :

Pourquoi boirions-nous de l'eau,
Sommes-nous des grenouilles ?

Midi sonne. Paysannes, camargos, pompadours, financiers, débardeurs, sauvages, bergères, dominos, Robert-macaires, brigands, tous les masques rentrent chacun au logis. Les dandys y trouvent des protêts, des commandements et des cartes d'huissiers ; les mercenaires trouvent leur logement vide et froid : plus de pain sur la planche, plus de sou dans les tiroirs, plus rien !... Ah ! si... des enfants qui de leur galetas regardent ahuris leurs parents ivres.

[modifier] Notes

  1. Il en subsiste, aujourd'hui, quelques bâtiments, pavillons d'octroi de Ledoux : place Denfert-Rochereau (la barrière d'Enfer), place de la Nation (la barrière du Trône) et la rotonde de la Villette.
  2. Les grilles qui fermaient les portes de l'enceinte.
  3. Elles attiraient la pratique par leurs tarifs, qui n'incluaient pas le montant des taxes prélevées par l'octroi, en entrant dans Paris.
  4. On était payé à la semaine, d'où l'expression, quand on congédiait une bonne : « je vous donne vos huit jours ».
  5. A cette période s'ajoutait, à mi-parcours entre mardi gras et Pâques, le jeudi de la Mi-Carême.
  6. Sur le modèle de la saint lundi, certains choisissaient de poursuivre fête et mascarades jusque dans l'après-midi du mercredi des Cendres.
  7. Elle était située à la hauteur de l'actuel métro Belleville.
  8. Certains auteurs écrivent que cette rue s'appelait alors rue de Paris à Belleville et ajoutent qu'elle devint rue de Belleville seulement après janvier 1860. Mais, l'appellation rue de Belleville parait avoir été utilisée avant cette date, peut-être n'était-elle pas officielle, mais usuelle.
  9. Encore aujourd'hui, parmi les personnes qui ont connaissance du Carnaval de Paris, la descente de la Courtille reste l'évènement le plus cité.
  10. Aujourd'hui, place de la République.
  11. Il fut réédité en 1862.
  12. Ainsi qu'aux guinguettes des autres barrières de Paris.
  13. Citation faite, page 218, dans Les plaisirs de la rue, ouvrage d'André Warnod, paru en 1913.
  14. Chapitre Le Mardi gras et la descente de la Courtille, dans Le Carnaval à Paris, par Satan, 1848.
  15. Promenade à tous les bals publics de Paris, barrières et guinguettes de cette capitale, ou revue historique et descriptive de ces lieux par M. R***, habitué de toutes les sociétés dansantes de Paris et des barrières - Paris, Terry jeune, Libraire 1830 – Pages 168-170. (BNF : RES. 8°Li159).
  16. Très grande et fameuse guinguette de la Courtille.
  17. Benjamin Gastineau « Le Carnaval ancien et moderne », Poulet-Malassis, Libraire-Éditeur, Paris 1862, pages 92, 98 (réédition de l'ouvrage du même, avec un titre différent : « Histoire de la folie humaine, le carnaval ancien et moderne », paru chez Havard, Paris 1855).
  18. C'est à dire la ligne des Grands Boulevards.
  19. C'est à dire ne portant pas un chapeau devant un homme étranger à sa famille. Encore dans les années 1930, dans les provinces françaises, si un homme étranger à sa famille la surprenait ainsi, une femme bien élevée s'empressait de lui dire : « excusez-moi, je suis en cheveux ».
  20. Fragments de nourriture. A l'époque, un marchand d'arlequins, vendait de la soupe bon marché à laquelle étaient incorporés les restes récupérés les plus divers.

[modifier] Sources

  • Promenade à tous les bals publics de Paris, barrières et guinguettes de cette capitale, ou revue historique et descriptive de ces lieux par M. R***, habitué de toutes les sociétés dansantes de Paris et des barrières - Paris, Terry jeune, Libraire 1830. (BNF : RES. 8°Li159).
  • Benjamin Gastineau, « Le carnaval ancien et moderne », Poulet-Malassis, Libraire Éditeur, 1862 (réédition de l'ouvrage du même, avec un titre différent : « Histoire de la folie humaine, le carnaval ancien et moderne », paru chez Havard, Paris 1855).

[modifier] Article connexe