Röstigraben

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La Sarine, ici à Fribourg, marque le Röstigraben.
La Sarine, ici à Fribourg, marque le Röstigraben.

Le Röstigraben /ʁøʃtigʁɑbən/ (littéralement fossé des röstis), ou aussi la barrière des röstis en français, est une expression suisse allemande utilisée en Suisse pour désigner les différences de mentalité entre suisses romands et suisses alémaniques et symbolise plus particulièrement le clivage qu'il peut y avoir au niveau politique ou économique entre les deux régions. Elle correspond à la frontière linguistique entre et la Suisse romande et la Suisse alémanique.

Sommaire

[modifier] Origines

L'expression Röstigraben a son origine du temps de la première guerre mondiale car le pays était divisé à propos de cet événement : les uns sympathisant avec les français et les autres avec les allemands[1]. Mais il faut attendre la fin des années 1970 pour entendre circuler l'expression Röstigraben. La première trace écrite provient d'un article polémique de la revue « Sprachspiegel » en 1979 qui dénonce l'emploi de l'expression Röstigrenze (frontière de röstis)[b 1].

La perception même de la différence est différente en suisse romande avec l'image de la barrière ou du rideau (barrière de rösti ou rideau de rösti) au lieu du fossé suisse allemand[f 1].

Le nom Röstigraben provient des rösti, une spécialité culinaire typique de la Suisse alémanique. Si le Röstigraben désigne un fossé ou une barrière, selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de cette limite. Le plat de rösti est apprécié partout en Suisse et à ce titre peut être considéré comme unificateur du pays[b 2].

[modifier] Usage de l'expression

L'expression Röstigraben est une expression qui ressurgi en périodes de crises. Elle est souvent utilisée à la suite de votations pour qualifier des résultats sensiblement différents entre les deux parties du pays. Dans les affaires sociales et en politique étrangère, la Suisse romande est en général moins conservatrice que la Suisse alémanique. Pour les questions touchant les transports ou l'environnement, la tendance s'inverse sans toutefois être si marquée.

Le Röstigraben semble malgré tout perdre de l'importance depuis le début des années 2000 : les résultats des votations et les idées politiques et économiques tendent à s'uniformiser.

L’expression doit être relativisé car les préoccupations sont les mêmes de part et d’autre de la limite linguistique. Ainsi les différences économiques et culturelles entre ville et campagne[2], entre jeunes et vieux sont réelles et doivent être combattues alors que les différences linguistiques, bien réelles également, représentent la diversité du pays, une richesse pour la Suisse[3].

[modifier] Localisation de la limite linguistique

Limite linguistique au XXIe siècle siècle : ██ Suisse romande ██ Suisse allemande
Limite linguistique au XXIe siècle siècle : ██ Suisse romande ██ Suisse allemande
Limite linguistique dès la fin du IIIe siècle siècle. ██ Burgondes ██ Alamans
Limite linguistique dès la fin du IIIe siècle siècle. ██ Burgondes ██ Alamans
La limite culturelle Brünig-Napf-Reuss-Linie
La limite culturelle Brünig-Napf-Reuss-Linie

La frontière linguistique entre le français et l'allemand part des vallées du Jura au nord-ouest de la Suisse, passe vers les lacs de Neuchâtel et Morat, traverse le plateau suisse en longeant la Sarine puis remonte vers les Alpes fribourgeoises, vaudoises et valaisannes du nord, dont elle longe les crêtes. Ensuite la frontière coupe la vallée du Rhône en Valais et vient toucher enfin l'Italie entre les communes d'Évolène et de Zermatt.

Cette limite entre le français et l'allemand à travers le plateau suisse a des origines anciennes, elle provient des premières incursions barbares des Alamans (ou Alémans), dès la fin du IIIe siècle. Le territoire suisse est occupé par les Burgondes à l'ouest et par les Alamans à l'est[4]. Ainsi, au début du haut Moyen Age, c'est l'Aar qui forme la frontière linguistique entre les aires burgonde et alémane et le terriroire entre l'Aar et la Sarine devient au VIIe siècle siècle une zone de contact entre les langues[5] .

[modifier] Brünig-Napf-Reuss-Linie

La ligne BrünigNapf - Reuss est une limite culturelle située entre 50 à 100 km à l'est de la frontière linguistique. Elle correspond au secteur disputé autrefois entre alamans et burgondes, l'Argovie.

Dans un article de 1947 Richard Weiss interprète des données de l'Atlas de Folklore suisse et propose une frontière culturelle entre la Suisse orientale et la Suisse occidentale qui se situe approximativement sur cette ligne[f 2], [6].

Les us et coutumes divergent de part et d'autre de cette ligne. Par exemple partout en Suisse on joue au Jass mais pas avec les mêmes cartes : à l'ouest on emploie les cartes françaises (carreau, coeur, pique et trèfle) et à l'est les cartes allemandes (Schellen, Schilten, Rosen et Eichel)[f 3].

[modifier] Différences culturelles au cours de l'histoire

Voici quelques exemples de différences culturelles au cours de l'histoire :

Le plateau suisse est le lieu de rencontre de différentes cultures suivant le Rhône ou le Rhin. L'archéologie révèle par exemple que pendant l'Âge du bronze la façon de planter les pieux des villages lacustres diffère : au sud-ouest, région de Concises, on plante simplement les pieux dans le sol alors qu'au nord-est, région de Zurich, on bloque les pieux par une semelle mortaisée posée à même le sol[f 4].

Au IIIe siècle siècle les Celtes habitant le plateau suisse utilisent des pièces de monnaie qui est frappée au sud-ouest d'un « huit couché » alors qu'au nord-est figure sur les pièces « une sorte d'oiseau » [f 5].

Avant la naissance de l'État fédéral, en 1848 circulaient des francs genevois, des francs vaudois, des francs neuchâtelois et des florins zurichois, lucernois ou des blutzger grisons. Avec la nouvelle constitution la Suisse doit réformer la monnaie en créant une monnaie unique Suisse : les romands avec les bâlois préfèrent le modèle du franc français et les alémaniques le florin du sud de l'Allemagne. Après en avoir débattus le choix se porte pour la création du franc suisse jugé plus simple[b 3], [f 6].

Selon l'Atlas de Folklore suisse de 1953 en Suisse romande et au Tessin on prépare les röstis avec de l'huile alors qu'en Suisse alémanique on utilise du beurre ou du saindoux[f 7].

La pratique des jeux traditionnels tels que la lutte à la culotte, le tirer à la corde et le lancer de la pierre (voir la pierre d'Unspunnen) sont beaucoup plus populaires en Suisse alémanique[f 8].

En 1963 l'Atlas de Folklore suisse fait ressortir les différentes perceptions des légendes : en Suisse romande le loup est l'animal que l'on utilise pour faire peur aux enfants ainsi que les personnages réalistes tels le gendarme ou le ramoneur. En Suisse alémanique c'est la chouette (die Eule) ou des créatures légendaires comme la femme de la nuit (Nachtfräuli[7]) ou l'homme au crochet (der Haaggemaa[8]) qui sont utilisés à cette fin[f 9].

Au niveau politique le 6 décembre 1992 donne clairement l’image de la différence selon la frontière linguistique. Ce jour là, à l'occasion de la votation sur l'adhésion à l'espace économique européen (EEE), le clivage entre romands et alémanique est très nettement ressenti les romands plus Bâle votant pour et la Suisse alémanique votant contre. Les cantons bilingues (Berne, Fribourg et Valais) étant eux-mêmes partagés selon la ligne du ‘’röstigraben’’[b 4].

Les nombreuses votations en Suisse permettent d’avoir une image de la société. Les votations sur le sujet de l’automobile ou sur les affaires sociales par exemple font ressortir les différences de sensibilité, les romands étant plus attaché à l’automobile et pour un État social que les alémaniques[f 10].

[modifier] Ce qui unifie

Monument au Röstigraben à Fribourg, œuvre d'André Bucher
Monument au Röstigraben à Fribourg, œuvre d'André Bucher

La Suisse s'est construite lentement et par étapes au cours des siècles, ce qui a facilité l'intégration des différentes cultures. Les cantons ont préservés une importante autonomie. La structure fédéraliste de l'État empêche les divergences entre groupes linguistiques. L'éducation, par exemple est du ressort cantonal[b 5].

L'État fédéral est soucieux des minorités et de l'équilibre entre les régions et par exemple au conseil fédéral, on veille à ce que les latins soient toujours représentés dans une proportion équitable. La même règle s'observe pour toutes les institutions étatiques et constitue une véritable culture politique suisse[b 6].

Romands et alémaniques partagent des valeurs communes : Guillaume Tell, le Grütli sont vénérés partout en Suisse avant même l'unité de la Suisse actuelle. Les Alpes et la culture alpine sont communs[b 7].

Des plats culinaires Suisses alémaniques assimilés par les romands et inversement. Les röstis sont un plat originaire de Berne, il est consommé dans toute la Suisse. La fondue d'abord inconnue en Suisse alémanique et la raclette, plat typique du Valais ont été assimilés par la Suisse alémanique et sont maintenant consommés dans toute la Suisse[f 11].

[modifier] Notes et références

  1. p. 263.
  2. p. 10.
  3. p. 161.
  4. p. 269 - 271.
  5. p. 285.
  6. p. 287.
  7. p. 288 - 289
  • Laurent Flütsch, Rideau de rösti / Röstigraben., éditions Infolio, 2005 (ISBN 2884741194) :
  1. p. 14.
  2. p. 69.
  3. p. 120.
  4. p. 34.
  5. p. 46.
  6. p. 64.
  7. p. 70.
  8. p. 84.
  9. p. 86 - 88.
  10. p. 90 - 107.
  11. p. 72.
  • Autres références :
  1. Définition du Röstigraben Site Swissinfo.ch consulté le 22 mai 2008.
  2. Leçon de Suisse à l'usage des Belges Entretient avec Micheline Calmy-Rey, consulté le 23 mai 2008.
  3. Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication Allocution de Moritz Leuenberger, consulté le 23 mai 2008.
  4. J.-P. Felber, De l'Helvétie romaine à la Suisse romande op. cit page 44
  5. Aar en français, allemand et italien dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
  6. [pdf] Etude comparative sur le contexte culturel et social de la consommation de vin en Suisse page 21, consultée le 28 mai 2008.
  7. (en) Nachtfräuli sur shroudeater.com consulté le 29 mai 2008
  8. (de) Wörter aus der "Guten Alten Zeit" consulté le 29 mai 2008

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie