Laurent Schwartz

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Laurent Schwartz, né le 5 mars 1915 à Paris et mort le 4 juillet 2002 à Paris, est l'un des grands mathématiciens français du XXe siècle. Après avoir été élève à l'École normale supérieure, il obtint la Médaille Fields en 1950 pour ses travaux sur la théorie des distributions. Il fut pendant de nombreuses années professeur à l'École polytechnique.

Il s'est aussi distingué dans l'histoire par ses nombreux combats politiques.

Il était par ailleurs passionné d'entomologie, plus précisément des papillons, dont il a constitué une vaste collection.

Sommaire

[modifier] Biographie

[modifier] Famille

Laurent Schwartz est issu d'une famille juive d'origine alsacienne, imprégnée de culture scientifique : son père est un chirurgien renommé, son oncle, Robert Debré (fondateur de l'Unicef) est un célèbre pédiatre, son grand-oncle par alliance, Jacques Hadamard est un célèbre mathématicien. Son frère, Bertrand Schwartz, a dirigé l'école des Mines de Nancy et contribué à la création des missions locales pour l'emploi des jeunes.

Lors de la préparation au concours d'entrée à l'École normale supérieure, qu'il effectue au lycée Louis-le-Grand, il tombe amoureux de Marie-Hélène Lévy, la fille du probabiliste Paul Lévy qui était alors professeur à l'École polytechnique. Ils eurent deux enfants : Marc André Schwartz, un poète et écrivain qui se suicida en 1971 et Claudine qui se maria avec Raoul Robert.

Sa mère, passionnée par les sciences naturelles lui transmet son goût pour l'entomologie. Il cultivera cette passion toute sa vie et plus particulièrement pour les papillons. Sa collection personnelle, léguée au Muséum national d'histoire naturelle, au Musée de lyon, au Musée de Toulouse et au Musée de Cochabamba (Bolivie) comportait de l'ordre de 20 000 spécimens, collectés au cours de ses divers voyages. Plusieurs espèces ont même été découvertes par lui, et portent son nom.

[modifier] Scolarité

De l'avis de ses professeurs, la scolarité de Laurent Schwartz est brillante. Il excelle en latin, en grec et en mathématiques. Son professeur de 5e disait à ses parents : « Méfiez-vous, on dira que votre fils est doué pour les langues, alors qu'il ne s'intéresse qu'à l'aspect scientifique et mathématique des langues : il faut qu'il devienne mathématicien ». En 1934, il entre à l'École normale supérieure et passe avec succès l'agrégation de mathématiques en 1937, reçu second.

[modifier] Études supérieures

Après avoir quitté l'ENS avec de très bons résultats, il part accomplir son service militaire (deux ans 1937-1939) comme officier. Ce service est prolongé d'un service actif d'un an pendant la guerre (1939-1940). Il devint ensuite officier de réserve. Démobilisé en août 1940, Schwartz se rend à Toulouse où ses parents habitent. Son père, qui est alors colonel de réserve du service médical des armées, travaille comme chirurgien à l'hôpital. Schwartz devient à cette époque membre de la Caisse nationale des sciences (l'ancien CNRS). Une bourse financée par Michelin lui permet de vivre de 1943 jusqu’à la fin de la guerre. La chance intervient alors pour le sauver du désert scientifique dans lequel il vit : Henri Cartan vient à Toulouse pour faire passer des oraux d'entrée à l'ENS. Marie Hélène qui avait traduit quelques années plus tôt des travaux de Cartan, prend l'initiative de le rencontrer. Ce dernier les invite fortement à déménager pour Clermont-Ferrand où est repliée l'université de Strasbourg. Le changement fut très bénéfique. Ce fut à Clermont qu'il rencontra le groupe de mathématiciens « Nicolas Bourbaki ». Ces derniers le stimulèrent suffisamment pour qu'il finisse sa thèse de doctorat en deux ans. En 1943, il soutient sa thèse « Étude des sommes d'exponentielles ».

[modifier] Pendant la Seconde Guerre mondiale

La vie de Schwartz pendant la Seconde Guerre mondiale est très « mouvementée ». Juif, il doit se cacher et changer d'identité pour éviter la déportation, mais il découvre le monde de la recherche mathématique et commence sa thèse à Clermont-Ferrand, où l'université de Strasbourg est délocalisée. Pendant que ses recherches progressent, la guerre bat son plein. Sa santé fragile l'empêche de rejoindre la résistance. L'inefficacité du mouvement trotskiste le remplit de frustration. Deux étudiants sont en même temps que Schwartz à Clermont : Felbau, un étudiant d'Ehresmann et Gorny, un réfugié politique qui avait passé une thèse avec Szolem Mandelbrojt. Feldau fut déporté à Auschwitz en novembre 1943 et Gorny en septembre 1942. On ne les revit jamais. Schwartz risquait la déportation à cause de ses origines juives et comme trotskiste : le couple dut donc adopter une fausse identité (à consonance protestante : Laurent-Marie Sélimartin à la place de Laurent-Moïse Schwartz et Marie-Hélène Lengé) et se cacher suffisamment pour échapper aux nazis.

[modifier] Carrière universitaire

Après une année à Grenoble (1944), Schwartz rejoint l'université de Nancy (1945) sur l'initiative de Delsarte et de Dieudonné. Il restera pendant sept années sur ce poste, prolifique à la fois au niveau de la recherche mais aussi au niveau des cours. Les cours de Laurent Schwartz attirent ainsi des étudiants comme B. Malgrange, J.L. Lions, F. Bruhat et A. Grothendieck. Sur l'initiative de Denjoy, il passe de Nancy à la faculté des sciences de l'université de Paris en 1952. En 1958, il devient professeur à l'École Polytechnique. Ayant tout d'abord refusé de briguer ce poste, il change d'avis au dernier moment, motivé par son désir de refondation de l'enseignement mathématique à Polytechnique. Il y a cependant été interdit d'enseignement, de 1961 à 1963 après avoir signé le manifeste des 121, geste peu apprécié de l'encadrement militaire de cette institution. Il y modernise les programmes et y conçoit un centre de recherche mathématique. Il est élu correspondant de l'Académie des sciences le 2 mai 1973, puis membre le 24 février 1975, section mathématiques.

[modifier] Activités

[modifier] Apports en mathématiques

Le 30 août 1950, Harald Bohr présente Laurent Schwartz pour la médaille Fields (l'équivalent du prix Nobel en mathématiques) au congrès international de Harvard pour son travail sur les distributions. Il était alors le premier Français à recevoir cette récompense. Schwartz aura beaucoup de difficultés pour se rendre aux États-Unis pour recevoir cette médaille en raison de son passé trotskiste. Sa théorie éclaire les mystères de la fonction de Heaviside ainsi que ceux de la fonction Delta de Dirac. Elle ouvre les portes de la théorie des transformées de Fourier et devient d'une importance capitale pour l'étude des équations aux dérivées partielles. Dans le domaine de l'analyse mathématique, les distributions généralisent les fonctions et les mesures. Elles permettent de donner une dérivée (dans un certain sens) à des fonctions qui, au sens usuel, ne sont pas dérivables. Les distributions ont permis d'unifier et de résoudre un certain nombre de problèmes en mathématiques, en physique, et même en électronique. Elles ont permis par exemple de donner un sens à la « fonction » delta de Dirac, nulle sauf en 0, et pourtant d'intégrale égale à 1, (en fait, il s'agit d'une mesure), et d'expliquer pourquoi elle est la dérivée de la fonction en escalier valant (-1/2) sur ]-\infty , 0[ et (1/2) sur ]0, +\infty [, résultats qui étaient admis jusque-là en électronique, mais n'étaient pas mathématiquement rigoureux.

Le manuscrit sur l'« invention des distributions » est un exemple de l'habileté de Schwartz à présenter les mathématiques. Il est réputé pour un modèle de compréhension et de synthèse des travaux antérieurs de tous ses prédécesseurs dans ce champ des mathématiques. Schwartz raconte qu'il a découvert les principaux théorèmes sur les distributions en une seule nuit, qui fut, avec une autre où il captura 450 papillons intéressants, une des deux plus belles de sa vie. L'image de la découverte est bien différente de celle que le grand public se représente : selon lui, on progresse du début à la fin par des raisonnements rigoureux, parfaitement linéaires, dans un ordre bien déterminé et unique qui correspond à la logique parfaite.

On doit à Laurent Schwartz d'autres travaux mathématiques, notamment en géométrie des espaces de Banach ou en probabilités. Laurent Schwartz était un grand pédagogue qui a réformé l'enseignement des mathématiques à l'École Polytechnique, où il a été professeur de 1959 à 1980. Il y a aussi créé un laboratoire de mathématiques réputé.

[modifier] Activités politiques

Le nom de Laurent Schwartz a dépassé le sérail des spécialistes en raison de ses activités politiques et humanitaires. Anti-colonialiste et internationaliste, il étudia en profondeur la géoéconomie. La littérature politique laissa en lui la conviction que la politique de « non-intervention » (1936-38) pratiquée en France par le gouvernement de Léon Blum face à la montée en puissance du nazisme, aux purges staliniennes, à la guerre civile en Espagne était totalement inefficace, sinon extrêmement dangereuse. Il ne voyait par ailleurs dans le colonialisme rien d'autre que l'exploitation et l'oppression des peuples. Il cherche des solutions à ces problèmes dans les théories trotskistes. Il crut en ces idées jusqu’à ce qu'il réalise que Trotsky avait « divorcé de la réalité ». Il devint alors indépendant de tout parti (sauf pour quelques années dans les années soixante). Bien que son engagement dans le mouvement trotskiste soit de courte durée, Schwartz le revendiqua toute sa vie.

Pendant la guerre d'Algérie, il doit sacrifier la recherche. Il lutte en particulier contre la torture systématique pendant cette période. Il est un des fondateurs du comité « Maurice Audin » qui demande la vérité sur les circonstances de la mort du jeune mathématicien, arrêté et torturé par l'armée française sur ordre du général Massu. Laurent Schwartz écrit alors un article célèbre dans L'Express sur « la révolte des universités contre la pratique de la torture par le gouvernement ». Sa photo apparaît sur la couverture et l'article gagne l'attention du grand public. Il organise la soutenance de thèse in absentia de Maurice Audin dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne en décembre 1957[1],[2], alors que le chercheur et militant anti-colonialiste a disparu depuis juin 1957, et apprend-on plus tard est mort sous la torture lors de sa détention à Alger en juin 1957. Farouchement hostile à la guerre d'Algérie (et plus généralement partisan de la décolonisation), il signe le « Manifeste des 121 », qui recommande aux militaires l'insubordination. Il est alors démis de son poste à Polytechnique par le ministre de la Défense Pierre Messmer, mais y reprend son enseignement quelque temps après. Par la suite, il milite activement pour l'indépendance du Viêt Nam. Plus récemment, il participe à la protestation contre l'invasion de l'Afghanistan par l'armée soviétique. Il sera aussi chargé par François Mitterrand d'une expertise sur l'université française, qui aboutit en 1985 à la création du Conseil national d'évaluation des universités, dont il est le premier président.

[modifier] Sources

[modifier] Références

  1. Le meurtrier, un tortionnaire décoré de la Légion d'honneur ?, par Florence Beaugé, Le Monde du 20 juin 2007.
  2. Maurice Audin, le fantôme d'Alger, par Florence Beaugé, Le Monde du 20 juin 2007.

[modifier] Voir aussi

  • Famille Debré, à laquelle Laurent Schwartz était rattaché du côté paternel et du côté maternel
    (ascendance par laquelle il était neveu de Robert et cousin germain de Michel et Olivier Debré)
Lauréats de la médaille Fields modifier
1936 1950 1954 1958 1962 1966 1970 1974
Ahlfors Schwartz Kodaira Roth Hörmander Atiyah Baker Bombieri
Douglas Selberg Serre Thom Milnor Cohen Hironaka Mumford
Grothendieck Novikov
Smale Thompson
1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006
Deligne Connes Donaldson Drinfeld Lions Borcherds L. Lafforgue Okounkov
Fefferman Thurston Faltings Jones Bourgain Gowers Voevodsky Perelman
(refusée)
Margulis Yau Freedman Mori Yoccoz Kontsevich Tao
Quillen Witten Zelmanov McMullen Werner