Terrorisme d'État

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Le terrorisme d'État consiste en l'exercice illégitime par l'État de son monopole de la violence à partir du moment où cette violence est d'une part en contradiction avec le contrat décrit par Thomas Hobbes selon lequel l'individu accepte d'abdiquer une partie de sa liberté en échange de la protection de l'État et qu'elle ne vise pas au maintien, menacé, de l'État mais à un accroissement de ses prérogatives. Le terrorisme d'État est donc un enjeu taxinomique puisqu'il met en cause non seulement l'image protectrice de l'État mais aussi la nature des rapports que l'État entretient avec la violence[1].

Sommaire

[modifier] Origine

Le terrorisme d'État est à l'origine une variante du terrorisme. Or la notion même de "terrorisme" est issue de l'Histoire révolutionnaire française et du régime de la Terreur. Comme le remarque Jean-François Gayraud[2], il y eut une expérience concrète avant qu'apparaisse le terme. Selon ses mots, il s'agit « d'une vaste machine politique » qui a organisé des assassinats et des exécutions, soutenue par le pouvoir judiciaire puisque le pouvoir politique avait voté des lois d'exception. Par la suite, l'expression « terrorisme d’État » a été forgée, dans le cadre de la guerre froide, par l'URSS pour désigner l'opération Condor : une stratégie de répression des mouvements insurrectionnels d'extrême-gauche mise en place par les régimes autoritaires d'Amérique du Sud dans les années 1970. Il s'agissait de dénoncer des pratiques qui consistaient à employer massivement des services secrets pour mener des actions d'assassinat et de torture. La disparition forcée fut un des faits les plus marquants de cette période (voir à ce sujet le mouvement de Las madres de la plaza de Mayo en Argentine).

[modifier] Terrorisme d'État et secret d'État

Par définition, le terrorisme d'État reste difficile à identifier puisqu'il relève du secret et que la difficulté tient à mettre en relation de façon formelle la perpétration des actes relevant du terrorisme et l'État qui en est le commanditaire. Ceci est compliqué par le rideau qui empêche de faire la distinction entre l'autorité qui a donné l'ordre et celui qui n'est pas au courant. Le concept reste souvent totalement tabou dans le cadre des relations diplomatiques entre deux pays. Dans le traitement médiatique, les journalistes évitent également – par manque d'éléments de preuve – de procéder à une attribution en direction d'un État et préfèrent s'en tenir d'abord à la réserve.

Webster G. Tarpley définit ainsi le terrorisme d'État moderne : « [il est] le moyen par lequel les oligarchies mènent contre les peuples une guerre clandestine qu'il serait politiquement impossible de mener ouvertement. »[3]

Dans ces conditions, rares sont les affaires où les États sont mis en cause au plus haut niveau de façon flagrante. En 1985, l'attentat du Rainbow Warrior, attribué à l'État français, sera retentissant dans le concert des nations puisqu'intervenant dans un contexte de paix et ciblant un pays démocratique sur son territoire. Sans comparaison, un autre évènement aussi médiatique sera l'attentat de Lockerbie attribué à l'État libyen en 1988 et qui donnera lieu à un processus qui aboutira 15 ans après à la reconnaissance par la Libye de sa responsabilité.

[modifier] Terrorisme et manipulation

[modifier] Utilisation actuelle par l'extrême gauche

L'expression de "terrorisme d'Etat" est aujourd'hui employée dans certains milieux d'extrême gauche pour dénoncer ce qu'ils estiment être un amalgame injustifié entre le terrorisme et ce qu'ils appellent la « lutte révolutionnaire ». En effet les actions de certains groupes qualifiées de terroristes relèveraient, pour une partie de l'extrême-gauche, de la résistance légitime. Le terrorisme d'État serait également la cause de la sclérose des sociétés puisqu'il permettrait d'étouffer les revendications du peuple en instillant un sentiment d'insécurité qui entraînerait une mobilisation de chacun derrière les gouvernements en place.

Dans cette optique, il existe donc des degrés d'implication très différents de l'État, depuis le terrorisme actif, le soutien à des organisations terroristes indépendantes, jusqu'à l'inaction délibérée. On peut rapprocher ces concepts de notions de droit pénal individuel français ou l'on parle de « meurtre », « complicité de meurtre », ou de « non-assistance à personne en danger ».

Par ces actions terroristes, un état peut contrôler sa population : une population terrorisée par des attentats, attribués sciemment à des boucs émissaires, devient moins critique envers ses dirigeants politiques, ou les soutient plus franchement, dès lors que ceux-ci donnent l'impression de mettre tout en œuvre pour la protéger.

Pour les mouvements d'extrême-gauche, la médiatisation des attentats ou des risques d'attentats a pour effet de détourner l'attention de la population de certaines réalités économiques, sociales ou politiques. Le terrorisme d'État serait donc utilisé par les gouvernants pour justifier le renforcement de mesures de surveillance et de contrôle de la population, voire l'instauration de tribunaux d'exception. Ils considèrent comme légitimes les actions violentes de « mouvements de résistances armés », tout en condamnant les mêmes actions lorsqu'elles sont attribuées à l'extrême-droite ou aux services secrets de l'Etat "bourgeois"..

Les mouvements d'extrême-gauche italien accusent les services secrets Italiens d'avoir manipulé l'opinion publique en commanditant l'attentat de la gare de Bologne en 1980, dont les soupçons se sont très vite tournés vers les Brigades Rouges, voire l'Organisation de libération de la Palestine.

[modifier] Autres attributions contestées

Attribuer un attentat à tel ou tel groupe ennemi est une méthode de propagande efficace. Ainsi, les attentats de Madrid de 2005, pour lesquels le gouvernement espagnol a tout de suite accusé l'ETA alors que l'enquête s'orientait rapidement vers les groupes islamistes.

Un degré au-dessus, il arrive aux services secrets eux-mêmes d'utiliser la couverture de groupes terroristes. Le cas le mieux établi est la Main Noire, prétendu groupe de colons français anti-indépendantistes au Maroc, en fait émanation des services coloniaux français.

Plus récemment, on a soupçonné le FSB d'avoir monté certains attentats en Russie pour les attribuer à des groupes tchètchènes. La résistance palestinienne accuse régulièrement le Mossad d'être à l'origine d'attentats, surtout lorsqu'ils touchent des civils innocents. Ces accusations sont à prendre avec prudence, surtout lorsqu'elles émanent de groupes eux-mêmes peu respectueux des principes démocratiques.

[modifier] Méthodes de terrorisme d'état

Les tribunaux expéditifs, la torture, les explosions terroristes, le kidnapping et les exécutions hors-procès sont cités comme pratiques courantes de terrorisme d'État, souvent utilisées pour terroriser les populations par les régimes souverains ou mandataires.

John Rawlings Rees (1890-1969), psychiatre et directeur du Tavistock Institute of Medical Psychology à Londres en 1932, a développé une théorie de contrôle psychologique des masses fondée sur la formation délibérée de névroses. Selon lui, il était possible d'imposer à une population adulte un état émotionnel comparable à celui d'enfants névrosés[4].

Kurt Lewin décrit l'impact des stratégies de terreur sur les individus : « L'alternance fréquente entre des mesures disciplinaires sévères et la promesse d'être bien traité, accompagnée d'informations contradictoires, interdit toute compréhension logique de la situation. L'individu ne peut dès lors décider si telle ou telle action va le rapprocher ou au contraire l'éloigner de ses propres objectifs. Dans ces conditions, même les individus les plus déterminés seront démobilisés par des conflits intérieurs qui paralyseront leur capacité d'action. »[5],[6]

Les citoyens des nations occidentales sont généralement protégés des procès injustes par des protections constitutionnelles ou législatives et les procédures judiciaires, bien que, par exemple, récemment aux États-Unis, ces protections auraient été écartées dans l'affaire Hamdi v. Rumsfeld en 2004[réf. nécessaire]. Les autres nations peuvent avoir des institutions plus faibles et des régimes instables qui permettent aux gouvernements d'avoir une influence plus importante sur le déroulement des procès.

Amnesty International signale (en 2003) que 132 pays avaient vu la torture pratiquée par des agents de l'État[réf. nécessaire].

[modifier] Exécutions hors-procès

Les exécutions hors-procès, ou meurtres politiques, ont lieu quand des agents de l'État tuent des citoyens jugés comme des menaces, ou pour intimider des communautés. Elles peuvent être réalisées par des militaires, les forces de polices ou des milices paramilitaires ("escadrons de la mort" ou, par euphémisme, "milices citoyennes de défense"). Dans ce dernier cas, il peut y avoir des liens étroits entre eux et les forces officielles, avec des participations communes et/ou une absence de poursuites.

Ces escadrons de la mort attaquent souvent les faibles (socialement), les minorités religieuses ou ethniques, ou les citoyens désignés comme subversifs. Leurs cibles incluent typiquement les SDF, les enfants des rues, les leaders de syndicats, les peuples indigènes, les religieux, les activistes, les journalistes et les universitaires. Ces escadrons protègent généralement leurs donneurs d'ordre par l'illusion d'une criminalité spontanée. Souvent, les corps sont dissimulés, augmentant la détresse des familles et des communautés. Ces cas sont connus sous le nom de "disparitions forcées", particulièrement en Amérique du Sud.

Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l'ONU a été créé en 1980 pour enquêter sur le phénomène global des disparitions inexpliquées.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Max Weber écrit « De nos jours, la relation entre État et violence est tout particulièrement intime », in Le Savant et le Politique, éd.10/18, collection sciences humaines, réédition 2002, 220 pages.
  2. Jean-François Gayraud, Le terrorisme, PUF, collection que sais-je ?, 2002, Paris, 127 pages.
  3. Webster G. Tarpley, La Terreur fabriquée, Made in USA, éditions Demi-Lune, 2006, p. 74.
  4. (en) John Rawlings Rees,The Shaping of Psychiatry by War, New York, W. W. Norton & Co., 1945.
  5. (en) muskingum.edu
  6. (en) Kurt Lewin, « Time Perspective and Morale » in G. Watson, Civilian Morale, second yearbook of the SPSSL, Houghton Mifflin, Boston, 1942.