Gladio

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Gladio (Glaive en italien) désigne le réseau italien des stay-behind, cette structure clandestine de l'OTAN créée après la Seconde Guerre mondiale pour parer à une menace d'invasion soviétique. On désigne couramment par ce nom l'ensemble des armées secrètes européennes, dont l'existence a été révélée publiquement le 24 octobre 1990 par le Premier ministre italien Giulio Andreotti.

Gladio a été mis en place dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale sous l'égide de la CIA et du MI6, comme structure de l'OTAN répondant directement au SHAPE. Cette structure avait comme fonction de « rester derrière » en cas d'invasion soviétique, afin de mener une guerre de partisans. Dans cet objectif, des caches d'armes étaient disposées un peu partout.

Cependant, sous direction de la CIA, Gladio aurait aussi tenté d'influencer la politique de certains pays, notamment en Italie, en Grèce ou en Turquie. Ces influences furent désignées en Italie par l'expression « stratégie de la tension », qui aurait débuté avec l'attentat de la place Fontana, à Milan le 12 décembre 1969, qui devait, selon Vincenzo Vinciguerra, pousser l'État italien à déclarer l'état d'urgence. L'attentat de la gare de Bologne, de 1980, est également imputé par certains à Gladio.

Malgré ces accusations d'actes de terrorisme et la découverte de réseaux qui, semble-t-il, fonctionnaient parfois sans même la connaissance des gouvernements nationaux, comme en Autriche, s'il faut en croire les déclarations de Nicholas Burns, alors porte-parole du Département d'État sous Clinton, seuls l'Italie, la Suisse et la Belgique ont créé des commissions d'enquête à ce sujet. La Belgique s'est d'ailleurs dotée d'un comité permanent de contrôle des services secrets afin d'assujettir ces structures au contrôle parlementaire, afin d'éviter que des événements comme ceux qui se sont produits en Italie pendant les années de plomb ne se répètent. Quant à la France elle serait restée "en dehors" de tout cela selon le ministre de le défense de l'époque J.P Chevènement[1].

Le Premier ministre italien Giulio Andreotti a cependant confirmé qu’en 1964 les renseignements militaires italiens avaient rejoint le « comité clandestin allié » dont les États-Unis, la France, la Belgique, la Grèce faisaient notamment partie[2].

Les lectures conspirationnistes de l'histoire de Gladio sont très nombreuses, notamment en Italie.

Sommaire

[modifier] Historique des accusations et théories relatives à Gladio

[modifier] La conspiration

Selon un rapport parlementaire italien de 2000 de la coalition de centre-gauche « L'Olivier », Gladio a favorisé en Italie une stratégie de la tension, avec l'aide de la loge maçonnique P2, dirigée par Licio Gelli, destinée à « empêcher le PCI et, dans une moindre mesure, le PSI, à accéder au pouvoir exécutif ». Perpétré dans des circonstances non élucidées par le second groupe des Brigades rouges (les fondateurs étaient alors en prison), l'assassinat du leader de la Démocratie Chrétienne (DC), Aldo Moro, en mai 1978, a mis fin à tout espoir d'un compromis historique entre la DC et le PCI. De 1969 à 1980, plus de 600 attentats (4 sur 5 étant attribués organisations clandestines d'extrême droite pendant les "Années de plomb") ont fait en Italie 362 morts et 172 blessés[3].

Le général Gianadelio Maletti, ancien chef des services italiens, a confirmé en mars 2001 que la CIA aurait pu favoriser le terrorisme en Italie[4]. Le général Nino Lugarese, chef du SISMI de 1981 à 1984, a témoigné de l'existence d'un « Super Gladio » de 800 hommes responsables de l'« intervention intérieure » contre des cibles politiques nationales[5].

En 2008, un documentaire réalisé par Emmanuel Amara apporte les ultimes confirmations de cette thèse. Dans "Les Derniers jours d’Aldo Moro", les témoignages de Steve Pieczenik, ancien membre du département d’Etat américain, et de Francesco Cossiga, ministre de l'Intérieur de l'époque, confirment l'implication de Gladio et de la CIA dans l'enlèvement d'Aldo Moro via la manipulation des Brigades Rouges.

[modifier] L'attentat de la piazza Fontana, 12 décembre 1969

Icône de détail Article détaillé : attentat de la piazza Fontana.

Le 12 décembre 1969, l'attentat de la piazza Fontana fait 16 morts et 98 blessés à Milan. L'extrême gauche, en particulier le mouvement autonome, est immédiatement désigné comme responsable de l'attentat. 400 personnes sont arrêtées [6]. L'anarchiste Giuseppe Pinelli, accusé d'être l'auteur du massacre, est arrêté par la police. Il meurt défenestré quelques jours plus tard.

Dans les années 1980, le terroriste néofasciste Vincenzo Vinciguerra a affirmé au juge Felice Casson que l'attentat de la Piazza Fontana visait à pousser l'État italien à proclamer l'état d'urgence afin de favoriser un régime autoritaire en Italie. En 1989, le fondateur d' Avanguardia Nazionale, Stefano Delle Chiaie, est arrêté à Caracas et extradé en Italie afin d'être jugé pour ses responsabilités dans l'attentat de 1969. Il fut cependant acquitté par la Cour d'assise de Catanzaro en 1989, de même que son camarade Massimiliano Fachini.

En 1995, Carlo Rocchi, l'homme de la CIA à Milan, est surpris lors de recherches à propos d'information concernant l'opération Gladio, montrant ainsi que la CIA continuait à s'intéresser de près aux déroulements de l'affaire Gladio en Italie [7].

En 1997, trois anciens militants néo-fascistes du groupe néofasciste Ordine Nuovo, Carlo Maria Maggi, Delfo Zorzi et Giancarlo Rognoni, sont mis en examen pour l'attentat. En 1998, David Carrett, un officier de la US Navy, est aussi mis en examen pour sa participation à l'attentat; il est aussi accusé d'espionnage politique et militaire. Le juge Guido Salvini ouvre aussi une enquête contre Sergio Minetto, un responsable italien du service d'intelligence de l'Otan, et le pentito (« repenti ») Carlo Digilio, soupçonné d'être un indicateur de la CIA [7].

Mais le 12 mars 2004, la cour d’appel de Milan annula les peines prononcées contre les trois accusés d'Ordine Nuovo, condamnés en première instance. Le repenti Carlo Digilio, soupçonné d'être un indicateur de la CIA, recevait l'immunité en échange de sa participation aux enquêtes, en accord avec le statut italien des pentiti. Concernant cet attentat, nul lien direct n'a été établi par la justice, dans son dernier jugement, entre les terroristes néofascistes et l'organisation Gladio.

[modifier] Démission de Vito Miceli, chef du SIOS et membre de P2, en 1974

En 1974, Vito Miceli, membre de P2 et chef du SIOS (Servizio Informazioni), les services de l'armée, à partir de 1969, puis du SID de 1970 à 1974, a été arrêté dans le cadre de l'enquête sur Rosa dei venti, un groupe terroriste d'extrême droite infiltré par l'État. Accusé de "conspiration contre l'État", Vito Miceli révèle l'existence d'un réseau stay-behind organisé par l'Otan. Suite à son arrestation, les services secrets italiens sont réorganisés en 1977 afin de les "démocratiser". La loi n° 810 du 24 octobre 1977 divise le SID en plusieurs services : le SISMI (Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militare), le SISDE (Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Democratica) et le CESIS (Comitato Esecutivo per i Servizi di Informazione e Sicurezza), auquel on donne un rôle de coordination — le CESIS dépend directement du président du Conseil italien.

[modifier] Assassinat d'Aldo Moro en mai 1978

Certains éléments du meurtre d'Aldo Moro, en 1978 par les Brigades Rouges (BR), ont été analysés par certains[réf. nécessaire] comme faisant partie du contexte général d'une stratégie de la tension visant à préparer un coup d'État en Italie. En effet, le refus intransigeant de l'État italien a toujours été jugé suspect par certains commentateurs. De fait, c'est en lisant des lettres qu'Aldo Moro avait envoyé de sa prison que la juge Felice Casson a découvert l'existence de Gladio. Le meurtre du général Carlo Alberto Dalla Chiesa, qui avait arrêté les fondateurs des BR en Septembre 1974, par Pino Greco, un des assassins favoris du parrain Salvatore Riina, a pu être, selon certaines théories[réf. nécessaire] , un nouveau développement de cette stratégie - il n'est pas impossible que Dalla Chiesa ait su trop de choses (il aurait en effet détenu les pages manquantes des écrits qu'Aldo Moro avait rédigés pendant ses 55 jours de captivité par les brigades rouges).

[modifier] Attentat de la gare de Bologne le 2 août 1980

Icône de détail Article détaillé : Attentat de la gare de Bologne.

L'attentat contre la garde de Bologne du 2 août 1980 a été attribué à des terroristes néofascistes. Le 16 janvier 1991, The Guardian écrit que : « les pièces ayant servi à la fabrication de la bombe (...) venaient d'un arsenal utilisé par Gladio (...) selon une commission parlementaire sur le terrorisme »[8]. En novembre 1995, les terroristes néofascistes Valerio Fioravanti et Francesca Mambro sont condamnés à la perpétuité comme exécutants de cette attentat ; Licio Gelli, le chef de la P2, est condamné pour « obstruction à l'enquête », de même que Francesco Pazienza et les officiers du SISMI Pietro Musumeci et Giuseppe Belmonte. Stefano Delle Chiaie, le fondateur d' Avanguardia Nazionale, qui a été arrêté à Caracas pour être jugé lors de ce procès, est aussi accusé d'être impliqué dans l'attentat[9],[10].

[modifier] Liens présumés avec la politique sud-américaine

Certains terroristes membres présumés de Gladio, tel Stefano Delle Chiaie, auraient eu des contacts avec des agents de l'Opération Condor en Amérique latine — selon Le Monde diplomatique, Stefano Delle Chiaie aurait aussi rencontré le numéro deux des Loups gris, Abdullah Catli, en 1982 à Miami [11]. Ainsi, Michael Townley, un agent de la DINA chilienne, aurait-t-il mis en contact la DINA avec Stefano Delle Chiaie afin que ce dernier prépare la tentative d'assassinat de Bernardo Leighton à Rome. Delle Chiaie aurait aussi participé, aux côtés de Klaus Barbie, au coup d'État bolivien de 1980 (le "Cocaine Coup").

[modifier] Manuel militaire US

Le "Field Manual 30-31" de l'armée américaine, accompagné des appendices FM 30-31 A et FM 30-31B (selon le "U.S. Department of State" l'appendice B est officiellement un faux document d'origine soviétique ), écrits par des experts du terrorisme appartenant à la DIA (Defense Intelligence Agency), le service secret du Pentagone, détaillait la stratégie de la tension employée lors de la guerre froide, en affirmant la nécessité dans certaines circonstances de mener des opérations sous fausse bannière (false flag) sans en informer les gouvernements concernés :

« Il peut y avoir des moments où les gouvernements hôtes montrent de la passivité ou de l'indécision en face de subversion communiste et, selon l'interprétation des services secrets américains, ne réagissent pas avec suffisamment d'efficacité (...) Les services secrets de l'armée US doivent avoir les moyens de lancer des opérations spéciales qui convaincront les gouvernements hôtes et l'opinion publique de la réalité du danger insurrectionnel. Afin d'atteindre cet objectif, les services américains doivent chercher à infiltrer les insurgés par le biais d'agents en mission spéciale, qui doivent former des groupes d'action spéciale parmi les éléments les plus radicalisés des insurgés (...) Au cas où il n'a pas été possible d'infiltrer avec succès de tels agents dans le commandement des rebelles, il peut être utile d'instrumentaliser des organisations d'extrême-gauche à ses propres fins afin d'atteindre les buts décrits ci-dessus. (...) Ces opérations spéciales doivent rester strictement secrètes. Seules les personnes qui agissent contre l'insurrection révolutionnaire sauront l'implication de l'armée américaine dans les affaires intérieures d'un pays allié.[12] »

Cet appendice au manuel qui justifiait l'infiltration de groupes et l'utilisation d'attaques false flag a émergé plusieurs fois au cours de l'histoire. Sa publication a d'abord été annoncée par le journal turque Baris en 1973, en plein milieu des « années de plomb » turques qui mèneront au coup d'État de septembre 1980. Le journaliste de Baris qui annonça cette prochaine publication disparut sans laisser de traces. Talhat Turhan publia néanmoins, malgré les dangers apparents, une traduction turque du manuel deux ans plus tard, tandis qu'il était aussi publié en Espagne et en Italie. Après la découverte de Gladio en 1990, le cinéaste américain Allan Francovich le présenta dans son documentaire sur Gladio pour la BBC à des responsables américains. Ray Cline, vice-directeur de la CIA dans les années 1960, confirma qu'il s'agissait d'un document authentique, tandis que William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, affirma qu'il n'en avait jamais entendu parler. Michael Ledeen (qui travailla en Italie comme "consultant" pour les services secrets lors des années de plomb) prétendit qu'il s'agissait d'un faux fabriqué par les Soviétiques. Licio Gelli, quant à lui, affirma à Francovich que « la CIA [lui] avait donné »[13].

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

[modifier] Films

  • Romanzo Criminale, Michele Placido (2006)

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Daniele Ganser, Les Armées secrètes de l'OTAN, Réseaux Stay Behind, Gladio et Terrorisme en Europe de l'Ouest, éditions Demi-Lune, 2007, p. 44.
  2. Gladio : et la France ? L'Humanité 10 novembre 1990.
  3. « Le chef de l'État italien a du reconnaître son existence », L'Humanité, 29 novembre 1990
  4. (en) "Terrorism in Western Europe: An Approach to NATO's Secret Armies", Daniele Ganser, 2005, Whitehead Journal of Diplomacy and Strategic Studies, PDF
  5. (en) « Secret agents, freemasons, fascists... and a top-level campaign of political "destabilisation" », in The Guardian, 5 décembre 1990
  6. (en) « 1969: Deadly bomb blasts in Italy », BBC
  7. ab « Strage di Piazza Fontana spunta un agente USA », La Repubblica, 11 février 1998
  8. (en) « The makings of the bomb… came from an arsenal used by Gladio… according to a parliamentary commission on terrorism... » in The Guardian du 16 janvier 1991, accessible sur le site de Statewatch
  9. (it) Site de l'association des victimes de l'attentat de Bologne du 2 août 1980
  10. « Le chef du gouvernement italien a du reconnaître son existence », L'Humanité, 29 novembre 1990
  11. "La Turquie, plaque tournante du trafic de drogue", Le Monde diplomatique, juillet 1998
  12. [pdf] Le Field Manual 30-31 est accessible, traduit en allemand, sur le site suisse de l'ESN. Il est aussi cité p.234-235 du livre de D. Ganser.
  13. Ces précisions concernant l'historique du Field Manual et le documentaire d'Allan Francovich se trouvent p.234-235 du livre de Ganser, 2005