Codex indigène du Mexique central

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La Mésoamérique connaissait différentes formes d'écriture et une forme originale de livre appelée « codex » ou encore parfois « livre peint ». On distingue les codex préhispaniques (c'est-à-dire d'avant la conquête espagnole) des codex coloniaux. On parle aussi de codex précortésiens et postcortésiens (avant et après l'arrivée de Cortés). Les codex coloniaux ou postcortésiens continuent la tradition indigène, tout en intégrant des éléments européens. Les codex possèdent un nom. Les codex préhispaniques portent généralement le nom d'un collectionneur, comme le « Codex Laud », éventuellement d'un collectionneur et de l'éditeur, comme le « Codex Zouche-Nuttall ». Certains portent le nom de l'endroit où ils sont conservés, comme le « Codex Vindobonensis », conservé à Vienne, ou le « Codex Borbonicus », conservé au Palais-Bourbon à Paris. La plupart des manuscrits coloniaux portent le nom de leur lieu d'origine, comme le « Lienzo de Tlaxcala ».

On fait une distinction entre les codex mayas et les codex originaires du Mexique central.

Codex Zouche-Nuttall.
Codex Zouche-Nuttall.

Sommaire

[modifier] Description

Au Mexique central, à l'époque aztèque, sur laquelle nous sommes relativement bien renseignés, les codex étaient réalisés par des spécialistes appelés "tlacuilo", un mot nahuatl qui désigne à la fois le scribe et le peintre. Le tlacuilo était formé dans des écoles appelées calmecac et recevait une formation religieuse très poussée. Les codex étaient «lus», ou plutôt exposés par un autre type de spécialiste, appelé le "tlamatini". Ces ouvrages étaient constitués de longues bandes de peau animale ou de papier indigène appelé "amatl", fabriqué à partir de fibres de ficus ou d'agave comme le maguey qu'on pliait en accordéon. Ce papier était couvert d'un couche de chaux, sur laquelle on peignait. Les codex formaient des bandes de plusieurs mètres (certaines de plus de 12 mètres) qu'on pouvait déployer à loisir. On y représentait des objets et des personnages, des formes selon des conventions très précises, de façon à reconnaître sans équivoque des souverains aussi bien que des concepts. Une des plus connues étant par exemple une volute qui s'échappe de la bouche d'un personnage et symbolise la parole. Un temple en feu représentait la conquête. Certains signes représentaient des noms de personnes ou des jours. Le système de numération, les noms des jours, les représentations des dieux étaient communs à de nombreux peuples mésoaméricains comme les Mixtèques, les Zapotèques ou les Tlapanèques. Cela était très pratique car ce langage universel était déchiffrable dans toutes les langues. Le système s'apparente à la fois à l'écriture et à la peinture. Au moment de la conquête, cette idée pose des problèmes aux Espagnols qui ne connaissent rien de semblable : Bernardino de Sahagún emploie tantôt le mot « escritura », tantôt le mot « pintura ».

Ces ensembles de glyphes ne constituaient pas un texte suivi, comme dans les traditions européenne ou encore chinoise. Un ensemble de conventions régissait la mise en page et en permettait une utilisation par les tlamatinis qui n'est ni une «lecture» ni une simple représentation picturale. Il s'agit plutôt d'un aide-mémoire qui fonctionne parallèlement à une tradition orale. De façon poétique, les «Cantares mexicanos» résument la manière de «lire» un codex :

«Je chante les images des livres,
Je les déploie...»

[modifier] Interprétation

Selon Joaquín Galarza[1] les codex ne sont pas simplement un ensemble d'images, mais de véritables textes. Il s'agit là d'un véritable système d’écriture basé sur l’image. Les récits contenus sur les codex prennent généralement la forme d’un tableau dont la composition suit une logique. L'analyse du glyphe pris dans l’ensemble du tableau va permettre de connaître cette logique. Tout d'abord le tableau est composé d’images qui sont dessinées et peintes. Mais elles sont pour la plupart codifiées. Ces images, de dimensions et d'orientations différentes, sont soit groupées, soit isolées. L'ordre dans lequel elles sont disposées et leurs positions suggère que toutes ces pictographies sont des sons désignant des mots de la langue indigène, le nahuatl dans le cas des manuscrits aztèques. Ensuite, pour saisir la lecture du récit, il faut imaginer l’ensemble de l’espace défini sur le feuillet du manuscrit par une méthode particulière. Premièrement quadriller tout l’espace du feuillet étudié, puis déterminer des groupes par thématiques, ensuite identifier dans ces groupes les pictographies, et enfin procéder à un découpage afin de prendre en considération la forme, la couleur pour le phonétisme, l’échelle, l’orientation, la position, la perspective. Cette méthode ainsi utilisée permet d'identifier les multiples rôles de la pictographie, l'icônique et le symbolique, et de comprendre la lecture du manuscrit.

[modifier] Types de codex

Il ne subsiste qu'un nombre infime de codex reconnus comme purement préhispaniques. Remarquons que s'ils ont tous été réalisés dans la partie centrale du Mexique, aucun d'entre eux n'est proprement aztèque. On peut distinguer deux genres principaux :

  • les annales, appelées xiuhamatl (c'est-à-dire « livre des années »), dont le déroulement correspond aux 52 années du cycle rituel mésoaméricain. Il y est question de conquêtes, de migrations, de tributs ou de généalogies. Il s'agit de codex mixtèques.
    Les plus connus sont le « Codex Zouche-Nuttall », le « Codex Bodley », le « Codex Columbino/Becker I », et le « Codex Vindobonensis ».
  • les ouvrages rituels traitent de l'influence du calendrier sur la vie humaine. Les tonalamatl (= « livre des jours ») sont des almanachs divinatoires divisés selon les vingt périodes de treize jours qui constituaient le calendrier rituel de 260 jours appelé «tonalpohualli». Ces ouvrages étaient consultés par les prêtres lorsqu'il fallait donner un nom à un nouveau né, pour prédire son destin, fixer la date d'un mariage, partir en voyage ou lors de quelque autre événement important. Les plus connus sont le « Codex Borgia », le « Codex Laud » et le « Codex Fejérváry-Mayer ». On parle souvent de codex du groupe Borgia, car ils présentent tous des ressemblances avec le Codex Borgia. La plupart des spécialistes ne considèrent plus le célèbre « Codex Borbonicus » comme un codex préhispanique, mais comme un ouvrage réalisé en tout ou au moins en partie immédiatement après la conquête.

[modifier] Codex préhispaniques

Avant la conquête espagnole, il existait de véritables bibliothèques de codex. De nombreux ouvrages ont été détruits avant la conquête. L'empereur aztèque Itzcoatl aurait fait brûler de nombreux ouvrages, pour pouvoir réécrire l'histoire mexicaine sous un jour plus favorable aux Aztèques. Certaines bibliothèques furent détruites pendant la conquête espagnole au cours des combats. Les codex préhispaniques étaient intimement liés à la religion mésoaméricaine, si bien que les conquérants espagnols, pour qui il s'agissait de manifestations de paganisme, s'appliquèrent à les détruire. S'il existait bien une distinction entre «reprobados» (ceux qui traitaient de divination et de religion) et «no reprobados», elle était toute théorique : au début de la colonisation, dans le doute, tout ouvrage suspect d'idolâtrie finissait brûlé. Le premier évêque de Mexico, Juan de Zumárraga, se distingua par son zèle dans cette activité. Une illustration célèbre de la « Description de Tlaxcala » représente des moines en train de brûler des images d'idoles. L'acharnement des Espagnols se manifesta entre autres en 1539, lorsqu'un seigneur indigène Don Carlos Chicihimecatecatl fut jugé pour sorcellerie et condamné au bûcher : lors du procès, un « tonalamatl » qui était en sa possession fut présenté comme élément de preuve. On peut comprendre que de nombreux indigènes, soucieux de ne pas s'attirer les foudres de l'Inquisition, aient détruit eux-mêmes les codex compromettants qu'ils détenaient.

[modifier] Codex postcortésiens

Après la conquête espagnole, le codex n'est plus fabriqué à partir de feuilles de ficus ou d'agave, mais de tissu en coton, appelé « lienzo » en espagnol. Certains des ouvrages eux-mêmes ne sont plus appelés « codex » mais « lienzos ». Il en existe environ cinq cents. Réalisés par des indigènes, ils présentent une combinaison de traits artistiques indigènes et européens. Parfois ces ouvrages sont le fruit de la commande d'Espagnols, par exemple le « Codex Mendoza », que le vice-roi de la Nouvelle-Espagne, Antonio de Mendoza, voulait envoyer à Charles Quint. Certains codex ont pour but de satisfaire la curiosité des Espagnols dans des domaines très particuliers, comme le « Codex Badianus », un herbier offert au vice-roi Antonio de Mendoza. Certains prêtres espagnols comme Bernardino de Sahagún, Andrés de Olmos et Diego Durán tentèrent de récupérer le savoir perdu de ces civilisations en interrogeant les indiens sur leurs rites et coutumes ancestrales. Souvent des communautés indigènes les employaient pour faire valoir leurs droits lors d'un procès, qu'il s'agisse d'un procès entre indigènes ou d'un procès entre indigènes et espagnols. Aucun document préhispanique de type juridique n'a survécu, bien que nous sachions par les chroniqueurs espagnols qu'ils ont bien existé. Sahagún raconte : «Une autre [salle], appelée teccalli, était destinée aux juges qui avaient à connaître des affaires du peuple et qui en prenaient note au moyen de leurs peintures.»

L'historien mexicain du XVIIIe siècle Francisco Xavier Clavigero mérite d'être cité : « Au cours des deux siècles passés, les Indiens produisirent fréquemment devant les tribunaux de Mexico, des peintures anciennes, qui leur tenaient lieu de titres de propriété pour leurs terres, et à cause de cela, on avait des interprètes particulièrement qualifiés qui pouvaient se prononcer sur l'authenticité de tels documents ». Certaines images de ces manuscrits montrent d'une manière saisissante de quelle cruauté certains Espagnols, et tout particulièrement les encomenderos pouvaient faire preuve à l'égard des indigènes. Enfin, certains manuscrits ont pour but de glorifier le lignage ou la cité de l'auteur. Prenons comme exemple le « Codex Tepetlaoztoc », originaire de la ville du même nom, qui répond à ces deux dernières préoccupations : il commence par une partie consacrée à l'histoire de la ville, depuis l'arrivée des Chichimèques jusqu'à l'arrivée des Espagnols, pour ensuite dénoncer les exactions des Espagnols. Une page du codex montre comment un certain Anton, au service de Cortés, fait brûler vifs quatre indiens récalcitrants.

Curieusement, la pratique consistant à se servir d'un codex comme preuve de titre de propriété auprès d'un tribunal a été remise à l'honneur à notre époque. Le chercheur français Marc Thouvenot a relevé qu'en 1968, les habitants de Santa Ana Zacatlalmanco, menacés d'expropriation parce que les autorités fédérales projetaient de construire des bureaux pour les fonctionnaires ont obtenu des tribunaux que l'Etat y renonce . Leurs avocats avaient présenté comme preuve de leurs droits le codex de Zacatlalmanco, conservé au Musée de l'Homme à Paris, qui avait été étudié et publié quelques années auparavant par un chercheur mexicain, Joaquín Galarza.

[modifier] Notes

  1. Thèse de Marc Thouvenot appliquant la méthode de Joaquín Galarza qui fut le premier à mettre au point une méthode de déchiffrement globale et rigoureuse des codex indigènes.

[modifier] Bibliographie

  • Codex de Zempoala. Techialoyan E 705. Manuscrit pictographique de Zempoala, Hidalgo, Mexique, Joaquín Galarza, Mission archéologique et ethnologique française au Mexique, Mexico, 1980
  • Aztec Art, Pastorazy, Esther, Harry N. Abrams, INc. , Publishers, New York, 1983
  • L'Amérique de la Conquête peinte par les Indiens du Mexique, Serge Gruzinski, Unesco/Flammarion, Paris, 1991
  • Painted Books from Mexico, Broterston, Gordon, British Museum Press, Londres, 1995

[modifier] Liens internes