Inquisition espagnole

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Autodafé sur la Plaza Mayor de Madrid, Francisco Ricci, 1683.
Autodafé sur la Plaza Mayor de Madrid, Francisco Ricci, 1683.

L'Inquisition espagnole est une juridiction ecclésiastique instaurée en Espagne en 1480, avant la fin de la Reconquista, par une bulle de Sixte IV à la demande du roi et de la reine Ferdinand le Catholique et Isabelle la Catholique. Dirigée par 3 évêques et dépendant de la couronne, elle eut un pouvoir juridique absolu pour juger et condamner les hérétiques. Furent visés en premier chef les marranes (« porcs » en espagnol) conversos, c'est à dire les juifs convertis depuis le XIIIe siècle par la force ou par peur de violence à leur encontre. Leur nombre fut particulièrement élevé après les répressions anti-juives de 1391, cependant ces convertis étaient suspectés - à juste titre pour la plupart - de ne pas être sincères dans leur nouvelle foi chrétienne et de poursuivre la pratique du judaïsme en secret. La reine refusa l'intervention directe d'un légat du Pape dans les affaires intérieures du pays, l'Inquisition fut ainsi mise en place comme compromis entre l'autorité royale et l'autorité papale, face à la gravité des accusations, dans le contexte d'un pays reconstruisant son identité sur la foi catholique, et à la pression d'évêques demandant aux souverains de pouvoir prouver la vigueur de leur engagement à leur supérieurs hiérarchiques. La création de ce tribunal spécial s'inscrit dans la continuité de persécutions antérieures, soutenues par les autorités, et notamment la révolte de Pedro Sarmiento (menée à Tolède en 1449) ayant initié l'exigence de estatutos de limpieza de sangre pour accéder à diverses fonctions publiques. Ce mouvement de lutte contre le judaïsme aboutira en 1492 au décret d'Alhambra, promulguant l'expulsion des Juifs du royaume d'Espagne.

Sommaire

[modifier] Institution de l'Inquisition

Les ambassadeurs espagnols à Rome font alors pression pour obtenir l'inquisition. Le pape accepte à contrecœur, ne pouvant ainsi contrôler cette institution. L'inquisition vise alors ceux des "nouveaux chrétiens" dont la conversion n'est pas jugée sincère.

Le 17 septembre 1480, les premiers inquisiteurs dominicains, Miguel de Morillo et Juan de St Martin, sont nommés par l'État. Ils prennent leurs fonctions à Séville où la communauté marrane menacée échoue dans une tentative d'insurrection. Six personnes sont brûlées vives. L'inquisition débute ainsi sa longue carrière. Les humiliations et persécutions incessantes menées contre les hérétiques par les inquisiteurs sont loin d'être toujours désintéressées. En effet, lors des confiscations de biens, qui frappent non seulement les "coupables" mais aussi toutes leurs familles, le Saint-Office perçoit une part de plus en plus élevée, pouvant atteindre 80% du produit des biens saisis. Ainsi, il leur arrive de déterrer des morts pour un procès au terme duquel les os sont brûlés et les biens du défunt transférés. Certains juifs accusés de ne pas avoir dénoncé des conversos sont tués par l'inquisition. Certains membres du clergé tombent eux aussi sous les accusations.

[modifier] Sous la direction de Torquemada

Icône de détail Article détaillé : Tomás de Torquemada.
Tomás de Torquemada, premier Grand Inquisiteur d'Espagne
Tomás de Torquemada, premier Grand Inquisiteur d'Espagne

Le 11 février 1482, la charge de travail devenant trop importante pour Séville, de nouveaux inquisiteurs sont nommés, dont Tomás de Torquemada, le confesseur personnel de la reine Isabelle, et Pedro de Arbués, pour l'Aragon. En 1483, le "Conseil de l'Inquisition Suprême et Générale" (abrégé la Suprema) est créé pour superviser les tribunaux de Castille et de León. Torquemada en devient le chef de 1483 jusqu'à sa mort en 1498, avec le titre de Grand Inquisiteur. Ses pouvoirs s'étendent sur l'Aragon, la Catalogne et Valence. Les évêques de Séville et de Calahorra tombent sous les accusations de la Suprema.

Il est intéressant de noter que la fonction de Grand Inquisiteur était la seule fonction publique dont l'autorité s'étendait à tous les royaumes composant l'Espagne, constituant ainsi un relais utile pour le pouvoir des souverains.

Pendant ses quinze ans en tant que Grand Inquisiteur, Torquemada fait preuve d'un zèle redoutable et d'une détermination implacable dans la conduite de l'Inquisition.

Le coût élevé de l'entretien des hérétiques emprisonnés à vie pousse Torquemada à créer de grands centres pénitenciers. Ceux-ci ont pour vocation de redonner une activité en relation avec leur ancienne profession aux prisonniers. Le produit sert ensuite à l'Église ou est revendu. Ces prisonniers à perpétuité endurent en fait la peine du strictus murus (ou « mur étroit ») et ne doivent en théorie jamais sortir du cachot (cf. ci-dessus).

Toutefois, même si la saisie systématique des biens des condamnés produit un montant faramineux, Torquemada ne cède pas personnellement à la tentation de la richesse ou du luxe, et reste toute sa vie en accord avec la rigueur monacale de son ordre. Mais il utilise les dépouilles de ses victimes pour enrichir l'Église et étendre son emprise, par la fondation ou la rénovation d'édifices religieux, ou encore par des donations aux œuvres de charité gérées par celle-ci. Son entêtement et son fanatisme le conduisent à refuser de se démettre, en dépit de son grand âge. C'est l'inquisiteur Diego Deza qui lui succède.

Torquemada encourage vivement les Rois catholiques à asseoir leur double monarchie (Castille et Aragon) sur l'unité et la pureté de la foi. Ceci se traduit par un renouveau de l'effort de Reconquista contre les musulmans, et une persécution de la communauté juive. Le 2 janvier 1492, la chute du Royaume de Grenade, dernier bastion maure en Espagne, marque le couronnement de l'effort de Reconquista. Le 30 mars 1492, Isabelle et Ferdinand promulguent le décret d'Alhambra, exigeant que les Juifs se convertissent au catholicisme ou quittent le pays ; une règle similaire concernant les Maures est ensuite établie. Beaucoup quittent l'Espagne, perdant leurs biens, pour aller s'établir en Italie, dans l'Empire ottoman où le sultan Bayezid II leur donne refuge, et au Portugal. D'autres préfèrent rester et se faire baptiser à la hâte.

[modifier] Les successeurs de Torquemada

Les successeurs de Torquemada mettent sur pied, en Espagne puis au Portugal, une structure de surveillance systématique et de délation généralisée, non seulement à l'encontre des convertis, mais aussi de leurs descendants, et de tous les chrétiens d'ascendance même très partiellement juive, baptisés "Nouveaux chrétiens". C'est l'âge d'or de l'Inquisition.

À partir de 1525, les tribunaux se tournent vers les maures qui, comme les marranes, pratiquent en secret l'Islam, les Morisques. Puis ils s'intéressent aux Protestants, et aux délits divers tels que la bigamie. La sorcellerie, contrairement aux autres pays du XVIIe et XVIIIe siècles, mobilise peu l'Inquisition. Mais l'attention principale est toujours concentrée sur les personnes accusées de judaïser.

À partir de 1535, l'Inquisition délivre des "certificats de propreté du sang" aux personnes ne possédant pas d'ancêtre juif ou musulman. Ces certificats sont non seulement exigés pour l'accès à l'armée, aux charges du Saint Office, pour l'entrée des universités, mais aussi demandées par les familles à la veille des mariages.

L'Inquisition devient si puissante et brave parfois si impunément la justice civile qu'elle s'attire l'aide de tous ceux qui la craignent. C'est ainsi qu'elle développe autour d'elle l'institution des "Amis de l'Inquisition". Ceux-ci, loin de se cacher, se flattent avec arrogance de cette appartenance et défilent annuellement à des parades, notamment à l'occasion des autodafés.

[modifier] Dispersion des marranes

Les Marranes s'établissent aux Amériques. Mais l'Inquisition a le bras long, et s'y étant également implantée, les pourchasse comme en Europe. Pourtant, certains marranes portugais réfugiés dans la région de Bordeaux finissent par obtenir des souverains français le droit d'y demeurer et reviennent finalement à la religion de leurs ancêtres.

Les lieux de refuge les plus sûrs sont les pays protestants, notamment la Hollande et l'Angleterre. Dans les premiers temps, les nouveaux chrétiens, redevenus juifs ou non, sont laissés en paix, dans la limite de certains interdits, tandis qu'en pays musulmans, ils peuvent s'installer, mais en étant frappés du statut de Dhimmi. En Turquie, ils jouent un rôle important auprès de Soliman dans sa lutte contre les royaumes chrétiens. L'un d'eux, le Duc de Naxos est le conseiller personnel de Sélim fils de Soliman. Lorsqu'ils adoptent l'islam, ils obtiennent, ainsi que leurs descendants, le même statut que les autres Musulmans.

[modifier] Fin de l'Inquisition espagnole

L'inquisition prend fin en Espagne officiellement sous Napoléon Ier en 1808, puis est rétablie en 1814. La dernière victime est un instituteur déiste pendu à Valence le 26 juillet 1826. L'inquisition espagnole est abolie définitivement par la reine Marie-Christine en 1834, et la «limpieza de la sangre» (la pureté du sang) le 13 mai 1865.

Le décret d'Alhambra ordonnant l'expulsion des Juifs fut officiellement abrogé en 1967 par le gouvernement franquiste. Cependant, il était devenu lettre morte depuis longtemps : des dizaines de milliers de descendants des expulsés, persécutés dans le reste de l'Europe pendant la seconde guerre mondiale, ont pu se réfugier en Espagne et y être accueillis en tant qu'anciens espagnols.

[modifier] L'Inquisition portugaise

Gravure "Die Inquisition in Portugall" par Jean David Zunner d'apres "Description de L'Univers, Contenant les Differents Systemes de Monde, Les Cartes Generales & Particulieres de la Geographie Ancienne & Moderne." par Alain Manesson Mallet, Frankfurt, 1685 (From the Dr. Nuno Carvalho de Sousa Private Collections - Lisbon)
Gravure "Die Inquisition in Portugall" par Jean David Zunner d'apres "Description de L'Univers, Contenant les Differents Systemes de Monde, Les Cartes Generales & Particulieres de la Geographie Ancienne & Moderne." par Alain Manesson Mallet, Frankfurt, 1685 (From the Dr. Nuno Carvalho de Sousa Private Collections - Lisbon)

L'inquisition au Portugal est, par erreur, souvent présentée comme plus débonnaire que celle d'Espagne.

Manuel, roi du Portugal, épousa l'infante d'Espagne Isabelle le 30 novembre 1496. Le 5 décembre un décret royal donne 10 mois aux Juifs et aux Musulmans pour quitter le pays. Le roi se ravise et, le vendredi 19 mars 1497, il ordonne le baptême de tous les enfants du royaume pour le dimanche suivant, ce qui va donner lieu à de terribles scènes. En 1499, Manuel publie un décret interdisant aux nouveaux chrétiens de quitter le pays.

L'Inquisition devient officielle avec la nomination de Diogo da Silva, confesseur de Manuel, comme inquisiteur général en décembre 1531. Mais des 'nouveaux chrétiens' influents réussissent à la faire suspendre. Charles Quint pèse de tout son poids pour qu'une inquisition à l'espagnole soit rétablie. La décision est prise le 23 mai 1536 sous le pontificat de Paul III. Mais les marranes réussissent encore par de multiples rebondissements et tractations avec le Pape à restreindre les pouvoirs du Saint-Office et même à le suspendre en 1544. Malgré tout, en 1547, l'Inquisition est formellement établie. Les marranes se battent une dernière fois sur la question du pouvoir de confiscation. Cette arme est finalement concédée aux tribunaux et le Portugal se dote ainsi d'une inquisition indépendante plus terrible encore que son modèle espagnol. En effet, la conversion y est imposée à tous les juifs et n'y est pas assortie, contrairement à l'Espagne, de la possibilité d'émigrer. Par conséquent, tous les "nouveaux chrétiens" y sont les descendants d'une conversion forcée, et les tentatives de fuite de marranes vers l'extérieur y sont proportionnellement plus importantes qu'en Espagne.

L'Inquisition est si dure au Portugal qu'un certain nombre de "nouveaux chrétiens" portugais vont même jusqu'à tenter de se réfugier… en Espagne.

[modifier] Fin de l'Inquisition portugaise

La dernière victime sera un prêtre jésuite, Gabriel Malagrida, brûlé à Lisbonne en septembre 1761. En 1771, les autodafés publics sont interdits. En 1773, toute différence entre anciens et nouveaux chrétiens est abolie. L'Inquisition s'arrête définitivement en 1778. Elle est abolie par la constitution libérale de 1822.

L'Inquisition au Portugal a instruit 40 000 procès depuis sa fondation. Plus de 30 000 se sont conclus par des condamnations. Les sentences ont été exécutées au cours de près de 750 autodafés ; 1808 jugés coupables ont étés brûlés sur le bûcher (633 en effigie et 1 175 en personne) et 29 590 ont été réconciliés.

[modifier] Bibliographie

  • Bartolomé Bennassar, L'Inquisition espagnole, XVeXIXe siècle, Hachette, Paris, 1979 ;
  • Francisco Bethencourt, L'Inquisition à l'époque moderne (Espagne, Portugal, Italie : XVe-XIXe siècle), Fayard, Paris, 1995 ;
  • Juan Antonio Llorente, Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne : depuis l'époque de son établissement par Ferdinand V, jusqu'au règne de Ferdinand VII, tirée des pièces originales des archives du Conseil de la Suprême, et de celles des tribunaux subalternes du Saint-office, Alexis Pellier, Paris, Treuttel et Würz, 1817-18.
  • Henri Maisonneuve, L'Inquisition, Desclée-Novalis, 1989 ;
  • E. William Monter, Frontiers of Heresy: The Spanish Inquisition from the Basque Lands to Sicily, Cambridge University Press, 2003 ;
  • Cecil Roth, Histoire des Marranes, Liana Levi piccolo, Paris 2002.
  • Emil van der Vekene: Bibliotheca bibliographica historiae sanctae inquisitionis. Bibliographisches Verzeichnis des gedruckten Schrifttums zur Geschichte und Literatur der Inquisition. Band 1 - 3. Topos-Verlag, Vaduz 1982-1992, ISBN 3-289-00272-1, ISBN 3-289-00578-X
  • Emile van der Vekene: La Inquisición en grabados originales. Exposición realizada con fondos de la colección Emile van der Vekene de la Universidad San Pablo-CEU, Aranjuez, 4-26 de Mayo de 2005, Madrid: Universidad Rey Juan Carlos, 2005. ISBN 84-96144-86-0

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