Aniconisme

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L' aniconisme est l'absence de représentations matérielles du monde naturel et surnaturel dans différentes cultures et est lié en particulier aux religions monothéistes. Son extension peut aller de seul Dieu et les déités, aux personnages saints, les humains ou parties de leur corps, tous les êtres vivants, jusqu'à tout ce qui possède une existence. Le phénomène est en général codifié par les traditions religieuses et devient en tant que tel une prohibition, forme de censure religieuse specialisée dans les représentations. L'aniconisme peut être source d'une ambiance iconophobe. Lorsqu'il est activement imposé et résulte dans la suppression de représentations, l'aniconisme devient iconoclasme. Le mot lui-même provient du grec eikon, signifiant représentation, ressemblance ou image.

Sommaire

[modifier] Aspects généraux

Religions monothéistes — L'aniconisme est basé dans les religions monothéistes par des considérations théologiques et des contextes historiques. Il est conçu comme un corollaire du statut de Dieu comme détenteur du pouvoir absolu et le besoin de le défendre face a des compétiteurs externes et internes — les idoles païennes et les humains critiques. L'idolatrie est une menace à l'unicité, et une façon de combattre sa réalité que les prophètes et les missionnaires ont choisi, fut la prohibition des représentations. La même solution fut appliquée contre les prétentions des humains à détenir le même pouvoir de création que Dieu (d'où leur bannissement du Paradis, la destruction de Babel et le Deuxième Commandement).

L'aniconisme, une construction — Un nombre de chercheurs contemporains ont réuni, pour leurs domaines particuliers d'étude, des matériaux montrant comme dans le cas de nombreuses cultures leur prétendu aniconisme est une construction intellectuelle, promouvant des intérêts et contextes historiques spécifiques, plutôt qu'un fait de la réalite tangible (Huntington pour le Bouddhisme, Clément pour l'Islam et Bland pour le Judaïsme — voir les réferences plus bas).

[modifier] Cultures diverses

Selon Tacite les Germains se gardaient de produire des images de leurs idoles:

"Par ailleurs, ils ne trouvent pas digne de la grandeur des Cieux a léguer les Dieux sur les murs de temples ou de les dépeindre sous les traits des humains." [1]

[modifier] Christianisme

[modifier] Islam

L'aniconisme en Islam varie selon qu'on considère le Coran, les mosquées, les lois ou les pratiques. Le Coran represente le fondement de la religion, la mosquée est l'espace matériel où le pouvoir normatif religieux s'exerce, les lois sont issues d'évolutions historiques d'interprétation, enfin les pratiques sont diverses selon les sphères de sociétés musulmanes.

[modifier] Le Coran

Le message divin ne contient aucune injonction explicite à l'encontre de représentations. Il se borne à jeter l'opprobre sur l'idolâtrie appelé shirk. Étant donnée l'importance pour les idolâtres des objets sacrés, en particulier statues façonnées par la main humaine, les versets s'y référant sont souvent utilisés pour argumenter en faveur de l'aniconisme. Voici des exemples:

« Abraham dit à son père Azar : prendras-tu des idoles pour dieux ? Toi et ton peuple vous êtes dans un égarement évident. » « Et [Abraham] mit en pièces [les idoles], excepté la plus grande, afin qu'ils s'en prissent à elle de ce qui arriva » (6:74, 21:59)
« Ô croyants ! le vin, les jeux de hasard, les asnam [« statues » ou « pierres dressées » selon les traductions] et le sort des flèches sont une abomination inventée par Satan ; abstenez-vous-en et vous serez heureux. » (5:92)

Le Coran affirme aussi la puissance créatrice de Dieu, question d'importance pour le traitement des représentations figuratives:

« Il est le Dieu créateur et formateur. » (59:25)
« Jésus dira aux enfants d'Israël : Je viens vers vous accompagné de signes du Seigneur ; je formerai de boue la figure d'un oiseau ; je soufflerai dessus, et par la permission de Dieu, l'oiseau sera vivant. » (3:43)

[modifier] Les mosquées

Les mosquées sont les lieux où l'absence de représentations figurées est constante à travers les sociétés musulmanes. Étant ce qu'il y a de plus officiel et de public pour la religion, elles constituent un modèle, ce qui leur confère le pouvoir de refléter au delà de leurs propres murs leur nature aniconique. L'aniconisme de la première mosquée, la maison du Prophète à Médine, est dû à son caractère improvisée et à un certain nombre de facteurs concrets comme le vide laissé par l'expulsion des idoles de l'espace de prière accompli par Mahomet. Les mosquées ultérieures ont perpétué les caractéristiques originelles, à l'exception de l'introduction de motifs végétaux et géométriques. Ceux-ci ont aussi été adoptés dans cette extension de la mosquée qu'est le livre du Coran.

[modifier] Les exégèses

On recense autour de 200 hadiths ayant trait à la représentation. Ils n'ont pas tous la même importance, se répètent sur un nombre réduit d'événements, ont été généralement recueillis longtemps après la mort du Prophète (ce qui pose des problèmes d'authenticité), et, surtout, sont trop liés à des contextes particuliers de sa vie pour être généralisés sans besoin d'interprétation. C'est seulement vers le IXe siècle qu'on voit apparaître des interprétations de théologiens prohibant la représentation. Mais les avis ne sont pas unanimes sur sa définition: s'agit-il uniquement des êtres vivants ? de peintures au même titre que les statues ? la prohibition s'applique-t-elle dans les espaces peu exposés, tel un couloir ? uniquement si elles sont au détriment de la religion ? etc.

Outre les individus il y a des variantes selon les écoles juridiques, les rites et les branches. Le chi'isme n'est pas teint de la même virulence iconophobe que celle qui a pu se développer dans les traités du sunnisme médiéval ; les mystiques ne s'embarrassaient pas pour détourner la calligraphie afin d'en faire des images figuratives intégrées à leurs pratiques religieuses ; enfin, certains mouvements basent leur conduite sur le seul Coran, à l'exclusion de hadith, comme les Soumis actuellement. Concomittants à eux sont les Wahhabites, les Salafistes ou encore les Talibans, pour lesquels les représentations figuratives sont à bannir. Les corpus juridiques et théologiques élaborés au cours des périodes médiévales ont du être amendés à l'époque contemporaine pour permettre l'utilisation de technologies modernes de reproduction, qui nécessitent un avis religieux pour être licites. Sauf à arriver à des contradictions, la diversité de positions cautionne contre leur télescopage dans un unique point de vue.

[modifier] Les sociétés musulmanes

Face à la diversité et aux limites de préceptes religieux se développe dans les pratiques des sociétés musulmanes une tendance aniconique, qui gagna un statut panislamique, en parallèle d'expressions figuratives plus locales, principalement sous influence byzantine, puis mongole et turco-persane, et enfin du monde occidental et moderne. Chronologiquement la modernité représente une introduction massive de représentations figuratives dans les sociétés musulmanes, au point de les rendre indispensables à leur fonctionnement. Suivent des exemples pour différentes sphères sociales.

Symboles du pouvoir — Si aujourd'hui les billets de banque et les monnaies de nombreux pays musulmans portent les effigies de gouvernants et de personnalités, le monnayage musulman fut pendant le Moyen Âge largement limité à la graphie, à l'exception d'une partie de la production omeyyade et de quelques dynasties ultérieures de moindre envergure. Drapeaux, blasons et sceaux sont aussi aniconiques — notons néanmoins les blasons figuratifs des premiers Mamelouks, le lion de l'enseigne impériale persane et le drapeau graphié de l'Arabie saoudite. Des portraits officiels deviennent courants sous les Ottomans, les safavides et les moghols et se généralisent avec l'arrivée de la photographie, dont beaucoup de rois s'enthousiasmèrent, et qui de nos jours devint un moyen de propagande et d'opposition pour toutes les tendances musulmanes confondues.

Pratiques populaires — C'est le chi'isme — qui ne se résume pas a l'Iran — qui offre l'exemple le plus frappant d'une intégration profonde de l'image figurative dans les pratiques religieuses musulmanes. Les portraits d'Ali et de Husayn sont omniprésents, du pendentif en plastique et l'autocollant sur un pare-brise de camion, jusqu'au plus baroques peintures fourmillant de détails sur la vie des deux martyrs que dépeignent les toiles du théâtre populaire ta'ziyye, les draperies de conteurs ambulants ou les fresques de restaurants. C'est par ailleurs un shi'ite, le grand ayatollah Sistani de Najaf, qui déclara dans une fatwa la fabrication des images de Mahomet permise, si cela est fait avec le plus grand respect.[2] A la différence de tombes sunnites les sépultures shi'ites peuvent afficher l'image du défunt. En même temps une méfiance devant l'image — la voir, l'afficher ou laisser prendre son portrait — est un phénomène répandu dans toutes les couches sociales. Cependant, les réactions provoquées par les images seraient loin d'être toutes imputables à des préceptes de la religion.

Les artsVoir: Représentation figurée dans les arts de l'Islam. Au sujet de l'art contemporain notons la présence d'écoles des beaux-arts partout dans le monde musulman, qui conduit aussi bien à une production de peinture figurative et de cinéma, qu'à de la sculpture. Dans son Histoire du cinéma mondial, Georges Sadoul note que l'Arabie saoudite est le pays à être resté vierge de toute exploitation cinématographique populaire le plus tardivement. En effet, jusqu'à l'arrivée de la télévision en 1965, seuls les militaires américains et un petit nombre de résidents du palais royal assistaient à des projections cinématographiques. Un style hybride - entre peinture et calligraphie- original et non-figuratif a acquis un succès international. Ajoutons la présence de créations figuratives dans les arts populaires, le martyr de Husayn évoqué plus haut, ou l'épopée de 'Antar, source d'inspiration pour une peinture sur verre en Syrie. Un théâtre de marionnettes est pratiqué depuis le Moyen Âge (écrit chez les Mamluks ; le karagöz ottoman). L'art d'État est aussi à mentionner, et se manifeste dans des peintures murales publiques à la mémoire de guerres ou pour la glorification de gouvernants. L'esprit national, ou encore l'arabisme, se matérialise aussi aux carrefours, dans des statues : ici un Tal'at Harb, là un Saladin équestre, ailleurs le président lui-même.

Autres domaines — L'astronomie, la médecine, la mécanique, constituèrent des domaines où la représentation des êtres vivants était importante (zodiaques, portraits de philosophes grecs, dissections, automates, etc.). Des manuels militaires, notamment mamluks et maghrébins sont aussi parfois figuratifs, comme parfois le décor de armes et effets militaires. Dans le domaine administratif la photographie d'identité est devenue une pièce bureaucratique incontournable, tout comme elle — et la vidéo — l'est pour la transmission des informations et la culture (presse écrite, télévision, cinéma).

[modifier] Face aux images de non-musulmans

La tradition musulmane rapporte que le jour de la reddition de La Mecque, Mahomet détruisit 360 idoles contenues dans la Ka'ba. Il n'y aurait laissé que deux images : celle d'Abraham et celle de la mère de Jésus.[3] D'autres actes de destruction d'idoles pré-islamiques sont mentionnés dans les Tabaqât d'Ibn S'ad.[4]

À la prise de Constantinople en 1453, le sultan Mehmed II le Conquérant, émerveillé par la magnificence de la basilique Basilique Sainte-Sophie, fit immédiatement cesser la destruction des mosaïques, à laquelle avaient commencé à se livrer ses soldats, et décida de la transformer en mosquée. Les mosaïques furent recouvertes de plâtre. Cependant les sultans ottomans s'assurèrent qu'elles fussent périodiquement déplâtrées et restaurées avant d'être à nouveau cachées aux yeux des fidèles.

En 2001, invoquant l'islam et leur droits souverains, et malgré le désaccord de la communauté dite "internationale" tout comme celui de nombreux responsables religieux musulmans du reste du monde, les Talibans afghans détruisent au canon sur les Bouddhas de Bâmiyân et saccagent des collections pré-islamiques dans le Musée national à Kabul[5].

[modifier] Judaïsme et Christianisme

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. Publius Cornelius Tacitus, "9. Götterverehrung", Germania (De origine et situ Germanorum liber), Reclam, Stuttgart, 2000. Lateinisch/Deutsch. ISBN 3-15-009391-0 (Version en ligne d'une autre traduction.)
  2. Grand Ayatollah Ouzma Sistani, Fiqh & Beliefs: Istifa answers, site internet personnel. (accedé le 17/02/2006) (ar) [1] (en) [2]
  3. (Wensinck 1999: 10:927b)
  4. Henri Lammens, Le culte des bétyles et les processions religieuses chez les Arabes préislamites, Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, tome 17, 1920 p.70).
  5. (en) Modèle:Citenews

[modifier] References

[modifier] Aspects généraux

  • (en) Jack Goody, Representations and Contradictions: Ambivalence Towards Images, Theatre, Fiction, Relics and Sexuality, London, Blackwell Publishers, 1997. ISBN 0-631-20526-8.

[modifier] Bouddhisme

  • (en) S. L. Huntington, "Early Buddhist art and the theory of aniconism", Art Journal, 49:4 (1990): 401-8. [3]

[modifier] Islam

  • (en) Terry Allen, "Aniconism and Figural Representation in Islamic Art", Five Essays on Islamic Art, Occidental (CA), Solipsist, 1988. ISBN 0-944940-00-5 [4]
  • Gilbert Beaugé & Jean-François Clément, L'image dans le monde arabe [The image in the Arab world], Paris, CNRS Éditions, 1995, ISBN 2-271-05305-6
  • Silvia Naef, Y a-t-il une « question de l'image » en Islam ?, Paris, Téraèdre, 2004. ISBN 2-912868-20-3 Resumé (de) : [5]
  • (de) Rudi Paret, Das islamische Bilderverbot und die Schia [The Islamic prohibition of images and the Shi'a], Erwin Gräf (ed.), Festschrift Werner Caskel, Leiden, 1968, 224-32.
  • P. P. Soucek, J. M. Landau & S. Naef, "Taswir", Encyclopédie de l'Islam, Leiden, Brill, 1999, 10:387-93. ISBN 90-04-12761-5 [6]
  • J. Wensinck [& T. Fahd], "Sura", Encyclopédie de l'Islam, Leiden, Brill, 1999, 9:925-8. ISBN 90-04-10423-2 [7]

[modifier] Judaïsme

  • (en) Kalman P. Bland, The Artless Jew: Medieval and Modern Affirmations and Denials of the Visual, Princeton, Princeton University Press, 2001, p. 8. ISBN 0-691-08985-X Introduction: [8]