Utilisateur:Aliesin/Emergence du capitalisme

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Depuis l’Antiquité les biens économiques sont achetés et vendus à travers l’Europe, et les réseaux de commerce locaux permettent aux productions d’alimenter les grandes places économiques d’Europe et au-delà. De fait, l’expansion des empires de l’Antiquité se fonde sur la volonté de contrôler certaines richesses économiques. Les commerçants phéniciens, grecs puis romains organisent tout un système économique à travers la méditerranée, système marqué par l’esclavagisme et le pillage.

A ce système esclavagiste avait succédé au Moyen-Age le système féodal imposant de sévères contraintes administratives et culturelles à l’essor du grand commerce et de la production agricole et artisanale. Toutefois, localement certaines cités, certaines foires, quelques peuples minoritaires, vont transformer le système de production de leur époque pour qu'à partir de la Renaissance émerge le capitalisme dans certaines régions d’Europe.

Sommaire

[modifier] Le capitalisme médiéval

Le Grand Canal à Venise, par Turner (v. 1835)
Le Grand Canal à Venise, par Turner (v. 1835)

Pour Fernand Braudel (la Dynamique du capitalisme, 1985), le capitalisme est une « civilisation » aux racines anciennes, ayant déjà connu des heures prestigieuses, telles celles des grandes cités-États marchandes : Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, etc. Werner Sombart (Le capitalisme moderne, 1902) date quant à lui l'émergence de la civilisation bourgeoise et de l'esprit d'entreprise du XIVe siècle, à Florence.

[modifier] Commerce médiéval

Comme le montre Braudel, on trouve dès le Moyen Âge des premières manifestations du capitalisme commercial en Italie et aux Pays-Bas. Le commerce maritime avec l'Orient, suite aux croisades, a enrichi les cités italiennes, tandis que les Pays-Bas, à l'embouchure du Rhin, font le lien entre l'Italie et l'Europe du Nord. Dans les grandes cités, les marchands de draps et de soieries adoptent des méthodes de gestion capitalistes. Ils effectuent des ventes en gros, établissent des comptoirs et vendent leurs produits dans l'ensemble des grandes foires européennes. Ils se fournissent en matières premières aussi bien en Europe qu'au Levant. Dans cette époque troublée du Moyen Âge, ils règlent leurs paiements par lettres de changes, moins dangereuses que le transport de métaux précieux. C'est donc logiquement que se développent, en parallèle du capitalisme commercial, les premières activités bancaires du capitalisme financier : dépôts, prêts sur gage, lettre de change, assurance pour les navires.

Venise, centre d'une « économie-monde » à la fin du Moyen Âge
Venise, centre d'une « économie-monde » à la fin du Moyen Âge

Ces capitalistes s'enrichissent si bien qu'ils étendent leur emprise économique sur l'ensemble de l'Occident chrétien, créant ainsi ce que Braudel appelle une « économie-monde ». Dans son analyse, Braudel distingue l'« économie de marché » du capitalisme, ce dernier constituant une sorte de « contre-marché ». Selon lui, l'économie de marché (c'est à dire l'économie locale à cette époque) est dominée par les règles et les échanges loyaux, parce que soumise à la concurrence et à une relative transparence, le capitalisme tente de la fuir dans le commerce lointain afin de s'affranchir des règles et de développer des échanges inégaux comme nouvelles sources d'enrichissement.

On peut remarquer que dès l'Antiquité, des systèmes identiques avaient étés mis en place par les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains. Ces systèmes étaient toutefois davantage marqués par l'impéralisme et l'esclavagisme que par le capitalisme. À travers le monde, d'autres formes de capitalisme commercial se développent de manière précoce à l'époque féodale (sous la dynastie Ming en Chine par exemple).

[modifier] Vie urbaine

Dans les grandes villes spécialisées d'Europe, l'artisanat, tourné essentiellement vers l'exportation, est dominé par les grands négociants et drapiers, si bien que les rapports économiques entre artisans et marchands s'apparentent à du salariat. Les négociants contrôlent à la fois l'apport de matières premières en amont et la vente des produits finis en aval.

La population urbaine se différencie déjà en plusieurs classes économiques distinctes, riches pour certaines, pauvres pour d'autres. La ville de Florence en est le parfait exemple : on y trouve très tôt des banquiers qui développent des succursales à travers l'Europe et asservissent l'industrie à leur recherche du profit. Parmi eux de grandes familles, telle celle des Médicis, créent les premiers rapports « privilégiés » entre le monde des affaires et le monde politique

[modifier] Apparition des bourses à la fin du Moyen Âge

Selon Fernand Braudel, l'apparition des premières bourses remonte au XIVe siècle dans ces cités italiennes où le commerce est permanent (contrairement aux foires médiévales se déroulant sur des périodes restreintes) et où se concentrent l'essentiel des activités financières.

C'est toutefois la création en 1409 de la bourse de Bruges, un hôtel dédié à l'échange de marchandises, lettres de change et effets de commerce, qui marque un tournant dans le développement des activités financières. La place s'impose rapidement grâce à l'ouverture de son port, à la renommé de ses foires commerciales et au climat de tolérance et de liberté dont profitent marchands et investisseurs de toutes origines. Ce sont ces mêmes atouts qui permettront ensuite à la place d'Anvers (créée en 1460) de se développer au début de la Renaissance. On pouvait lire à son fronton : Ad usum mercatorum cujusque gentis ac linguae (« À l'usage des marchands de tous les pays et de toutes les langues »).

[modifier] Renaissance et Réforme

[modifier] L'éthique protestante

Max Weber (dans l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme en 1905) considère que l'émergence du capitalisme moderne date de la Réforme. Sur la base d'un constat sociologique, il lie l'esprit du capitalisme moderne à la mentalité protestante et le voit donc comme le résultat d'une évolution lente issue de la Réforme, et plus généralement de l'évolution religieuse se faisant dans d'un « désenchantement du monde ». On remarque d'ailleurs que des formes sporadiques de capitalisme financier avaient été développées depuis bien longtemps par les Lombards et les juifs, non soumis aux contraintes religieuses du catholicisme. C'est d'ailleurs à ces derniers que Werner Sombart (le Capitalisme moderne) attribuera la genèse du capitalisme moderne.

Selon Weber, le capitalisme occidental correspond à l'apparition d'un esprit nouveau, d'une révolution culturelle. Weber emploi alors le terme capitalisme moderne « pour caractériser la recherche rationnelle et systématique du profit par l'exercice d'une profession. » Plus que la richesse, dont le désir n'est pas nouveau, c'est l'esprit d'accumulation qui s'impose comme vecteur d'ascension sociale.

Cette nouvelle éthique se diffuse grâce à l'émergence de nouvelles valeurs : l'épargne, la discipline, la conscience professionnelle. Cette dernière permet par exemple l'apparition d'une élite ouvrière qui, au-delà du salaire, se soucie de la qualité de son œuvre. Le travail devient une fin en soi. En parallèle émerge un personnage emblématique, l'entrepreneur, qui recherche une réussite professionnelle profitable à la société dans son ensemble.

Le contexte favorable à cette évolution des valeurs est celui de la Réforme. Pour Max Weber, l'éthique du métier vient du luthéranisme qui encourage chaque croyant à suivre sa vocation, et qui fait de la réussite professionnelle un signe d'élection divine. En effet, les croyants ordinaires, sachant qu'ils n'ont pas la maîtrise de leur salut (logique de la prédestination), tentent ardemment de trouver dans leur vie privée des signes de cette prédestination, telle la réussite professionnelle, afin d'atténuer leur angoisse vis-à-vis de la mort et du jugement qui la suit. Par ailleurs le rapport direct à dieu prôné par la religion protestante accélère le processus de « désenchantement du monde » (en supprimant nombre de pratiques religieuses par exemple), ce qui concourt à l'émergence de la rationalité. Déjà, Karl Marx avait remarqué un processus de démystification en écrivant :

« La bourgeoisie (...) a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacés du calcul égoïste. »
(Manifeste du Parti Communiste, 1848).

Cette rationalisation permet l'apparition de nouveaux dogmes qui fondent l'esprit du capitalisme :

« La répugnance au travail est le symptôme de l'absence de grâce. »,
« Le temps est précieux, infiniment car chaque heure perdue est soustraite au travail qui concourt à la gloire de Dieu. »
(Max Weber, l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme).

Max Weber illustre ses propos d'un texte de Benjamin Franklin, révélateur selon lui des nouvelles mentalités :

« Celui qui perd cinq shillings perd non seulement cette somme, mais aussi tout ce qu'il aurait pu gagner en l'utilisant dans les affaires, ce qui constituera une somme d'argent considérable, au fur et à mesure que l'homme jeune prendra de l'âge. »
Advice to a young tradesman, 1748

Les thèses de Weber ont été très critiquées. Le lien entre le dogme de la prédestination et l'esprit du capitalisme est très paradoxal, vu qu'il revient pour un fidèle a rechercher des signes d'élection tandis que le dogme affirme la prédestination comme de toute manière impénétrable. Des historiens infirment quant à eux la concomitance des deux phénomènes (Braudel par exemple, qui date le capitalisme d'une période antérieure à la Réforme).

[modifier] L'esprit d'innovation

La Bible de Gutenberg (1450–1454), l'une des premières productions standardisées de grande série
La Bible de Gutenberg (14501454), l'une des premières productions standardisées de grande série

D'après Lewis Mumford (Techniques et civilisations, 1950), le système technique de la Renaissance annonce le futur économique du monde occidental.

Le XVe siècle vit par exemple la mise au point de l'imprimerie à caractères mobiles (la « typographie ») par Gutenberg. Soucieux de préserver autant qu'il se peut les secrets de ses recherches, contraints à des emprunts monétaires importants, il est en quelque sorte l'archétype des futurs capitalistes. Son objectif est de répondre à une demande insatisfaite : la demande de culture des esprits de moins en moins analphabètes de la Renaissance. Au besoin de publications à grande échelle de livres majeurs va rapidement suivre la demande d'une production plus diversifiée. La diffusion de Bibles à usage personnel contribue à l'essor de la Réforme, tandis que celle-ci accroît en retour la demande. En partie permise par les progrès de la métallurgie, la typographie lui fournit en retour des débouchés. Intérêt pour la mécanique, prémices de « standardisation », productions de grandes séries, soucis de la « productivité » et esprit d'innovation... S'il faudra bien attendre des avancées similaires dans l'industrie textile pour connaître le décollage industriel, l'imprimerie montre bien que le terreau du capitalisme est plus ancien. Au sujet de l'imprimerie, Max Weber fait remarquer qu'elle existait depuis bien longtemps en Chine et sûrement en Inde, mais comme de nombreuses techniques, héritées parfois de l'Antiquité (la force de la vapeur était par exemple connue dans l'Égypte antique), elle a dû attendre de pouvoir s'insérer dans un ensemble de techniques cohérentes et complémentaires pour pouvoir s'imposer. Elle ne le fit d'ailleurs pas sans rencontrer d'opposition, notamment de la part des copistes médiévaux.

[modifier] Vers un nouveau système technique

Icône de détail Article détaillé : Système technique.

Le nouveau système technique qui se met en place à la Renaissance permet l'émergence de certains principes du capitalisme moderne comme l'amélioration de la productivité, l'économie de main d'œuvre, l'augmentation de la production en volume et sa diversification ou encore l'investissement. Il s'appuie sur quelques innovations de rupture comme le haut fourneau, l'imprimerie ou le système bielle-manivelle, la montée en puissance des grands secteurs industriels (métallurgie, exploitation minière) et l'utilisation courante d'une source d'énergie (hydraulique). Ce système, qui persistera jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, entraînera l'adoption d'un système social correspondant pour être au final le terreau d'un capitalisme naissant et le tombeau du régime féodal qui n'aura pas su s'inscrire dans cette mutation en profondeur.

[modifier] Le mercantilisme

À partir du XVIe siècle, la pensée économique n'est plus dominée par les théologiens, mais par des penseurs laïcs qui se soucient en premier lieu de la puissance de l'État : les mercantilistes. Afin d'assurer l'expansion de la richesse du Prince, les valeurs religieuses sont oubliées. Peu importe que l'usure soit un péché ou non, les gouvernants ne se soucient plus que telle ou telle politique commerciale ne soit pas chrétienne : seule compte la Raison d'État. Cette pensée n'est pas celle du capitalisme, vu qu'elle ne se soucie que de l'importance de la puissance de l'État et non du développement de la richesse privée. Toutefois, d'abord parce qu'elle contribue à éliminer les valeurs religieuses, ensuite parce qu'elle peut trouver intérêt au développement des affaires privées, elle prépare les évolutions futures. Souvent la création de monopoles par l'État constituait un compromis entre l'enrichissement des marchands et la mainmise de la puissance publique sur les activités les plus lucratives. Ce fut par exemple le cas des différentes Compagnies des Indes.

[modifier] Évolutions juridiques et monétaires

Au XVIIe siècle, la Hollande acquiert d'importants comptoirs en Inde et développe le commerce des épices, du poivre en particulier ; elle s'est établi au Japon et commerce avec la Chine. Elle devient le nouveau centre de l'« économie-monde » selon Braudel. En 1602, elle fonde la première Compagnie des Indes Orientales : c'est la première grande « société par actions ». Ses dividendes s'élevaient souvent à 15, voir 25 %. De 3 100 florins, les actions montèrent à 17 000 florins à la fin du siècle. Elles étaient soumises à d'incessantes spéculations, alimentées par les rumeurs les plus infondées, voire des campagnes de désinformation organisées. La Compagnie émet aussi des obligations. La Compagnie anglaise des Indes orientales prend le relais et le modèle inspire la création de compagnies dans l'industrie métallurgique, textile, papier...

Départ des voiliers de la Compagnie des Indes orientales, par Hendrick Cornelisz (v. 1630–1640)
Départ des voiliers de la Compagnie des Indes orientales, par Hendrick Cornelisz (v. 16301640)

En parallèle, l'afflux d'or depuis les colonies d'Amérique permet à partir du XVIe siècle une stimulation des échanges, un perfectionnement des méthodes de paiement et des techniques monétaires. Les premières monnaies divisionnaires sont frappées, les monnaies fiduciaires connaissent une importante expansion, les premiers billets apparaissent. Dans le reste du monde, les échanges restent limités par l'usage de « monnaies métalliques dans l'enfance ».

La Hollande connaît aussi la première bulle spéculative de l'Histoire, c'est la Tulipomanie. Dans les années 1630, le prix des tulipes connaît une forte envolée, l'oignon atteignant parfois le prix d'une maison bourgeoise. Lorsque celui-ci devînt manifestement irrationnel, le premier krach de l'Histoire se produisit.

[modifier] Commerce et colonies

[modifier] L'émergence du capitalisme

Le Syndic des drapiers, par Rembrandt (1662). Œuvre de commande, elle symbolise la réussite de la bourgeoisie ainsi que la puissance d'Amsterdam
Le Syndic des drapiers, par Rembrandt (1662). Œuvre de commande, elle symbolise la réussite de la bourgeoisie ainsi que la puissance d'Amsterdam

Toutefois, l'émergence du capitalisme est plus souvent associée aux prémices de la révolution industrielle, et en particulier au XVIIIe siècle. Les formes de propriété privée des moyens de production et de salariat se développent durant cette période.

[modifier] Évolution des rapports sociaux

Dans le domaine artisanal, le capitalisme connaît des formes antérieures à l'usine ou à la manufacture. L'agriculture induit des périodes de faible activité (la morte saison surtout) et les manufacturiers des villes s'intéressent rapidement à cette main d'œuvre régulièrement oisive. Le travail à domicile, ou « domestic system », va se développer. Il permet aux artisans et manufacturiers de sous-traiter une partie de leur production aux familles paysannes. Dans le cadre plus spécifique du « putting-out system », les entrepreneurs fournissent aux travailleurs ruraux (et toujours à domicile) des matières premières, voire des outils, puis viennent récupérer en échange d'un salaire le produit transformé, qui sera parfois achevé dans les ateliers urbains. Ce système a, par exemple, un intérêt majeur dans le cadre de la production textile. Si on ne peut qualifier de telles méthodes de capitalistes, elles sont bien annonciatrices des futurs rapports sociaux entre employeurs et salariés.

[modifier] Signes de déclin de l'artisanat

La « spinning-jenny » de James Hargreaves, inventée en 1765, décuplait la productivité du fileur ; 20 000 furent vendues avant 1790
La « spinning-jenny » de James Hargreaves, inventée en 1765, décuplait la productivité du fileur ; 20 000 furent vendues avant 1790

Les innovations des débuts de la révolution industrielle restent accessibles aux petits artisans (cf. image de la « spinning-jenny » ci-contre) et ne requièrent pas encore la concentration du capitalisme industriel. On assiste pourtant à de premières grandes concentrations sporadiques, sans lien avec le machinisme mais liées à des productions particulières, comme par exemple l'impression sur toile. Cette dernière nécessite des terrains étendus afin de blanchir les toiles, des pièces immenses où les sécher. Elle requiert un outillage diversifié et complexe, et entraîne des stocks importants de toiles et de colorants. Enfin, elle nécessite le regroupement d'ouvriers spécialistes dans des tâches distinctes. Finalement, de nombreuses formes de productions, pas encore mécanisées, entraînent les premières grandes concentrations de capitaux et de la main-d'œuvre.

La question de l'accessibilité du capital aux plus humbles est essentielle dans l'analyse marxiste. En effet, Marx distingue deux formes différentes de propriété privée : celle du travailleur qui possède les moyens de la production qu'il met en œuvre et celle de la bourgeoisie qui emploie la force de travail des prolétaires. La première forme historique correspond au développement de l'artisanat et de la petite agriculture, elle permet le développement des qualifications. Puis la seconde forme, liée à l'appropriation des moyens de production (voir l'Enclosure Act par exemple) par la bourgeoisie (ou la noblesse), permet l'apparition de la grande industrie, des grandes propriétés agricoles, du salariat et donc de l'ensemble des mécanismes qui fondent le mode de production capitaliste.

[modifier] Appropriation des terres

Un acte d'enclosure datant de 1793
Un acte d'enclosure datant de 1793

Dans le domaine agricole, le système féodal perdure longtemps (le servage n'est aboli qu'en 1861 en Russie). En 1727, l'Enclosure Act permet aux lords britanniques de s'approprier et de clôturer les champs. Auparavant, la propriété revenait aux communes, et les champs étaient exploités par l'ensemble des paysans locaux qui profitaient ensemble des récoltes. Toutefois les premières vagues d'enclosures sont plus anciennes et datent du XVe siècle. Les bouleversements quelles provoquent marquent déjà les esprits de l'époque : Thomas More dénonce déjà dans Utopia (1516) les conséquences sociales des balbutiements du capitalisme naissant et décrit un monde alternatif, un nulle part imaginaire marqué par un style de vie s'apparentant au communisme. Le long processus des enclosures et l'imposition des droits de propriété sur les champs va créer une distinction nette entre le propriétaire et le salarié (les anciens petits exploitants devenant les salariés des landlords). La France connaît dans ce domaine un phénomène différent au début du XIXe siècle : le Code Napoléon, qui disperse les terres entre les héritiers au moment du décès, freine le développement des grandes propriétés du capitalisme agricole.

En pleine transition démographique, cette appropriation est le fait d'un intérêt nouveau pour le monde agraire de la part des élites britanniques, qui souhaitent développer une agriculture à haut rendement, et donc lucrative, sur le modèle de la Hollande et des Flandres. Cette appropriation entraînera immédiatement une activité et des investissements importants, du fait même de l'installation des clôtures. Sur le modèle des îles britanniques, la propriété privée des terres s'étend à travers l'Europe et les Amériques, non sans rencontrer des oppositions, notamment morales :

« Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ! » »
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, 1755

La légitimité historique du capitalisme agraire se trouve essentiellement dans son effet direct : la Révolution agricole. Comme l'a montré Max Weber, l'introduction de l'idée de profit individuel a permis l'émergence du rationalisme dans la production, source principale de la productivité :

« Lorsque les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne, la terre ne produit que des bruyères et des forêts. »
Jean-Baptiste Say

Les progrès de l'agriculture capitaliste ont étés nécessaires pour alimenter une population dont la croissance exponentielle (elle passe en Grande-Bretagne de 6 à 18 millions entre 1750 et 1850) faisait craindre aux plus pessimistes (Thomas Malthus en particulier) une fin désastreuse.

[modifier] L'avènement politique du capitalisme

Selon Braudel, le capitalisme ne peut s'établir profondément que là où les lois le lui permettent et assurent son épanouissement :

« Il y a des conditions sociales à la poussée et à la réussite du capitalisme. Celui-ci exige une certaine tranquillité de l'ordre social, ainsi qu'une certaine neutralité, ou faiblesse, ou complaisance de l'État. »
La Dynamique du Capitalisme

La constitution des économies capitalistes telles que nous les connaissons a donc supposé d'importants changements législatifs instaurant la propriété privée du capital et un marché du travail. Pour Karl Marx, ces changements ne sont que la manifestation de la prise de pouvoir au sein de l'État de la bourgeoisie, une des étapes essentielles de la lutte des classes.

[modifier] Propriété privée des moyens de production

En Grande-Bretagne, le vote de l'Enclosure Act marque l'avènement de la propriété privée du capital, il est suivi au XIXe siècle de la libéralisation de l'actionnariat. En 1825, le Bubble Act, qui limitait la taille des entreprises, est abrogé. En 1856, la création de sociétés anonymes est libérée de toute contrainte. C'est le début de la domination des théories du laissez-faire, souhaitant limiter l'intervention de l'État dans l'économie : idéologie répandue en Grande-Bretagne par les auteurs de l'école classique anglaise [1].

En France, suite aux mouvements révolutionnaires de la capitale, les châteaux des campagnes sont assaillis à la fin juillet 1789 par les paysans qui contestent la propriété seigneuriale. Dans la nuit du 4 août 1789, les privilèges de la noblesse sont abolis et la propriété foncière est dès lors ouverte à la bourgeoisie, tandis que la disparition de nombreux impôts d'Ancien Régime permet de (re)lancer l'investissement. Le 26 août, la propriété privée est, « sous les auspices de l'Être suprême », reconnu dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen comme un droit inaliénable.

Aux États-Unis, depuis la colonisation, la propriété privée des terres a été la règle. Toutefois, la législation américaine a pu se montrer très favorable envers les moins riches et a su, grâce à l'immensité du territoire, faire de la propriété privée de la terre une notion fondamentale défendue par les plus humbles (non esclaves). Une loi de 1862 accorde en effet la propriété privée de 160 arpents aux pionniers. Le Homestead Act, en offrant un jardin à cultiver aux Européens démunis, stimule les flux migratoires vers les États-Unis.

[modifier] Marché du travail

En Grande-Bretagne, les économistes classiques de la fin du XVIIIe siècle et du début XIXe siècle vont concentrer leurs critiques sur les lois établies afin de permettre l'émergence de lois favorisant le marché. Héritées du XVIIe siècle, les poor laws britanniques offraient via les paroisses une assistance aux indigents en leur attribuant un travail dans des workhouses, voir leur faisaient la charité de quelques denrées nécessaires à leur survie. Les grands classiques de l'économie (Adam Smith, Thomas Malthus et David Ricardo) s'acharnent contre ce système qui empêcherait la mobilité des travailleurs. En 1834, la quasi-abrogation de ces lois contraint les pauvres à se rendre en ville afin d'éviter la famine, en trouvant par la vente de leur force de travail les ressources nécessaires à leur survie.

En France, la constitution du marché du travail et la liberté des capitaux est permise en juin 1791 par la Loi Le Chapelier, qui interdit toute liberté d'association : corporations, associations et coalitions (c'est-à-dire syndicats et grèves).

Aux États-Unis, c'est le 13e amendement de la Constitution qui abolit l'esclavage le 18 décembre 1865, qui conclut la libéralisation du travail dans l'ensemble des secteurs d'activité.

[modifier] Bilan à la fin du XVIIIe

[modifier] Références et Notes

  1. en fait composée d'auteurs britanniques


Histoire du capitalisme
Emergence du capitalisme · Le capitalisme au XIXe siècle · Le capitalisme au XXe siècle · Tendances actuelles du capitalisme 
Articles connexes
émergence du capitalisme selon Max Weber · mouvement des enclosures · Révolution agricole · Révolution industrielle · Grande dépression 1873 à 1896 · Grande Dépression · État-providence · mondialisation économique · capitalisme cognitif 

[modifier] Morceaux importés

[modifier] 1

L'émergence du capitalisme au XVe siècle coïncide étrangement avec les premières grandes vagues de colonisations. Cortés, lucide conquérant des Amériques, déclara « nous autres Espagnols souffrons d'un mal que seul l'or peut guérir ».

L'influence de l'économie sur les rapports de puissance des états, soulignés par les penseurs mercantilistes, poussera plusieurs siècles plus tard certains à lier capitalisme et impérialisme. Déjà au XVIIIe siècle, Voltaire, plutôt enthousiasmé, soulignait que les marchands étaient plus utiles à la puissance de leur pays que les nobles :

« Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour ; de là s'est formée la grandeur de l'État. C'est le commerce qui a établi peu à peu les forces navales par qui les Anglais sont les maîtres des mers. Ils ont a présent près de deux cents vaisseaux de guerre. La postérité apprendra peut-être avec surprise qu'une petite île qui n'a de soi-même qu'un peu de plomb, de l'étain, de la terre à foulon et de la laine grossière, est devenue par son commerce assez puissante pour envoyer, en 1723 [1], trois flottes à la fois en trois extrémités du monde... »
Lettres anglaises

[modifier] 2