Tapisserie de Bayeux

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La tapisserie de Bayeux
La tapisserie de Bayeux

La Tapisserie de Bayeux, aussi connue sous le nom de tapisserie de la reine Mathilde, et plus anciennement « telle du Conquest » (pour « toile de la Conquête ») semble avoir été commandée par Odon de Bayeux, demi-frère de Guillaume le Conquérant. Elle décrit les faits relatifs à la conquête de l'Angleterre en 1066. Elle détaille les événements clés de cette conquête, notamment la bataille de Hastings. Il faut toutefois noter que près de la moitié des images relatent des faits antérieurs à l'invasion elle-même. Bien que très favorable à Guillaume le Conquérant, la Tapisserie de Bayeux a une valeur documentaire inestimable pour la connaissance du XIe siècle normand et anglais : elle nous renseigne sur les vêtements, les châteaux, les navires, les conditions de vie de cette époque. Conservée jusqu'à la fin du XVIIIe siècle dans le trésor de la cathédrale de Bayeux, elle est aujourd'hui présentée au public dans un musée[1] qui lui est entièrement dédié. La Tapisserie est inscrite depuis 2007 au registre "Mémoire du Monde" par l'UNESCO.

Sommaire

[modifier] Présentation

La Tapisserie de Bayeux n'est pas, à proprement parler, une tapisserie ; en effet, elle relève de la broderie, de huit teintes naturelles de laines sur des pièces de lin bis. Elle a été confectionnée entre 1066 et 1082, peut-être en Angleterre pour décorer le palais épiscopal de Bayeux. Elle est divisée en une série de panneaux, d'une longueur totale de soixante-dix mètres pour une hauteur de cinquante centimètres[2]. Chaque scène est assortie d'un commentaire en latin. Il faut aussi remarquer que la broderie est amputée. Sa fin est perdue mais elle devait se terminer, d'après tous les historiens, par le couronnement de Guillaume. Six cent vingt-six personnages, deux cent deux chevaux et mules, cinq cent cinq animaux de toutes sortes, trente-sept édifices, quarante-neuf arbres… Au total, mille cinq cent quinze sujets variés fournissent une mine de renseignements sur le XIe siècle.

[modifier] Origines

Si une majorité d'historiens s'accorde à penser que c'est bien Odon qui commanda cette broderie pour orner la nef de la nouvelle cathédrale Notre-Dame de Bayeux, inaugurée en 1077, la discorde règne encore quant à qui la fabriqua. La légende dit que c'est la reine Mathilde, aidée de ses dames de compagnie, qui la fabriqua ; pour d'autres, elle fut fabriquée, soit dans le Kent, soit à Winchester, dans le Hampshire, vingt ou trente ans après les événements qu'elle relate. Enfin dernière des hypothèses, sa fabrication aurait été effectuée à Saumur.

Toutefois, deux hypothèses de recherches sont avancées.

  • Les dernières recherches de l'Université de Caen, réunissant des sommités archéologues, historiens, médiévistes, s'accordent à penser que la « Broderie d'Hastings » a été faite dans le Kent, à Winchester ou à Canterbury, tout de suite après la bataille elle-même, et sa confection aurait duré deux ans environ. C'est ce que Denise Morel et Marie France Le Clainche font vivre dans leur roman Les Brodeuses de l’Histoire, où elles mettent en scène l'atelier de broderie de Winchester. Nous savons, en effet, que cet atelier rassemblait brodeurs et brodeuses, laïcs et religieuses, anglo-saxonnes, normandes et bretonnes.
  • Selon l'historien américain George Beech, spécialiste du Moyen-Âge, plusieurs indices permettraient de démontrer, que la tapisserie de Bayeux fut en réalité conçue à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur. Plusieurs faits permettent d'étayer cette réflexion. Le prieur de l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, était seigneur de Dol en Bretagne. Or plusieurs scènes de la tapisserie racontent les préparations guerrières des batailles au Mont-Saint-Michel, à Dol de Bretagne, à Rennes et à Dinan. De plus Ce seigneur de Dol était lié d'amitié avec Guillaume le Conquérant. Enfin à la fin du XIe siècle, l'abbaye de Saint-Florent-de-Saumur s'est retrouvée propriétaire de nombreux domaines en Angleterre. Ces possessions ont pu être offertes par Guillaume le Conquérant en remerciement de la tapisserie.

[modifier] Contenu historique

La première moitié de la broderie relate les aventures du comte Harold Godwinson, beau-frère du roi Édouard le Confesseur, dont le navire fit naufrage sur les terres du comte Guy de Ponthieu (dans la Somme actuelle) en 1064. Il fut sauvé et capturé par Guy qui envisageait de le libérer contre rançon. Hélas, un espion de Guillaume, visible sur la broderie, était là. Guillaume exigea de Guy qu'il lui remît Harold, ce qui fut fait. Guillaume adouba Harold chevalier à Rouen. C'est lors de cette cérémonie, qu'on voit sur la broderie, que Harold jura, sur les reliques d'un saint (très important à l'époque) à Guillaume de le soutenir pour succéder à Édouard sur le trône d'Angleterre. Il revint sur cette promesse plus tard, ce qui lui valut son excommunication par le pape. La broderie montre ensuite Harold retourner en Angleterre et se faire acclamer roi après la mort d'Édouard.

La broderie reflète le point de vue normand de l'histoire, notamment en justifiant l'invasion de Guillaume par sa légitimité au trône. Harold y est représenté comme un fourbe, parjure, reniant un serment sacré, alors qu'il semble que l'on ne trouve de relation de ce serment que dans la tapisserie et dans la Gesta Guillelmi de Guillaume de Poitiers, une autre source normande, écrite peut-être dix ans après la conquête normande de l'Angleterre. Cela dit, on s'accorde généralement à penser que ce serment eut bien lieu mais qu'il y aurait peut-être eu tromperie, puisque Harold aurait affirmé qu'il ne savait pas qu'il y avait de saintes reliques sous le livre sur lequel il jura. Cependant la tapisserie laisse aussi un peu de place au point de vue anglais. Harold, le parjure, est à l'honneur dès le début de la broderie; il sauve deux normands du Couesnon, on le voit prier Dieu, son couronnement montre qu'il est un roi légitime et les inscriptions durant la bataille prouvent sa dignité de roi. Ainsi la tapisserie en imposant le point de vue général normand permet une lecture plurielle, anglaise ou normande, sur des aspects secondaires.

Ensuite, sur la broderie, nous voyons les préparatifs de Guillaume pour son invasion de l'Angleterre ; puis des images de la bataille d'Hastings. À ce sujet, on a longtemps cru que Harold y était représenté mourant d'une flèche dans l'œil, mais on pense, de nos jours, qu'il y a eu confusion sur la personne, le frère d'Harold étant mort d'une flèche dans l'œil.

La broderie contient aussi une représentation d'une comète, probablement la Comète de Halley. La mention de cette comète est entièrement justifiée, car elle devait justement passer à cette époque.

On peut également noter que les éléments (animaux fantastiques, sauvages ou domestiques, fables, chevrons) figurant dans les parties hautes et basses de la broderie ne semblent pas avoir de rapport avec le principal récit pour une minorité d'auteurs comme Wolgang Grape ou Carole Hicks. Ainsi, on peut voir par exemple dans la partie basse de la tapisserie une scène du corbeau et du renard d'Esope reprise par Phèdre qui n'aurait qu'un rôle décoratif. Cependant la grande majorité des spécialistes pense qu'il existe des liens entre les bordures et la bande principale. D. Beirstein et Daniel Terkla en ont fait la démonstration. Mais il y a débat sur le point de vue reflété par les fables. R.Wissolik et D.Bernstein ont interprété ces fables comme un commentaire anglo-saxon d'ordre moral. Pour Bard McNulty ou D.Terkla il s'agit d'une paraphrase soutenant le point de vue normand.

Toutefois, à la fin de la broderie, lorsque la bataille entre Guillaume et Harold fait rage, les motifs décoratifs de la frise du bas disparaissent, et la frise se remplit des cadavres des morts et des boucliers et armes tombés à terre, comme si ce « débordement » devait traduire la fureur des combats, impossibles à contenir dans la zone du milieu de la tapisserie.

[modifier] Autres apports

La broderie nous apporte une connaissance quant à des faits historiques dont nous avons peu de trace par ailleurs. Elle apporte des informations nouvelles sur des éléments de l'expédition de Bretagne, sur le lieu du serment : Bayeux, sur la place des frères de Guillaume dans la conquête ou encore sur Odon, un évêque, qui a osé combattre dans la bataille ce que l'Eglise interdisait. La présentation de la broderie, sous forme d'images, la rendit tout au long des siècles accessible à tous alors que peu savaient lire.

La broderie est inestimable quant à la connaissance de la vie de l'époque ; d'abord sur les techniques de broderie du XIe siècle, notamment l'apparition de ce qui est nommé depuis le point de Bayeux ; ensuite sur nombre de techniques de l'époque, puisque y apparaissent des constructions de châteaux, de bateaux (la flotte d'invasion de Guillaume). Y figurent aussi des vues de la cour de Guillaume, de l'intérieur du château d'Édouard, à Westminster. Nous y voyons nombre de soldats, ce qui a permis de se faire une meilleure idée de leur équipement. La plupart portaient des broignes et non des cottes de mailles comme on l'a cru longtemps. De même, sont bien visibles des signes distinctifs sur les boucliers, ce qui était peu répandu jusqu'alors. Toutefois, les soldats y sont représentés se battant mains nues alors que toutes les autres sources écrites de cette époque font apparaître que les soldats se battaient (et chassaient) presque toujours gantés.

[modifier] Histoire

Vers l'an 1100, un poète français du nom de Baudry compose pour Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, un poème dans lequel il décrit une tapisserie faite de soie, d'or et d'argent et représentant la conquête de l'Angleterre. Même si la taille et les matériaux de cette tapisserie montrent qu'il ne s'agit pas de la même tapisserie, même si l'existence de la tapisserie de la comtesse Adèle est mise en doute, il est évident que le poème de Baudry s'inspire soit directement, soit indirectement de la tapisserie de Bayeux. La plus ancienne mention directe de la tapisserie est un inventaire des biens de la cathédrale de Bayeux, dressé en 1476, qui en mentionne l'existence et précise qu'elle est suspendue autour de la nef pendant quelques jours chaque été. En 1562, des religieux, avertis de l'arrivée imminente d'une troupe de Huguenots, mirent à l'abri quelques biens. Ils firent bien, car ceux-ci mirent à sac la cathédrale. D'une notoriété encore très locale, elle ne commença à intéresser des érudits non normands qu'à la fin du XVIIe siècle[3].

La Révolution française faillit marquer la fin de la Tapisserie. Déjà, le nouveau pouvoir préconisait de détruite tous les documents historiques. En 1792, la France étant menacée d'invasion, des troupes sont levées. Au moment du départ du contingent de Bayeux, on s'avisa qu'un des chariots chargés de l'approvisionnement n'avait pas de bâche. Un participant zélé, proposa de découper la tapisserie conservée à la cathédrale pour couvrir le chariot. Prévenu tardivement, le commissaire de police, Lambert Léonard Leforestier, arriva cependant juste à temps pour empêcher cet usage. Il se créa alors une commission artistique qui veilla à la sécurité de l'œuvre pendant la Révolution. À des fins de propagande contre l'Angleterre qu'il projetait d'envahir, Napoléon la fit venir à Paris en 1803 où elle fut exposée à l'admiration des foules parisiennes. Elle retourna à Bayeux en 1805. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Mme Elisabeth Wardle, femme d'un riche marchand, finança une copie de même taille qui se trouve maintenant en Angleterre[4].

Elle fut à nouveau cachée pendant la guerre franco-prussienne de 1870 puis durant la Seconde Guerre mondiale. À l'heure actuelle, elle est exposée au Centre Guillaume le Conquérant, à Bayeux.

[modifier] Extraits

[modifier] Notes

  1. Site Officiel de la Tapisserie de Bayeux: Accueil
  2. De par sa présentation, sous formes d'images distinctes, on a pu y voir l'ancêtre de la bande dessinée; cependant, le fait que, suivant les spécialistes, il y ait de 30 à 70 images distinctes relativise ce point de vue.
  3. Entre autres : Nicolas Jean Foucault († 1721), intendant de Normandie ; Antoine Lancelot (1675-1740) de l'Académie royale des Inscriptions et Belles Lettres ; Bernard de Montfaucon (1655-1741), historien et bénédictin.
  4. Tout l'historique de la tapisserie est tirée de cette source:
    Andrew Bridgeford (trad. Béatrice Vierne), 1066, l'histoire secrète de la tapisserie de Bayeux, 2004 [détail des éditions], p. 35-57

[modifier] Bibliographie

  • (en) David J. Bernstein, The Mystery of the Bayeux tapestry, London, Weidenfeld & Nicolson, 1986 ISBN 0226044009
  • Simone Bertrand, La Tapisserie de Bayeux et la manière de vivre au onzième siècle, Saint-Léger-Vauban, Zodiaque, 1966
  • (en) Pierre Bouet, François Neveux, Brian Levy, The Bayeux tapestry : embroidering the facts of history, Caen, Presses universitaires de Caen, 2004 ISBN 2841332136
  • (en) Gerald A. Bond, The Loving Subject : desire, eloquence, and power in Romanesque France, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1995 ISBN 0812233220
  • (en) Andrew Bridgeford, 1066 : the Hidden History in the Bayeux Tapestry, 2004 [détail des éditions]
  • (en) Shirley Ann Brown, The Bayeux tapestry : history and bibliography, Woodbridge ; Wolfeboro, Boydell Press ; Boydell & Brewer, 1988 ISBN 085115509X
  • (en) Rouben Charles Cholakian, The Bayeux tapestry and the ethos of war, Delmar, Caravan Books, 1998 ISBN 0882060902
  • (en) Meredith Clermont-Ferrand, Anglo-Saxon propaganda in the Bayeux tapestry, Lewiston, E. Mellen Press, 2004 ISBN 0773463852
  • (en) Richard Gameson, The Study of the Bayeux tapestry, Woodbridge : Boydell Press, 1997 ISBN 0851156649
  • (en) Charles Harvard Gibbs-Smith, The Bayeux Tapestry, London ; New York, Phaidon ; Praeger, 1973
  • Wolfgang Grape, Valérie Agéma, Patrick Maubert, La Tapisserie de Bayeux : Monument à la gloire des Normands, Munich, Prestel, 1994 ISBN 3791315773
  • (de) Ulrich Kuder, Der Teppich von Bayeux : oder : Wer hatte die Fäden in der Hand ?, Frankfurt-am-Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 1994 ISBN 3596114853
  • (de) Michel Parisse, La tapisserie de Bayeux, collection l'Esprit curieux n° 3, 1997, Le Pérégrinateur éditeur ISBN 2-910352-14-5.
  • (en) Suzanne Lewis, The Rhetoric of power in the Bayeux tapestry, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 1999 ISBN 0521632382
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  • (en) J Bard McNulty, The Narrative Art of the Bayeux tapestry master, New York, AMS Press, 1989 ISBN 0404614434
  • (en) J Bard McNulty, Visual Meaning in the Bayeux tapestry : problems and solutions in picturing history, Lewiston, Edwin Mellen Press, 2003 ISBN 0773466185
  • (en) Lucien Musset, The Bayeux tapestry, Woodbridge ; New York, Boydell Press, 2005 ISBN 1843831635
  • Lucien Musset, La Tapisserie de Bayeux : œuvre d’art et document historique, Saint-Léger-Vauban, Zodiaque, 1989 ISBN 2736901703
  • Lucien Musset, La Tapisserie de Bayeux, Paris, Zodiaque, 2002 ISBN 2736902815
  • (en) François Neveux, The Bayeux tapestry, Paris, Jean-Paul Gisserot, 1995 ISBN 2877471780
  • (en) Gale R Owen-Crocker, King Harold II and the Bayeux Tapestry, Woodbridge ; Wolfeboro, Boydell Press ; Boydell & Brewer, 2005 ISBN 1843831244
  • Michel Parisse, Jean Thouvenin, La Tapisserie de Bayeux, Paris, Denoël, 1983 ISBN 2207228665
  • Frank Merry Stenton, La Tapisserie de Bayeux, Paris, Flammarion, 1957
  • Jean Verrier, La Broderie de Bayeux dite tapisserie de la reine Mathilde, Paris, 1946
  • (en) David M. Wilson, The Bayeux tapestry : the complete tapestry in colour, London, Thames and Hudson, 1985 ISBN 0500234477
  • (en) David M. Wilson, The Bayeux tapestry, London : Thames & Hudson, 2004 ISBN 0500251223
  • (en) Richard David Wissolik, The Bayeux tapestry : a critical, annotated bibliography with cross-references and summary outlines of scholarship, 1729-1990, Greensburg, Eadmer Press, 1990 ISBN 0929914082
  • H.Chefneux, Les Fables dans la Tapisserie de Bayeux, Romania LX 1934 p 1-35 et 153-194 (encore d'actualité)
  • L.Herrmann, Les Fables antiques de la Broderie de Bayeux, Latomus, Bruxelles, 1964

[modifier] Voir aussi

  • MF Le Clainche, D. Morel, Les Brodeuses de l'Histoire, roman historique, Rennes, Coop Breizh, 2006, ISBN 284346269X
  • Adrien Goetz, Intrigue à l'anglaise, roman policier historique, Paris, Grasset, avril 2007, ISBN-13 978-2-246-72391-2

[modifier] Liens externes

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