Régence d'Alger

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Alger à l'époque de la Régence (1680)
Alger à l'époque de la Régence (1680)

C'est sous domination turque qu'Alger, une petite ville obscure, commença à jouer le rôle de capitale d'un pays qui s'étendait dès la fin du XVIe siècle, entre la Tafna à l'Ouest et La Calle à l'Est. Après la déroute de Charles Quint en 1541, Alger va devenir la plus puissante des villes neuves de la Méditerranée. La Régence d'Alger va durer trois siècles: de 1529 à 1830.

Sommaire

[modifier] Les frères Barberousse à Alger

Après avoir achevé la Reconquista en 1492 avec la chute du dernier bastion musulman : le Royaume de Grenade, le Cardinal Ximenès, primat d’Espagne va porter la Croisade au cœur des petits états barbaresques. Les espagnols vont annexer plusieurs villes côtières au prix d’horribles massacres: Mers El Kébir en 1505, Oran en 1509 et Bougie (Béjaïa) en 1510.

Alger qui n’avait ni armée ni artillerie, prit peur d’autant que les espagnols avaient construit en 1510 sur un des îlots qui fait face à la cité, une forteresse, le Peñon, qui les tenait en respect. Sélim et Tûmi, roi d’Alger, fit appel aux frères Barberousse, corsaires mercenaires originaires de l’île de Mytilène, qui écumaient alors la Méditerranée et les côtes espagnoles au secours des musulmans victimes de l’inquisition et menacés de mort ou de christianisation.

Arudj Barberousse rentra dans Alger en 1516 à la tête de 1300 Turcs et d’une flotte de 16 galiotes. Il devint maître de la ville après avoir fait étrangler Sélim et Tûmi dans son bain mais sans avoir pu déloger les espagnols du Peñon. Il conquit tout l’arrière pays et l’Ouest algérien : la Mitidja, le Chélif, le Titteri, le Dahra, l’Ouarsenis et Tlemcen. Et, en 1518, au retour d’une expédition contre le souverain zayanide Abou Hammou, il fut tué à Rio Salado (El Malah), défait par les espagnols.

Khayr ad-Din Barberousse succéda à son frère. Pour asseoir son autorité, il fit allégeance au sultan de Constantinople Sélim Ier qui envoya à Alger 6000 hommes dont 2000 janissaires, troupe d’élite turque, et le nomma émir des émirs (beylerbey). Il repoussa une attaque espagnole menée par Hugo de Moncade en 1519 et s’empara de Constantine, Annaba, Ténès, Cherchell et Mostaganem. En 1529, il rasa le Peñon et fit construire avec les matériaux de démolition un môle qui reliait les quatre îlots à la cité. Alger avait son port . C’est l’acte de naissance de la Régence d’Alger, république militaire sous suzeraineté Ottomane préfigurant l’Etat Algérien moderne.

Alger délivrée des espagnols, dotée d’un port et entraînée par un des plus fabuleux corsaires de tous les temps va pouvoir se livrer dorénavant avec un succès sans cesse croissant à la Course en mer.

Contre les menées étrangères, Alger devint un grand port de guerre, une ville bien gardée, imprenable. La Régence était solidement structurée et armée face aux visées espagnoles. En 1541, Charles Quint, le souverain le plus puissant d'Europe, roi d'Espagne et d'Italie, Empereur d'Allemagne réunit une flotte de 65 vaisseaux de guerre, 451 navires et 23 000 combattants dont 2000 cavaliers et vint faire le siège de la ville. L' Attaque d'Alger par Charles Quint fut un échec cuisant grâce au courage des algérois bien guidés par leur chef Hassan Agha. Après cette victoire, tout le Maghreb Central va reconnaitre l'autorité de la Régence. Seule Oran restera sous le joug espagnol.

[modifier] Organisation politique

La Régence d'Alger qui était gouvernée par des beylerbeys (1529-1587), par des pachas (1588-1659) puis des aghas (1659-1671) passa en 1671 sous le pouvoir des deys.

Les beylerbeys et les Pachas étaient désignés par le sultan de Constantinople. Ils exerçaient leur suzeraineté sur les Pachas de Tunis et de Tripoli.

Au cours du XVIIème siècle, l'Algérie va se dégager de l'autorité de la Sublime Porte. Des pouvoirs nouveaux vont émerger des conflits pachas-taïfa-odjaq: celui des aghas puis des deys. De 1671 à 1689 les deys sont choisis par la taïfa des Raïs (armateurs) et de 1689 à 1830 par l'odjaq, la turbulente milice des janissaires. Sur les 30 deys qui se succédèrent de 1671 à 1818, 14 furent imposés par l'émeute après l'assassinat de leur prédécesseur. En 1711, le dixième dey Ali Chaouch refusa d'accueillir l'envoyé de Constantinople et obtint du sultan l'autonomie. Les deys gouvernaient en souverains absolus conseillés par le diwan, composé de hauts fonctionnaires turcs. Ils étaient assistés par un agha, le khaznadji chargé de la trésorerie et de trois beys installés à Oran (après Mazouna et Mascara), Médéa et Constantine.

[modifier] Organisation militaire

Bombardement d'Alger en 1816 par Lord Exmouth
Bombardement d'Alger en 1816 par Lord Exmouth

[modifier] L'Odjaq des Janissaires

On appelait Odjaq la milice des janissaires. Pleins de morgue et de mépris pour les autres habitants de la ville, les janissaires formaient une caste à part qui n'obéissait qu'à ses chefs. Honnis par la population en raison de leurs exactions, leur rôle va aller grandissant à Alger dont ils vont finir par devenir les maîtres. Turbulents et indisciplinés, faisant et défaisant les gouvernements, ils tenaient de moins en moins compte de l'autorité de la Porte. Pour contrecarrer le péril janissaire, les souverains créèrent avec des contingents kabyles une armée aussi vaillante mais plus sûre.

[modifier] La Taïfa des Raïs

Ce sont les raïs qui armaient les navires pour la Course. Les plus grands raîs d'Alger vont se recruter parmi les renégats qui ont souvent une grande connaissance des choses de la mer. Cette nouvelle caste de "Turcs de profession" va se développer jusqu'à devenir puissante rivale des janissaires: c'est la Taïfa des Raïs. En 1558, la marine de la Régence était forte de 35 galères et 25 brigantins. Lorsque la flotte disposa de navires de haut bord, les corsaires algériens portèrent la terreur jusqu'en Islande (1616). Les pays européens tels la France, l'Angleterre, la Hollande, l'Espagne et même les Etats-Unis organisèrent aux XVIIème et XVIIIème siècles des expéditions punitives contre les Algériens, mais sans résultats notables.

[modifier] Organisation territoriale

Les turcs ne se limitèrent pas à l'occupation du littoral et placèrent des garnisons à demeure dans les villes qui tenaient une position stratégique. Ils furent les artisans de la délimitation des limites du territoire algérien par des frontières précises avec la Tunisie et le Maroc. Salah Raïs (1552-1556) obligea les caïds de Touggourt et Ouargla à payer tribut. Il conquit le Sud grâce à l'aide des Béni-Abbès (kabyles).

La province d'Alger était le domaine propre du dey (Dar Es Sultan) et dépendait de lui. Les provinces ou beyliks d'Oran, Médéa et Constantine avaient à leur tête un bey. Chaque beylik était subdivisé en cantons (outân) comprenant plusieurs tribus et administrés par des commissaires ou caïds qui avaient sous leurs ordres les chefs de tribus ou cheikhs.

Pourvu qu'ils se soumissent à l'impôt et au passage des troupes, les beys ne s'inquiétaient pas de troubler les coutumes de leurs sujets.

[modifier] La Course

Un exemple de Lettre de Marque
Un exemple de Lettre de Marque

La Course est une guerre licite, elle est affaire d'Etat. Les corsaires opéraient la Course à bord de navires de commerce ou de navires de guerre dont le souverain leur avait fourni une "Lettre de Marque" ou une "Commission" les autorisant à perpétrer leur forfait.

Les navires appartenaient aux raïs, membres de la puissante Taïfa. Les voiliers des corsaires sont tous de petite jauge et sacrifiaient à la vitesse la puissance de leur armement. C'étaient des chébecs, galiotes ou brigantins. Ils utilisaient plus souvent la rame que la voile afin d'éviter d'être vus de loin.

La chiourme était bien entraînée, disciplinée et frugale: "la ration jounalière se composait de trois biscuits et d'une mesure d'eau vinaigrée". Les rameurs étaient enchaînés à leur place et n'en bougeaient pas pendant la manœuvre. Cette légèreté de manœuvre va faire la fortune de la Course algérienne. Cervantès, captif à Alger de 1574 à 1580, nous la décrit par la bouche d'un marin algérien: "Nous autres, nous allons à la légère et aussi vite que le feu". L'attaque se faisait à l'abordage et les combats à l'arme blanche.

Haëdo: "A leur retour, tout Alger est content. On partage le butin, vend les captifs au Batestan (marché aux esclaves). On ne fait que manger, boire et se réjouir".

[modifier] Alger des Corsaires

Au plus fort de la course on recensait 60000 habitants à Alger, non compris les 25000 captifs chrétiens.

Place forte, hérissée de défenses contre les attaques maritimes, la ville était entourée d'une enceinte protégée par un fossé large et profond. Sur le parapet étaient pratiqués des créneaux et des embrasures pour les fusils et les canons. On accédait à la ville par 5 portes: Bab Jedid, Bab Azzoun, Bab El Oued, Bab Dzira et la Porte de la Pêcherie. Les deux dernières s'ouvraient sur le môle.

Les maisons sont blanches, à terrasses, étagées. A la fin du XVIème siècle, les raïs édifièrent de somptueux palais dans la basse ville. Haëdo en 1580 recense 100 mosquées, chapelles ou zaouias. En 1660, l'odjaq éleva le plus important monument religieux de l'Alger turc: la mosquée de la Pêcherie.

Les turcs constituaient une aristocratie militaire. Les métis de turcs et de femmes indigènes: les kouloughlis: participaient aux affaires publiques. les maures tenaient l'industrie locale et l'artisanat. Ils étaient parfois cultivateurs. Les juifs, immigrés d'Espagne aux XIVe et XVe siècles représentaient une aristocratie intellectuelle et commerçante. Les européens étaient parfois marchands mais surtout captifs.

Les souverains français et de Grande-Bretagne étaient représentés auprès de la Régence par un consul.

Alger exportait des céréales, des chevaux barbes, des cuirs, de la laine, de la cire et même de l'or et des esclaves. La vie était assez facile car les vivres étaient abondantes et à bon marché.

[modifier] Bibliographie

  • Hocine Mezali, Alger, 32 siècles d'Histoire , ENAG/Synergie Ed., Alger 2000
  • Charles-André Julien, Histoire de l'Afrique du Nord, des origines à 1830, édition originale 1931, réédition Payot, Paris, 1994
  • Diégo de Haëdo, traduction H.D. de Grammont, Histoire des Rois d'Alger, édition originale Adolphe Jourdan - Alger 1881 - , réédition éditions Grand-Alger-Livres -Alger 2004.
  • Corinne Chevallier, Les trente premières années de l'Etat d'Alger 1510-1541, OPU, Alger 1988
  • Jean-Louis Belachemi, Nous, les frères Barberousse, corsaires et rois d'Alger, Fayard, Paris 1984