Impostures intellectuelles

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Impostures Intellectuelles est un ouvrage d'Alan Sokal et Jean Bricmont publié en 1997. Ce livre, considéré comme une violente critique à l'adresse de la philosophie post moderne notamment à propos de l'usage abusif du vocabulaire scientifique, en particulier chez ses représentants français (Lacan, Kristeva, Latour, Deleuze, Irigaray), a fait l'objet d'un débat politique âpre lors de sa publication aux éditions Odile Jacob, en France.

Une nouvelle édition, revue et augmentée, est sortie en 1999. Les auteurs y commentent une série d'extraits tirés d'ouvrages consacrés.

Sommaire

[modifier] L'objectif de l'œuvre

Les auteurs présentent ainsi l'objectif de leur livre : « Le but de cet essai est d’apporter une contribution, limitée mais originale, à la critique de la nébuleuse postmoderne. Nous ne prétendons pas analyser celle-ci en général mais plutôt attirer l’attention sur des aspects relativement peu connus, atteignant néanmoins le niveau de l’imposture, à savoir l’abus réitéré de concepts et de termes provenant des sciences physico-mathématiques. Plus généralement, nous analyserons certaines confusions intellectuelles, fort répandues dans les écrits postmodernes, qui portent à la fois sur le contenu du discours scientifique et sur sa philosophie.»

[modifier] La critique du postmodernisme

Le contenu de cette section représente le point de vue des auteurs sur leur livre, et n'est pas nécessairement impartial.

Pour être précis, le mot « abus » désigne une ou plusieurs des caractéristiques suivantes :

  • Parler abondamment de théories scientifiques dont on n’a, au mieux, qu’une très vague idée. Dans la plupart des cas, les auteurs visés par ce travail ne font qu’utiliser une terminologie scientifique (ou apparemment scientifique) sans trop se soucier de la véritable signification des mots.
  • Importer des notions de sciences exactes dans les sciences humaines sans donner la moindre justification empirique ou conceptuelle à cette démarche. Un biologiste qui voudrait utiliser dans son domaine de recherche des notions élémentaires de topologie (telles que le tore), de la théorie des ensembles ou encore de la géométrie différentielle, serait prié de donner quelques explications. Une vague analogie ne serait pas prise très au sérieux par ses collègues. Ici, par contre, on apprend avec Lacan que la structure du névrosé est exactement le tore, avec Kristeva que le langage poétique relève de la puissance du continu et avec Baudrillard que les guerres modernes se déroulent dans un espace non-euclidien.
  • Exhiber une érudition superficielle en jetant sans vergogne des mots savants à la tête du lecteur, dans un contexte où ils n’ont aucune pertinence. Le but est sans doute d’impressionner et surtout d’intimider le lecteur non scientifique. Certains commentateurs s’y laissent d’ailleurs prendre : Roland Barthes fait l’éloge de l’exactitude du travail de Kristeva et Le Monde admire l’érudition de Paul Virilio.
  • Manipuler des phrases dénuées de sens et se livrer à des jeux de mots. Il s’agit d’une véritable intoxication verbale, combinée à une superbe indifférence pour la signification des termes utilisés.

Ces auteurs parlent avec une assurance que leur compétence ne justifie nullement. Jacques Lacan se vante d’utiliser « le plus récent développement de la topologie » et Bruno Latour se demande s’il n’a pas appris quelque chose à Einstein. Ils pensent sans doute pouvoir utiliser le prestige des sciences exactes pour donner un vernis de rigueur à leur discours. De plus, ils semblent assurés que personne ne remarquera leur usage abusif de concepts scientifiques. Personne ne va s’écrier que le roi est nu.

Le but des auteurs est justement de dire que le roi est nu. Ils ne veulent nullement attaquer les sciences humaines ou la philosophie en général ; au contraire, ils pensent que ces domaines sont fort importants et veulent mettre en garde ceux qui y travaillent (surtout les jeunes) contre des exemples manifestes de charlatanisme. En particulier ils veulent « déconstruire » la réputation qu’ont ces textes d’être difficiles parce que profonds. Dans bien des cas, ils peuvent montrer que s’ils semblent incompréhensibles, c’est pour la bonne raison qu’ils ne veulent rien dire.

Cet ouvrage a été publié en anglais l’année suivante sous le titre Fashionable Nonsense: Postmodern Intellectuals Abuse of Science.

[modifier] Réactions

Le livre a suscité un numéro de la revue Alliage intitulé Impostures scientifiques, les malentendus de l'affaire Sokal, attaquant Sokal et Bricmont, et défendant les cibles de Sokal sans aucune concession (par exemple, la revue affirme que Latour n'a fait aucune erreur dans son interprétation de la théorie de la relativité, ni Lacan en topologie). Certaines des "cibles" de Sokal ont d'ailleurs participé à ce numéro. À l'inverse Jacques Bouveresse, du Collège de France, a rédigé de son côté un opuscule, Prodiges et vertiges de l'analogie, où il soutient largement Sokal et Bricmont et où il s'intéresse de près à une "imposture" particulière: l'usage douteux que fait Debray des travaux de Gödel (que Bouveresse a pour sa part parfaitement assimilés). Il a aussi écrit plusieurs articles sur le sujet.

De manière assez amusante, Bouveresse a rapidement prophétisé que cette affaire ne ferait que renforcer le prestige des cibles de Sokal, vues comme les victimes d'attaques antifrançaises d'un Américain. Cette interprétation a effectivement été très répandue parmi les opposants à Sokal. Surtout, le livre fut classé comme critique de droite, ce qui déplut à Sokal qui se revendique de gauche et prétendait justement protèger la gauche des charlatans; Sokal avait justement critiqué cette démarche de politisation en accusant dans son texte parodique Gross et Levitt d'avoir attaqué Derrida parce qu'il est de gauche, alors que la critique de Derrida était purement physique.

D'une manière générale, le travail de Sokal et Bricmont a provoqué les réactions suivantes dans la presse (c'est surtout en France qu'il y a eu des réactions passionnées):

  • Dénonciation d'un complot antifrançais ou antiphilosophique de la part des partisans des cibles du livre; [1],[2],[3],[4],[5].
  • Applaudissement et appel au retour au sérieux de la part de leur détracteurs;
  • Acceptation du contenu mais critique de la méthode de la part d'une assez large partie des intervenants: Science et Avenir doute que la compréhension des sciences dures soit suffisante pour juger les intellectuels la mêlant aux disciplines littéraires, Le Canard enchaîné trouve tout simplement les remarques sans intérêt (le journaliste considère qu'on savait depuis longtemps que ces textes n'étaient pas bâtis sur des sciences dures correctement agencées); de plus, certains journaux font remarquer qu'il faut croire sur parole les auteurs dans des domaines connus de peu de lecteurs;
  • Souvent, les applaudissements sont réservés: par exemple Sokal et Bricmont ont été critiqués pour avoir adopté un ton trop dur avec les philosophes analysant la relativité, alors que leurs textes datent d'une époque où les physiciens ne l'avaient pas encore assimilée. Souvent, on reproche aux auteurs leur manque de pédagogie: leur critique de Latour n'améliore certainement pas la compréhension de la relativité (en fait, les auteurs n'ont pas du tout pris la peine d'expliquer l'importance en physique des erreurs qu'ils pointent)

[modifier] Bibliographie

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Julia Kristeva, Une désinformation, Le nouvel Observateur n° 1716 (1997).
  2. Robert Maggiori, "Fumée sans feu", Libération du 30 septembre, (1997).
  3. Pascal Bruckner, "Le risque de penser", Le Nouvel Observateur n° 1716 (1997).
  4. Max Dora, "Métaphore et politique", Le Monde du 20 novembre (1997).
  5. Juliette Simon, "La haine de la philosophie", Les Temps Modernes n° 600 (1998).
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