Groupe fondamental

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Pour les articles homonymes, voir Groupe de Poincaré.

En topologie algébrique, le groupe fondamental ou groupe de Poincaré est un invariant central. Le groupe fondamental d'un espace topologique pointé est, par définition, l'ensemble des classes d'homotopie de lacets dont la loi de composition interne est la concaténation. L'examen des groupes fondamentaux permet de prouver que deux espaces ne peuvent être homéomorphes, ou topologiquement équivalents. Le groupe fondamental permet de classifier les revêtements d'un espace connexe par arcs, à isomorphisme près.

Une généralisation des groupes fondamentaux est la suite des groupes d'homotopie supérieurs.

Sommaire

[modifier] Définition intuitive à travers l'exemple du tore

Un lacet sur le tore bidimensionnel de point de départ p
Un lacet sur le tore bidimensionnel de point de départ p

Tout d'abord, familiarisons-nous avec l'idée du groupe fondamental à travers l'exemple du tore bidimensionnel (qu'on peut se représenter comme étant la surface d'un donut). On fixe sur le tore un point de départ p.

À partir de ce point, on peut construire des lacets, i.e des courbes fermées, qui partent du point p, se promènent sur le tore et qui reviennent au point de départ. Imaginons que les lacets soient faits à partir de caoutchouc et qu'il soit ainsi possible de les étirer, les déformer de telle manière que le point de départ et le point d'arrivée soient toujours p et que les lacets se déplacent toujours sur le tore. Une telle déformation s'appelle une homotopie : deux lacets qui peuvent s'obtenir l'un à partir de l'autre par une homotopie sont dits homotopiquement équivalents. Ce sont les lacets à déformation près qui nous intéressent : on regroupe donc les lacets dans des classes d'homotopie. Le groupe fondamental du tore est donc l'ensemble des différentes classes d'homotopie des lacets.

a et b ne sont pas homotopiquement équivalents
a et b ne sont pas homotopiquement équivalents

Dans la figure ci-contre, les lacets a et b ne sont pas homotopiquement équivalents : on ne peut obtenir l'un en déformant continûment le second sans le « déchirer » à un moment, ils représentent deux éléments distincts du groupe fondamental. On obtient d'autres classes d'homotopie en faisant tourner les lacets plusieurs fois autour du trou.

Concaténé de deux lacets
Concaténé de deux lacets

Comme son nom l'indique, le groupe fondamental n'est pas un simple ensemble, il est muni d'une structure de groupe : la loi de composition interne est celle qui à deux lacets associe un troisième lacet obtenu en parcourant le premier puis le second à la même vitesse (il n'y a pas de problèmes de définition puisque les lacets commencent et terminent avec le même point p). L'élément neutre du groupe fondamental est la classe d'homotopie du lacet qui reste au point p. On obtient un élément inverse en parcourant les lacets d'une classe d'homotopie dans le sens contraire.

[modifier] Définition mathématique

Soit X un espace topologique, et p un point fixé dans X. Un arc continu est une application continue \gamma : [0,1] \to X.

Un lacet basé en p est un arc continu vérifiant de plus γ(0) = γ(1) = p.

Deux lacets γ0 et γ1 sont dits homotopes s'il existe une homotopie de l'un vers l'autre, c'est-à-dire une application continue H : [0,1]^2\to X telle que :

  • \forall t \in [0,1], \, H(t,0) = \gamma_0(t)
  • \forall t \in [0,1], \, H(t,1) = \gamma_1(t)
  • \forall x \in [0,1], \, H(0,x) = H(1,x) = p

Le fait d'être homotope est une relation d'équivalence entre lacets. On peut donc considérer l'ensemble des lacets de X ensemble quotient par homotopie. On notera [γ] la classe d'équivalence du lacet γ (aussi appelée classe d'homotopie).

On veut maintenant donner une structure de groupe à cet ensemble. Si f et g sont deux lacets de X, leur concaténation est le lacet h défini par : h(t)=\left\{\begin{matrix} f(2t), & \mbox{si }t\in[0,1/2] \\ g(2t-1), & \mbox{si } t\in[1/2,1]\end{matrix}\right.

Intuitivement, c'est le lacet qui parcourt f puis g (chacun à vitesse double, pour arriver à parcourir le lacet en un temps unité). On notera f * g le concaténé de f et de g. On peut prouver que f * g ne dépend ni de la classe d'homotopie de f, ni de celle de g. Ainsi, on peut définir une loi interne sur l'ensemble des classes d'homotopie des lacets de X, par [f] * [g] = [f * g].

On peut alors prouver que l'on obtient alors une structure de groupe: le neutre est le lacet trivial [γ] défini par γ(t) = p pour tout t. L'inverse d'un lacet f est simplement le même lacet, mais parcouru dans l'autre sens (c'est-à-dire, défini par f − 1(t) = f(1 − t))

Le groupe ainsi obtenu est appelé groupe fondamental (ou groupe de Poincaré) de X basé en p, et est noté π1(X,p).

[modifier] Exemples

  • Le groupe fondamental (basé en n'importe quel point) de \mathbb R^n, (ou, bien évidemment, de tout espace homéomorphe à \R^n), est {[p]}: autrement dit, chaque lacet peut être ramené par déformation continue au point p. De tels espaces dont les groupes fondamentaux basés en n'importe quel point sont triviaux sont dits simplement connexes. Cette notion renforce la notion de connexité.
  • Pour n\geq 2, le groupe fondamental de la sphère \mathbb S^n de l'espace euclidien \R^{n+1} est également trivial. Autrement dit, les sphères de dimension supérieure ou égale à 2 sont simplement connexes.
  • Le cercle \mathbb S^1 (c'est-à-dire, le cercle de centre 0 et de rayon 1 dans \mathbb C=\mathbb R^2) fournit un exemple plus intéressant. Le groupe fondamental de \mathbb S^1, basé par exemple au point 1, est monogène infini, donc isomorphe à \Z. Les représentants des classes d'homotopies sont les lacets qui font le tour du cercle à vitesse constante, dans le sens positif ou le sens négatif : autrement dit, ils sont définis par les applications e_m  : t\mapsto e^{2i\pi mt}, pour m\in \Zm est le nombre de fois que le lacet fait le tour du cercle. La composition des chemins se faisant sous la loi : em * en = em + n.
  • On peut prouver que le groupe fondamental du tore à deux dimensions T^2=\mathbb S^1\times \mathbb S^1 (cf. ci-dessus) basé en un point p est isomorphe à \Z^2, les classes d'homotopie des générateurs étant celles des lacets a et b précédemment décrits. Plus généralement, le groupe fondamental du tore à n dimensions est isomorphe à \Z^n.
  • Le groupe fondamental peut également contenir des éléments de torsion : par exemple, le groupe fondamental du plan projectif \R P^2 est isomorphe à \Z/2\Z.
  • Le groupe fondamental n'est pas toujours commutatif : Par exemple, le groupe fondamental basé en un point p du plan privé de deux points  \mathbb R^2-\{a;b\}, est isomorphe au groupe libre à deux générateurs F2. Les deux générateurs sont ici les lacets partant de p et faisant chacun le tour d'un des points.
En fait, on peut montrer que pour n'importe quel groupe G, il existe un espace topologique de groupe fondamental G. (On peut en fait trouver un CW-complexe de dimension 2 ou même une variété de dimension 4 si le groupe est de présentation finie).

[modifier] Propriétés

[modifier] Indépendance du groupe fondamental par rapport au point de départ

Examinons le cas particulier où l'espace topologique X est connexe par arcs. Deux groupes fondamentaux basés en deux points p et q (π1(X,p) et π1(X,q)) sont isomorphes. En effet, il existe un chemin φ allant de p à q. On peut donc définir l'application suivante

   [\alpha] \mapsto [\gamma] * [\alpha] * [\gamma]^{-1}

qui réalise visiblement un isomorphisme du groupe fondamental π1(X,q) vers le groupe fondamental π1(X,p) dont l'isomorphisme réciproque est l'application :

[\alpha] \mapsto [\gamma]^{-1} * [\alpha] * [\gamma]

Ainsi, on peut parler du groupe fondamental (à un isomorphisme non unique près) de l'espace topologique X, que l'on note π1(X).

[modifier] Compatibilité avec les applications continues respectant les points base

Soit f une équivalence d'homotopie respectant les points bases ; alors π1(f) est un isomorphisme de groupes.

Corollaire : Deux espaces homéomorphes ont des groupes fondamentaux isomorphes.

[modifier] groupe fondamental d'un produit

Le groupe fondamental du produit de deux espaces topologiques pointés est le produit des groupes fondamentaux.

[modifier] Lien avec le premier groupe d'homologie

On montre que : le premier groupe d'homologie (d'un espace connexe par arcs) est l'abélianisé du groupe fondamental.

C'est un cas particulier du théorème d'Hurewicz.

[modifier] Méthodes de calcul et applications

[modifier] Théorème de van Kampen

Calculer le groupe fondamental d'un espace topologique qui n'est pas simplement connexe est un exercice difficile, car il faut prouver que certains lacets ne sont pas homotopes. Le théorème de van Kampen, également appelé théorème de Seifert-Van Kampen, permet de résoudre ce problème lorsque l'espace topologique peut être décomposé en des espaces plus simples dont les groupes fondamentaux sont déjà connus. Ce théorème permet de calculer le groupe fondamental d'un éventail très large d'espaces.

Icône de détail Article détaillé : Théorème de van Kampen.

[modifier] Théorème du cône et groupe fondamental des espaces projectifs

Si X est un espace topologique, on définit le cône de X comme l'espace quotient \frac{I\times X}{0\times X}I désigne le segment [O;1]. Si X est un cercle, on obtient une partie d'un cône de révolution. Le groupe fondamental du cône d'un espace connexe par arc est trivial, autrement dit, si X est connexe par arcs, C(X) est simplement connexe. On a une inclusion canonique X=1\times X\subset C(X).

Si f est une application continue entre deux espaces topologiques f : X\to Y, on définit le cône de l'application f : C(f) comme l'espace obtenu en recollant X\sub C(X) et f(X)\sub Y le long de X.

Exemple : Si f est l'application de degré 2 dans le cercle S^1\to S^1 : z\mapsto z^2, on obtient C(f)=P_2(\mathbb R). Le cône de f est le plan projectif réel.

Le théorème du cône affirme que le groupe fondamental de C(f) est isomorphe au quotient de π1(Y) par le normalisé du sous-groupe de π1(Y) image de f.

Application : les espaces projectifs (réels) ont des groupes fondamentaux isomorphes à \mathbb Z/2\mathbb Z.

[modifier] Groupe fondamental des graphes, des surfaces et des polyèdres

  • Le groupe fondamental des graphes est un groupe libre.
  • Le groupe fondamental des polyèdres admet une présentation par générateurs et relations. Une relation étant fournie par chacune des faces du polyèdre.
  • Le groupe fondamental d'une surface compacte orientable admet une présentation avec 2g générateurs a_1,\ b_1,\ a_2,\ b_2,\ldots\  a_g,\ b_g et une seule relation ( a_1b_1a_1^{-1}b_1^{-1} \ a_2b_2a_2^{-1}b_2^{-1}\ldots\ a_gb_ga_g^{-1}b_g^{-1}=1, on peut aussi choisir la présentation a_1\ldots\ a_g\ b_1\ldots\ b_g\ a_1^{-1}\ldots\ a_g^{-1}\ b_1^{-1}\ldots\  b_g^{-1}=1 ). L'entier g est uniquement déterminé par la surface et est appelé genre de la surface.

[modifier] Degré d'une application du cercle dans lui-même  S^1 \to S^1

Icône de détail Article détaillé : Degré d'une application.

[modifier] Autres théorèmes

[modifier] Groupe fondamental et théorie des revêtements

Il y a équivalence entre les sous-groupes à conjugaison près du groupe fondamental et les revêtements à isomorphisme près. Dans cette équivalence, les sous-groupes normaux correspondent aux revêtements galoisiens.

En théorie des revêtements, on montre que si l'espace admet un revêtement simplement connexe (en particulier si l'espace est semi-localement simplement connexe c'est-à-dire si l'espace n'est pas trop "sauvage", par exemple s'il est localement contractile) que le groupe fondamental est isomorphe au groupe des automorphismes d'un revêtement universel.

[modifier] Généralisations

[modifier] Groupoïde fondamental (ou groupoïde de Poincaré)

Une catégorie est appelée un groupoïde si les objets et les flèches forment un ensemble (c'est une "petite catégorie") et si toutes les flèches sont inversibles (sont des isomorphismes). Les groupoïdes forment une catégorie dont les morphismes sont les foncteurs entre groupoïdes. Les groupes sont des groupoïdes (avec un seul objet).

Soit G un groupoïde, on définit la relation d'équivalence x\equiv{}\,y si G(x,y) est non vide, elle définit un groupoïde quotient noté π0(G). π0 définit un foncteur (composantes connexes) de la catégorie des groupoïdes vers la catégorie des ensembles.

A chaque espace topologique on va associer de façon fonctorielle un groupoïde πX.

Soit X un espace topologique, on prend pour ensemble d'objets πX l'ensemble sous-jacent à X. Les flèches de source x et de but y sont les classes d'homotopie des chemins (= arcs continus) de x vers y. La relation d'homotopie est compatible avec la composition des chemins et définit donc un groupoïde πX appelé le groupoïde fondamental de X. Le théorème de Van Kampen s'exprime également simplement en utilisant les groupoïdes fondamentaux.

Soit G un groupoïde, et x un objet de G (on dit aussi un point de G). La loi de composition entre les flèches de G(x,x) restreinte à ce sous-groupoïde est une loi de groupe. On note π1(G,x) ce groupe. Remarque : π1 ne définit pas un foncteur de la catégorie des groupoïdes vers la catégorie des groupes.

Le groupe fondamental est défini par π1(X,x0) = π1X,x0)

[modifier] Groupes d'homotopie supérieurs

Le groupe fondamental est en fait le premier groupe d'homotopie, d'où l'indice 1 dans la notation π1(X).

[modifier] Groupe fondamental et géométrie algébrique

Le groupe fondamental peut aussi être défini de manière abstraite comme le groupe des automorphismes du foncteur fibre, qui, à un revêtement de base (X,p), associe la fibre du revêtement au point p.

Cette définition alternative ouvre la voie à la généralisation en géométrie algébrique, où la définition donnée précédemment en termes de lacets de base p ne s'applique pas naturellement. Dans cette généralisation, les revêtements étant remplacés par les morphismes étales : le groupe fondamental de l'espace pointé (X,p) est le groupe des automorphismes du foncteur fibre qui, à un morphisme étale E\to X, associe la fibre E(p) au point p.

Cette généralisation est due à Grothendieck et Claude Chevalley.

Cette théorie permet d'expliquer le lien entre la théorie de Galois des revêtements des surfaces de Riemann (groupe d'automorphismes...) et la théorie de Galois des corps de fonctions.

[modifier] Bibliographie (en français)

[modifier] Lien externe (anglais)

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