Utilisateur:Basilus/Brouillon sorcière

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La Sorcière est un archétype de l'imaginaire européen. Son image indissociable du sabbat et des horreurs des bûchers a conservé l'essentiel de sa force en traversant les âges. Non seulement la Sorcière apparaît toujours aujourd'hui dans les contes, les romans, les films et les masques des fêtes populaires, mais encore le message psychologique, social, religieux ou politique qu'elle véhicule est suffisamment fascinant pour se substituer à la réalité historique.

Sommaire

[modifier] L'image de la Sorcière à travers les âges

[modifier] L'association de la femme et de la magie

L'association de la femme à la magie et à la sorcellerie ne date pas du Moyen Âge ou de la Renaissance. Durant l'Antiquité, ce sont bien des sorcières - et non des sorciers - que les Grecs et les Romains disent redouter en Thessalie. Le mot sorcière dérive du bas-latin sortarius, proprement « diseur de sorts », du latin classique sors, sortis, désignant d’abord un procédé de divination, puis destinée, sort.

L'« image d'Epinal » de la sorcière sur son balai se concrétisa durant la période de la chasse aux sorcières, au début de la Renaissance. Si l'on parle plus de sorcières que de sorciers, c'est que 80% environ des personnes accusées étaient des femmes : guérisseuses, sages-femmes, voyantes qui donnaient aux gens des nouvelles de leurs défunts, paysannes se transmettant des préceptes de bonne santé et des recettes pour influer sur le sort, dont l'illustration reste dans les Evangiles des Quenouilles (1480)[1]. Le changement profond de mentalités qui eut lieu à cette époque, l'acculturation progressive des campagnes à la « modernité », l'incompréhension des milieux érudits vis-à-vis des superstitions rurales, mais surtout la misogynie de plus en plus virulente de l'élite lettrée et du milieu clérical (ainsi qu'on le constate dans la querelle du Roman de la Rose) firent de la femme, perpétuatrice de ces croyances, un agent du démon. Ainsi la sorcière devint le bouc émissaire d'une société en crise.[2]

[modifier] Evolution de l'image de la Sorcière au fil du temps

Au Siècle des Lumières et au XIXe, les philosophes et chercheurs rationalistes interprétèrent différemment les documents : pour eux, les bûchers de sorcellerie montraient les aberrations d'une époque obscurantiste soumise au pouvoir religieux. En 1862, Jules Michelet voulut que son ouvrage La Sorcière soit un « hymne à la femme, bienfaisante et victime ». Il réhabilita l'image de la sorcière en la dépeignant comme une femme consolatrice en des temps de calamités.

Un tournant particulier eut lieu au début du XXème siècle lorsque l'égyptologue Margaret Murray soutint dans The Witch-Cult in Western Europe (1926) que les assemblées décrites par les accusées relateraient des rites réels et que la sorcellerie serait une religion très ancienne, un culte préchrétien de la fertilité que les juges réduisaient à une perversion diabolique. Margaret Murray s'inspirait en cela des thèses émises dans Le Rameau d'Or (1911) de Sir James Frazer. Si presque tous les historiens de la sorcellerie s'accordent aujourd'hui sur le fait que les travaux de Murray sont non scientifiques et fondés sur une manipulation volontaire des documents, ils eurent à l'époque une large diffusion puisque ce fut à Murray que fut confiée la rédaction de l'article "Witchcraft" de l'Encyclopædia Britannica.[3]

Les idées de Murray furent reprises par Gerald Gardner lorsqu'il fonda la Wicca. Cette religion se revendique comme l'héritière d’un culte auquel auraient appartenu les sorcières du XIVème siècle. De ce culte orienté autour des figures du Dieu Cornu, divinité des chasseurs, et la Grande Déesse-Mère, divinité des cueilleuses, les modalités propres de la religiosité féminine auraient pris de l'ampleur lors du développement de l'agriculture au néolithique ; elles auraient perduré dans l'Antiquité sous la forme de cultes agraires rendus à des déesses comme Déméter ou Cybèle, puis sous la forme des sabbats du temps des persécutions, alors que la connaissance des plantes et de leurs propriétés se serait transmise jusqu’à nos jours.

Icône de détail Article détaillé : Wicca.

Dans les années 1970, la sorcière devint un des fers de lance du mouvement féministe. Certaines représentantes de ces mouvements, comme Xavière Gauthier dans sa revue Sorcières, la prirent comme symbole de leur combat. La sorcière représentait la manière dont la femme pouvait être diabolisée. Sa persécution, qualifiée de sexiste, fut définie comme un crime contre l'humanité, l'exemple même d'un gynécide.

[modifier] Les faits historiques

L'imaginaire de la sorcière s'étant essentiellement cristallisé au moment de la grande « chasse aux sorcières », comprendre son évolution requiert de s'appuyer sur les faits historiques. Or la plupart des études menées jusqu'à ce jour, pour éviter d'avoir à se pencher sur le problème épineux des invraisemblances contenues dans les textes des procès, traitent du pouvoir de l'Inquisition, de la persécution, de la torture, du rôle de la femme dans la société ; mais ce que faisait réellement, ce que croyait la sorcière reste un sujet « que la plupart des historiens considère comme périphérique, pour ne pas dire bizarre ».[4]

C'est pourquoi Robert Muchembled et Carlo Ginzburg affirment la nécessité de revenir aux sources documentaires et de modifier la méthode d'analyse, en utilisant des principes récents utilisés en anthropologie, afin d'en déduire les faits et les croyances des principales concernées : les sorcières.

[modifier] La chasse aux sorcières

Icône de détail Article détaillé : Chasse aux sorcières.

Tout au long du XIVe siècle, suite aux échecs successifs des croisades, au Grand Schisme d'Occident, aux désastres de la guerre de Cent Ans et à la Grande Peste, s'opéra dans l'Europe un important bouleversement dans la vision du monde et dans les mentalités. Un fantasme de complot contre la chrétienté se développa. Il culmina dans l'épisode de la chasse aux sorcières. Vers 1480, au début des Temps modernes, au moment où commence à poindre l’Humanisme et où l’imprimerie fait son apparition, commence la grande persécution.

Le terme de « chasse aux sorcières » est explicite : parmi les victimes, on compte en moyenne quatre femmes pour un homme. Ce sont généralement des paysannes appartenant aux classes les plus pauvres, des veuves, des femmes vivant seules, vulnérabilisées par l'absence de liens familiaux. Les accusateurs sont leurs proches voisins : ils leur reprochent de jeter des maléfices au bétail ou sur les enfants.

Si la justice médiévale interdisait l'emploi de la torture, le précédent des tribunaux en hérésie de l'Inquisition et l'évolution de la justice royale amenèrent à voir le jour une procédure dite extraordinaire, qui avait le droit de l'utiliser. La sorcellerie entrait dans le cadre de cette procédure. D'autres moyens de savoir si une femme était une sorcière relevaient de la superstition : ainsi l'épreuve de l'eau, parfois utilisée par les tribunaux laïcs, consistait à plonger l'accusée dans une eau profonde, pieds et mains liés. Une sorcière étant - en théorie - plus légère que l’eau, la femme était condamnée si elle flottait et ne se noyait pas.

En deux siècles, 30 000 personnes furent brûlées pour sorcellerie en Europe. L'Europe du Nord fut particulièrement touchée (22 000 en Allemagne). En France, un édit de Louis XIV et de Colbert mit fin en 1682 aux procès en sorcellerie.[2] Les dernières « sorcières » brûlées furent Anna Göldin en 1782 dans le canton de Glaris en Suisse et, en 1793, deux femmes âgées, sur le tout dernier bûcher légal en Pologne.[5]

[modifier] Croyances et pratiques de la sorcellerie populaire

A l'époque de la Renaissance, la « sorcellerie » populaire, pratiquée dans le milieu rural, n'était pas très différente de ce que nous connaissons de nos jours : quelques personnes, pensant disposer de dons de voyance ou de guérison, cherchaient à expliquer magiquement les aléa du temps, de la maladie, du destin, de la mort et tentaient d'écarter le mauvais sort à travers des recettes ; la population, essentiellement rurale, et qui n’avait guère d’autre recours pour se soigner, s'adressait à elles tout en redoutant leurs pouvoirs. Ces personnes ne se considéraient généralement pas comme des sorcières ; mais elles incluaient dans leur conception de la religion ambiante ce que l'église considérait comme des superstitions.

En particulier, un grand nombre de personnes dans la population rurale croyait à l'existence d'une société nocturne guidée par une protectrice surnaturelle : on l'appelait la Bonne Dame, la Dame du Bon Jeu, de la Bonne Société, Dame Habonde en France, Bensozia (Bona Socia) en Ariège, Dame Holle ou Dame Perchta en Allemagne, Richella ou Dame Orient en Italie. Cette déesse, reine des morts ou fée était accompagnée par d'autres « bonnes dames », ou par un cortège d'esprits du purgatoire ou d'enfants mort-nés ; elle pouvait prédire les choses futures ou indiquer la « nature des plantes et des animaux ». Ces croyances semblent être le résidu, conservé dans des régions excentrées (Alpes, Pyrénées, Balkans, Pays Baltes, Sicile, Corse, etc.) d'un substrat chamanique datant du néolithique.

Ainsi, pour Ginzburg qui développe cette thèse sur la base des textes des procès d'Inquisition, l'intuition fondamentale de Murray était juste. Par contre, cette divinité féminine ne connaissait ni culte véritable, ni adeptes : elle n'était pas vénérée à travers des rituels de groupe. On la rencontrait en rêve, ou lors de « voyages en esprit » évoquant ceux du chamanisme, le plus souvent à des dates déterminées, lors des nuits des jeudis des Quatre Temps. Durant ces voyages extatiques, la sorcière volait ou se transformait en animal pour se rendre sur de longues distances dans le lieu où se réunissait la Bonne Société. L'expérience rêvée de la sorcière différait sensiblement de celle du sorcier. Les « voyages en esprit » des hommes s'orientaient autour de combats pour les récoltes. De tels rêves étaient connus de l'Eglise : déjà mentionnés au Xe siècle dans le Canon episcopi, ils furent l'enjeu à cette période de débats majeurs concernant la réalité du sabbat. En effet, les accusés considéraient le contenu de ces rêves extatiques comme une réalité. Pour leur malheur certains juges faisaient de même.[6]

[modifier] L'image du Sabbat des Sorcières

Icône de détail Article détaillé : Sabbat.

Les thèmes du vol nocturne, de la transformation en animal, de l'assemblée autour d'une figure surnaturelle, participaient déjà du monde de la sorcière. Par contre, l'association de la sorcière au démon, au crime et à la sexualité fut une théorie démonologique qui se construisit peu à peu. Les ingrédients du sabbat (le terme même de sabbat, sa description comprenant un culte organisé voué à des démons nommés Diane, Hérodiade ou Lucifer, leur présence sous une forme semi-animale, les orgies, la profanation des sacrements) furent élaborés sous l'influence des théologiens et les inquisiteurs, du milieu du XIIIe au milieu du XVe, diffusés à travers des traités de démonologie comme le Malleus Maleficarum ou des prédications comme celles de saint Bernardin de Sienne, puis entérinés par les membres laïcs des cours de justice ou des parlements. Les accusées étaient forcées de souscrire, sous la torture ou la pression psychologique, à cette vision des choses. Leurs aveux confirmaient aux yeux de beaucoup la validité de cette description et contribuèrent à la répandre.[6]

[modifier] Sources

  • Robert Muchembled, La sorcière au village (XVe-XVIIIe siècle). Paris, Gallimard-Julliard, 1991.
  • Carlo Ginzburg, Les batailles nocturnes. Paris, Flammarion, 1984.
  • Carlo Ginzburg, Le Sabbat des Sorcières. Paris, Gallimard, 1992

[modifier] Notes

  1. Disponibles sur Gallica dans la version originale (lien) ou la traduction en français (lien)
  2. ab Robert Muchembled, La Sorcière au Village.
  3. Carlo Ginzburg, Le Sabbat des Sorcières, p.17.
  4. K. Thomas, cité par Ginzburg dans Le Sabbat des Sorcières, p. 8.
  5. Homer Smith, Man and His Gods. Boston, Little, Brown and Company, 1952.
  6. ab Carlo Ginzburg, Le Sabbat des Sorcières.