Peste noire

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La peste noire est une pandémie de peste bubonique [1],[2] qui a décimé la population européenne entre 1347 et 1350. Ce n'est ni la première ni la dernière épidémie de ce type, mais c'est la seule à porter ce nom. Par contre, c'est la première épidémie de l'histoire à être bien décrite par les chroniqueurs contemporains.

On estime que la peste noire a provoqué la mort de la moitié de la population européenne en cinq ans, soit environ 25 millions de victimes [3], et probablement le même nombre en Asie[réf. nécessaire], soit globalement environ 50 millions. La peste noire eut des conséquences durables sur la civilisation européenne, d'autant qu'après cette première vague, la maladie refit ensuite régulièrement son apparition dans les différents pays touchés (par exemple entre 1353 et 1355 en France, entre 1360 et 1369 en Angleterre, etc.)

Illustration de la Peste noire tirée de la Bible de Toggenburg (1411).
Illustration de la Peste noire tirée de la Bible de Toggenburg (1411).

Sommaire

[modifier] Les précédentes épidémies

Le Moyen Âge est traversé par de nombreuses épidémies. La Peste de Justinien ravagea l'Empire romain d'Orient au VIe siècle et fut sûrement à l'origine du déficit démographique du Haut Moyen Âge en Europe. La lèpre y sévit aussi de façon chronique depuis l'Antiquité. D'autres épidémies plus ou moins virulentes et localisées mais souvent mal identifiées se déclenchèrent sporadiquement. Hormis peut-être le mal des ardents qui est dû à une intoxication alimentaire, la plupart de ces épidémies coïncident avec les disettes ou les famines qui affaiblissent les organismes.

[modifier] Chronologie

[modifier] Origines

La peste bubonique sévissait de façon endémique en Asie centrale, et ce sont sûrement les guerres entre Mongols et Chinois qui déclenchèrent l'épidémie. Elle se déclare en 1334 dans la province chinoise du Hubei et se répand rapidement dans les provinces voisines (Jiangxi, Shanxi, Hunan, Guangdong, Guangxi, Henan et Suiyuan, une ancienne province disputée entre les empires mongol et chinois).

En 1346, les Tatars attaquent la ville portuaire de Caffa, comptoir commercial génois sur les bords de la mer Noire, en Crimée et établissent son siège. L'épidémie, ramenée d'Asie centrale par les Mongols touche bientôt assiégeants et assiégés, car les Mongols catapultent leurs cadavres par dessus les murs pour infecter la ville.

Le siège est levé faute de combattants valides en nombre suffisant, Gênes et les Tatars signent une trêve, et les bateaux génois quittent la ville, transmettant la peste à tous les ports où ils s'arrêtent : la maladie atteint Messine en septembre 1347[4], Gênes et Marseille en décembre de la même année. Venise est atteinte en juin 1348. En un an, tout le pourtour méditerranéen est atteint.

Dès lors, la peste ravage toute l'Europe du sud au nord, d'autant plus qu'elle rencontre un terrain favorable: les populations n'ont pas d'anticorps contre cette variante du bacille de la peste, et elles sont déjà affaiblies par des famines à répétition,[5] des épidémies[6] dues au refroidissement climatique sévissant depuis la fin du XIIIe siècle et des guerres[7]. Dans la partie occidentale de l'Europe, la prolifération des gros rats orientaux Rattus norvegicus au détriment du petit rat noir européen Rattus rattus, joua également un rôle important, les chats ayant quasiment disparu au XIVe siècle en raison des superstitions[8], sans que les furets aient retrouvé leur vogue antérieure.

[modifier] Diffusion

Carte de diffusion de la peste noire
Carte de diffusion de la peste noire

La peste noire se répand comme une vague, et ne s'établit pas durablement aux endroits touchés. Le taux de mortalité moyen d'environ 30 % de la population totale (et de 60 à 100 % de la population infectée) est tel que les plus faibles sont vite tués, et le fléau ne dure en moyenne que six à neuf mois.

Depuis Marseille (novembre 1347), elle gagne rapidement Avignon (janvier 1348), alors cité papale et carrefour du monde chrétien, ce qui lui donne une formidable plateforme de diffusion. Elle atteint Paris en juin 1348, et en décembre 1348, toute l'Europe méridionale de la Grèce au sud de l'Angleterre est touchée. En décembre 1349, la peste a traversé presque toute l'Allemagne, le Danemark, l'Angleterre, le Pays de Galles, une bonne partie de l'Irlande et de l'Écosse. Elle continue ensuite sa progression vers l'est et vers le nord dévastant la Scandinavie en 1350, puis se perd dans les vastes plaines inhabitées de Russie en 1351.

On note que cette progression n'est pas homogène. Les régions ne sont pas toutes touchées de la même façon et des villages et même certaines villes sont épargnés comme Bruges, Milan et Nuremberg au prix de mesures d'exclusion drastiques, et il en est de même pour le Béarn et la Pologne (carte ci-contre).

[modifier] Conséquences

La peste cause d'importants troubles économiques, sociaux et religieux :

  • la main d'œuvre vient à manquer et son coût augmente, en particulier dans l'agriculture. De nombreux villages sont abandonnés, des terres retombent en friche et la forêt se développe ;
  • les villes se désertifient les unes après les autres, la médecine de l'époque n'ayant ni les connaissances ni les capacités de juguler les épidémies ;
  • les revenus fonciers s’effondrent, suite à la baisse du taux des redevances et à la hausse des salaires ;
  • des groupes de flagellants se forment et tentent d'expier leurs péchés avant l'Apocalypse, car ils pensent que la peste n'est qu'un signe annonciateur ;
  • les juifs, les gitans, « gens du voyage » et une autre population généralement connue sous le nom de cagots, rendus coupables par la population qui pense qu'ils empoisonnent les puits, sont persécutés malgré la protection du pape Clément VI (voir ci-dessous).

La peste marque également les arts : voir en particulier les danses macabres et l'oeuvre de Bocaccio "Le Décameron".

[modifier] Bilan humain

Les sources documentaires sont assez éparses et couvrent généralement une période plus longue, mais elles permettent une approximation assez fiable. Les historiens s'entendent pour estimer la proportion de morts entre 30 % et 50 % de la population européenne. Les villes sont plus durement touchées que les campagnes du fait de la concentration de la population, mais aussi des disettes et difficultés d'approvisionnement que la peste provoqua. Il semble qu'en Europe, la tendance était à la baisse depuis le début du XIVe siècle, du fait des famines et de la surpopulation. Cette décroissance dura jusqu'au début du XVe siècle, amplifiée par le bilan de la peste.

En France, entre 1340 et 1440, la population est passée de 17 à 10 millions d'habitants soit 42 % de moins. Le registre paroissial de Givry (Saône-et-Loire), un parmi les plus précis, montre que sur environ 1 500 habitants, 649 enterrements eurent lieu en 1348, dont 630 de juin à septembre, pour une paroisse qui en comptait environ 40 par an habituellement, soit un taux de mortalité de 40,6 %.

En Italie, il est communément admis par les historiens que la peste a tué au moins la moitié des habitants. Seule Milan semble avoir été épargnée, quoique les sources soient peu nombreuses et imprécises à ce sujet. Les sources contemporaines citent des taux de mortalité effrayants : huit sur dix à Majorque, autant à Florence, trois sur quatre à Venise, etc.

En Espagne, la peste a pu décimer de 30 à 60% de la population, en particulier celle de l’Aragon (neuf vagues entre 1348 et 1401).

En Autriche, on compte 40 000 victimes à Vienne et 25 à 35% de la population est décimée.

C'est l'Angleterre qui nous a laissé le plus de sources, ce qui paradoxalement rend l'estimation du taux de mortalité plus ardue, les historiens basant leurs calculs sur des documents différents. Les chiffres avancés vont ainsi de 20 % à 50 %. Cependant, les estimations de population entre 1300 et 1450 montrent une diminution située dans une fourchette de 45 % à 70 %. Même si là encore la baisse de population était une tendance avant l'arrivée de la peste, ces estimations rendent le bas de la fourchette (20 %) peu crédible, d'autant plus que ce taux se base sur des documents concernant des propriétaires terriens laïcs qui ne sont pas représentatifs de la population essentiellement paysanne et affaiblie par les disettes.

On estime aussi que la population citadine d'Allemagne a diminué de moitié. Hambourg aurait perdu 66% de sa population, Brême 70%, la Pomérélie 42%.[réf. nécessaire]

[modifier] Émeutes antijuives

Dès 1348, la peste provoque des émeutes antijuives en Provence. La synagogue de Saint-Rémy-de-Provence est incendiée (elle sera reconstruite hors de la ville en 1352). Des Juifs sont brûlés à Serres, en Dauphiné, d'autres massacrés en Navarre et en Castille. Le 13 mai 1348, le quartier juif de Barcelone est pillé[9].

Les Ashkénazes d’Allemagne sont victimes de pogroms. En septembre 1348, les Juifs de la région de Chillon, sur le lac Léman en Suisse, sont torturés jusqu’à ce qu’ils avouent faussement avoir empoisonné les puits[10]. Leurs confessions provoquent la fureur de la population qui se livre à des massacres et à des expulsions. Trois cents communautés sont détruites ou expulsées. Six mille Juifs sont tués à Mayence. De nombreux juifs fuient vers l’est, en Pologne et Lituanie.

Près de 2000 juifs sont brûlés à Strasbourg le 14 février 1349[11], d'autres sont jetés dans la Vienne à Chinon. En Autriche, le peuple, pris de panique, s’en prend aux communautés juives soupçonnées d’avoir diffusé l’épidémie et Albert II d'Autriche doit intervenir pour protéger ses sujets juifs.[12].

Pour plus d'information sur les persécutions dont les Juifs furent l'objet suite à la peste noire, on se rapportera à l'Histoire des Juifs par Heinrich Graetz.

[modifier] Traitements

Médecin affublé de son masque caractéristique de l'époque de la peste. Le long bec renfermait des épices pour atténuer l'odeur des cadavres (gravure de 1656).
Médecin affublé de son masque caractéristique de l'époque de la peste. Le long bec renfermait des épices pour atténuer l'odeur des cadavres (gravure de 1656).

La médecine du XIVe siècle est bien impuissante face à la peste qui se répand, les médecins débordés ne savent que faire devant cette maladie qui les atteint autant que leurs patients. Néanmoins, quelques conseils, vains, sont donnés :

  • brûler des troncs de choux et des pelures de coing
  • allumer des feux de bois odoriférants dans les chaumières
  • faire bouillir l'eau et rôtir les viandes
  • prendre des bains chauds
  • pratiquer l'abstinence sexuelle
  • pratiquer de nombreuses saignées
  • administrer des émétiques et des laxatifs, l'effet obtenu étant l'affaiblissement des malades qui meurent plus rapidement
  • organiser des processions religieuses solennelles pour éloigner les démons

[modifier] Dans la littérature

Le Décaméron de l'auteur italien Boccace a pour cadre la peste noire de 1348 qui sévit à Florence.

Plusieurs uchronies ont été écrits sur le thème de la Peste Noire. Ainsi dans La Porte des mondes de Robert Silverberg, l'auteur imagine que la peste noire est bien plus meurtrière, éliminant les trois quarts de la population européenne et changeant complètement l'histoire du monde. Cette idée est également repris par Kim Stanley Robinson dans Chroniques des années noires, mais dans cette uchronie c'est la totalité des habitants de l'Europe qui meurt, entraînant (de la même façon que dans le roman précédent) une histoire complètement différente de celle que l'on connaît.

[modifier] Notes et références

  1. (fr) Le contexte historique de la création du franc - La Peste noire, Bibliothèque nationale de France. Consulté le 15 septembre 2007
  2. Louis Bréhier, Le monde byzantin : Vie et mort de Byzance, Albin Michel, coll. « L'Évolution de l'Humanité » (ISBN 978-2226171023), p. 425
  3. Bruno Halioua, Histoire de la médecine, Masson, 2004, 272 p. (ISBN 2294010566), « La grande peste ou peste noire », p. 103
  4. Décrit par Michel de Piazza dans ses chroniques Historia Secula ab anno 1337 ad annum 1361
  5. notamment la grande famine de 1315 à 1322
  6. notamment de typhus
  7. dont la guerre de Cent Ans, qui débute en 1336
  8. voir les chats dans l'histoire
  9. (en) Richard Gottheil et Meyer Kayserling, « Commu nal organisation », Jewish Encyclopedia. Consulté le 3 novembre 2007
  10. Sous la direction d'Elie Barnavi,« Histoire universelle des Juifs », 1992, Hachette
  11. Lazare Landau, « Le massacre de la Saint-Valentin », Site internet du judaïsme d'Alsace et de Lorraine. Consulté le 3 novembre 2007
  12. Grande Peste en Europe : 25 millions de victimes (autant en Asie), Eurocles. Consulté le 3 novembre 2007

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes

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