Abraham Hanibal

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Abraham Hanibal, ou Abram Petrovitch Gannibal, également orthographié Hannibal ou Ganibal, né en 1696, mort le 14 mai[1] 1781, était un prince camerounais, fils du prince Brouha de Logone, près du lac Tchad. Capturé en 1703 par des esclavagistes et amené à Istanbul, il y fut acheté clandestinement par un diplomate russe pour le compte de Pierre le Grand, qui souhaitait faire une expérience - concluante - sur les capacités intellectuelles d'un enfant noir.

Sommaire

[modifier] Jeunesse

Ses origines sont incertaines. Les premiers écrits sur Ganibal suggéraient qu'il était né en 1696 dans un village baptisé « Lagon », la capitale d'une province mineure d'Éthiopie, située « du côté nord du fleuve Mareb... »[2],[3] (qui sert aujourd'hui en grande partie de frontière entre l'Éthiopie et l'Érythrée). Cependant, ce lieu n'a jamais pu être identifié en Éthiopie. On racontait au XIXe siècle qu'il était le fils d'un gouverneur ou d'un seigneur de la guerre. « Comme les autres fils avaient été apportées à leur père les mains attachées avec une corde, il se réjouit de la liberté avec laquelle son plus jeune fils nageait dans les fontaines de son père » (Notes de Pouchkine à Eugène Onéguine). Les recherches de Dieudonné Gnammankou suggèrent aujourd'hui qu'il aurait été en fait originaire du Sultanat de Logone-Birni, au Cameroun, au sud du lac Tchad. Dans un document officiel que Ganibal a soumis en 1742 à l'impératrice Élisabeth, dans lequel il demandait un grade anoblissant et un blason, il demandait qu'à droite, sur le haut de son blason, soit dessiné un éléphant avec ce mystérieux mot : « FVMMO ». Il signifie « la patrie » en Kotoko. Cependant, « FVMMO » fut également suggéré par l'expression latin « Fortuna Vitam Meam Mutavit Oppido », qui signifie : « la Fortune a changé ma vie dans la cité ».

À l'âge de sept ans (vers 1703), Gannibal fut emmené à la cour du sultan ottoman à Constantinople, où il demeura un an, sous le règne du sultan Mustafa II (1695–1703) ou Ahmed III (1703–1730). Le biographe allemand de Ganibal, compilant anonymement ses propres mots, explique que « les enfants des familles nobles étaient portés au commandeur de tous les Musulmans, le sultan turc, comme otages », pouvant être tués ou vendus en esclavage si leurs pères s'agitaient. La sœur de Ganibal, Lahan, qui avait été emmenée en captivité à la même époque, était morte durant le voyage.

En 1704, après un an dans la capitale, Ganibal fut emmené par l'envoyé de l'ambassadeur russe Savva Vladislavitch, qui suivait les ordres de ses supérieurs (l'un de ces hommes était Piotr Andreïevitch Tolstoï, arrière-grand-père du grand écrivain Léon Tolstoï.)

Toute l'opération avait menée sur l'ordre de Pierre le Grand. Apparemment, Gannibal ne fut pas le seul garçon « arap » (« nègre », en turc) à être ainsi acheté. Bien qu'il fût alors à la mode d'avoir des enfants noirs aux cours des monarques européens, ce n'est pas cette raison qui guidait le tsar ; il visait un but éducatif. Les « Araps » étaient alors considérés comme des sauvages non-civilisés, mais Pierre voulait prouver que ces enfants étaient aussi doués pour les arts et les sciences que leurs pairs russes et montrer qu'il fallait juger les gens davantage sur leurs capacités que sur la couleur de leur peau.

Ganibal fut baptisé en 1705, en l'église Saint-Paraskeva de Vilnius, Pierre étant son parrain.

[modifier] Éducation

En 1717, Ganibal partit pour Paris, afin d'y poursuivre son éducation dans les arts, les sciences et la guerre. Là, il apprit plusieurs langues et révéla de grandes dispositions dans les mathématiques, notamment la géométrie. Il combattit dans les armées de Louis XV contre celles de son oncle Philippe V d'Espagne et obtint le grade de capitaine. C'est durant ce séjour que Ganibal adopta son surnom en l'honneur du général Carthaginois Hannibal (Gannibal étant la translitération traditionnelle du nom en russe). À Paris, il se lia d'amitié avec plusieurs figures des Lumières, qu'il s'agisse de Diderot, de Montesquieu ou de Voltaire. Ce fait, défendu par son biographe Hugh Barnes, est contesté par le critique Andrew Kahn[4]. Voltaire appelait Ganibal l'« étoile noire des Lumières »[5].

[modifier] Sous Pierre & Élisabeth

Lettre signée par A. Ganibal le 22 mars 1744. Archives de la ville de Tallinn.
Lettre signée par A. Ganibal le 22 mars 1744. Archives de la ville de Tallinn.

L'éducation de Ganibal fut complétée en 1722 et il dut rentrer en Russie. Il écrivit à Pierre, qui l'autorisa à rentrer par la terre, et non par la mer. Il est dit qu'il recontra Pierre lui-même à son retour, quelques kilomètres avant Moscou.

Après la mort de Pierre en 1725, Ganibal fut exilé en Sibérie en 1727. Grâcié en 1730 pour ses qualités en tant qu'ingénieur militaire, il devint un personnage éminent à la cour après l'accession au trône d'Élisabeth Ire. Élevé au grade de major-général, il devint gouverneur de Tallinn, un poste qu'il occupa de 1742 à 1752. Une lettre signée le 22 mars 1744 par « A. Ganibal » (avec un seul « n ») est conservée aux Archives de la ville de Tallinn. L'impératrice Élisabeth lui donna en 1742 le domaine de Mikhailovskoye, dans la province de Pskov, avec des centines de serfs[6],[7]. Il s'y retira en 1762.

On raconte que le général Alexandre Souvorov dut sa carrière militaire à Ganibal, qui aurait convaincu son père de le laisser s'engager dans cette voie.

[modifier] Famille

Il se maria deux fois. Sa première épouse était Evdokia Dioper, une grecque. Le couple se maria en 1731 et eut une fille. Toutefois, Dioper dédaignait son mari, qu'elle avait été forcé d'épouser. Quand celui-ci découvrit qu'elle lui avait été infidèle, il la fit arrêter et jeter en prison, où elle passa onze ans dans des conditions terribles. Ganibal se mit ensuite en couple avec Christina Regina Siöberg, qu'il épousa à Reval, aujourd'hui Tallinn, en Estonie, en 1736, une année après la naissance de leur premier enfant, alors qu'il était toujours marié à sa première épouse. Le divorce avec Dioper ne fut prononcé définitivement qu'en 1753 : Ganibal dut verser une amende et se vit imposer une punition, tandis que Dioper était envoyé dans un couvent pour le restant de ses jours. Le second mariage de Ganibal fut cependant considéré comme légal.

Par son père, Christina Regina Siöberg descendait d'une famille noble de Scandinavie et d'Allemagne : Siöberg (Suède), Galtung (Norvège) et Grabow (Danemark et Brandebourg)[8],[9]. Ganibal et Christina Regina Siöberg eurent dix enfants, notamment Osip, dont la fille, Nadejda, fut la mère d'Alexandre Pouchkine (1799-1837). Quant au fils aîné d'Hanibal, Ivan, il devint un officier de marine accompli et fonda la ville de Kherson en 1779 et fut élevé au grade de général en chef, le deuxième grade le plus élevé en Russie.

[modifier] Bibliographie

  • Henry Tourneux, « Du nouveau sur l'ancêtre de Pouchkine », Afrique & histoire, vol. 6, 2006/2, 318 pages, p. 225-234 (ISBN 2864324873)
  • Frances Somers Cocks, The Moor of St Petersburg: In the Footsteps of a Black Russian, 2005
  • Hugh Barnes, Gannibal: the Moor of Petersburg, 2005
  • Natalia Konstantinovna Teletova, Жизнь Ганнибала – прадеда Пушкина (La Vie d'Hannibal, l'arrière-grand-père de Pouchkine), Saint-Pétersbourg, hardback, 2004
  • Frances Somers Cocks
    • Abraham Hannibal and the Raiders of the Sands, 2003 (roman historique pour enfants)
    • Abraham Hannibal and the Battle for the Throne, 2003 (roman historique pour enfants)
  • Dieudonné Gnammankou, Abraham Hanibal, l'aïeul noir de Pouchkine, Présence Africaine, 1996, 251 pages (ISBN 2-7087-0609-8)
  • Georg Leets, Абрам Петрович Ганнибал (Abram Petrovich Gannibal), Tallinn, paperback 1984
  • Vladimir Nabokov, Notes on prosody : And Abram Gannibal , 1964
  • D. S. Anuchin, Life of Ganibal, 1899

[modifier] Notes et références

  1. Elin Galtung Lihaug, « Предки А. С. Пушкина в Германии и Скандинавии: происхождение Христины Регины Шёберг (Ганнибал) от Клауса фон Грабо из Грабо » (« Ancêtres d'A. S. Pouchkine en Allemagne et en Scandinavie : Descendant de Christina Regina Siöberg (Hannibal) de Claus von Grabow zu Grabow »), Генеалогический вестник (Revue généalogique), Saint-Pétersbourg, vol. 27, p. 31–38, novembre 2006
  2. Homer Smith, « Hannibal and Russian Arms », Ethiopia Observer, vol. 6, juillet 1957
  3. Henri Troyat, « Pushkin's Ethiopian Ancestry », Ethiopia Observer, vol. 6, 1957
  4. Andrew Kahn, « Russe noir », critique de Gannibal : The Moor of Petersburg de Hugh Barnes.
  5. Hugh, Barnes, Gannibal: The Moor of Petersburg, Londres, 2005, p. 4.
  6. Dieudonné Gnammankou, Abraham Hanibal, l’aïeul noir de Pouchkine, Paris 1996, p. 129.
  7. Hugh Barnes, Gannibal: The Moor of Petersburg, Londres, 2005, p. 219.
  8. Elin Galtung Lihaug, « Предки А. С. Пушкина в Германии и Скандинавии: происхождение Христины Регины Шёберг (Ганнибал) от Клауса фон Грабо из Грабо » (« Ancêtres d'A. S. Pouchkine en Allemagne et en Scandinavie: Descendant de Christina Regina Siöberg (Hanibal) de Claus von Grabow zu Grabow »), Генеалогический вестник (Revue généalogique), Saint-Pétersbourg, vol. 27, p. 31-38, novembre 2006
  9. Elin Galtung Lihaug, « Aus Brandenburg nach Skandinavien, dem Baltikum und Rußland. Eine Abstammungslinie von Claus von Grabow bis Alexander Sergejewitsch Puschkin 1581–1837 » Archiv für Familiengeschichtsforschung, vol. 11, p. 32–46, 2007