Simon Petlioura

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Simon Petlioura
Simon Petlioura

Simon Petlioura (en ukrainien : Симон Васильович Петлюра, Symon Vassyliovytch Petlura), né à Poltava le 10 mai 1879, assassiné à Paris le 25 mai 1926, était un homme politique ukrainien.

Sommaire

[modifier] Jeunesse

Né en 1879 à Poltava (Ukraine), sous la Russie impériale, dans une famille cosaque orthodoxe, Simon Petlioura étudia au séminaire de la ville, mais en fut exclu en 1901 pour avoir organisé un parti clandestin et révolutionnaire (le Parti de la révolution ukrainienne, Революційна Українська Партія, RUP).

Il partit alors pour Krasnodar, où il devint instituteur dans une école, mais, pourchassé par les autorités russes (en tant qu'indépendantiste ukrainien), il fut arrêté en 1903. Après l'amnistie de 1905, il fonda avec Volodymyr Vynnytchenko le Parti social démocrate ouvrier ukrainien (USDRP), et travailla à la revue Slovo (Parole), qu'il avait fondée avec des amis, de 1905 à 1909.

Son journal étant interdit en 1909, il partit pour Moscou, où il se maria en 1912 à une jeune Ukrainienne, Olha Bilska, de qui naquit une fille unique, et travailla comme journaliste au journal Ukrainskaya Zhyzn (La Vie ukrainienne) jusqu'à la Révolution russe de 1917.

[modifier] Durant l'indépendance ukrainienne

En mai 1917, il prit la tête du Comité général de l'Armée de la République nationale ukrainienne. À la proclamation du Conseil central ukrainien le 28 juin 1917, il devint le premier secrétaire aux affaires militaires. En désaccord avec la politique de la tête du secrétaire général Volodymyr Vynnytchenko, il démissionna du gouvernement pour organiser le « régiment Sloboda Ukraina » qui repoussa l'Armée rouge en février 1918 à Kiev.

Avec des officiers polonais, pendant l'Opération Kiev (1920)
Avec des officiers polonais, pendant l'Opération Kiev (1920)

Après le coup d'État du général Pavlo Skoropadski du 28 avril 1918 aidé par l'Empire allemand, Petlioura fut arrêté et incarcéré à Bila Tserkva. Il s'évada quatre mois après, renversa la junte et prit la tête de l'armée, et créa le Directoire, remplaçant le gouvernement de l'Hetmanat (nom du gouvernement de Skoropadski). Son rival Volodymyr Vynnytchenko fut ainsi élu président de la République nationale ukrainienne par le Directoire le 13 novembre 1918.

Avec l'aide polonaise du maréchal Józef Piłsudski, Simon Petlioura, chef des armées, repoussa l'agression de l'Armée rouge: le but de l'Opération Kiev était, pour Piłsudski, de créer une Ukraine alliée à Pologne, en vue de former plus tard la Fédération Międzymorze, avec la Lituanie et la Biélorussie. Ce projet rencontra l'hostilité de certains Ukrainiens, qui préférèrent combattre au sein de l'Armée rouge, à l'instar des soviétiques ukrainiens. Petlioura dut également se battre contre l'Armée blanche de Dénikine, hostile à l'indépendance de l'Ukraine, mais également contre les anarcho-communistes de Nestor Makhno, alliés dans un premier temps à l'Armée rouge. Il reçut toutefois le soutien de la France, qui gardait encore certains avoirs de l'Empire russe à Odessa et en Crimée[1] Désemparé face à la contre-attaque de l'Armée rouge, Volodymyr Vynnytchenko démissionna, et le Directoire élit unanimement Simon Petlioura le 19 février 1919.

Lors du conflit, de nombreux pogroms furent organisés en Ukraine contre les Juifs, soupçonnés d'être favorables aux Bolcheviks (près de 120 000 Juifs assassinés lors de 55 pogroms en 1918-1919, selon un rapport de la Croix-Rouge de l'époque), dont certains par des troupes de l'armée de Petlioura. La responsabilité de ce dernier dans le pogroms fait encore débat parmi les historiens (cf. supra), mais Petlioura comptait plusieurs Juifs dans son gouvernement, tels que Solomon Goldman (Соломон Гольдельман), ministres des minorités, ou Abraham Revutsky (Аврам Ревуцький), ministre des Affaires juives[2]. De même, Petlioura avait fermement condamné l'antisémitisme, rendant l'organisation de pogroms punie de la peine de mort, comme en témoigne son appel Contre les pogroms du 12 octobre 1919 :

Affiche de propagande soviétique ukrainienne contre l'alliance polono-ukrainienne
Affiche de propagande soviétique ukrainienne contre l'alliance polono-ukrainienne

« Officiers et Cosaques de l'armée ukrainienne! les masses travailleuses ukrainiennes et juives vous considèrent comme des libérateurs, les générations à venir n'oublieront pas vos mérites envers ces peuples... Évitez les provocations, et soyez sans pitié avec les provocateurs qui commettent eux-mêmes des pogroms et abattent plus faible que nous. La peine de mort doit s'abattre sur la tête des pogromistes et des provocateurs. J'exige de vous plus de dureté et de sévérité disciplinée à cet égard, pour que pas un cheveu ne tombe de la tête de l'innocent...(les Bolcheviks) en soudoyant des éléments criminels qui excitent nos Cosaques à divers scandales et à des pogroms contre la population juive innocente, veulent ainsi imprimer la marque du pogromiste sur le front des chevaliers qui apportent la liberté à tous les peuples sur le territoire de l'Ukraine[3],[4]. »

Vers la fin de 1919, durant la guerre russo-polonaise, l'Armée rouge occupa totalement l'Ukraine, et Petlioura fut obliger de partir à Tarnów, en Pologne. Après l'Opération Kiev menée conjointement avec Józef Piłsudski, il cèda à la Pologne, par le Traité de Rīga, les villes de Ternopil et de Przemyśl.

En octobre 1920, Petlioura quitta définitivement l'Ukraine, la République socialiste soviétique ukrainienne ayant été proclamée, mais dirigea encore le gouvernement ukrainien en exil. Il se réfugia à Paris dès 1924.

[modifier] L'assassinat

Simon Petlioura à Kamianetz-Podilsk en 1919
Simon Petlioura à Kamianetz-Podilsk en 1919

Petlioura fut assassiné le 25 mai 1926 à Paris par Samuel Schwartzbard, un anarchiste juif d'origine biélorusse, qui justifia son acte en affirmant vouloir venger la mort de ses parents, assassinés lors de pogroms lancés contre les populations juives d'Ukraine et de Moldavie, selon lui, par Simon Petlioura.

La médiatisation du procès de Samuel Schwartzbard en 1927 fut à l'origine de la fondation de la Ligue contre les pogroms, qui deviendra par la suite la LICRA, par Bernard Lecache. Il fut défendu par Me Henry Torrès[5] (avocat membre du Parti communiste). Le procès fut médiatisé par la presse française. Schwartzbard obtint le soutien de L'Humanité, tandis que L'Action française et L'Écho de Paris dénoncèrent Schwartzbard comme un agent bolchévique[6] (cette accusation fut reprise par l'ancien directeur de la CIA, Allen Dulles, selon lequel Samuel Schwartzbard était un agent au service des Soviétiques[7]). Le tribunal, « certain » de l'antisémitisme de Petlioura, acquitta Samuel Schwartzbard le 26 octobre 1927.

Simon Petlioura fut enterré Cimetière du Montparnasse. En 1928, ses deux sœurs, religieuses dans un couvent orthodoxe, furent assassinées par le Guépéou. En Ukraine, il est aujourd'hui considéré comme un héros national.

[modifier] Polémiques

Lorsque l'Ukraine accède à l'indépendance en 1991, Simon Petlioura est réhabilité et célébré comme héros national ukrainien. Des monuments sont érigés en sa mémoire dans plusieurs villes, comme Kiev ou Poltava (où il est né).

Le 25 mai 2006 à Paris s'est tenu devant la Tombe du Soldat inconnu une commémoration en l'honneur de Simon Petlioura, assassiné 80 ans auparavant, en présence de l'ambassadeur d'Ukraine en France, Yuriy Sergeyev. La LICRA protesta dans un communiqué : « Comment une telle manifestation peut-elle avoir lieu en plein cœur de Paris, qui plus est sous l'Arc de triomphe, notre Arc de triomphe ? Nous sommes tout simplement en train d'assister à un viol de la mémoire, à un déni d'histoire, à un second assassinat, posthume celui-là, des victimes juives ».

Le président Ukrainien Viktor Iouchtchenko et sa femme, déposant une gerbe de fleurs sur la tombe de Simon Petlioura au Cimetière du Montparnasse à Paris, en mai 2005.
Le président Ukrainien Viktor Iouchtchenko et sa femme, déposant une gerbe de fleurs sur la tombe de Simon Petlioura au Cimetière du Montparnasse à Paris, en mai 2005.

L'Ambassadeur d'Ukraine en France, Yuriy Sergeyev, répondit alors à Patrick Gaubert, président de la LICRA dans une lettre :

« Le procès de l'assassin de Simon Petlioura qui se déroulait à Paris, a été instrumentalisé par les autorités soviétiques, par l'intermédiaire du Komintern, pour compromettre l'idée de l'indépendance ukrainienne en remettant sur l'un de ses artisans la responsabilité des persécutions des Juifs, tandis qu'elles avaient pour seule cause la politique officielle d'antisémitisme, partie intégrante de l'idéologie de l'Empire russe.
Dans les années 1920, d'aucuns en ont profité pour contrecarrer la renaissance de l'Ukraine indépendante et qui semblent en user aujourd'hui pour empêcher le retour de l'Ukraine à la démocratie et à l'Europe[8] ».


Le débat entre les historiens au sujet du rôle de Simon Petlioura lors de pogroms de 1919, notamment à Proskurov est encore vif : d'un côté, certain historiens, comme Léon Poliakov, ou l'écrivain et journaliste Isaac Babel (exécuté en 1939 comme « espion » et « trotskyste » par le régime soviétique)[9] attribuent l'organisation des pogroms à l'Armée rouge et à l'anarchiste Nestor Makhno. Pour eux, la médiatisation du procès est essentiellement due à la propagande du Komintern, ayant tout intérêt à ce que Simon Petlioura soit jugé coupable pour mieux légitimer l'invasion de l'Ukraine.

Pour l'historien Taras Hunczak, Petlioura a constamment pris des mesures pour empêcher l'organisation de pogroms[10], et le Dr. Henry Abramson, spécialiste de l'histoire des juifs en Ukraine, ajoute que Petlioura ne peut être responsable du pogrom du 15 février 1919 à Proskurov : à cause du désordre provoqué par les multiples invasions de l'Ukraine, il n'était pas maître de la situation à ce moment-là[11].

L'autre thèse, défendue dès 1927 par Léo Motzkin[12] dans son livre Les pogroms en Ukraine sous les Gouvernements ukrainiens (1917-1920) montre que de toutes les armées alors présentes en Ukraine, l'armée de Nestor Makhno fut celle qui se comporta le mieux envers les civils et la population juive en particulier. Interrogé par l'anarchiste Voline, E. Tcherikover laisse place à peu de doute : « Ne parlons pas des pogroms, soi-disant organisés ou favorisés par Makhno lui-même. C'est une calomnie ou une erreur. Rien de cela n'existe[13]. »

Sans affirmer que Simon Petlioura ait voulu et décidé ces massacres, l'historien américain Arno Joseph Mayer souligne la responsabilité du chef ukrainien. « Petlioura lui-même et son gouvernement n'étaient pas foncièrement antisémites, du moins pas au début. En fait les juifs étaient officiellement émancipés. Mais dans la première moitié de 1919, au cours de sa lutte acharnée contre l'Armée rouge, Petlioura ferma les yeux sur les pogroms menés ou appuyés par ses propres troupes ou par les hetmans qui échappaient à son contrôle. À ses yeux, ils étaient tout à la fois anti-Ukrainiens et pro-Bolcheviks, et la logique de la situation était telle que l'embrasement et l'explosion d'un anti-judaïsme populaire et invétéré faisait son affaire. Il finit tout de même par publier un manifeste dénonçant les pogroms et interdisant l'agitation anti-juive. Mais il attendit juillet-août 1919 pour ce faire; à cette date, la guerre contre les juifs greffée sur la guerre contre les Bolcheviks avait déjà prélevé son abominable tribut[14]. »

Marius Schattner, dans son livre Histoire de la droite israélienne (1991), impute clairement la responsabilité des massacres aux troupes de Petlioura, sous le cri de guerre « mort aux Juifs et aux Bolcheviks »[15] et évalue les pertes à 40 000 victimes[15]. Schattner ne met pas en cause d'éventuels ordres donnés par Petlioura. Il souligne d'ailleurs qu'en 1918, il « nomma un dirigeant sioniste socialiste Poale sion au poste de « ministre des affaires juives » [et qu']'un autre ministre juifs qualifia cette période d'« âge d'or » des relations judéo-ukrainiennes[16] ». C'est plutôt la passivité du chef qu'il critique : « Petlioura a laissé faire. Il a couvert ses subordonnés. Il n'a ordonné qu'une enquête de pure forme après le massacre de Proskurov, perpétré par les cosaques de la brigade d'élite Zaporej. Dans les autres cas, il a fermé les yeux, refusant de tenir compte des demandes de sanction soulevées par les responsable civils [...] du directoire ukrainien. Ce n'est qu'en août 1919 qu'il a appelé ses hommes « à ne pas gâcher leurs actions héroïques par des gestes déshonorants ». Alors seulement, « l'homme de fer » de la République d'Ukraine (en morceaux) a menacé les progromchiks de les traîner en cour martiale[15] ».

Selon l'historien Saul S. Friedman (auteur de Pogromchik: The assassination of Simon Petlura, 1976), le geste de Schwartzbard était compréhensible et son acquittement par la justice française justifié, car selon lui, Petlioura était un « tueur en masse[17]. »


Le mémorandum détaillé sur les massacres de Juifs en Ukraine[18], recense 382 pogroms, et en attribue 120 aux forces régulières de Petlioura, ayant représenté 50% des victimes. Le mémorandum attribue 2% des victimes à l'Armée rouge (pourtant dirigée par un Juif, Léon Trotsky), et le solde à d'autres groupes[19]. Les conclusions de ce mémorandum sont pourtant remises en cause, puisque les études de Nahum Gergel, bien plus récentes, n'attribuent que 40% des victimes aux armées régulières de Petlioura, et 8,5% à l'Armée rouge, sur un total de 887 pogroms, les autres étant attribués aux armées blanches (17%) et aux autres forces armées qui n'étaient contrôlées par aucun des principaux belligérants (25%)[20].

[modifier] Bibliographie

  • Le Problème ukrainien et Simon Petlura - Le feu et la cendre, Alain Desroches, Nouvelles éditions latines, 1962
  • En notre âme et conscience. La vérité sur Simon Petlura, Comité pour la défense de la mémoire de Simon Petlura, 1958
  • Simon Petlura révolutionnaire inconnu. Lénine, Trotsky et Kérenski laissent dans l'ombre le nom de cet Ukrainien, symbole de la liberté, Sofia Naoumovytch, Miroir de l'Histoire, N° 307 (Novembre-Décembre 1978)
  • Cavalerie Rouge, Isaac Babel, Gallimard, 1959
  • Simon Petlioura et les Juifs, Taras Hunczak (traduit de l'anglais par Yann Gayet de l'Estourbeillon), Bibliothèque ukrainienne Symon Petlura, 1987
  • Simon Petlioura, Boris Martchenko, Bibliothèque ukrainienne Simon Petlioura, 1976

[modifier] Liens internes

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[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Quid 98, p.1163 a
  2. Cf. Marius Schattner, supra
  3. Mykola Riabtchouk et Iryna Dmytrychyn De la petite Russie à l'Ukraine, L'Harmattan, 2003 [1]
  4. Texte intégral
  5. « Maître Henry Torrès re-plaide l'affaire Schwartzbard », En votre âme et conscience, 28 février 1958 [2]
  6. Mariusz Wołos, « The Trial of Samuel Schwartzbard in october 1927 in the light of the French press », Dzieje Najnowsze, 2006
  7. Andrew Gregorovich, « Jews & Ukrainians », Analysis of the CBS 60 Minutes Program The Ugly Face of Freedom (October 23, 1994), FORUM: A Ukrainian Review, Hiver 1994
  8. « Lettre de l'Ambassadeur d'Ukraine en France Yuriy Sergeyev au Président de la LICRA Monsieur Patrick Gaubert »
  9. Mensuel Information Juive, octobre 1986
  10. Taras Hunczak, Encyclopedia of Ukraine, (1993) [3]
  11. Présentation du livre A Prayer for the Government: Ukrainians and Jews in Revolutionary Times, 1917-1920, Harvard University Press, 1999
  12. Léo Motzkin, E. Tcherikover, N. Tsatskis, Les Pogroms en Ukraine sous les Gouvernements ukrainiens (1917-1920), Comité des Délégations Juives, Paris, 1927.
  13. Voline, La Révolution inconnue, Paris, 1947
  14. Arno Joseph Mayer, Les Furies : Violence, vengeance, terreur aux temps de la Révolution française et de la Révolution russe, Fayard, 2002, p. 440.
  15. abc Marius Schattner, Histoire de la droite israélienne, 1991, p. 70.
  16. Schattner, reprenant Ben Zion Dinour, « l'Ukraine durant la guerre et la révolution », Jérusalem, 1960, P.36.
  17. Myron B. Kuropas, Symon « Petliura: Pogromchik or Philosemite ? », The Ukrainian Weekly, 12 décembre 1999
  18. The Ukraine terror, Genève 1920
  19. Cité par Marius Schattner, Histoire de la droite israélienne, 1991, P.342.
  20. Nahum Gergel, The Pogroms in the Ukraine in 1918-21, 1951
    Chiffre cité par Alexandre Soljenitsyne in Deux siècles ensemble, tome 2: « Juifs et Russes pendant la période soviétique », Fayard, 2003, pp.172-173