Ermengarde de Narbonne

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Ermengarde de Narbonne (vers 1127/1129 - en Roussillon, 1196 ou 1197) a été vicomtesse de Narbonne de 1143 à 1192.

Sommaire

[modifier] L'arrivée au pouvoir

Lorsqu'Aimery II, vicomte de Narbonne (1105-1134) est tué à la bataille de Fraga, le 17 juillet 1134, en luttant contre les Almoravides aux côtés d'Alphonse le Batailleur, roi d'Aragon, il ne laisse pour héritières que deux filles encore mineures, Ermengarde, née de sa première épouse (également nommée Ermengarde) et Ermessinde, née de la seconde (prénommée Ermessinde comme sa fille). Ses fils (ils étaient au moins deux en juin 1131), attestés dans diverses chartes, sont morts avant lui[1].

Ermengarde est alors âgée de cinq ans ou un peu plus, sa demi-sœur est encore plus jeune[2]. Leur héritage, Narbonne et sa vicomté, occupe une place stratégique sur la scène politique méridionale de l'époque, où s'affrontent les comtes de Toulouse, les comtes de Barcelone, les vicomtes de la famille Trencavel et les seigneurs de Montpellier.

Alphonse Jourdain, comte de Toulouse (1112-1148), prétendant peut-être exercer son droit de garde des héritières mineures à titre de suzerain, s'empare de Narbonne vers 1139 avec l'appui d'Arnaud de Lévezou, archevêque de Narbonne (1121-1149)[3]. On retrouve, la même année, Ermengarde témoin d'un acte de vente en Vallespir, alors gouverné par Raymond Bérenger IV, comte de Barcelone (1131-1162), son cousin germain. Devant la menace toulousaine, Ermengarde s'est sans doute alors réfugiée sur les terres de son cousin, qui est également un grand ennemi du comte de Toulouse[4].

C'est alors qu'Alphonse, opportunément « libéré » de son épouse Faydide d'Uzès, morte ou répudiée, songe à la fin de l'année 1142 à épouser Ermengarde, qui entre dans l'adolescence. En réaction à cette perspective qui risque de bouleverser l'équilibre politique régional en faisant passer la vicomté de Narbonne sous contrôle toulousain, une coalition de seigneurs méridionaux se réunit sous la direction de Roger Ier, vicomte de Carcassonne, Béziers, Albi et Razès (1130-1150) (l'un des Trencavel) pour s'opposer aux projets du comte de Toulouse[5],[6]. En 1143, Ermengarde est mariée à Bernard d'Anduze, un fidèle du vicomte Roger. Le comte Alphonse, vaincu par la coalition et fait prisonnier, est contraint, pour recouvrer sa liberté, de jurer la paix et de restituer la vicomté de Narbonne à Ermengarde et à son nouvel époux[7],[6].

[modifier] Activité politique

[modifier] Activité économique

[modifier] Relations avec l'Église

Salle capitulaire et cloître de Fontfroide, XIIe-XIIIe siècles
Salle capitulaire et cloître de Fontfroide, XIIe-XIIIe siècles

En 1157, la vicomtesse Ermengarde donne à l'abbaye cistercienne de Fontfroide un vaste ensemble de terres entourant le monastère. Cette donation marque le début de la puissance foncière et religieuse de l'établissement, qui va rapidement attirer les dons et s'affirmer comme le sanctuaire de la famille vicomtale de Narbonne [8].

[modifier] Activité culturelle

À l'époque où Ermengarde gouverne Narbonne, la poésie lyrique du fin'amor connaît son apogée en Occitanie. Les nombreuses allusions positives à Narbonne contenues dans les œuvres des troubadours contemporains semblent témoigner du rôle de protectrice des poètes que l'historiographie traditionnelle attribue souvent à la vicomtesse.

C'est à Ermengarde que la trobairitz Azalaïs de Porcairagues dédie sa canso, d'après sa tornada : « vers Narbonne, emportez ma chanson (...) auprès de celle que joie et jeunesse guident »[9]. Bernard de Ventadour lui en adresse une autre : « Porte cette chanson pour moi, Corona, à ma dame de Narbonne, dont chaque geste est si parfait que l'on ne peut médire sur son compte »[10].

Raimon de Miraval semble évoquer sa réputation de générosité envers les troubadours, en remettant à son jongleur, Bajona, un sirventès valant, affirme-t-il « un cheval gras avec une selle de Carcassonne, un étendard et un bouclier de la cour de Narbonne »[11].

La vicomtesse est également en relation avec d'autres troubadours, notamment Peire Rogier, Giraut de Bornelh, Peire d’Alvergne, Pons d’Ortafa et Salh d’Escola[12].

Vers 1190, un clerc français du nom d’André le Chapelain (ou, en latin, Andreas Capellanus) rédige un Traité de l'Amour courtois (en latin, De Arte honeste amandi), qui connaît une immense diffusion au cours de l’époque médiévale. Dans la seconde partie du traité, « Comment maintenir l'amour ? », l’auteur rappelle vingt-et-un « jugements d’amour » qui auraient été prononcés par les plus grandes dames du royaume de France, comme Aliénor d'Aquitaine et sa fille Marie de Champagne. Cinq de ces jugements sont attribués à Ermengarde de Narbonne (jugements 8, 9, 10, 11 et 15)[13]. En dépit du caractère probablement fictif de ces jugements, ils attestent de la renommée acquise par Ermengarde dans le domaine de l’amour courtois, même dans l’ère culturelle de la langue d'oïl.

D'après la Orkneyinga saga, Ermengarde aurait même accueilli à sa cour Rognvald II des Orcades, prince poète et musicien d’ascendance viking, qui aurait composé pour elle des strophes scaldiques[14].

[modifier] Dernières années


[modifier] Références

  • (fr) Jacqueline Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1127/29-1196/97). Une grande figure féminine du Midi aristocratique », dans La Femme dans l'histoire et la société méridionales (IXe-XIXe siècles), Actes du 66e congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (Narbonne, 15-16 octobre 1994), Montpellier, 1995, p. 9-50.
  • (fr) Jacqueline Caille, « Les seigneurs de Narbonne dans le conflit Toulouse-Barcelone au XIIe siècle », Annales du Midi, t. 97 (1985), p. 227-244.
  • (en) Fredric L. Cheyette, « Women, Poets, and Politics in Occitania », dans Theodore Evergates (éd.). Aristocratic Women in Medieval France. Philadelphie : University of Pennsylvania, 1999, p. 138-177. Consulter en ligne
  • (fr) Aryeh Graboïs. « Une étape dans l'évolution vers la désagrégation de l'État toulousain au XIIe siècle : l'intervention d'Alphonse-Jourdain à Narbonne (1134-1143) », Annales du Midi, t. 78 (1966), p. 23-35.
  • (fr) François Grèzes-Rueff. « L'abbaye de Fontfroide et son domaine foncier aux XIIe et XIIIe siècles », Annales du Midi, t. 89 (1977), p. 253-280.
  • (en) Linda Mary Paterson, The World of the Troubadours : Medieval Occitan Society, c. 1100-c. 1300. Cambridge : Cambridge University Press, 1993. (ISBN 0521558328) Consulter en ligne
    Traduction française : Linda Mary Paterson (trad. Gérard Gouiran). Le Monde des troubadours : La société médiévale occitane de 1100 à 1300. Montpellier : Les Presses du Languedoc, 1999. (ISBN 2859981934)

[modifier] Notes de l'article

  1. Jacqueline Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1127/29-1196/97). Une grande figure féminine du Midi aristocratique », dans La Femme dans l'histoire et la société méridionales (IXe-XIXe siècles), Actes du 66e congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (Narbonne, 15-16 octobre 1994), Montpellier, 1995, p. 9-11.
  2. Ces dates de naissance approximatives sont proposées par Jacqueline Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne... », p. 10-11.
  3. Aryeh Graboïs. « Une étape dans l'évolution vers la désagrégation de l'État toulousain au XIIe siècle : l'intervention d'Alphonse-Jourdain à Narbonne (1134-1143) », Annales du Midi, t. 78 (1966), p. 23-35.
  4. Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne... », p. 11-12.
  5. Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne... », p. 12-13.
  6. ab Graboïs. « Une étape dans l'évolution... », p. 30-33.
  7. Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne... », p. 14-15.
  8. François Grèzes-Rueff. « L'abbaye de Fontfroide et son domaine foncier aux XIIe et XIIIe siècles », Annales du Midi, (1977), p. 253-280.
  9. Azalaïs de Porcairagues, Ar em al freg temps vengut : « ves Narbona portas lai/ ma chanson (...)/ lei cui iois e iovenz guida », d'après l'édition de Matilda T. Bruckner, Laurie Shepard et Sarah White, éd. Songs of the Women Troubadours. New York: Garland, 1995, p. 34-37, cité par Fredric L. Cheyette, « Women, Poets, and Politics in Occitania », dans Theodore Evergates (éd.). Aristocratic Women in Medieval France. Philadelphie : University of Pennsylvania, 1999, p. 168; 232 note 82.
  10. Bernard de Ventadour, La dousa votz ai auzida : « Lo vers mi porta, Corona/ lai a midons a Narbona,/ que tuih sei faih son enter / c'om no.n pot dire folatge », d'après l'édition de Stephen G. Nichols et al. (éd.). The Songs of Bernart de Ventadorn. Chapel Hill : University North Carolina Press, 1965, p. 104-105, cité par Cheyette, « Women, Poets, and Politics in Occitania »..., p. 168; 232 note 83.
  11. Linda Mary Paterson, The World of the Troubadours : Medieval Occitan Society, c. 1100-c. 1300. Cambridge : Cambridge University Press, 1993, p. 98; Raimon de Miraval, Sirventes 39 (A Dieu me coman, Bajona) : « caval maucut / Ab sela de Carcassona / Et entressenh et escut / De la cort de Narbona ».
  12. Caille, « Ermengarde, vicomtesse de Narbonne... », p. 20.
  13. Arnaud Baudin, « André le Chapelain », dans Le comté de Champagne et de Brie au Moyen Âge [site web], page consultée le 3 janvier 2006.
  14. Jacqueline Caille, « Une idylle entre la vicomtesse Ermengarde de Narbonne et le prince Rognvald Kali des Orcades au milieu du XIIe siècle ? », dans G. Romestan (dir.), Art et histoire dans le Midi languedocien et rhodanien Xe-XIXe siècle. Hommage à Robert Saint-Jean. Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 21, 1993, p. 229-233

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