Templo Mayor

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Représentation du Templo Mayor dans le Codex Tovar
Représentation du Templo Mayor dans le Codex Tovar
Maquette du templo Mayor
Maquette du templo Mayor

Le Templo Mayor (ou «Grand Temple en espagnol»), en fait le temple principal de la capitale des Aztèques, ne nous a longtemps été connu que par des sources du XVIe siècle (entre autres Bernal Díaz del Castillo ou Bernardino de Sahagún). Il s'agissait d'un temple double consacré aux dieux Tlaloc et Huitzilopochtli, situé au centre du quartier cérémoniel de Tenochtitlan, l'actuelle Mexico. À l'arrivée des Espagnols à Tenochtitlan en 1520, le Templo Mayor était une impressionnante pyramide à degrés. Après la conquête espagnole, le temple avait été littéralement oblitéré par la ville coloniale et l'on avait oublié jusqu'à son emplacement exact. Ce n'est qu'en 1978 que des ouvriers faisant des travaux ont mis au jour un disque de pierre sur lequel était sculpté le corps démembré de la déesse Coyolxauhqui. Les fouilles qui s'ensuivirent de 1978 à 1982 mirent au jour les ruines spectaculaires du Templo Mayor.


Sommaire

[modifier] Description

Statues de la Phase III
Statues de la Phase III

Des fouilles de grande envergure, sur 5 à 7 000 m², ont révélé qu'il y avait eu sept étapes dans la construction de l'édifice, chaque bâtiment venant se superposer au précédent. Découverte conforme à ce que l'on sait de la coutume des peuples mésoaméricains d'élever leurs nouveaux sanctuaires sur des édifices antérieurs. Les Aztèques avaient procédé comme le faisaient les Mayas de l'Époque classique, à la grande joie des archéologues qui ont pu reconstituer l'histoire du temple.

  • La première phase, qui pourrait correspondre à la fondation mythique de Tenochtitlan en 1325, ne nous est pas accessible à cause du niveau de la nappe phréatique à Mexico.
  • De la septième et dernière phase, contemporaine de la conquête du Mexique par Cortés, il ne reste pour ainsi dire rien.
  • La deuxième phase, par contre, a été presque entièrement conservée et corrobore, en plus petit, les descriptions du Templo Mayor par les Conquistadors en 1521. Au sommet de l'édifice se trouvent deux sanctuaires, l'un consacré à Tlaloc, l'autre à Huitzilopochtli. Devant le sanctuaire de Tlaloc, on peut encore voir un Chac Mool qui a conservé ses couleurs d'origine. Face à celui d'Huitzilopochtli, moins bien conservé, se dresse la pierre de sacrifice. À l'intérieur se trouve un petit autel qui devait porter la statue du dieu. On y a retrouvé un glyphe « 2 Lapin », qui correspondrait à l'année 1390.
Ruines du Templo Mayor, Tenochtitlan
Ruines du Templo Mayor, Tenochtitlan
  • S'il reste peu de choses de la troisième phase, elle mérite d'être mentionnée, parce qu'on y a retrouvé une série de statues, qui pourraient représenter les Centzon Huitznaua, ainsi qu'une date « 4 roseau », sans doute 1431, ce qui correspond au règne d'Itzcoatl.
  • De la phase IV subsistent des éléments spectaculaires : de grands braseros qui portent le visage de Tlaloc du côté de son sanctuaire, d'autres qui portent un nœud, symbole d'Huitzilopochtli, du côté opposé. D'une phase IVb, correspondant à un agrandissement de la seule façade principale, datent des têtes monumentales de serpent, ainsi que le bas-relief représentant le corps démembré de Coyolxauhqui, dont la découverte fut, rappelons-le, à l'origine des fouilles. La phase IV serait contemporaine des empereurs Moctezuma Ier et Axayacatl.
  • De la phase V il ne subsiste quasi rien.
  • De la phase VI, qui daterait de l'empereur Ahuitzotl, subsistent des constructions annexes: trois petits bâtiments au nord, appelés temples A, B et C, dont l'un, le temple B comporte un tzompantli, ainsi qu'un ensemble appelé «enceinte des chevaliers-aigles». Au sud se trouve un bâtiment appelé le «temple rouge».
  • Comme nous l'avons dit, il ne subsiste quasiment rien de la phase VII, excepté une partie du dallage.

La chronologie du Templo Mayor pose néanmoins encore des problèmes, car il subsiste des contradictions entre ce que nous apprend l'archéologie et les sources écrites, c'est-à-dire les nombreux codex du XVIe siècle, qui parlent de l'achèvement définitif et de l'inauguration du Templo Mayor sous Ahuitzotl.

[modifier] Interprétation

L'interprétation de ce monument complexe n'est possible qu'à la lumière des conceptions religieuses mésoaméricaines en général, et ensuite de celles des Aztèques en particulier.

Dans la cosmographie mésoaméricaine, le monde est un carré divisé en quatre quartiers, correspondant aux points cardinaux, avec un centre qui est le pivot de l'univers (un «axis mundi») et met en contact verticalement la terre avec les différents niveaux du monde souterrain et des cieux. Cette conception est illustrée par la première page du Codex Fejérváry-Mayer. Symboliquement, Tenochtitlán, avec ses quatre quartiers, est une image du monde, et le Templo Mayor, à l'intersection des quatre quartiers en est le centre. Cette vision est illustrée encore plus explicitement par la première page du Codex Mendoza qui représente symboliquement Tenochtitlan. Au centre de l'image, l'aigle représente à la fois Huitzilopochtli et son sanctuaire. Les deux sanctuaires au sommet correspondraient au dernier niveau des cieux aztèques ; l'«Omeyocan» (c'est-à-dire l'«endroit de la dualité»).

Certaines caractéristiques du bâtiment sont associées au mythe spécifiquement aztèque de la naissance de leur dieu tribal, Huitzilopochtli, à un endroit appelé Coatepec ( en nahuatl la «montagne des serpents»). Dans ce mythe, la grossesse miraculeuse de Coatlicue indispose sa fille Coyolxauhqui et ses quatre cents fils, les Centzon Huitznahua. Ils décident de tuer leur mère, lorsqu'elle accouchera au sommet du Coatepec, mais Huitzilopochtli sort tout armé du ventre de sa mère, tue sa sœur, la démembre et précipite les morceaux au bas de la montagne. Ensuite il poursuit ses frères et les extermine. Le sanctuaire d'Huitzilopochtli au sud du Templo Mayor symbolise le Coatepec. On comprend parfaitement de cette manière la présence au bas de l'escalier qui y mène de la fameuse sculpture représentant Coyolxauhqui démembrée. Lorsqu'une victime est immolée au sommet du temple et que son corps est précipité vers le bas, c'est cet épisode du mythe qui est répété symboliquement.

Chac mool du Templo Mayor
Chac mool du Templo Mayor

Par ailleurs, le Templo Mayor traduit la soif de légitimité des Aztèques: certains auteurs pensent[1] que les derniers arrivants dans la vallée de Mexico souffraient d'un «complexe d'infériorité» et voulaient se poser en successeurs des grandes civilisations mésoaméricaines, dont les ruines se trouvaient encore sous leurs yeux: Teotihuacan et les Toltèques, que ce soit sous la forme d'offrandes enterrées sous le Templo Mayor (masques de Teotihuacan) ou l'imitation consciente de détails architecturaux : (talud-tablero de Teotihuacan ou chac mool de Tula).

Comme nous l'avons dit plus haut, le Templo Mayor était une pyramide double, avec un double escalier et deux sanctuaires à son sommet, l'un consacré à Huitzilopochtli, l'autre à Tlaloc. Selon Ester Pasztory, cette forme architecturale, présente en d'autres endroits, permettait aux Aztèques d'associer leur dieu tribal Huitzilopochtli à la principale divinité locale. A Tenochtitlan, capitale de l'empire, c'est à la grande divinité panmésoaméricaine Tlaloc qu'on associe Huitzilopochtli. Dans ce binôme riche en symbolique certains voient l'association de la petite tribu nomade arrivée récemment dans la vallée de Mexico avec les vieilles populations sédentaires du Plateau central. L'archéologue mexicain Matos Moctezuma y voit l'expression sacralisée de deux fonctions économiques : Huitzilopochtli préside à la guerre qui permet d'obtenir le tribut des vaincus, tandis que Tlaloc préside aux activités agricoles. On peut aussi y voir l'association du Nord aride représenté par Huitzilopochtli et de l'Est humide et aquatique représenté par Tlaloc. Aucune de ces associations n'est d'ailleurs exclusive des autres.

Le Templo Mayor était le lieu par excellence du scrifice humain sous sa forme la plus courante : la cardiectomie. Le mythe aztèque du Cinquième Soleil offre la clé de cette pratique : dans un univers instable qui dépend de la marche du soleil, et qui serait détruit si celui-ci s'arrêtait, les hommes se doivent d'imiter les dieux qui se sont sacrifiés à Teotihuacan pour que le soleil se mette en mouvement. Si le sacrifice humain a toujours existé en Mésoamérique, on peut se demander pourquoi il a pris un caractère tellement massif chez les Aztèques : selon les chroniqueurs, entre 3 000 et 84 000 personnes furent sacrifiés sur les quatre jours que dura la reconsécration du Templo Mayor par Ahuitzotl en 1487 - des chiffres qui ont d'ailleurs paru tellement élevés à certains auteurs qu'ils contestent la possibilité matérielle de tuer autant de personnes en aussi peu de temps[2]. Une des théories les plus répandues pour expliquer ces hécatombes est qu'un tournant idéologique a eu lieu lors d'une gigantesque famine vers 1450 : on attribue à Tlacaelel l'idée qu'elle aurait été due à la colère des dieux parce qu'on ne leur fournissait pas assez de sang humain, que les Aztèques désignaient par une métaphore : «Chalchiuatl» («eau précieuse»). Pour assurer l'approvisionnement régulier du soleil en victimes, on aurait inventé l'institution de la «guerre fleurie», une forme de guerre rituelle, où l'on s'efforce non pas de tuer mais de capturer les guerriers adverses pour les sacrifier. Par ailleurs, l'empire aztèque étant lui-même un édifice instable, perpétuellement agité par les révoltes des cités tributaires, la répression de celles-ci donnait lieu également au sacrifice d'une partie de la population révoltée.

[modifier] Notes et références

  1. Ester Pasztory, citée dans : David Carrasco, City of Sacrifice, p. 71
  2. Wolfgang Haberland, «La vallée de Mexico», in Les Aztèques - Trésors du Mexique ancien (ouvrage collectif), Bruxelles, 1987, p. 80

[modifier] Bibliographie

  • MOCTEZUMA, Eduardo Matos, The Great Temple of the Aztecs, Thames and Hudson, Londres, 1994
  • MOCTEZUMA, Eduardo Matos, « Le Templo Mayor », in Les Aztèques - Trésors du Mexique ancien (ouvrage collectif), Bruxelles, 1987
  • PASZTORY, Ester, Aztec Art, Harry N. Abrans, New York, 1983
  • CARRASCO, David, City of Sacrifice. The aztec Empire and the Role of Violence in civilization, Beacon Press, Boston, 1999