Révolution éthiopienne

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La Révolution éthiopienne débute en février 1974 avec les manifestations contre la gestion de la famine cachée du Wollo et les réformes du système éducatif, qui finissent par prendre la forme d’une grève générale d'ampleur nationale, et s'achève avec la destitution d’ Hailé Sélassié le 12 septembre 1974. Cette destitution met ainsi fin à un règne millénaire de la dynastie salomonide sur l’Histoire de l'Éthiopie.

Tout au long de cette contestation et jusqu’au renversement du régime, les ambitions de l’armée à prendre le pouvoir se font sentir, on parle alors d’un « coup d’Etat latent », qui bloque le pays pendant plusieurs mois.

L’élan populaire porté initialement par une contestation du système féodal, un élan démocratique et des idées marxistes, se transforme rapidement en étant récupérée par l’armée qui prend le pouvoir après la destitution de l’Empereur. Pour Mohammed Abdelmajid, il faut se souvenir de cet événement, il faut garder en mémoire qu’il y a vingt-cinq ans, les damnés de la terre, les forçats de la faim, se sont levés, qu’êtres de chair et de sang, ils ont un jour pensé réalisé un monde meilleur et… l’ont effleuré .

Initialement composé d’un conseil de généraux militaires, PMAC, la junte militaire devient alors le terrain de purges internes violentes qui transformeront finalement celle-ci en une véritable dictature militaire menée par Mengistu Haile Mariam. En pleine guerre froide, les puissances internationales se livrent à une lutte de récupération du régime. Perçu dans la population comme une trahison de la révolution qui l’a porté au pouvoir, le règne de terreur de Mengistu qui s’en suit n’hésite à pas à considérer les étudiants et tous ses opposants comme des traîtres, menant à une véritable guerre civile responsable de plusieurs milliers de morts. Celui-ci conservera le pouvoir jusqu’en 1991, date de son renversement par les troupes de l’EPRDF et de la mise en place de la première démocratie.

Sommaire

[modifier] La situation de l'Éthiopie pré-révolutionnaire

[modifier] Le système féodal

[modifier] La tentative de coup d'État de 1960

[modifier] La révolution éthiopienne

[modifier] La révolution de février - Yekakit 66

A l'automne 1972, le ministère de l'agriculture et la FAO (Commission de l'alimentation et de l'agriculture des Nations Unies) préparent un rapport avertissant de l'imminence d'une famine dans les provinces du Tigre et du Wollo. Celle-ci trouve plusieurs raisons : d'une part une succession de saisons excessivement sèches depuis 1970, d'autre part une distribution des terres héritière d'un système féodal très défavorable aux paysans de ces provinces (un quart des possessions du Wollo, région très fertile, appartiennent à des propriétaires absentéistes[1]), aggravée par l'exploitation à orientation capitaliste du pays (la plupart des paturages des plaines du Danakil sont converties en plantations de cotton[2] ).

De larges réserves de grain sont retenues par le gouvernement, et une partie est même exportée en 1973. Le rapport est donc finalement censuré par le gouvernement éthiopien avec la complicité de l'agence internationale[3]). Lors de la célébration de son 81ème anniversaire, Hailé Sélassié s'adressant au parlement ne fait aucune allusion à la famine en cours dans le Wollo.

A la mi-avril, un groupe d'universitaires éthiopiens se rend dans la Wollo et constate l'ampleur de la situation : 80% des récoltes et 90% du bétail sont perdus[4], des paysans meurent par centaines quotidiennement en tentant de rejoindre les villes. Le 17 avril, les étudiants manifestent et ouvrent les yeux du pays sur l'ampleur de la situation, une répartition des terres plus juste fait parti des premières revendications. Des heurts violents les opposent à la police. Le 28 avril, l'empereur décide de lever la censure imposée jusque là aux média sur ce sujet : un nouveau gouverneur est nommé dans le Wollo, des ravitaillement sont envisagés. Néanmoins, le gouvernement continue à minimiser l'ampleur de la situation[5]. Le 18 octobre 1973, le reportage Unknown famine du journaliste britannique Jonathan Dimbleby est projeté en Grande-Bretagne et choque le monde entier, les éthiopiens ne le verront qu'un an plus tard, la veille de la destitution d'Hailé Selassié. L'empereur admet finalement son incapacité à gérer la situation et fait appel à l'aide internationale, les pertes humaines sont estimées à 200,000 personnes.

Le 12 janvier 1974, la 4ème division armée au sud de Neghele se mutinent ceux-ci entendent protester contre leurs conditions de vie et arrêtent tous leurs officiers.

Manifestations en Ethiopie dans les années 70. Le manifestant brandit une image de la famine dans le Wollo et de l'empereur nourrissant ses chiens
Manifestations en Ethiopie dans les années 70. Le manifestant brandit une image de la famine dans le Wollo et de l'empereur nourrissant ses chiens

Mais ce sont surtout les professeurs, universitaires et intellectuels qui sont au premier rang de la contestation qui se prépare : ceux-ci entendent s'opposer à une réforme du secteur de l'éducation basée sur le rapport du gouvernement intitulé "Report of the Education Sector Review" : celui-ci préconise notamment de limiter l'éducation aux stricts besoins économiques du pays, de développer quasi-exclusivement le cursus primaire au niveau pratique, et de conserver la part infime d'étudiants accédant au cursus secondaire, les éducations post-primaires devant être financées par les étudiants, les salaires des professeurs nivelés par le bas en employant de jeunes diplômés à leur poste: pour beaucoup ce rapport condamne la jeunesse à l'illettrisme et au statut de prolétaire, par ailleurs, les enfants des classes dirigeantes ne sont pas concernés par ces réformes.

Les étudiants sont les premiers à manifester le 14 février, et font face à une riposte armée de la police. Le 18 février, les professeurs, accompagnés des conducteurs de taxis qui entendent protester contre une hausse de 50% du prix du carburant, bloquent la capitale. De nombreuses attaques contre les propriétés de la classe dirigeante ont lieu[6].

Le 23 février, une diminution du prix du pétrole est décrétée et la réforme de l'éducation reportée indéfiniment. Les associations universitaires refusent néanmoins de mettre fin au mouvement.

Les étudiants trouvent alors une nouvelle forme de communication à travers le tract : de nombreuses publications clandestines fleurissent à cette époque à Addis Abeba, faisant appel à toutes les classes sociales (ouvriers, paysans, étudiants) mais aussi aux soldats, dont les universitaires sont conscients qu'ils menacent le mouvement révolutionnaire. Un tract dénonce par exemple les "ministres et généraux qui s'enrichissent sur le dos du soldat", un autre demandant "d'écraser le gouvernement qui ne profite qu'à un petit nombre". Simultanément, le gouvernement accorde des augmentation de salaire aux militaires et policiers.

Le 25 février, la seconde division armée en Érythrée se mutine et prend le contrôle de la capitale de la province, Asmara. La 4ème division suit de peu ainsi que la base aérienne de Debre Zeit.

Le 27 février, le premier ministre Aklilu Habtewold démissionne. La haute aristocratie en profite pour reprendre le contrôle et Endalkatchew Makonnen est nommé premier ministre. Les chefs des 4 divisions sont remplacés.

La première mesure du nouveau cabinet consiste à accroître la solde des soldats et des officiers : en dépit de quelques agitations, la quasi-totalité des soldats loue allégeance au nouveau gouvernement et disperse une manifestation le 1 mars 1974.

Néanmoins la grève des professeurs ne faiblit pas. L'Association des professeurs d'Universités Ethiopiens se joint au mouvement et publie un document intégrant les demandes des différents groupes sociaux, visant à clarifier les raisons du soulèvement populaire et à les transformer en objectifs politiques, celui-ci sert de programme immédiat au mouvement : celui-ci ne se limite plus simplement à des revendications économiques mais demandent des changement socio-économiques et politiques radicaux en dénonçant l'oligarchie et la répartition des terres comme les causes fondamentales des maux de la nation. La démocratie, une nouvelle constitution, une presse libre, une réforme de la répartition des terres, des libertés civiles font partie des revendications premières.

De son côté, l'union des syndicats éthiopiens CELU menace le premier ministre de grève générale si une liste de 16 points qu'elle présente n'est pas respectée. Celle-ci inclut les demandes d'un nouveau code du travail, d'un salaire minimum, de sécurité de l'emploi, de retraites, d'une augmentation des salaires, etc. Le CELU dénonce aussi la réforme de l'éducation comme visant à séparer les enfants de riches de ceux des pauvres, se déclare solidaire des professeurs, demande l'éducation gratuite pour tous et dénonce la répartition inégales des terres comme l'un des principaux maux du pays. La première grève générale dans l'histoire de l'Ethiopie à lieu le 7 Mars.

Le 11 mars, les employés de l'Aviation Civile se joignent au mouvement et les vols intérieurs sont suspendus. Plus inquiétant pour le régime, l'Église Éthiopienne se joint au mouvement, les prêtres accusent la hiérarchie de s'approprier les revenus de l'Église et demande la confiscation des biens des évêques. Les musulmans éthiopiens se joignent au mouvement en réclamant la fin de la discrimination de l'Islam et la reconnaissance de leurs droits : une manifestation de soutien réunit 100,000 personnes à Addis Abeba le 20 Avril[7].

L'Association des journalistes éthiopiens se joint au mouvement et demande la levée de la censure imposée à la presse le 5 mars. les premiers bilans de la famine dans le Wollo commencent à apparaître et provoquent la consternation. Les révélations, les revendications de chacun commencent à apparaître dans la presse de toute part " La racine de problèmes tels que la corruption d'officiels est le système lui-même, et la solution est un changement radical du système et la formation d'un gouvernement du peuple".

Hailé Sélassié réalise quelques concessions ; le 22 avril, le ministre de la défense menace de réprimer toute manifestation et s'autorise à répondre "par tous les moyens nécessaire pour arriver à ses fins"[8]. Le 29 avril, le gouvernement accorde une protection à toute entreprise qui en fera la demande. Le 5 mai, Hailé Sélassié utilise la date de commémoration (Anniversary day) pour lancer un appel à l'unité "contre les agitateurs".

[modifier] La révolution de l'armée

Face à un mouvement populaire d'ambition révolutionnaire touchant tous les secteurs de la société, le régime ne peut plus compter que sur ses forces armées. Pourtant les simples soldats partagent de nombreuses revendications avec la population éthiopienne, notamment sur la répartition des terres. Le régime compte sur un changement des têtes de l'armée, mais de nombreuses mutineries ont déjà lieu opposants soldats et officiers (2nde division en Erythrée, 3ème division au Harar, 4ème division à Bale). Fin avril, un comité de représentants élus comprenant tous les échelons de l'armée se met en place sous le nom de Comité de Coordination des Forces armées, plus connu sous le nom de Dergue (Comité en Amharique). Les ambitions du Dergue sont initialement confuses : il loue initialement allégeance à l'Empereur, effectue les arrestations ordonnées par le régime, et condamne les manifestations populaires progressistes[9].

Le 26 juin, des membres du parlement se présentent au quartier général de la 4ème division pour demander la libération de ministres retenus prisonniers par des soldats suite à une mutinerie. Au lieu de la libération, ceux-ci commencent une nouvelle vague d'arrestation: aristocrates, dignitaires du régime, officiers militaires, juges, bureaucrates et le guide religieux de l'Empereur. De là les arrestations ne prendront pas fin avant que tous les dirigeants de l'ancien régime ne soient emprisonnés.

Le Dergue présente alors sa propre liste de revendications au Premier Ministre. Celle-ci ne clarifie pas sa direction qui reste assez confuse à cette époque, sans soulever de revendication particulièrement radicale: incluant son slogan "Ethiopia Tikdem" (Ethiopie d'abord) et la promotion du tourisme, cette confusion est révélatrice, comme le note John Markasis, de l'incertitude du Dergue à cette époque sur sa capacité à assumer le pouvoir[10].. Le Dergue pousse le premier ministre à présenter sa démission le 22 Juillet. Il est remplacé par le ministre du Commerce et de l'Industrie, Mikael Imru, ce qui signe encore une fois la confusion de l'idéologie du Dergue (Mikael Imru est fils de Ras Imru, cousin d'Hailé Sélassié).

Les intellectuels et universitaires éthiopiens continuent parallèlement leur offensive. Leurs revendications sont présentées de manière claire et concise à la population à travers une presse clandestine multiple qui trouve une très large diffusion: l'hebdomadaire "Democracia" apparait mi-Juillet, et développe une anlayse marxiste sophistiquée de la situation éthiopienne[11], un second "The voice of the broad masses" (la voie des peuples") sur la même voie apparait le mois suivant. Les intellectuels enrichissent l'amharique d'un vocabulaire entièrement nouveau adapté à la lutte des classes, dénonçant aussi bien le pouvoir qualifié de premier responsable ("Qui est plus responsable que lui?"[12], "C'est par la tête que le poisson pourrit"[13]), que la naïveté politique du Dergue (critiquant entre autre son slogan "Ethiopie d'abord" [14]). L'abolition du régime féodal et l'indépendance face au capitalisme étranger sont définis comme les seules bases possibles d'un changement radical[15], . Le Dergue est dénoncé comme non représentatif ni du peuple ni des forces armées éthiopiennes[16],

Conscient de ses lacunes et de sa confusion idéologiques, le Dergue essaie de puiser à toutes les sources et ouvre une boite postale pour récolter les propositions du public. Dans un premier temps le Dergue masque sa confusion en reprenant ainsi le vocabulaire et les revendications des intellectuels. En août, il se saisit de la première des demandes : la déposition d'Hailé Sélassié. Le 12 septembre, l'annonce de sa déposition est faite dans tout le pays.

Les soldats n'ont alors plus d'hésitation à réclamer le pouvoir et à supprimer toute opposition. Le Dergue assure le rôle de chef d'État, la constitution suspendue, le parlement dissout. Le nouveau gouvernement interdit toute opposition au principe du "Ethiopia Tikdem", et se refuse à toute alliance avec aucun autre groupe populaire: la prise de pouvoir est ainsi très vite perçue dans la population et particulièrement chez les intellectuels comme une trahison de la révolution du peuple[17].

La presse attaque très vite les prétentions du Dergue à être représentatif du mouvement qui l'a porté [18]. Le congrès annuel du CELU le 15-17 Septembre demande la démission du gouvernement militaire et son remplacement par un gouvernement populaire incluant des représentant des ouvriers, des paysans, des étudiants, des commerçants, des soldats et des femmes. Le Dergue répond en demandant au CELU de retirer leur proposition. Le 18 Septembre, les étudiants éthiopiens bravent une parade militaire et manifestent leur solidarité avec les travailleurs. Le Dergue qualifiant les étudiants d'"immatures" et se dit près à les écraser. Les dirigeants du CELU sont arrêtés le 23 Septembre.

Le Dergue fait aussi face à des tensions internes, certains militaires demandant la réélection de leurs dirigeants. Le Dergue fait arrêter ses opposants, dans une confrontation avec des ingénieurs de l'Armée certains soldats sont tués à Addis Abeba le 7 octobre. La démocratie est décrétée comme un "besoin non immédiat". Le Dergue inclus les intellectuels radicaux comme des "ennemis au progrès et de la nation"[19].

Dans un geste de conciliation le Dergue créé un groupe d'étude incluant des membres du CELU et des universitaires: celui-ci ne se réunira jamais, l'Association des Professeurs d'Université le boycottant.

Dessin de Plantu dans Le Monde daté du 7 juin 1975 montrant la lutte d'influence que mène les grandes puissances durant l'année 1975 pour le contrôle de la révolution
Dessin de Plantu dans Le Monde daté du 7 juin 1975 montrant la lutte d'influence que mène les grandes puissances durant l'année 1975 pour le contrôle de la révolution

La question érythréenne ouvre un second front contre le régime du Dergue: réclamant l'indépendance par le biais des deux principaux mouvements de libération (ELF et EPLF), le Dergue, contre l'avis de ses experts, est convaincu qu'aucun compromis n'est possible et se dit déterminé à une solution militaire. Dans la nuit du 23 novembre, le général Aman, expert de la question érythréenne pour le régime du Dergue et qui préconisait un règlement pacifique du conflit, est assassiné à son domicile. La même nuit, 59 prisonniers sont exécutés, incluant les deux précédents premiers ministres et des officiers militaires opposés au Dergue. Cette date marque un tournant dans le régime, la presse qualifie ouvertement le régime du Dergue de "fasciste", les intellectuels dénoncent la politique de répression et sa gestion de l'Érythrée sans équivoque.

La bataille d'Asmara pour l'Érythrée dans la première semaine de Février 1975 achève de polariser la population érythréenne: les récits des atrocités commises par les troupes du Dergue choquent les populations, les deux mouvements de libération ELF et EPLF s'unissent contre le régime.

En pleine guerre froide et malgré le changement de régime, l'aide militaire américaine vers l'Éthiopie de faiblit pas : Washington réagit très peu à la nationalisation des investissement étrangers dans le pays et considère favorablement les demandes d'assistance militaire de la part du Dergue, les experts américains considérant que "cette très longue relation avec le pays vaut la peine d'être préservée"[20]. "Nous recevons en même temps des livres marxistes imprimés eb Chine, et des armes modernes fabriquées aux Etats-unis" cite Le Monde daté du 7 juin 1975[21] Cette dépendance face au camp impérialiste est dénoncé comme une nouvelle trahison du mouvement populaire.

[modifier] La dictature militaire

Arrivé au pouvoir suite à un soulèvement populaire, le Dergue ne pouvait espérer se maintenir durablement sans compromis avec les aspirations premières du mouvement. L'année 1975 cristallise ces contradictions. Le Dergue espère ainsi gagner le support de la paysannerie, remettre les ouvriers au travail et neutraliser les intellectuels radicaux.

En janvier et février 1975 une première vague de nationalisation est brutalement annoncée. Dans la déclaration de politique économique de février 1975 une économie en 3 tiers est envisagée : un secteur réservé à l'État, un secteur conjoint État-privé (secteurs minier, forage, tourisme) réservé au secteur que le pays ne peut espérer développer sans investissements étrangers, et un secteur privé assez large. Le secteur de l'État s'accroît ainsi de près de 30,000 postes.

Sur la question de la répartition des terres, le Dergue proclame la réforme le 4 mars 1975[22]: toutes les terres rurales deviennent les propriétés collectives de l'État, la répartition entre propriétaire et locataire est abolie, le transfert de terres interdit. Aucune compensation n'est accordée aux anciens propriétaires. L'Eglise qui ne fait l'objet d'aucune distinction spécifique subit le même sort et est privée de ses anciens privilèges. Le système médiéval est ainsi définitivement enterré. A l'occasion de cette réforme, a lieu à Addis Abeba et dans de nombreuses autres villes du pays les plus grandes manifestations et les plus enthousiastes de l'histoire du pays[23].

Cette réforme devient le point de départ d'une campagne du régime visant à gagner la sympathie des masses paysannes.

En fait ce plan avait été envisagé bien avant la chute de l'Empereur et dès Septembre 1974, les étudiants et le corps enseignant avaient déjà commencé à parcourir les campagnes afin d'expliquer les principes du "progrès par la co-opération", promouvoir l'enseignement, l'éducation à l'agriculture, les soins, les conditions sanitaires et l'organisation communautaire. Ceux-ci s'opposent initialement à la proposition du régime vue comme une simple récupération et un moyen que se trouve le régime pour s'offrir un répit face à la contestation du peuple[24]. Le Dergue entame une campagne d'intimidation interdisant d'emploi futur tout étudiant qui se refuserait à participer à la campagne du régime. La campagne est lancée officiellement le 21 décembre 1974, impliquant 60 000 étudiants et universitaires.

Profitant de cette campagne, de nombreux étudiants dans le sud poussent les paysans à l'auto-organisation et l'auto-gouvernance, de nombreux heurts ont lieu entre la police et les militants, nombre d'entre eux sont arrêtés et emprisonnés à Addis Abeba.

En décembre 1975, le régime répond aux demandes des paysans en promulguant la Proclamation sur l'Organisation et la Consolidation des Organisations Paysannes : celle-ci permet d'accroître le rôle d'auto-gouvernance des associations paysannes, tentant ainsi de gagner la sympathie des paysans, alors que la contestation du régime dans les villes ne cesse de croître. Parallèlement le Dergue établit une hiérarchie de sous-représentants (Comité Révolutionnaire d'Administration et de Développement) jusqu'au niveau des associations paysannes locales.

Le 26 juillet 1975, toutes les terres urbaines et les habitations secondaires sont nationalisées sans compensation.

Alors que le régime tente de récupérer la sympathie des paysans, la situation des ouvriers urbains n'est quasiment pas améliorée par la nouvelle législation du travail promulguée en décembre 1975. Celle-ci ne propose ni salaire minimum, ni aucune mesure de sécurité sociale. Depuis la confrontation entre le Dergue et l'Union des syndicats éthiopiens CELU en 1974, leurs relations n'ont en effet pas cessé de se détériorer, en dépit des aspirations dites "socialistes" du régime.

Le Dergue commence alors à s'attaquer à l'existence même des syndicats en développant de nouvelles structures concurrentes appelées "comités de travailleurs". Les syndiqués sont soumis à une campagne d'intimidation de la part des managers et des "Apôtres du changement", des représentants du Dergue dépêchés dans chaque entreprise afin de promouvoir la "philosophie du régime". Tous les employés sont forcés d'assister deux fois par semaine à une session d'éducation politique afin de s'imprégner du credo officiel.

Le Dergue ordonne la suspension du CELU jusqu'aux élections du prochain congrès ; le Dergue espère pouvoir y en prendre le contrôle et tourner le CELU à son avantage. Les dirigeants actuels sont emprisonnés. Au nouveau congrès de Juin, le CELU adopte une longue liste de résolutions critiquant la politique du régime sur de nombreux points, les demandes de salaire minimum et de sécurité sociale sont réitérées, la solidarité avec les paysans et les forces progressives urbaines affirmée.

Ayant été incapable de manipuler le CELU, le Dergue met fin à l'activité de l'organisation et retient prisonnier ses représentants. Le 25 septembre, des membres des forces de sécurité ouvrent le feu sur des personnes distribuant des tracts du CELU à l'aéroport d'Addis Abeba, causant plusieurs morts. L'état d'urgence est déclaré, de larges vagues d'arrestations emprisonnent ouvriers syndiqués, intellectuels et étudiants.

Ayant épuisé les réformes socio-économiques inspirées du mouvement populaire, le Dergue se montre non seulement incapable de concevoir de nouvelles mesures dans les mois suivants, mais voit aussi resurgir avec d'autant plus de force l'une des premières revendications du mouvement : celle d'un gouvernement du peuple. Parallèlement, le Dergue suit une transformation interne clarifiant la nature du régime : la plupart des membres sont décimés au cours de purges violentes ramenant le pouvoir dans les mains d'une clique de plus en plus réduite.

L'organisation et le fonctionnement interne du Dergue est très longtemps resté dans l'ombre. On sait à travers les déclarations du général Aman, avant son assassinat, que le Dergue comptait 120 membres à ses début, pour arriver à moins de 40 membres au début 1977 suite aux nombreuses purges menées au sein de la Junte. Nombre des dirigeants du Dergue ont été très longtemps inconnus du public. Chaque grand secteur de la vie politique, tels que l'administration, les affaires sociales et économiques, la défense et les affaires étrangères, est alors géré par des sous-comités dirigé par un officier dont l'expérience ou l'éducation lui donne des compétence dans ce domaine.

Les présidents de sous-comité ont longtemps été les parties les plus visibles du régime, dictant de larges renouvellements de personnels au sein de l'administration au cours de l'année 1975. Une simple lettre de l'un d'entre eux suffit à entraîner une embauche, une démission ou une promotion.

La fonction de chef de l'État et du gouvernement est rattachée à la fonction de président du Conseil Administratif Militaire Provisoire (PMAC). Le PMAC et la Dergue sont deux corps identiques, les sous-comités du PMAC sont ceux du Dergue. À la seule différence que le président du PMAC n'est pas celui du Dergue. S'il a jamais existé un président à ce dernier corps sans visage n'a jamais été éclairci[25]. Dans la pratique, le Major Mengistu fut généralement considéré comme son leader depuis sa création.

Suite à l'assassinat du Général Aman Andom en novembre 1974, la position de président du Conseil Administratif Militaire Provisoire (PMAC) est occupée par le Brigadier Général Teferi Bante. La cinquantaine et expérimenté, le général est respecté par les jeunes officiers, mais inconnu du public. Dépourvu d'initiative, il est très vite éclipsé par les deux vice-présidents du régime.

Le premier d'entre eux, Mengistu Hailé Mariam, est diplômé de la même académie que le général Bante (académie militaire d'Holeta). Trentenaire et d'un niveau d'éducation limité, il possède une personnalité très forte qui en fait très tôt le leader du Dergue dans les faits. Grand orateur, prêchant des principes populistes et nationalistes et une conception nihiliste de la révolution sociale, il agrémente ses discours de slogans marxistes stéréotypés, et gagne le soutien des éléments les moins éduqués au sein du Dergue. Ses ambitions personnelles l'opposent très vite aux officiers plus éduqués du Dergue qui rejettent ses solutions radicales[26].

Atfanu Abate est le second vice-président du Dergue. Légèrement plus âgé que Mengistu et plus haut gradé, il est issu de la même académie militaire. Membre fondateur du Dergue, il est longtemps considéré comme l'un des plus sérieux rival de Mengistu. Les éliminations brutales qui suivront ne lui laisseront pas l'occasion de le distancer.

Le président et ses deux vice-présidents deviennent les membres les plus connus du régime. Les portraits du trio sont présent sur toutes les couvertures de presse durant les années 1975 et 1976. La junte manque cependant de cohésion et de stabilité, soumise à des pressions extérieures, terrain d'affrontements permanent elle finira par se transformer en une dictature.

La première des pressions exercées par la junte reste l'opposition populaire dirigées par les intellectuels, les ouvriers et les étudiants. La campagne de propagande basée sur l'envoi massif des étudiants dans les campagnes, afin d'enseigner aux paysans la doctrine du régime, prend fin au début de 1976, du fait de l'hostilité de plus en plus grande des universitaires face au gouvernement militaire. Ils sont remplacés, comme les professeurs, par des militaires et des sympathisants du régime, le Dergue prenant des mesures sévères contre leurs prédécesseurs: un nombre indéterminé de ces militants universitaire est tué dans des heurts avec les autorités, beaucoup sont emprisonnés, des centaines traversent les frontières pour se réfugier à l'étranger.

La campagne prend fin officiellement en juillet 1976.

[modifier] Notes

  1. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.96
  2. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.96
  3. "The Politics of Starvation" John Sherperd, New York, Carnegie Endowment for International Peace, 1973
  4. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.97
  5. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.98
  6. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.102
  7. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.114
  8. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.122
  9. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.129
  10. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.131
  11. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.133
  12. Democracia, No 2, 25 juillet 1974
  13. "Déclaration sur les problèmes socio-économiques", Union des Etudiants d'Addis Abeba, adressée au Dergue le 30 Juillet 1974, cité dans "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.134
  14. Democracia, No. 2, 37 Août 1974, cité dans "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.136
  15. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.135
  16. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.136
  17. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.140
  18. Democracia, No. 15, 12 novembre 1974, cité dans "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.141
  19. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.142
  20. "Recent Developments in Ethiopia", Département d'Etat, News Release, 5 Mars 1975, cité dans "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.149
  21. J.-C. Guillebaud, "Ethiopie: la révolution menacée", Le Monde, 7 Juin 1975, p.6
  22. Proclamation N. 31 de 1975
  23. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.160
  24. "Voice of the Broad Masses", N. 12, 5 Novembre 1974, cité dans "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.161
  25. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.179
  26. "Class and Revolution in Ethiopia" John Markasis and Nega Ayele, p.181-182

[modifier] Bibliographie

  • John Markasis et Nega Ayele, Class and Revolution in Ethiopia, Addis Abeba, Shama Books, 1978 (ISBN 99944-0-008-8);
  • Berhanou Abebe, Histoire de l’Éthiopie d'Axoum à la révolution, Paris, Maisonneuve & Larose, coll. « Monde africain », 1998 (ISBN 2-7068-1340-7).

[modifier] Liens externes


Histoire de l’Afrique