Mur vitrifié

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Pierre vitrifiée de Sainte-Suzanne (Mayenne), fouilles 2006.Au pied des remparts de la cité fortifiée de Sainte-Suzanne dans la Mayenne , le visiteur peut voir distinctement une partie de ce mur au début de la promenade de la Poterne, côté sud.
Pierre vitrifiée de Sainte-Suzanne (Mayenne), fouilles 2006.
Au pied des remparts de la cité fortifiée de Sainte-Suzanne dans la Mayenne , le visiteur peut voir distinctement une partie de ce mur au début de la promenade de la Poterne, côté sud.

L'expression « mur vitrifié » désigne des vestiges archéologiques présentant des caractéristiques impliquant une chauffe à très haute température et datant d'une période comprise entre 800 et 200 ans av. J.-C.

Il s'agit le plus souvent de construction composées de blocs de grès ou de granite soudés entre eux par un mortier noirâtre, verdâtre ou rougeâtre, ressemblant à une coulée de lave refroidie. Pour fondre de tels murs de granite, une température comprise entre 1100 et 1300° C est nécessaire et doit être combinée à un procédé de combustion lente.

Des vestiges d'enceintes vitrifiées ont été découverts en France et dans différents pays d'Europe du nord (Écosse, Norvège) et de l'est (Hongrie).

Diverses théories ont été proposées pour expliquer la formation des murs vitrifiés.

Sommaire

[modifier] Historique

Les murs vitrifiés intéressent les chercheurs depuis longtemps. En 1759, un premier mur vitrifié est signalé dans la cave d'une maison de Sainte-Suzanne.

Le naturaliste Louis Maulny, né au Mans en 1759, est l'auteur de la première mention scientifique des pierres vitrifiées. Il les décrit ainsi en 1806 : « avant de rentrer dans la ville, La Houssaye [1] me montra à l'extrémité de la terrasse de son jardin un pan de mur des anciennes fortifications, dont les pierres et le mortier sont passés à l'état de verre, dont la couleur est d'un vert noirâtre assez semblable au laitier qui se forme dans les forges de fer. Ce pan de mur a environ soixante et dix pieds de longueur (23 m environ) sur huit pieds d'épaisseur (2,60 m) et trois à quatre pieds d'élévation (1 m à 1,30 m). Il n'est guère possible d'expliquer comment a pu s'opérer cette fusion : il a fallu un feu bien violent pour pénétrer une masse de pierres de cette nature et la réduire en verre. »

En 1811, Pierre Renouard, bibliothécaire du département de la Sarthe, auteur des Essais historiques sur la ci-devant Province du Maine, signale à son tour « comme un phénomène presque inexplicable pour le physicien et pour l'antiquaire, la vitrification d'une petite portion de murs de l'ancienne forteresse. Ces murs ont 20,14 m de longueur, 0,97 m de hauteur et 4,55 m d'épaisseur. On trouve, au bas du monticule sur lequel Sainte-Suzanne est bâtie, des morceaux détachés de cette singulière vitrification. Un des mémoires de l'Académie celtique de Paris fait mention d'une pareille vitrification en Écosse ».

Partie du mur vitrifié de Sainte-Suzanne (Mayenne)
Partie du mur vitrifié de Sainte-Suzanne (Mayenne)

En 1829, Jean-Marie Bachelot de La Pylaie décrit les murs vitrifiés de Sainte-Suzanne dans les Mémoires de la Société des antiquaires de France : « En divers endroits, les murs avaient été reconstruits sur de plus anciens et même sur des débris de murailles vitrifiées, comme l'étaient celles de divers châteaux-forts observés en Écosse. On retrouve encore un bloc de ces fortifications entier, sur une longueur de 10 mètres, et haut de 2 mètres environ, à son extrémité occidentale. » Cette communication fit alors grand bruit dans le cercle des antiquaires, écrit Robert Triger[réf. nécessaire], président de la Société historique et archéologique du Maine.

Vers 1846, Prosper Mérimée, alors Inspecteur général des Monuments historiques, fait le tour des remparts avec beaucoup d'attention, et avoue ne pas avoir trouvé de traces de vitrification autres que celles déjà mentionnées par les chercheurs précédents.

[modifier] Autres murs vitrifiés en France et en Europe

Des murs vitrifiés ont été signalés en Écosse : dès 1777, au nord d'Édimbourg, Craig Phoedrick et l'Ord Hill of Kissock attirent l'attention des savants. On peut citer aussi Barry Hill, Castle Spynie, dans l'Invernesshire, Top-o-Noth, dans le comté d'Aberdeen, ou les cairns de l'île Sanday (Orcades). Des vestiges de vitrifications sont également mentionnés sur l'île de Tory (Tor-iniz, l'île de la tour) au large de l'Irlande.

D'autres murs vitrifiés sont signalés en Norvège, au Danemark, en Allemagne.

En France, les fouilles opérées en 2006 au pied du château de Sainte-Suzanne, à plusieurs mètres sous un remblai de terre, ont permis de confirmer la présence de pierres vitrifiées [réf. nécessaire].

D'autres murs ont été étudiés, notamment à La Courbe dans l'Orne, au camp de Péran à Plédran dans les Côtes-d'Armor, au Puy-de-Gaudy dans la Creuse et à Saint-Jean-sur-Mayenne.

Au total, 130 forts vitrifiés ont été dénombrés en Europe. En général, il s'agit d'enceintes circulaires ou elliptiques, choisies avec soin pour faciliter la défense. « Des spécimens de vitrifications offrent entre eux de notables différences », écrit Robert Triger [réf. nécessaire].

[modifier] Les hypothèses : feu accidentel ou volontaire ?

Fragment du mur vitrifié à Sainte-Suzanne (Mayenne)
Fragment du mur vitrifié à Sainte-Suzanne (Mayenne)

Deux hypothèses ont été avancées par les chercheurs :

  • La vitrification pourrait être accidentelle ou liée à un conflit. Il est toutefois difficile d'admettre que tant de forteresses aient été incendiées par négligence ou par accident. En effet, si des incendies fortuits avaient si facilement pu vitrifier un mur, pourquoi les constructeurs auraient-ils dépensé autant d'énergie à les édifier, comparativement aux murs composés seulement de pierres, de terre ou de chaux. Cette hypothèse est toutefois avancée pour certains « brochs », forteresses écossaises préhistoriques construites en pierres liées (« laced ») et en bois, ce qui aurait donné les « vitrified hillforts ».
  • La vitrification serait volontaire. Les analyses chimiques de murs vitrifiés tendent à accréditer cette seconde hypothèse. En 1863, le capitaine du Génie Jacques-Ferdinand Prévost se passionne pour ce sujet et confirme les affirmations de MM. Léon de La Sicotière et Prosper Mérimée. Quelques années plus tard, M. Daubrée, inspecteur général des Mines, décrit ainsi le mur : « C'est une substance vitreuse, boursouflée ou très bulleuse, très fragile, d'un gris verdâtre, ressemblant à un verre de bouteille, et qui empâte des morceaux de quartzite à texture granulaire. » L'analyse minéralogique et chimique qu'il en fait montre la présence des composants suivants : silice 71 %, alumine 13 %, soude 12 %, péroxyde de fer 3,30 %, + traces de chaux, de magnésie, de sel (chlorure de sodium) et de potasse [2].

Les scientifiques démontrent parallèlement que la vitrification exige des températures allant de 1 100 à 1 300° C. Or, la température d'un feu de bois, au bout de 24 heures, atteint une chaleur maximale allant de 1 080° à 1 100°. C'est donc volontairement qu'une température supérieure était recherchée, dans le cadre d'une construction sur place, attentive, soignée et originale, visant le maximum de solidité, voire d'indestructibilité.

[modifier] La méthode de construction

Échantillons de pierres vitrifiées à Sainte-Suzanne (Mayenne)
Échantillons de pierres vitrifiées à Sainte-Suzanne (Mayenne)

L'ingénieur anglais Williams, en 1777, persuadé du caractère intentionnel de la vitrification, pense qu'un moule de deux levées de terre séparées par un espace égal à l'épaisseur que l'on voulait donner au mur, avait été aménagé ; on aurait ensuite rempli ce moule de bois [3], de charbon, éventuellement, de matières siliceuses [4], susceptibles de se vitrifier à très haute température. Après obtention d'une première couche de mur ainsi vitrifié, déposée au fond du moule, on aurait obtenu ensuite de la même façon des couches successives jusqu'à la hauteur désirée.

Les analyses chimiques de la fin du XIXe siècle permirent de comprendre que la soude, la potasse, le sel, l'argile, rajoutés au fur et à mesure de la construction du mur, constituaient en fait des éléments indispensables permettant de faire baisser la température de fusion du grès. M. Daubrée, en 1881, notait : « Pour ramollir une roche aussi réfractaire que le granite, il a fallu une intention formelle, servie par des efforts habiles et prolongés… Il a fallu une surabondance, une sorte de luxe de chaleur,… par suite d'un procédé ingénieux et puissant » [réf. nécessaire].

[modifier] Études scientifiques de la fin du XXe siècle

En 1977, un chercheur du Museum of natural history de Washington, Kurt Fredriksson, vient à Sainte-Suzanne pour analyser un échantillon de mur vitrifié. Un volumineux rapport est alors rendu, qui met non seulement en évidence l'intention formelle du procédé de vitrification, mais qui confirme aussi les analyses chimiques de la fin du XIXe siècle, attestant l'ajout d'éléments chimiques comme la soude, la potasse, le sel et l'argile [réf. nécessaire].

En 1987 des scientifiques de la NASA, recherchant dans la région des filons de titane, procèdent à une analyse des pierres. Ils concluent à leur tour que la fusion des pierres, issue d'un procédé chimique complexe, n'a pu être que volontaire [réf. nécessaire].

Le professeur Peter Kresten, directeur du patrimoine à Uppsala (Suède), examine également des échantillons et en déduit qu'une température de 1 188° a été nécessaire pour parvenir à la fusion du grès [réf. nécessaire].

Plus récemment, les professeurs Labesse et Triboulet, de l'université de Jussieu à Paris, confirment ces observations [réf. nécessaire].

NB : Ces documents peuvent être consultés au Musée de l'Auditoire 7 Grande rue, 53270 Sainte-Suzanne.

[modifier] Murs vitrifiés et Celtes

Les chercheurs sont d'accord sur la datation des murs vitrifiés : les dates s'échelonnent du Ve siècle au VIIe siècle avant notre ère, c'est-à-dire le deuxième âge du fer, l'époque des Celtes.

Ce peuple antique, venu d'Allemagne et d'Europe centrale (cf. Civilisation de Hallstatt, La Tène), connaît une période d'expansion entre le Ve siècle av. J.-C. et le Ier siècle après J.-C. Il se propage alors sur un espace couvrant les territoires actuels de l'Allemagne du sud, la Grande-Bretagne, la Suisse, et une partie de l'Europe centrale (République tchèque, Slovaquie, Hongrie actuelles). Il maîtrise complètement l'usage du fer. Jusqu'au IIe siècle, il envahit la Gaule, l'Espagne, l'Italie. Il est ensuite refoulé par les Romains et, en 43, la conquête de la Grande-Bretagne le repousse jusqu'en Irlande.

Les murs se situent dans les anciens territoires occupés par les Celtes et le procédé de construction aurait été transféré d'une contrée à une autre par ce peuple migrateur. Jules César avait décrit dans les Commentaires sur la Guerre des Gaules l'existence de tels murs appelés « murus gallicus  », murs gaulois, composés d'une alternance de poutres de bois et de pierres.

Plusieurs éléments permettent de rapprocher le mur vitrifié de Sainte-Suzanne d'une forme de murus gallicus :

  • le site a été occupé bien avant l'arrivée des Celtes [5],
  • le grès et le bois sont disponibles sur place en abondance,
  • le promontoire rocheux, la vue très étendue, la proximité de la rivière l'Erve et de la forêt de la Charnie se prêtaient d'évidence à une installation durable à défendre impérativement,
  • suze signifierait « source » en langue celte, et ana « déesse », ce qui peut expliquer le nom de ce lieu (qui comprend vingt-et-un puits intra-muros) avant la Christianisation qui amènera la dénomination définitive de Sainte-Suzanne [réf. nécessaire].

[modifier] Les forteresses vitrifiées d'Écosse

Au nord-est et dans le centre de l'Écosse s'élèvent une soixantaine de forts et forteresses datant de l'âge du fer. Leurs murailles sont toutes, entièrement ou partiellement, vitrifiées. Deux théories explicatives ont été proposées et aucune n'est entièrement satisfaisante :

  • La vitrification accidentelle ou « de guerre » est peu plausible. En effet, il est peu probable que les constructeurs aient continué à construire des forteresses faites de bois et de pierres plutôt que celles entièrement en pierre si les premières étaient si facilement inflammables. Des chimistes ont par ailleurs montré avec des échantillons provenant de onze des forts qu'il fallait, pour les faire fondre, une température de 1100 à 1300 degrés, combinée avec l'emploi d'un procédé à combustion lente, ce qui est peu compatible un contexte de siège.
  • La vitrification volontaire n'est pas beaucoup plus réaliste. Elle implique que les bâtisseurs celtes ait eu connaissance d'une technique de construction soignée et originale pour l'époque. Ils ont dû alors choisir un matériau capable d'atteindre une température de vitrification sans que l'ensemble ne s'effondre en cours de route, ce qui est en soi quasiment impossible pour l'époque. Des études menées dans les années 1980 sur le rempart de la cité d'Affrique, en Lorraine, semblent indiquer la présence de fours rudimentaires installés sous le matériau à fondre et détruits au cours de l'opération [réf. nécessaire]. Rien ne prouve cependant que ce système ingénieux ait été effectivement utilisé en Écosse.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. Charles Coutelle de la Houssaye, médecin, ancien maire de Sainte-Suzanne, propriétaire du manoir jouxtant le château et de la terrasse surplombant l'emplacement du mur vitrifié.
  2. Revue archéologique, 1881.
  3. On retrouve à Sainte-Suzanne, imbriquées dans le mur, des empreintes de bois de chêne, et la forêt voisine de la Charnie fournissait ce bois à profusion.
  4. Grès à Sainte-Suzanne.
  5. cf. dolmens des erves et des îles, IVe millénaire av. J.-C.

[modifier] Sources et bibliographie

  • Archives du Musée de l'auditoire, Association des Amis de Sainte-Suzanne, Sainte-Suzanne.
  • Peter Kresten et Björn Ambrosiani, Swedish vitrified forts - a reconnaissance study, Fornvännen 87, Stockholm ,1992.
  • Gérard Morteveille, « Le mur vitrifié de Sainte-Suzanne », Maine-découvertes, n° 47, déc. 2005, éditions de la Reinette, Le Mans.

[modifier] Liens internes

[modifier] Lien externe

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