Anatole Deibler

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Anatole Joseph François Deibler (né le 29 novembre 1863 à Rennes, décédé le 2 février 1939 à Paris) fut un bourreau français.

Sommaire

[modifier] Sa jeunesse

Premier héritier mâle de Louis Deibler et Zoé Rasseneux, Anatole eut une enfance de souffre-douleur. À 12 ans, il entame une carrière de vendeur en confection dans un grand magasin. Il assiste à sa 1re exécution, le 30 mars 1882 à Versailles. Il décide d'effectuer son service militaire, qu'il achève en 1885. D'abord réticent à entamer une carrière de bourreau, il se résigne et part apprendre le métier à Alger auprès de son oncle Rasseneux, exécuteur d'Algérie. Sa première exécution a lieu le 8 septembre 1885, en guillotinant Francisco Arcano à Alger. Dix-sept autres suivront jusqu'à l'automne 1890, quand un des aides de son père décède, laissant un poste d'aide-bourreau vacant. Revenu à Paris, il est nommé adjoint en second de son père le 1er novembre 1890, et l'assiste lors de 78 exécutions, dont la première est celle de Michel Eyraud, le 3 janvier 1891. Le 5 avril 1898, Anatole épouse Rosalie Rogis, descendante d'une famille de bourreaux (ses deux frères, Louis et Eugène-Clovis, deviendront aides d'Anatole). Peu après l'exécution du tueur en série Joseph Vacher (le 31 décembre 1898 à Bourg-en-Bresse), le 2 janvier 1899, il devient exécuteur en chef des arrêts criminels de France. Son père, Louis, dira devant le message : « Ah, mon fils, que voilà de jolies étrennes ! »

[modifier] Exécuteur en chef des arrêts criminels de France

Après une exécution à Troyes le 14 janvier, passée relativement inaperçue, Anatole officie pour la première fois à Paris le 1er février, en guillotinant Alfred Peugnez devant la prison de la Roquette (ce sera d'ailleurs la dernière exécution capitale qui se déroula à cet endroit). Les journaux sont élogieux. Dans les Annales politiques et littéraires du 12 février, on lit : « Tous les journaux s'accordèrent à rendre justice au jeune monsieur Deibler qui montra pour ses débuts à Paris un tournemain et une aisance de vieux praticien. Jeune, élégant, vêtu d'une redingote de couleur sombre, comme un témoin de duel sélect, il réalise dans la perfection le type du bourreau moderne. On peut, après cet heureux essai, lui prédire une belle carrière et un nombre respectable de représentations. »

Dans Le Journal, le lendemain de l'exécution, Jean Lorrain est un peu moins enthousiaste : « De la descente de voiture au couperet, le rythme est un peu trop rapide. Cela enlève de la solennité qui constitue pourtant la raison d'être d'une exécution. »

Anatole, en ce début d'année 1899, est un homme heureux. Au printemps, Rosalie, toute rose de joie, annonce à son époux l'arrivée de l'héritier Deibler. Son premier enfant, Roger Aristide Hector, naît le 20 septembre 1899. Mais victime d'une erreur médicale, le 10 novembre, le petit Roger meurt. Anatole ne se remettra jamais de ce décès. Il montrera par la suite une affection sans bornes pour son neveu André Obrecht, né un mois avant son fils.

Les premières années d'exécuteur en chef seront peu prolifiques : Félix Faure meurt en 1899 dans les bras de sa maîtresse, et Emile Loubet prend son poste. Modérément partisan de la guillotine, seuls 18 condamnés à mort seront exécutés durant son mandat. En 1899, 7 exécutions (trois refus de Faure, quatre de Loubet). En 1900, 3 exécutions. En 1901, idem. En 1903, idem. En 1905, 5 têtes tombent. La même année, le ménage Deibler aura une fille, Marcelle, née le 4 mai 1905.

Durant cette période calme, Anatole mène une vie paisible, sous le signe de la modernité. Bien que travaillant avec une machine plus que séculaire, il est un partisan du progrès. Il sera un des premiers Français à obtenir son permis de conduire. Il montrera un goût certain pour la mécanique et la photographie. Il va régulièrement au cinéma, au cirque. Il aime cuisiner, et il y réussit, paraît-il, fort bien. Son seul vrai vice, c'est qu'il fume sans arrêt (il n'arrêtera que sur les instances du médecin et de Marcelle, sa fille, en 1925).

[modifier] Les années abolitionnistes

Mais en 1906, Armand Fallières et les abolitionnistes président aux destinées de la France. Durant trois ans, tous les condamnés échapperont à Deibler, qui devra trouver un emploi de rechange, à savoir placier en vins de Champagne, pendant cette période. Il prendra néanmoins la précaution de se présenter sous le nom de François Rogis. Mais quand, à l'automne 1907, Armand Fallières gracie Albert Soleilland, auteur d'un crime sexuel abominable, c'est la France qui se lève contre l'abolition. L'Assemblée statuera sur la peine capitale l'année suivante.

[modifier] La reprise des exécutions

Devant le refus massif de la suppression de la peine de mort, Fallières se doit de réagir, et l'année 1909 verra la reprise des exécutions : 13 têtes sous le couperet (comprenant la première exécution devant la prison de la Santé), une double exécution à Albi, une triple exécution à Valence (celle des "Chauffeurs de la Drôme") et une rareté : la première exécution de l'année, à Béthune, sera quadruple ! Par la suite, il procédera à une vingtaine de doublés, et une autre triple, celle des survivants de la bande à Bonnot, en 1913.

La guerre n'arrête pas notre homme : une vingtaine d'exécutions auront lieu entre 1914 et 1918. En mars 1918, Deibler guillotine au nom du peuple belge, à Furnes (il aura à quitter la France une autre fois, pour guillotiner en Sarre allemande en juin 1923). En août 1918, il est mobilisé, et travaille comme secrétaire au ministère des Armées, avec l'autorisation d'absence en cas d'exécution. Les années faisant immédiatement suite à la guerre sont les plus fructueuses, à croire que les massacres de l'Est ont libéré les mœurs criminelles. En 1921, 22 condamnés à mort seront exécutés, et en 1922, 20, dont Landru. D'autres noms, dont la célébrité s'est un peu émoussée, sont Ughetto (1930), Gorguloff (1932) ou Sarrejani (1934). Le 24 janvier 1939, à Lyon, il décapite Abdelkader Rakida. Ce sera sa dernière exécution.

[modifier] Mort

En 1939, Anatole entre dans sa 77ème année. C'est un homme toujours affable, sa barbe et le peu de cheveux qui lui restent sont tout blancs. En moyenne, il exécute environ 7 condamnés par an. Le 1er février 1939, il reçoit un nouvel ordre d'exécution. Au matin du 3, il devra se trouver aux portes de la prison de Rennes, avec sa machine, pour décapiter Maurice Pilorge. Deibler est fort content de ce voyage. Il aime retrouver sa ville natale, il n'y avait pas remis les pieds depuis l'exécution de Lagadec, le 20 mai 1922. Au matin du 2 février, il se réveille vers 6 heures, se prépare. Sa fille lui sert un café au lait et lui propose, en ce froid matin, de le conduire à la gare. Anatole refuse, et dit qu'il préfère prendre le métro. Un dernier « au revoir », et Anatole quitte la villa Dufresne en direction de la station Porte de Saint-Cloud. Il descend les marches de la station, et sur le quai, se sent subitement mal. Il s'écroule, victime d'un infarctus. Les gens l'entourent, on le transporte à l'hôpital. Vers 8 heures, Anatole rend son dernier soupir. Jules-Henri Desfourneaux, André Obrecht et Georges Martin, qui patientaient à la Gare Montparnasse, voient arriver, dans la Citroën beige et marron, Marcelle Deibler et Georgette Desfourneaux. Les deux femmes effondrées préviennent les aides du décès de leur patron.

On doit surseoir à l'exécution, mais la Justice est en marche. Pour la seconde fois de sa carrière, Desfourneaux, aide de première classe, exercera les fonctions de chef le 4 février. Le lendemain, au vieux cimetière de Boulogne, Anatole est inhumé aux côtés de son père et de son fils. Un mois et demi après, sur les instances de la veuve d'Anatole, Desfourneaux obtient le poste tant convoité d'exécuteur en chef, ce dernier ayant par le passé, prêté de l'argent au couple.

Au total, Anatole exécuta 395 condamnés à mort de 1885 à 1939, dont 299 en tant qu'exécuteur en chef, de 1899 à 1939.

À compter de la première exécution qu'il effectua, en 1885, Anatole Deibler conserva une série de carnets d'écolier sur lesquels il nota scrupuleusement chaque exécution à laquelle il avait participé. Au départ, il ne marquait que la date, le lieu, le nom du condamné et son crime, sommairement relaté, mais le temps passant, il finit par ajouter des détails (temps, heure de l'exécution, jour de la semaine, attitude du condamné lors de son réveil) et à raconter en détail le crime pour lequel on l'avait condamné à mort. En 1891, il se lança parallèlement dans la rédaction de carnets de condamnations, dans lesquels il marquait toutes les condamnations à mort prononcées annuellement par les jurys français. Un système de croix de couleur permettait de comprendre le sort des condamnés : une croix bleue signifiait la grâce, le texte entier rayé de bleu la cassation du verdict et une croix rouge cerclée de noir l'exécution. Dans ce dernier cas, Anatole Deibler reproduisait in extenso le contenu du carnet de condamnations dans celui d'exécutions.

Après la mort de Deibler, ces documents furent conservés par sa veuve et sa fille. Cette dernière finit par vendre les carnets à une association de recherches historiques au début des années 80. Ils furent vendus une seconde fois aux enchères, à l'hôtel des ventes Richelieu-Drouot le 5 février 2003, et il dépassèrent la somme record de 100 000 euros T.T.C ! L'acquéreur en était une société spécialisée dans les autographes anciens.

Gérard Jaeger a écrit sa biographie en 2004.

[modifier] Deibler dans la chanson

Le personnage de Deibler apparait la chanson réaliste ou satyrico-politique. Citons, Du Gris (E. Dumont/F. L. Benech)

Y a l'alcool, me parle pas de cette bavarde
Qui vous met la tête à l'envers
La rouquine, qu'était une pocharde
a vendu son homme à Deibler

ou On est en République (Montéhus/Roger Chantegrelet-Pierre Doubis) (1910):

Enfin, ça y est ! On est en République !
Tout marche bien, tout le monde est content !
Monsieur Deibler, avec sa mécanique
Nous coûte à peine soixante mille francs par an

[modifier] Deibler dans la littérature

Le personnage de Deibler apparaît aussi dans Fantômas, roman écrit en 1911 et le premier d'un cycle consacré au génie du mal créé par Pierre Souvestre et Marcel Allain. Il est en effet, à la fin du récit, chargé de l'exécution du criminel (mais est-ce bien Fantômas qui est guillotiné ?).

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