Georges-Louis Leclerc de Buffon

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Portrait de Buffon par François-Hubert Drouais.
Portrait de Buffon par François-Hubert Drouais.

Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, né à Montbard le 7  septembre   1707 et mort à Paris le 16  avril   1788, est un naturaliste, mathématicien, biologiste, cosmologiste et écrivain français. Ses théories ont influencé deux générations de naturalistes, parmi lesquels notamment Jean-Baptiste de Lamarck et Charles Darwin. La localité éponyme Buffon, dans la Côte-d'Or, fut la seigneurie de la famille Leclerc.

Sommaire

[modifier] Sa vie

[modifier] Une jeunesse mouvementée

Son père se nomme Benjamin Leclerc, président du grenier à sel de Montbard, et sa mère Anne-Christine Marlin. Ils sont mariés depuis un an lorsque Georges-Louis vient au monde. Il se prénomme Georges en l’honneur de son parrain et grand-oncle Georges-Louis Blaisot (?-1714), collecteur des impôts du duc de Savoie, et Louis en l’honneur de son grand-père, Louis Leclerc, procureur du roi et juge prévôt. La famille habitait près de la porte de la Boucherie qui commande l’une des portes de Montbard sur la route de Châtillon et de Dijon. La famille s’agrandit, naissent ainsi Jean-Marc en 1708, Jeanne en 1710, Anne-Madeleine en 1711 et Claude-Benjamin en 1712.

Son père héritant, en 1717, de la fortune accumulée par Georges-Louis Blaisot, achète les propriétés de la seigneurie de Buffon, située à six kilomètres de Montbard, à Jean Bouhier, président du parlement de Bourgogne et lettré notoire. Benjamin Leclerc acquiert également une charge de commissaire général des maréchaussées qu’il revend trois ans plus tard pour une charge de conseiller au parlement de Dijon. La famille déménage alors à Dijon.

Après des études au collège des jésuites de Dijon, Buffon étudie le droit et obtient sa licence en 1726. Préférant les sciences, et au grand mécontentement de sa famille, il part étudier les mathématiques et la botanique à Angers en 1728. Là, il se plonge dans les mathématiques, lit Newton, suit des cours de médecine, mais, ayant tué en duel un jeune officier croate, il se voit contraint de quitter l’université. Il se réfugie à Dijon ou à Nantes, où il rencontre le duc de Kingston, jeune aristocrate anglais qui parcourt l’Europe avec son précepteur Nataniel Hickman, et avec lequel il se lie d’amitié. Il décide de les suivre dans leur périple, qui les mène à La Rochelle, Bordeaux, Toulouse, Béziers, Montpellier, puis l’Italie, par Turin, Milan, Gênes, Florence, Rome. Il ne s’intéresse guère aux monuments et sa correspondance ne parle que de ripailles et de fêtes, parfois ponctuées de brillantes théories mathématiques.

[modifier] L’ambitieux à Paris

Son voyage est interrompu en 1731, au décès de sa mère, et il s’installe à Paris l’année suivante, soucieux de s’éloigner de son père, remarié à sa grande fureur. À vingt-cinq ans, il est décidé à réussir, commençant à signer Buffon. Il se loge au faubourg Saint-Germain, chez Gilles-François Boulduc, premier apothicaire du roi, professeur de chimie au Jardin Royal des Plantes et membre de l’Académie des Sciences. Ses premiers travaux portent sur les mathématiques, son domaine de prédilection, et il présente en 1733 un mémoire à l’Académie des Sciences, dont Maupertuis et Clairaut en font un compte-rendu élogieux. Ce mémoire Sur le jeu du franc-carreau introduit pour la première fois le calcul différentiel et le calcul intégral en probabilité.

C’est à cette époque qu’il correspond avec le mathématicien suisse Gabriel Cramer. Il traduit de l’anglais plusieurs ouvrages de géométrie d’Isaac Newton et de botanique de Stephen Hales. Il fait la connaissance de Voltaire et d’autres intellectuels, et entre à l’Académie des sciences, à l’âge de 26 ans. Protégé par de nombreux appuis, notamment le Comte de Maurepas, Louis XV le nomme au poste d’adjoint dans la section mécanique.

Maurepas, Ministre de la Marine, demande en 1733 à l’Académie une étude sur les bois utilisables pour la construction de navire. Faute de moyens, les commissaires nommés initialement se récusent, mais Buffon, exploitant forestier à Montbard, est là. Il multiplie les expériences diverses et rédige un compte-rendu des plus complets. Ce qui lui donne l’appui du duc de Condé (en lui fournissant des échantillons de minéraux bourguignons et en le recevant fastueusement à Montbard). Maurepas lui propose la surintendance de toutes les forêts de son domaine. Il refuse.

En 1735, il traduit un ouvrage du biologiste Stephen Hales Vegetable Staticks, qu’il annote abondamment, où il prend délibérément parti contre la science cartésienne, partisane des systèmes et théories raisonnées, purement intellectuelles, prenant parti pour l’observation et l’expérience, suivant en cela un courant de pensée de ce début du siècle. Anglophile, il correspond abondamment avec plusieurs savants, et séjourne à Londres en 1738, assez brièvement, mais se fera élire à la Royal Society en 1739.

En 1738, lors d’une séance, il montre à l’Académie son ouvrage Moyen facile d’augmenter la solidité, la force et la durée du bois. Mais Henri Louis Duhamel du Monceau, agronome éminent, y voit un plagiat de son mémoire à venir : Diverses tentatives pour parvenir à augmenter la dureté ou l’intensité du bois. Il s’est fait un ennemi de taille.

Après une admirable campagne de relations publiques auprès de son prédécesseur mourant, il devient intendant du Jardin du roi (aujourd’hui et depuis la révolution Jardin des Plantes) en 1739, supplantant une fois encore Duhamel du Monceau. Enfin établi, il partagera désormais son temps, jusqu’à la fin de sa vie, entre sa propriété de Montbard, vivant tranquillement et rédigeant son œuvre, et Paris, où il administre le Jardin des Plantes et entretient son image à la Cour.

[modifier] Au Jardin des Plantes

Statue au Jardin des Plantes

De jardin d’apothicaire, il transforme le Jardin des Plantes en centre de recherche et en musée, faisant planter des arbres de toutes origines, qu’on lui fait parvenir du monde entier. Dès lors, il se consacre tout entier à l’histoire naturelle. Profitant des ressources que lui offre le grand établissement qu’il dirige et qu’il ne cesse d’enrichir, il entreprend de tracer le tableau de la nature entière. Excellent administrateur, propriétaire terrien et juriste de formation, il agrandira considérablement le parc d’environ un tiers, à partir de 1771, vers l’ouest et vers la Seine, en faisant exproprier, parfois violemment, les anciens propriétaires.

Buffon n’enseigne pas, et ne semble pas s’y intéresser (il ne définit pas lui-même les programmes) même s’il s’entoure de brillants pédagogues et d’excellents praticiens : Louis Guillaume Le Monnier, botaniste et futur premier médecin de Louis XVIII, Antoine Laurent de Jussieu, biologiste, Pierre Joseph Macquer et Fourcroy en chimie, Jacques-Bénigne Winslow, Antoine Ferrein, Antoine Petit et Antoine Portal en anatomie. Buffon forme ainsi une cour de matière grise autour de lui, attirant savants des plus renommés, qui amènent avec eux toutes leurs familles.

Buffon gère en outre le Cabinet d’Histoire Naturelle du roi, dont il va faire la plus riche des collections d’Europe, un creuset scientifique, dont sortiront les galeries du Muséum actuel. Il l’agrandit entre 1740 et 1780, les travaux étant conduits par l’architecte Latouche. Il profite de toutes les occasions pour enrichir le cabinet, ouvert au public : dons, retour de grands voyageurs exotiques, tels que Bougainville, Pierre Sonnerat ou Joseph Dombey, acquisitions de pièces d’intérêt (il gère admirablement les crédits du Jardin), obtention de collections de défunts (comme celle de Réaumur, que Louis XV lui accorde, alors que celui-ci désirait la céder à l’Académie des sciences). La renommée de Buffon et de son cabinet est telle qu’à la fin de sa vie les plus grands souverains, Frédéric II de Prusse, Catherine II, les rois de Danemark et de Pologne, lui font des dons prestigieux. (Louis XV lui fait porter une caille blanche qu’il a tuée à la chasse). Et malgré les vives critiques sur l’organisation de la collection, elle remporte tous les mardi et jeudi un vif succès auprès des visiteurs, qui découvrent des curiosités dans un capharnaüm magique : de grands poissons naturalisés pendent au plafond, des reptiles séchés sont placés entre les pattes d’un immense zèbre.

Quand il monte à Paris, Buffon a ses entrées à la cour : Louis XV et Louis XVI l’ont toujours soutenu, la marquise de Pompadour l’appréciait énormément (on lui prête ces mots « Vous êtes un joli garçon Monsieur de Buffon, on ne vous voit jamais ! » et elle lui envoya peu de temps avant sa mort ses animaux familiers pour enrichir le patrimoine de Montbard), et il bénéficie de nombreux soutiens politiques, tel qu’Amelot de Chaillou, qui lui permettront d’être seul maître au Jardin du Roi pendant cinquante années. Mais Buffon n’est pas un courtisan : il se frotte à la politique avec précaution et ne rentre pas dans les intrigues de la Cour. Et s’il reste monarchiste toute sa vie (comme beaucoup à cette époque, il ne conçoit pas d’autres régimes possibles), il a toujours pris soin de mettre une certaine distance entre le pouvoir royal et lui.

Ses relations avec les savants de son époque sont bien plus difficiles et il s’oppose souvent à eux, par exemple avec Carl von Linné, dont il conteste la méthode de classification. Il accueille avec scepticisme les travaux de Lazzaro Spallanzani ou de Charles Bonnet, car pour Buffon, les variations entre espèces sont dues à des dégénérescences. En 1744 il est nommé trésorier perpétuel de l’Académie des Sciences, dont il profite allègrement des privilèges, mais ne tarde pas à prendre ses distances avec le cénacle scientifique parisien. On le taxe en effet d’individualisme et de hauteur. Quelqu’un dira de lui : « M. de Buffon ne vient à Paris que pour toucher ses pensions et prendre les idées de ses confrères de l’Académie. »

L'Histoire naturelle, son œuvre majeure, dont les premiers volumes paraissent en 1749, l’occupera toute sa vie. Placé par cet ouvrage au premier rang des écrivains de son siècle aussi bien que des savants, Buffon reçoit récompenses et honneurs en tout genre : il est élu membre de l’Académie française en 1753, où il prononce le fameux Discours sur le style. Il ne paraîtra que très rarement avec les Quarante, et plus jamais à partir de 1782, à l’élection de Condorcet, détesté rival de son ami Jean Sylvain Bailly (1736-1793). Il dira d’ailleurs de lui : « Condorcet élu ! Mais Condorcet n’a jamais fait que des vers dans les ruelles de femmes ! » (on peut noter qu’ironiquement c’est Condorcet qui prononcera plus tard l’éloge funèbre de Buffon à l’Académie des sciences, dans un style faussement élogieux).

Il fraie en outre avec les grands esprits de son temps, et notamment les philosophes des Lumières, avec qui il partage le scepticisme religieux, le matérialisme et l’amour de la raison contre le mysticisme. Mais il s’oppose à eux sur le plan social et politique : Buffon est un conservateur et un monarchiste. On lui prêtera d’ailleurs ce mot, vers la fin de sa vie, aux derniers temps de l’Ancien Régime : « Je vois venir un mouvement terrible, et personne pour le diriger. » Grand ami des encyclopédistes (Diderot le compare à Lucrèce et Platon) auxquels il a promis de rédiger l’article Nature, qu’il ne fera jamais, il finit par se brouiller avec D'Alembert à propos de Bailly et Condorcet. À ses premiers temps au Jardin du Roi on a pu le voir dans les salons parisiens, chez Marie-Thérèse Geoffrin ou Louise d’Épinay, chez Julie de Lespinasse ou chez le baron d'Holbach, où il a pu converser avec Voltaire, Montesquieu, Fontenelle, Marivaux… Mais il est devenu petit à petit solitaire, a délaissé les salons, puis Paris, pour sa vie tranquille à Montbard.

[modifier] L’homme de Montbard

À Montbard, Buffon habite la maison paternelle, qu’il agrandit pour en faire un hôtel spacieux et confortable. De même qu’à Paris, il agrandit son domaine par des annexions de droit seigneurial, prenant terres, ruines et château, au grand dam des mairies de Buffon et de Montbard qui entreront en procédure. Il est cependant un seigneur bon et généreux, n’hésitant pas à offrir bien des dons et des aides à sa commune. Certes il ne ménage pas ses créanciers, faisant valoir tous ses droits et privilèges de noble personne, faisant monter son patrimoine à plus de mille hectares et son revenu à près de 80 000 livres par an, sans les recettes de son œuvre littéraire. Scrupuleux, il écrira : « Depuis trente ans, j’ai mis un si grand ordre dans l’emploi de ma fortune et dans celui de mon temps, que j’ai toujours de l’argent en réserve et du temps à donner à mes amis. »

Il se marie en 1752, à l’âge de quarante cinq ans, à Marie-Françoise de Saint-Belin Malain, jeune femme de noblesse ruinée de dix-neuf ans. Cette femme voue une grande affection à son mari qui l’a arrachée au couvent, même s’il n’est pas d’une extrême fidélité, mais elle meurt en 1769 à la suite d’une mauvaise chute de cheval. Ils eurent une fille morte-née et un fils, Georges Louis Marie, dit « le Buffonet », qui finira sur l’échafaud révolutionnaire en 1794, sans postérité. En outre, Buffon abrite, entre 1770 et 1775, son père, veuf pour la seconde fois et avec qui les rapports sont toujours aussi difficiles, et accueille régulièrement ses demi-frères et sœurs, Pierre, le « chevalier de Buffon », et Antoinette, épouse de Benjamin Edme Nadault, conseiller au Parlement de Bourgogne. Buffon reçoit régulièrement familiers ou visiteurs, parmi lesquels Jean-Jacques Rousseau, Claude-Adrien Helvétius, Marie Jean Hérault de Séchelles, Georges Louis Daubenton, maire de Montbard, et Philippe Guéneau.

L’hôtel est gouverné par Marie Blesseau, paysanne ignare, qui fut probablement très proche du comte, à la tête d’une dizaine de domestiques. Buffon possède en outre un secrétaire particulier, d’abord Trécourt puis Humbert-Bazile, et un chapelain, le père Ignace Bougot, Buffon devenant peu à peu déiste. Buffon a un emploi du temps bien réglé : lever vers huit heures, réveillé par son domestique Joseph (auquel Buffon avait promis un écu à chaque fois qu’il le ferait lever à l’heure, en général cinq heures du matin, écu gagné une seule fois, à coup de seau d’eau froide ; Buffon déclara : « Je dois à Joseph trois ou quatre tomes de l’Histoire Naturelle »), travail et rédaction quatre ou cinq heures avec son secrétaire, déjeune de 14 à 16 heures le plantureux repas de son excellent cuisinier Guéneau (ce qui lui devra de furieuses crises de gravelle), sieste puis promenade, travail de nouveau à partir de 17 heures, mais plus administratif et gestion, pas de diner, court passage au salon s’il y a des invités, puis coucher vers 22 heures.

Mais Buffon reste avant tout un scientifique naturaliste : qu’il soit à Paris ou à Montbard, c’est son Histoire Naturelle qui lui prend tout son temps. Trente-cinq tomes paraîtront avant sa mort. À Montbard, il entretient des volières et élève en semi-liberté quelques animaux (loup, renard, blaireau), qui lui fourniront de la documentation pour son étude et seront parfois de malheureux sujets d’expériences, et affectionne une magnifique pépinière, sujet d’étude et prétexte à générosité (sur ordre royal un quota de fruits doit être distribué aux pauvres). En outre, il observe la nature et, sans le savoir, pose les bases de l’écologie : il note l’importance de certaines espèces dans la chaîne alimentaire, ou remarque le rôle des oiseaux dans la dispersion des graines d’arbres. En 1747, fasciné par le rapport entre la lumière et la chaleur, il prouvera au château de la Muette, en présence du roi, lors d’une véritable exhibition, la réalité des miroirs ardents d’Archimède) devant un public composé de gens de qualité. En 1752, il vérifie les hypothèses de Benjamin Franklin sur la foudre et l’électricité en installant un paratonnerre sur sa demeure. Il gère aussi une forge.

Il devient comte de Buffon en 1773. En 1776, Louis XVI commande une statue de lui au sculpteur Augustin Pajou, érigée à l’entrée du Muséum d’histoire naturelle avec l’inscription : Majestati Naturæ par ingenium. Il meurt finalement en 1788, d’une ultime crise de gravelle, quelques mois avant la Révolution française.

[modifier] Son œuvre

« C’est par des expériences fines, raisonnées et suivies, que l’on force la nature à découvrir son secret ; toutes les autres méthodes n’ont jamais réussi... Les recueils d’expériences et d’observations sont donc les seuls livres qui puissent augmenter nos connaissances. »
    — Préface de Buffon à sa traduction de la Statique des végétaux de Stephen Hales

Buffon a traduit en outre la Théorie des fluxions de Isaac Newton et il a composé des mémoires. Dans son Discours sur le style, qu’il prononça pour sa réception à l’Académie française, il écrit : « Le style est l’homme même ».

[modifier] L'Histoire naturelle

Buffon est surtout célèbre pour son œuvre majeure, L'Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy, en 36 volumes parus de 1749 à 1789, dont huit après sa mort, grâce à Bernard Lacépède. Il y a inclus tout le savoir de l’époque dans le domaine des sciences naturelles. C’est dans cet ouvrage qu’il relève les ressemblances entre l’homme et le singe et la possibilité d’une généalogie commune. L’attention que Buffon accorde à l’anatomie interne le place parmi les précurseurs de l’anatomie comparative. « L’intérieur, dans les êtres vivants, est le fond du dessin de la nature », écrit-il dans les Quadrupèdes.

L’Histoire naturelle, qui devait embrasser tous les règnes de la nature, ne comprend que les minéraux et une partie des animaux (quadrupèdes et oiseaux). Elle est accompagnée d’une Théorie de la Terre, de Discours en forme d’introduction, et de suppléments parmi lesquels se trouvent les Époques de la nature, un des plus beaux ouvrages de l’auteur.

Parmi ses collaborateurs, il faut citer, pour les quadrupèdes, Louis Jean-Marie Daubenton, qui se chargea de la partie des descriptions anatomiques, remplacé plus tard, pour les oiseaux, par Philippe Guéneau de Montbeillard, auquel s’adjoignent, à partir de 1767, Barthélemy Faujas de Saint-Fond, l’abbé Bexon et Charles-Nicolas-Sigisbert Sonnini de Manoncourt.

Buffon attachait beaucoup d’importance aux illustrations, qui furent assurées par Jacques de Sève pour les quadrupèdes et François-Nicolas Martinet pour les oiseaux. Près de 2000 planches parsèment en effet l’œuvre, représentant les animaux avec un fort souci esthétique et anatomique, dans des décors oniriques et mythologiques.

L’Histoire naturelle connaît un succès immense, presque aussi importante que l’Encyclopédie de Diderot, qui paraît simultanément. Les deux premiers volumes, la Théorie de la terre et l’Histoire naturelle de l’homme, connaissent trois rééditions successives en six semaines. Des traductions en allemand, en anglais et en néerlandais sont mises en chantier presque sur-le-champ.

L’ouvrage connaît cependant bien des détracteurs : on reproche à Buffon son style ampoulé et emphatique, qui n’est pas adapté à un traité scientifique, et surtout un trop grand anthropomorphisme.

Cette encyclopédie est découpée en 36 volumes :

  • trois volumes en 1749 : De la manière d’étudier l’histoire naturelle suivi de la Théorie de la Terre, Histoire général des animaux et Histoire naturelle de l’homme ;
  • douze volumes sur les quadrupèdes (de 1753 à 1767) ;
  • neuf volumes sur les oiseaux (de 1770 à 1783) ;
  • cinq volumes sur les minéraux (de 1783 à 1788), le dernier contient le Traité de l’aimant, dernier ouvrage de Buffon ;
  • sept volumes de suppléments dont les Époques de la nature (à partir de 1778).

L’Histoire naturelle est imprimée d’abord à l’Imprimerie royale en 36 volumes 1749-1788. Buffon rachète ensuite les droits de son œuvre. Elle est continuée par Lacépède, qui décrit les ovipares, les serpents, les poissons, les cétacés 1786-1804. On a depuis réimprimé bien des fois Buffon et ses Suites.

[modifier] Rapport à l’Encyclopédie

Son Histoire naturelle est souvent comparée à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, sur le principe de la diffusion du savoir lié à l’époque des Lumières, mais surtout en termes de notoriété et de nombre d’exemplaires imprimés.

Pourtant, les deux ouvrages très dissemblables sont loin d’être en concurrence, et Buffon avait d’abord accepté de participer à l’Encyclopédie. Il finit par se retirer du projet comme plusieurs autres personnages illustres de l’époque tels que Jean-Jacques Rousseau, qui, lui, avait néanmoins rédigé de nombreux articles.

Il devait participer aux articles de sciences, et en particulier ceux concernant l’histoire naturelle qui ont finalement été attribués à Daubenton, un grand précurseur de l’anatomie comparée. L’influence réciproque de ces deux scientifiques originaires de Montbard est grande, puisque, avant de se fâcher, ils travaillèrent ensemble, notamment pendant dix ans à la mise à jour de l’Histoire naturelle des animaux.

[modifier] Les théories scientifiques de Buffon

Buffon est un penseur qui a embrassé tous les domaines de l’histoire naturelle. Tous ses écrits y sont rattachés (même le Discours sur le style dans les Suppléments). Ses théories, parfois erronées, sont fondées sur l’observation et l’expérience, souvent opposées aux idées générales de son temps. En outre, il étale ses réflexions sur près de cinquante ans, ce qui l’amène de temps en temps à se contredire lui-même, bien que sa ligne de fond reste inchangée.

  • L’étude de l’histoire naturelle : pour Buffon, il ne s’agit ni de raisonner purement dans l’abstrait, ni d’accumuler les faits sans raisonner. Il faut accumuler observations, expériences et en tirer des conclusions qui permettent de « s’élever à quelque chose de plus grand et plus digne ». Il est nécessaire pour un naturaliste d’être un esprit minutieux attachant de l’importance à chaque détail, mais aussi de pouvoir embrasser une vue d’ensemble. Il récuse en outre l’intervention de vues religieuses (il sépare la recherche de la croyance, bien qu’il évolue lui-même vers une foi plus profonde), des réflexions métaphysiques et des mathématiques, inaptes à traduire le concret (bien qu’il fût lui-même un mathématicien des plus doués).
  • Histoire de la Terre : depuis Descartes, Buffon est le seul à oser évoquer la naissance de l’Univers et de la Terre, et ce contre les dogmes de l’Église. En effet, de par ses observations sur les couches de calcaire de plusieurs kilomètres (il avait compris que c’était le résultat de la sédimentation du fond des mers) il recule considérablement l’âge établi par les textes bibliques (environ 6 000 ans) pour la création de la Terre à plus de cent mille ans. Il montera un temps jusqu’à trois millions d’années, mais reviendra à un âge plus raisonnable. Il distingue ensuite plusieurs périodes, selon une évolution linéaire contre le « catastrophisme » de Cuvier, considérant le temps comme « grand ouvrier de la Nature » : la planète est d’abord un globe en fusion (première période), qui en se refroidissant forme des rides, le relief (deuxième période), puis les eaux recouvrent la quasi-totalité des terres (troisième période) et dans cet océan primitif se forment les premiers animaux (quatrième période), et ce conformément aux coquillages retrouvés dans les montagnes comme les Alpes ; les volcans fissurent ensuite l’écorce terrestre où s’engloutissent les eaux, et la vie se développe ainsi sur les terres émergées, partant du nord vers le sud (cinquième période), les continents se disloquent et deviennent tels qu’on les connaît aujourd’hui (sixième période) et enfin l’homme apparaît (septième période). Buffon connaît l’existence d’espèces disparues : les mammouths, les rhinocéros d’Europe. Et si sa cosmogonie comporte bien des erreurs, il reste un des fondateurs de la géologie moderne et certaines de ses suppositions ont inspirés des modèles actuels (la dérive des continents).
  • L’homme : encore une fois Buffon va contre la religion : il place délibérément l’homme au cœur du règne animal, et même s’il convient qu’il ne faut pas s’arrêter à l’aspect extérieur, l’homme ayant une âme douée de raison qui le place au sommet de la création, il affirme que l’homme est semblable aux animaux par sa physiologie. Grâce à son érudition il fracasse bien des préjugés : il existe autant de variétés d’hommes noirs que d’hommes blancs ; après plusieurs générations, un groupe d’hommes blancs dans un environnement particulier deviendrait noir ; il n’existe qu’une seule espèce humaine, et non plusieurs. Il en conclut que les variétés humaines sont issues d’une souche initiale qui s’est adaptée selon les milieux habités.
  • Les animaux : c’est la plus grande partie de son œuvre, face aux quelques livres sur les minéraux, et aux végétaux qu’il n’a pas eu le temps de rédiger. Certes, il n’a pas pu voir toutes les espèces dont il parle, mais il dispose de comptes rendus de zoologistes et de voyageurs. Il développe pour chaque animal une fiche détaillée : description générale, illustration, description anatomique. Il lie en outre les espèces entre elles et remarque le lien entre organes et fonction : les carnivores ont des griffes et des dents tranchantes, les herbivores des sabots et des dents plates... Il use régulièrement de l’anatomie comparée, comparant le sabot d’un cheval et la main humaine. Il établit une hiérarchie dans les caractères qui rapprochent les animaux : le système nerveux prime sur le tube digestif. Il rapproche les espèces de différents continents, qui ont variés différemment. Bref il adopte une nouvelle manière de voir et d’étudier les animaux. Et si sa volonté de ne pas classer les animaux selon leurs critères biologiques entre eux, mais dans une suite logique qui part de l’homme, entraîne un anthropomorphisme ombrageux, il reste un des précurseurs du transformisme, avec la théorie pessimiste de la dégénération, éloignée de l’évolution de Darwin : il pense que toutes les espèces actuelles sont issues du lot initial et certaines ont ensuite dégénéré, par exemple le cheval devenant âne. La dégénération n’est pas exactement identique à la dégénérescence en ceci qu’elle est réversible : si on replace l’animal dégénéré dans un environnement favorable, il reprendra, au fil de plusieurs générations, son aspect normal. La dégénération n’atteint donc pas l’essence de l’être vivant en question.

[modifier] Rôle et portée de son œuvre

Surtout depuis son discours d’académicien, on s’accorde universellement à regarder les écrits de Buffon comme un modèle de style ; on reconnaît aussi qu’il a fidèlement décrit les mœurs et les traits caractéristiques des animaux, qu’il a fait faire à l’histoire naturelle des progrès, tant par son point de vue novateur que par la multitude de ses recherches, et qu’il a rendu d’immenses services en rassemblant une foule de matériaux épars et en propageant en France le goût pour l’étude de la nature.

Buffon est un des premiers vulgarisateurs scientifiques et un vrai patron d’entreprise éditoriale à succès. Il écrit pour les femmes, ne veut jamais déplaire, préfère souvent le style et l’anecdote à la contribution scientifique solide : « la tripe ». Son modèle ? Peut-être les discussions à bâtons rompus qu’il avait en se promenant dans ses forêts à Montbard, avec Jean Nadault, fin connaisseur de la nature et de ses « histoires ». Un fin connaisseur de Buffon, Sainte-Beuve, est sensible à cet art de la mise en scène : « Où étiez-vous, disait Dieu à Job, lorsque je jetais les fondements de la terre ? M. de Buffon semble nous dire sans s’émouvoir : J’étais là ! »[1] ».

Mais malgré son impact et le rôle qu’elle joue dans la diffusion des connaissances scientifiques, l’œuvre souffre de plusieurs lacunes. Tout d’abord, Buffon n’est pas un systématicien, ce qui le conduit à présenter les groupes de façon rudimentaire. Il s’attarde notamment sur les espèces les plus connues et ne mentionne guère qu’en passant les autres espèces. On lui reproche d’avoir dédaigné ou même proscrit les classifications scientifiques sans lesquelles il n’y a pourtant ni ordre ni clarté. Il n’est pas un observateur très fiable, ce qui le conduit à de nombreuses erreurs comme de confondre l’engoulevent avec une hirondelle ou que les martinets sont « eux aussi, de véritables hirondelles, et à bien des égards, plus hirondelles que les hirondelles elles-mêmes ». Buffon et ses collaborateurs pillent les œuvres de leurs prédécesseurs, d’Aristote à Pline, de Belon à Gessner. Certes, des informations nouvelles, venant souvent de correspondants lointains, leur fournissent des observations souvent inédites. Enfin, les auteurs privilégient des formulations propres à attirer un public de néophytes. Toujours afin de plaire, les espèces peu charismatiques sont ignorées et les sujets les plus propres à plaire sont préférés, comme par exemple l’amour chez les oiseaux dont le public est toujours friand.

On lui reproche aussi d’avoir avancé des hypothèses personnelles hasardeuses, et vite nébuleuses, notamment dans ses Époques de la nature : c’est ainsi qu’il suppose que la Terre a été détachée du Soleil par le choc d’une comète, qu’il explique la génération des êtres vivants par la supposition de molécules organiques et de moules intérieurs ; qu’il attribue aux animaux un sens intérieur matériel, hypothèse plus inintelligible encore que le mécanisme auquel Descartes avait recouru.

En définitive, sa principale qualité a été son rôle pour populariser l’intérêt de l’étude scientifique, un peu comme l’a fait, au même moment, le Spectacle de la nature de l’abbé Pluche. Georges Cuvier, pour ne citer que lui, se passionnera pour l’histoire naturelle grâce à la lecture de Buffon.

Son Histoire naturelle fut aussi une source d’inspiration pour les peintres de la manufacture de Sèvres, donnant naissance à des services dits « Buffon ». Le nom des différentes espèces, fidèlement reproduites, est inscrit au revers de chaque pièce. Plusieurs « services Buffon » furent produits sous le règne de Louis XVI, le premier en date fut livré en 1782 au comte d’Artois.

[modifier] Ses démêlés avec l’Église

Pour ses théories sur la formation de l’Univers et sur l’évolution de la Terre et du vivant, Buffon a failli être condamné par l’Église catholique, mais feignant la naïveté et protestant de sa foi intacte, la Sorbonne finit par se déclarer satisfaite et abandonner ses poursuites en avril 1781, en échange d’une vague promesse de contrition.

Prudent, et ayant trop à perdre pour un homme toujours si bien en cour, il préfère se rétracter plutôt que de solliciter ses protecteurs dans un conflit qui aurait pu tourner en sa défaveur, et où ils auraient pu l’abandonner. Il y est aidé par son sens de la formule, paraphrasant Ovide, puis Montaigne, la spécificité de l’homme est qu’il marche « la tête haute levée vers le ciel » . Même Voltaire qui le respectait hautement ne partageait pas toutes ses opinions scientifiques sur le sujet et avait fini par se chamailler avec lui. Condorcet eut à tourner l’éloge de Buffon, il le fit de façon telle que « sans se déshonorer aux yeux des gens instruits », il réussisse « à ne pas trop déplaire aux admirateurs ».

Il se méfiera donc toujours de l’Église par la suite, sans vouloir toutefois l’affronter directement, ce qui pour lui aurait été une erreur tactique. Il se contentait de donner le change. Ainsi par exemple, il se choisira un confesseur bien caricatural et peu regardant, qu’il traitera en domestique en échange de quelques largesses.

[modifier] L’aiguille de Buffon

En mathématiques, l’aiguille de Buffon est son résultat le plus connu. Il permet de déterminer expérimentalement la valeur de π à l’aide d’une aiguille et d’un parquet. Le principe en est le suivant : on dispose d’un réseau de lignes parallèles, séparées d’une unité de longueur, et d’une aiguille de longueur k < 1. Si on laisse tomber l’aiguille sur le réseau, la probabilité qu’elle chevauche une ligne est \frac{2k}{\pi}. En répétant l’expérience un grand nombre de fois, le rapport entre le nombre de fois où l’aiguille chevauche une ligne et le nombre total de lancers se rapproche de ce quotient, et on peut donc en tirer une valeur approchée de π. La méthode de Monte-Carlo est une généralisation de la méthode de Buffon à n’importe quel procédé aléatoire.

[modifier] Buffon industriel

Icône de détail Article détaillé : Forges de Buffon.
Entrée des forges
Entrée des forges

Parallèlement à son œuvre scientifique, Buffon réalise en bordure du canal de Bourgogne, à quelques kilomètres de Montbard, des forges qui existent encore et se visitent. Après avoir effectué de nombreuses expériences dans la forge d’Aisy-sur-Armançon, il édifie sur ses terres, entre 1768 à 1772, ses propres forges, conseillé par des maîtres de forge des plus réputés. Elles lui ont permis de valoriser les ressources de bois et de minerai (d’assez mauvaise qualité) de ses terres.

Ce site peut être considéré comme une des premières usines intégrées. Les lieux sont pensés pour optimiser les étapes de la fabrication. Par ailleurs, certains ouvriers sont logés sur le site, et ont accès à un potager, une boulangerie, et une chapelle. L’accès au haut-fourneau se fait par un escalier monumental, qui permet à ses invités de marque d’admirer la coulée de métal en fusion.

Alimentées par l’Armançon, des roues à aubes apportaient la force hydraulique nécessaire pour alimenter les machineries telles que les soufflets, les marteaux, le bocard et le patouillet. C’est dans ces forges qu’il aurait souhaité fabriquer les nouvelles grilles du Jardin des Plantes, dont il est intendant. Son expérience de sylvicuteur et de métallurgiste contribuera à la rédaction des Suppléments de l’Histoire naturelle.

La forge fournit des ferronneries et des rampes d’escaliers, mais est surtout un laboratoire : il y étudie, pour la Marine, l’amélioration possible des canons, et pour lui-même, les effets de la chaleur obscure, les phénomènes de refroidissement, dont les résultats nourriront son œuvre scientifique, notamment à propos de la création de la terre.

Accaparé par son travail personnel, il en confie la gestion à Chesneau de Lauberdières en 1777, mais celui-ci pille les forêts environnantes et fuit avec la caisse en 1785. Buffon doit reprendre la forge, bien en mal, qui sera finalement vendue en 1791.

Toujours à court d’argent pour financer ses projets industriels et scientifiques, il a de nombreux démêlés avec ses bailleurs de fonds, en particulier avec la famille Baboin, soyeux à Lyon, qui lui intente un procès pour obtenir le paiement de ses créances. Il se plaint à ce titre de son banquier dans une lettre autographe du 15 Juillet 1781. Il s’en venge dans la rédaction de l'Histoire naturelle, en jouant sur la ressemblance du mot de vieux français « babine » avec le nom de son adversaire, pour donner au singe cynocéphale le nom de « Babouin » qu’on lui connaît aujourd’hui. Il fait d’ailleurs dans son livre une description abominable de cet animal.

[modifier] Notes

[modifier] Bibliographie

Ouvrages cités dans le texte
  • Sainte-Beuve, Causeries sur Buffon.
Éditions récentes de Buffon
  • Œuvres préface de Michel Delon, choix des textes, introduction et notes de Stéphane Schmitt, éditions Gallimard, La Pléiade, 2007 ;
  • Œuvres philosophiques texte établi et présenté par Jean Piveteau, PUF, 1954 ;
  • Histoire naturelle textes choisis et commentés par Jean Varloot, Gallimard, Folio Classiques, 1984 ;
Biographies
Critiques
  • Michel Foucault, Les Mots et les choses, vol. I, II, IV, Gallimard, Paris, 1966, p. 54-55
    et I, V (« Classer »), p. 137-176
     ;
  • Thierry Hoquet, Buffon illustré : les gravures de lHistoire naturelle (1749-1767), Muséum national d'Histoire naturelle, Paris, 2007, 816 p. (ISBN 978-2-85653-601-8) ;
  • Les Époques de la nature, introduction et commentaires de Jacques Roger, éditions du Muséum National d'Histoire Naturelle (1984).

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes

[modifier] Sources partielles

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Précédé par
Jean-Joseph Languet de Gergy
Fauteuil 1 de l’Académie française
1753-1788
Suivi par
Félix Vicq d'Azir