Lutte des classes

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

La lutte des classes caractérise les enjeux et les tensions dans une société divisée en classes sociales, chacune luttant pour sa situation sociale et économique. Ce concept apparu au XIXe siècle est particulièrement développé dans le marxisme, qui distingue deux classes fondamentales : la bourgeoisie (ou classe capitaliste) et le prolétariat. Cette théorie a connu un engouement majeur pendant le XXe siècle et a influencé le destin d'un grand nombre de pays.

Sommaire

[modifier] Les classes

La notion de lutte des classes peut être rapprochée des crises de segmentations de la société que l'on retrouve dans de nombreuses cultures et périodes historiques :

  • lutte entre les esclaves et les maîtres dans les sociétés esclavagistes ou métèques et esclaves des sociétés antiques,
  • lutte entre plèbe et propriétaires terriens, illustrée par les Gracques
  • lutte entre le Tiers état et la noblesse à la veille de la Révolution française,
  • lutte entre les salariés et leurs employeurs dans la société capitaliste moderne,
  • lutte entre hommes et femmes dans les sociétés patriarcales, où l'exploitation domestique est le nerf de la hiérarchie sociale[1],
  • castes en Inde,
  • séparation entre colons et indigènes dans les colonies,
  • dichotomie marquée entre pays du Nord et pays du Sud,
  • ségrégations raciales et/ou socio-culturelles dans les métropoles,
  • lettrés-fonctionnaires dans la Chine ancienne, mais aussi lettrés contre l'Empereur si besoin selon les recommandations de Lao-Tseu, etc.

Cependant la notion de classe est essentiellement économique, et l'appartenance à une classe n'est pas déterminée par des critères légaux objectifs, au point qu'elle peut être difficile à caractériser (Marx distingue entre quatre et sept classes selon ses ouvrages[2]. L'évolution de la technique les modifie d'ailleurs par leur définition même.

L'homogénéité d'une classe est assurée par un fonctionnement de la société où les réseaux sont indispensables et où les inégalités sont durables (on naît dans une famille riche ou pauvre), ainsi que par des mécanisme sociaux subtils, conscients ou inconscients (critique de l'idéologie), et non par des contraintes légales explicites, comme l'étaient les états de l'Ancien Régime.

[modifier] Perspective libérale

La théorie libérale de la lutte des classes date principalement des auteurs français du XIXe siècle inspirés par Jean-Baptiste Say ou Antoine-Louis Destutt de Tracy. Cependant elle tire son origine dans des mouvements plus anciens comme les levellers anglais au XVIIe siècle ou dans les écrits de Turgot et de Jeremy Bentham qui se sont intéressés à la « recherche de rente ».

Dans la lignée de ces travaux, Charles Comte, Charles Dunoyer ou François Guizot montrèrent que l'État était le siège de la recherche de rentes financées par l'impôt. Par conséquent ils distinguent deux grandes classes dans la société industrielle : les producteurs de richesses qui acquittent l'impôt (tiers état) et les consommateurs d'impôts (la noblesse)[3]. Leurs intérêts de classe sont clairement antagonistes, puisque les premiers désirent être moins taxés alors que les seconds sont en faveur d'une augmentation de l'imposition[4].

[modifier] Perspective marxiste

Barricade à Paris élevée durant les troubles de 1848
Barricade à Paris élevée durant les troubles de 1848

Le marxisme a développé une théorie complexe à propos de la lutte des classes et de son évolution historique, à laquelle le Manifeste du Parti communiste fournit une introduction. Cette théorie a connu un engouement majeur pendant le XXe siècle et a influencé le destin d'un grand nombre de pays.

S'inspirant de nombreux auteurs philosophes, économistes ou historiens, Marx et Engels mettent en relation différents concepts afin de comprendre au mieux la société et ses structures. Le concept de lutte des classes des libéraux, associé à une critique de certains aspects de la pensée de Hegel ainsi qu'à une conception matérialiste de l'histoire constituent des éléments contribuant à expliquer les mouvements historiques. Le marxisme envisage que la classe exploitée (le prolétariat) s'émancipera en renversant la domination de la classe exploiteuse (la bourgeoisie) pour atteindre l'égalité (la société sans classe).

Selon la perspective marxiste, l'histoire de la société jusqu'à nos jours reflète la division de la société en classes sociales (« homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés ») qui s'opposent dans une lutte ininterrompue, tantôt déclarée, tantôt larvée, pacifique ou non. La société capitaliste moderne, en renversant les divisions en ordres de la société féodale n'a pas aboli les antagonismes de classe, mais les a remplacés par des nouveaux. Elle les a également simplifiés, et de nos jours, la « société se divise de plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat ».

La grève, peinte par Robert Koehler. On voit s'opposer le patron aux travailleurs.
La grève, peinte par Robert Koehler. On voit s'opposer le patron aux travailleurs.

Marx distingue toujours au moins deux classes fondamentales :

  • les capitalistes ou bourgeois, classe dominante qui possède le capital et dispose ainsi des moyens de faire travailler autrui à son profit en pesant sur le cours d'achat de la force de travail ;
  • le prolétariat, regroupant les personnes qui n'ont pas de capital et sont contraintes de vendre leur force de travail pour subsister. Il s'agit de la classe salariée.

Outre qu'il distingue parfois des sous-classes (opposant par exemple la bourgeoisie industrielle et financière...) à ces deux classes fondamentales s'ajoute une classe intermédiaire, comme flottante au niveau de ses intentions d'émancipation :

  • la petite bourgeoisie, regroupant les personnes qui possèdent leurs propres moyens de subsistance (petits commerçants, professions libérales, etc.), ce qui leur confère une autonomie précaire par rapport aux capitalistes. Ils n’ont pas besoin de se salarier mais ne sont pas eux-mêmes patrons, et doivent travailler pour vivre.
Ce conflit entre classe dominante et classe opprimée peut prendre forme physiquement. Un combat de rue à la suite d'une grève en 1936
Ce conflit entre classe dominante et classe opprimée peut prendre forme physiquement. Un combat de rue à la suite d'une grève en 1936

Toutefois, selon lui, seule la bourgeoisie et le prolétariat peuvent avoir une politique réellement indépendante, les diverses couches de la petite bourgeoisie étant soit attirée par le prolétariat, au point d'y confondre parfois ses intérêts, soit au contraire respectant et enviant les grands capitalistes, confondant ainsi sa vision politique avec celle du grand patronat.

Cette lutte embrasserait tous les domaines de la vie sociale, économique, politique et idéologique et serait un moteur à l'évolution sociale, et donc de l'histoire. Le capitalisme exercerait une pression pour diminuer la part de la production destinée aux prolétaires, conduisant à accroître l’exploitation des travailleurs et leur paupérisation, et augmentant le capital, masse de richesses qui sont consommées dans la lutte (ou concurrence) qui oppose les capitalistes entre eux. Le mouvement ouvrier (notamment la lutte syndicale), force opposée, tend à augmenter la part des richesses recueillies par la classe laborieuse[5], tout en établissant leurs revendications dans le strict cadre du salaire[6]. Les acquis sociaux représentent la part que le capital alloue au prolétariat pour préserver la stabilité de la paix de la société (qui lui est toujours favorable), souvent après des bouleversements majeurs tels que la grève générale spontanée de 1936. La petite bourgeoisie serait, de son côté, condamnée a régresser (à se prolétariser) en raison de son incapacité à soutenir la concurrence avec les capitalistes.

Pour les marxistes, à l'exception notable des maoïstes, la lutte des classes donne un sens à l'histoire et explique la dynamique qui mue les sociétés, « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes » (Karl Marx). Elle s'arrêtera lorsqu'une révolution prolétarienne mondiale conduira à une société où, après un temps où la classe dominante serait également la classe laborieuse (« dictature du prolétariat »), les différences de classes seront définitivement abolies, conduisant ainsi à une « société sans classe » et donc à l'Égalité. Selon cette perspective, si l'organisation sociale elle-même encourage la cohésion du prolétariat, alors les richesses produites pourront être employées de manière optimale pour améliorer le sort de l'humanité ; la production pourra répondre exclusivement à une demande (et non à un besoin de conquérir des marchés), et le pouvoir politique ne sera plus un instrument au service des capitalistes mais l'expression véritable d'une démocratie. La révolution communiste permettrait donc de faire cesser la division de la société en classes.

Pour atteindre cet objectif, les marxistes considèrent que le prolétariat doit acquérir une conscience de classe (c’est-à-dire doit prendre conscience de ce qu'il est[7], tel que le conçoit la théorie marxiste, dans le cadre général de la société), et prendre confiance dans sa capacité à organiser la société de manière solidaire, sans plus se soumettre à la classe capitaliste. Cela se serait produit à plusieurs reprises au cours de l'histoire, notamment pendant la Commune de Paris (1871) et la révolution russe en 1917 (même si, sur ce dernier événement, les avis sont très divisés entre les différents courants marxistes).

[modifier] Lutte des classes contemporaine

La lutte des classes se manifesterait formellement aujourd'hui par les mouvements sociaux comme les grèves ou les manifestations. Les principaux motifs des grèves sont : pour exiger du patronat des augmentations de salaires ; pour empêcher des licenciements ; contre les conditions pénibles de travail[8].

Toutefois, certains autres signes structurels d'opposition sinon de lutte sont observables : ils se concrétisent notamment par le système du paritarisme institués dans divers organismes où on retrouve d'une part les employeurs et d'autre part les représentants des salariés (Organismes pour la formation professionnelle, convention collective, Conseil de prud'hommes...).

L'élévation du niveau de vie moyen est générale et mondiale, mais l'écart entre riches et pauvres ne cesse de s'accroître[9]. D'après une étude de l'Institut de recherche sur l'économie du développement de l'ONU, en 2000 les 2% les plus riches possédaient 50% des richesses, quand les 50% les plus pauvres ne possédaient que 1% des richesses.

[modifier] Classes sociales et vote

Depuis les années 1970 on observe selon les statistiques et les sondages une corrélation limitée entre classe sociale et électorat.

En France, de nombreux cadres votent pour la gauche aux législatives de 2002. Le monde ouvrier évoluerait dans l'autre sens, selon Le Monde [10]: « En mai 1981, le Parti socialiste rassemblait 74 % du vote ouvrier ; en avril 2002, il n'en captait plus que 13 %. La droite parlementaire ne profite guère de ce rejet[11] : le vote des classes populaires a d'abord nourri la montée de l'abstention et, en second lieu, le vote pour les extrêmes. Lors de l'élection présidentielle de 2002, près du tiers des ouvriers qualifiés et des contremaîtres ont voté pour l'extrême droite. » (c’est-à-dire en fait près du tiers de ceux qui ont voté, et non près du tiers du total).

A l’occasion des élections régionales de 2004, « le rejet de la droite au pouvoir a été nettement plus marqué dans les communes où les proportions d’ouvriers, d’employés et de professions intermédiaires (techniciens, contremaîtres, instituteurs, infirmières, etc.) sont les plus fortes. » A l’inverse, « les cadres ont également voté en moyenne plus à droite que le reste du salariat. » et « c’est parmi les non-salariés que la droite au pouvoir a le moins reculé et que l’extrême droite a le mieux résisté. »[12]

A l'élection présidentielle de 2007, le candidat ayant reçu le plus de suffrages d'ouvriers serait selon un sondage (contredit par deux autres : « Pour LH2, Sarko l'emportait nettement dans la classe ouvrière. Selon CSA, c'était Ségo et, au dire d'Ipsos, Le Pen... »[13]) Jean-Marie Le Pen (23% des exprimés), devançant légèrement Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy (21% chacun) alors même que son score s'écroulait par rapport aux scrutins précédents (10,44% de suffrage populaire en 2007 contre 16,86 en 2002)[14].

En mai 2007, les arrondissements populaires de Paris ont nettement voté à gauche (XVIIIe, XIXe, XXe), et à l’inverse les arrondissements bourgeois (XVe, XVIe, VIIe) ont largement voté à droite[15].

[modifier] Divers

Selon l'analyse et les termes de Joël de Rosnay, nous assistons depuis quelques années au développement d'une nouvelle lutte des classes entre les "infocapitalistes", qui détiennent les contenus et les réseaux de distribution de masse, et les "pronétaires".

[modifier] Sources

[modifier] Notes

  1. Cf. Christine Delphy, L'Ennemi principal, l'économie politique du patriarcat.
  2. La pensée marxiste, Jacques Ellul.
  3. Charles Comte in De l'organisation sociale, vol. 2, p. 33, donne ainsi l'exemple de la noblesse : « Sous l'Ancien Régime, la noblesse, parce qu'elle n'était plus capable de s'attaquer directement aux plus industrieux, s'est mise à peupler l'Administration pour vivre d'une nouvelle forme de tribut : « l'impôt ». »
  4. Le Censeur Européen, journal libéral du XIXe siècle, écrit ainsi lapidairement que « les fonctionnaires sont devenus « une classe qui est l'ennemi du bien-être de tous les autres ». »
  5. "la valeur de la force de travail constitue la base rationnelle et déclarée des Syndicats" Un chapitre inédit du Capital Karl Marx 10/18 p.278-279
  6. "Les syndicats ont pour but d'empêcher que le niveau des salaires ne descende en dessous du montant payé traditionnellement dans les diverses branches d'industrie, et que le prix de la force de travail ne tombe en dessous de sa valeur" op.ci. p. 279
  7. "Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit faire historiquement, conformément à son être" La Sainte Famille Marx-Engels 1845
  8. Les conditions du travail en France, article de l'Observatoire des inégalités.
  9. Voir ce rapport de l'ONU, notamment les tableaux : [1]
    Selon l'INSEE, qui utilise un indice relatif, le nombre de pauvres en France a augmenté de 100.000 personnes entre 2001 et 2004 (Libération, 23 novembre 2006). De même concernant les salariés, la proportion de pauvres est passée de 3,9% en 1970 à 5,4% en 2001 (Libération, 23 novembre 2006).
  10. Le Monde.fr : Des nouvelles précarités, des salariés plus isolés
  11. Etienne SCHWEISGUTH du CNRS explique aussi que la désaffection des ouvriers pour la gauche ne profite pas à la droite modérée
  12. Dominique Goux et Éric Maurin, Anatomie sociale d’un vote : Le premier tour des élections régionales (21 mars 2004), La République des Idées, 2004, pages 7 et 16.
  13. Le Canard enchaîné, 16 mai 2007, page 1.
  14. Sondage Ipsos
  15. Le XVIe vote à 81% pour la droite, le VIIe à 75% pour la droite, le XVe à 60% pour la droite ; alors que le XXe vote à 65% pour la gauche, le XVIIIe à 64% pour la gauche, le XIXe à 60% pour la gauche - Chiffres officiels du ministère de l'Intérieur.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes