Lavrenti Beria

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Beria avec Staline et la fille de celui-ci, Svetlana
Beria avec Staline et la fille de celui-ci, Svetlana

Lavrentiy Pavlovitch Beria (géorgien : ლავრენტი ბერია, russe : Лавре́нтий Па́влович Бе́рия) (29 mars 1899 - 23 décembre 1953) est un fonctionnaire soviétique qui a présidé le NKVD, organe qui donnera naissance au MGB puis au KGB. Il fut membre du Politburo de 1946 à 1953.

Sommaire

[modifier] Les débuts et la promotion

Comme Staline, Beria est originaire de Géorgie. Né à Merkheuli en Abkhazie, architecte de formation, Beria débute sa carrière à la Tcheka, la police secrète fondée par Félix Dzerjinski, et devient secrétaire du parti dans son pays, où il organise les premières purges pour Staline. Très impopulaire parmi les communistes géorgiens, il ne doit sa promotion qu'à la protection du chef suprême de l'URSS.

En novembre 1938, Staline le nomme à la tête du NKVD, la police secrète de l'Union soviétique en remplacement de Nikolaï Iejov qu'il a aidé à éliminer. Beria reste fidèle au principe posé par Staline, quand celui-ci avait nommé Iagoda à la tête du Guépéou en 1934, de faire fusiller son prédécesseur (Viatcheslav Menjinski dans le cas de Iagoda), principe qu'avait respecté Iejov en faisant fusiller Iagoda.

[modifier] Le chef suprême de la police politique (1938-1953)

Beria poursuit et achève tout d'abord les Grandes Purges. Il n'hésite pas à étendre la terreur jusqu'au sein même de l'appareil policier, qu'il purge largement des hommes de Iejov et des cadres ayant servi avant les années 1930. Personnage cruel et sadique, celui que Staline présentera à Roosevelt comme « notre Himmler » n'hésite pas à présider lui-même certaines séances de torture dans son bureau de la Loubianka ou de la prison de Lefortovo. Notoirement libidineux, il lui arrivera d'enlever des femmes juste pour satisfaire ses désirs sexuels.

Il organise des arrestations en masse et des exécutions de dissidents ou de personnes innocentes. Il est responsable en 1940 de l'exécution du grand metteur en scène Meyerhold, de l'écrivain Isaac Babel et du journaliste Mikhail Koltsov. Virtuose, tout comme ses prédécesseurs, de l'extorsion de confessions délirantes, il se vantait cyniquement de pouvoir faire avouer sous 24 heures à tout individu tombé entre ses mains qu'il était le roi d'Angleterre. Lorsque le Pacte germano-soviétique permet à l'URSS de s'étendre en Pologne, en Finlande, aux Pays baltes et en Moldavie, Beria planifie méticuleusement les déportations massives de centaines de milliers d'habitants de tous âges et de toutes classes sociales. Maître d'un Goulag dont les effectifs sont alors à leur apogée, il tente de rationaliser l'exploitation des détenus. Il crée notamment les charachka, où des scientifiques prisonniers sont contraints de travailler à des projets militaires, dans une stricte discipline mais en bénéficiant de meilleures conditions de vie que la plupart des détenus.

Beria commet aussi des crimes de guerre au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il rédige l'ordre d'exécution qui mène au massacre de Katyń au cours duquel 25.700 officiers polonais furent éliminés.

En 1941, le NKVD de Beria planifie la déportation des Allemands de la Volga, et en 1944, celle des Tchétchènes, des Tatars de Crimée et d'une dizaine d'autres peuples faussement accusés de collaboration avec les Allemands.

En 1944, Beria est chargé du programme nucléaire et réussit le premier essai militaire en 1949. À cette occasion, Beria mobilise des moyens considérables en ressources humaines et industrielles, largement puisées dans le Goulag, et il commence à constituer ainsi un État dans l'État. Staline lui demande alors de fabriquer la première bombe H soviétique. Conscient qu'il serait éliminé après, Beria laisse traîner les travaux et commence à éveiller des soupçons dans l'esprit de Staline, qui organise contre lui le complot des blouses blanches (février 1953).

Selon ce complot, un groupe de médecins, en majorité d'origine juive, chargé de la santé des dirigeants soviétiques aurait cherché à les empoisonner, ce qui prouverait la défaillance, voire la complicité, des services de sécurité dirigés par Beria. Cette affaire arrive dans un contexte d'antisémitisme d'État qui sévissait à la fin de la vie de Staline - auquel Beria avait partiellement contribué, par exemple en éliminant sur ses ordres le grand acteur yiddish Solomon Mikhoels (1948).

Staline meurt le 5 mars 1953 après un repas avec Beria, Gueorgui Malenkov, Nikolaï Boulganine et Nikita Khrouchtchev, des suites d'une hémorragie cérébrale. Cependant, dans ses mémoires publiées en 1993, le politicien Viatcheslav Molotov affirme que Beria se vanta auprès de lui d'avoir empoisonné Staline ; aucune preuve ne permet d'étayer cette hypothèse. En revanche, il est avéré que Beria refusa une intervention médicale alors que Staline était inconscient depuis quelques heures, sous prétexte que ce dernier était seulement en train de dormir.

[modifier] Après la mort de Staline

Beria se considère alors comme le successeur naturel de Staline. Pendant les trois mois où il a les mains libres, l'incarnation de la terreur policière se révèle paradoxalement un champion de la libéralisation du régime. Dès le 4 avril, il relâche les victimes du complot des blouses blanches et fait savoir que leurs aveux avaient été extorqués par la torture, première fois que l'État soviétique reconnaît une faute. Il fait promulguer une amnistie qui libère un million de détenus du Goulag, tous des droits communs - rien n'ayant été préparé pour les réinsérer, cette masse d'anciens condamnés va déferler sur le pays en commettant une vague traumatisante de vols, de viols et de meurtres. Il restitue le Goulag au ministère de la Justice, limitant ainsi en partie l'arbitraire qui y régnait, et il dénonce en connaissance de cause son inutilité économique ainsi que son hypertrophie. Il fait voter au Politburo l'enlèvement des portraits de dirigeants dans les défilés et manifestations, mesure qui ne lui survivra pas. Il se prononce à l'intérieur pour un meilleur traitement des minorités nationales, et à l'extérieur pour une politique résolue de Détente avec l'Occident, fût-elle payée de l'abandon de la RDA et de la réunification de l'Allemagne en échange de sa démilitarisation.

[modifier] La chute et la mort

Ses collègues restent très méfiants devant cet homme qui détient toujours un pouvoir policier considérable. Sa politique de libéralisation à tout crin leur semble un moyen de se gagner une popularité qui l'aiderait à accéder au pouvoir suprême à leurs dépens. La révolte ouvrière de Berlin-Est (17 juin 1953), contre laquelle Beria et ses collègues font donner les chars, est la première révolte de la déstalinisation. Elle scelle la chute de Beria, discrédité parmi ses collègues. À peine trois mois après la mort de Staline, le chef du NKVD, qui aura toutefois eu le temps de faire montre de réelles capacités d'homme d'État, est évincé par Khrouchtchev et arrêté en pleine séance du Politburo (juin 1953). Le maréchal Joukov que Béria accusait de comploter contre Staline, procède lui-même à cette arrestation, pistolet au poing, dans l'enceinte du Kremlin.

Accusé de complot et d'espionnage imaginaires selon des méthodes qu'il connaît bien, Beria est exécuté en décembre 1953 quelque part dans la banlieue de Moscou. Il est le seul dirigeant soviétique à avoir été exécuté après la mort de Staline. Ses dernières lettres avant sa mort montrent un homme suppliant et effondré.

En mars 2000, la Cour Suprême de Russie refusa de le réhabiliter, ses crimes contre l'humanité ayant été prouvés.

[modifier] Bibliographie

  • Anne Applebaum, Goulag. Une histoire, tr. fr. Grasset, 2005
  • Sergo Beria, Beria, mon père, 2000
  • Anton Kolendic, Les derniers jours, Fayard, 1982
  • Jean-Jacques Marie, Staline, Fayard, 2001
  • Simon Sebag Montefiore, Staline. La cour du tsar rouge, Syrtes, 2005
  • Nikita Petrov, "La Politique des cadres du NKVD", in Une si longue nuit. L'apogée des régimes totalitaires en Europe (1935-1953), sous la dir. de St. Courtois, Ed. du Rocher, 2003
  • Vladimir Fédorovski, De Raspoutine à Poutine - Les hommes de l'ombre, Tempus, 2007