Morisque

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Les Morisques (de l'espagnol Morisco) étaient des musulmans d'Espagne convertis de force au catholicisme à la suite des édits de conversion de 1502. Ils constituaient une minorité importante dans le Levant espagnol, la vallée de l'Èbre et l'Andalousie.

Sommaire

[modifier] Les origines

La Reconquête, qui prend fin en 1492 avec la prise de Grenade, et l'annexion de la Castille laisse sur le sol espagnol plusieurs centaines de milliers de musulmans. D'après les accords de reddition, ceux-ci sont autorisés à conserver leur religion :

"Es asentado e acordado que ningún moro o mora no haga fuerza a que se torne cristiano ni cristiana". Il est établi et accordé que l'on ne forcera aucun maure ou mauresse à devenir chrétien ou chrétienne.

Certains musulmans, conscients des difficultés de la cohabitation, préfèrent s'exiler ; d'autres vont rester et prendre le nom de mudéjar. Les accords de reddition seront plus ou moins respectés tant que dure l'influence de l'archevêque de Grenade : Hernando de Talavera. Mais un durcissement de l'église s'opère sous l'influence du cardinal Francisco Jiménez de Cisneros, confesseur d'Isabelle II et archevêque de Tolède (1495). Les pressions fiscales et religieuses conduisent les mudéjares de Grenade à la révolte en 1499. Celle-ci s'étend rapidement aux montagnes alentour. Après la reprise de contrôle par la couronne de Castille, les Mudéjares de Grenade sont contraints soit à l'exil, soit à la conversion forcée. Cette mesure est ensuite étendue à tout le royaume de Castille en 1502, puis à tous les musulmans d'Espagne par décret de Charles Quint en 1525. Les anciens musulmans, nouveaux chrétiens, restant sur le sol d'Espagne sont alors surnommés moriscos ou morisques par les Espagnols.

[modifier] Statut social

La répartition des Morisques à l'intérieur de l'Espagne est assez irrégulière : d'une présence négligeable en Catalogne, ils représentent environ le huitième de la population de l'Aragon et le quart de la population du royaume de Valence et ils atteignent plus de 55% dans le royaume de Grenade.

On trouve une noblesse morisque qui garde des titres, des charges et des richesses. Désireux de s'intégrer, ils prennent des noms d'origine espagnole. Près du tiers des nouveaux convertis sont des propriétaires terriens bénéficiant d'une certaine aisance et prêtant de l'argent à la vieille noblesse espagnole.

Parmi les agriculteurs, les Morisques se spécialisent plutôt dans l'élevage de la soie (autour de Grenade) et la culture des primeurs où ils exploitent au mieux les terrains grâce à l'irrigation.

Dans les municipalités où persiste une organisation traditionnelle (aljamas), la culture morisque est préservée grâce à la solidarité de tous. Majoritairement crypto-islamistes, les Morisques se soumettent extérieurement aux traditions chrétiennes mais conservent entre eux leur culture et tradition d'origine. Par décret passé en 1526 entre l'état et les municipalités morisques, celles-ci obtiennent contre le versement d'une taxe de 40 000 ducats l'éloignement du Saint-Office.

[modifier] Le durcissement

La cohabitation entre populations ne parlant pas la même langue et ne partageant pas la même culture devient difficile. Les conflits s'exacerbent. Une tentation de repli sur soi naît.

En 1535, sous la pression de Charles Quint, le pape Paul III instaure une condition dite de "propreté de sang" (limpieza de sangre) : toute personne désireuse d'accéder à certaines charges importantes en Espagne devait faire la preuve qu'elle ne possédait pas d'ancêtre juif ou musulman depuis au moins quatre générations. Cette condition deviendra une loi qui ne sera abrogée qu'en 1865.

Avec l'arrivée sur le trône de Philippe II, la situation des Morisques devient plus précaire. Autour de Philippe II, deux écoles s'affrontent : certains pensent que l'assimilation des Morisques demande du temps mais finira par aboutir. D'autres penchent plutôt pour une expulsion totale de cette population. Un problème de terre se fait sentir. Un programme d'expulsion et de reconquête de la terre est mis en place dès 1559. En 1567, des mesures sont prises pour faire perdre aux Morisques leur identité culturelle : interdiction du voile, interdiction de la langue arabe et destruction des textes arabes. Malgré les protestations de certains Morisques qui assurent le roi de leur fidélité, ces lois sont appliquées avec fermeté et sont ressenties par la population morisque comme des brimades.

[modifier] La révolte

Dans la nuit de Noël 1568, un soulèvement s'organise dans le quartier de l'Albaicin à Grenade. Le premier chef de la rébellion est un jeune homme de 22 ans, Hernando de Valor, descendant des Omeyyades, qui prend le nom de Aben Humeya. La révolte gagne toute la vallée de Lécrin puis s'étend à toutes les montagnes de l'Alpujarras. La révolte est violente. Des exactions sur la population chrétienne sont commises (massacres et tortures). La réponse des autorités espagnoles est d'une ampleur comparable (viols, vols, massacres, pillages) en particulier au siège de Durcal par les troupes du marquis de los Velez.

Des luttes de pouvoir internes conduisent à l'assassinat de Aben Humeya par l'un de ses rivaux et cousin Aben Abou (1570). Celui-ci sera lui-même trahi et assassiné par Gonzalo el Seniz en 1571.
La révolte est écrasée en 1571 par Don Juan d'Autriche, fils naturel du roi Charles Quint, et vainqueur de la bataille de Lépante face aux Turcs et aux Barbaresques d'Euj Ali. Les Morisques du royaume de Grenade sont alors dispersés dans toute l'Espagne.

[modifier] L'expulsion

Expulsion des Morisques (Vicente Carducho), musée du Prado
Expulsion des Morisques (Vicente Carducho), musée du Prado

Cependant, même répartis dans le reste de l'Espagne, même appauvris et dépossédés de leur terre, les Morisques restent une épine dans le pied de l'Église espagnole. Philippe II désireux de s'allier les pays de l'Afrique du Nord contre Barberousse avait fait preuve d'une clémence relative. L'arrivée sur le trône de Philippe III précipite la fin de la population morisque. Sous l'influence du marquis de Denia et du duc de Lerme, Philippe III signe le 22 septembre 1609 le décret d'expulsion de tous les Morisques d'Espagne. Ce décret préparé par des mouvements de troupes s'applique avec rapidité et intransigeance.
Seules les femmes morisques mariées à de vieux chrétiens sont autorisées à rester. La déportation se fait dans des conditions épouvantables. Hommes, femmes, enfants se rendent à pied de l'intérieur des terres jusqu'aux côtes, contraints de payer eux-même leur nourriture et leur eau. Ils sont ensuite embarqués dans des galères qui les déposent sur les côtes de l'Afrique du Nord. Le nombre de déportés est si important que l'ont doit faire appel à des transporteurs privés qui n'attendent parfois pas d'arriver sur la côte pour débarquer les Morisques. Certains auteurs[1] prétendent que les pertes de cette déportation s'élèvent à 75%.

Les morisques déportés trouvent refuge principalement au Maroc (Rabat, Fès, Tétouan) mais aussi en France, en Italie, en Turquie. De petites communautés émigrèrent en Syrie, à Istanbul où ils se concentrèrent dans le quartier de Galata, autour de la Arap Jami (mosquée des Arabes), et de façon éphémère en Toscane.

On estime à environ 300 000 le nombre de personnes ainsi déplacées pour une population espagnole de 8 millions. La confiscation des biens se fera à l'avantage principalement du duc de Lerme et de l'Inquisition.

[modifier] Art et culture morisque

Si la population ne fut pas acceptée par les Espagnols, l'influence de leur culture s'est fait sentir dans toute l'Europe.

En architecture, les spécificités architecturales de l'art morisque se retrouvent dans des mosquées mais aussi dans des églises et des maisons de particuliers.

Manuscrit Aljamiado
Manuscrit Aljamiado

En littérature, la littérature Aljamiada (de l’arabe al-’adjamiyya - paroles d’étranger) est une littérature clandestine morisque transcrite de la littérature musulmane et écrite en espagnol mais à l'aide de caractère arabe. La littérature qu'ils produisent est essentiellement religieuse mais on y trouve même le premier Kamasutra en langue espagnole. La thématique moresque était passée dans la poésie populaire ("romances" fronterizos, traitant des dernières guerres de reconquête de Grenade) dès avant 1492 se manifeste ensuite dans des ouvrages plus copieux comme le roman l'abencerage de Villegas ou l'histoire des guerres civiles de Grenade de Pérez de Hita qui est traduite en français. Se crée ensuite, grâce à Lope de Vega, un "nouveau romancero", à sujet romanesque morisque, le romancero étant l'ensemble des poèmes populaires castillans (les "romances") dérivés des chansons de geste médiévales ("Romancero du Cid")

Cervantès, auteur de Don Quichotte de la Mancha (1605-1615) présente son ouvrage comme une traduction d'un texte écrit en arabe, Histoire de don Quichotte de la Manche, écrite par Cid Hamed Ben-Engeli, historien arabe. La sympathie de Don Quichotte pour certains personnages, comme Zoraïda ou Ricote, a fait croire à certains auteurs complaisants que Cervantès appartiendrait à ce peuple. Cependant la généalogie de Cervantès et la sévérité avec laquelle il juge les morisques tout au long de l'ouvrage infirment cette thèse.

Victor Hugo, dans Notre-Dame de Paris fait allusion à une danse morisque probablement issue de la culture de cette époque.

Thoinot Arbeau, dans son Orchésographie (1589), décrit une danse morisque ou moresque, connue dans toute l'Europe.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes et références

  1. Fray Jame Bleda, inquisiteur conseiller du duc de Lerma, signale "Il est certain que des milliers de Morisques qui quittèrent ce royaume de Valence, même pas le quart survécut" lu dans Maroc hebdo international - n°521 - du 26 juillet au 1er aout 2002 - [1]

[modifier] Articles connexes

Quelques Morisques

[modifier] Sources