Guerre de l'oreille de Jenkins

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Les batailles de la guerre de l’oreille de Jenkins
Les batailles de la guerre de l’oreille de Jenkins

La guerre "de l’oreille de Jenkins" (appelée par les Espagnols Guerra del Asiento) dura de 1739 à 1748, eut lieu principalement dans les Caraïbes et vit s’affronter les flottes et troupes coloniales du Royaume d'Angleterre et de l’Espagne. Cette dernière reçut également l’aide d’une flotte de guerre française. A partir de 1742 débuta la Guerre de Succession d'Autriche, avec laquelle la Guerre de "l’oreille de Jenkins" se confondit. Cette guerre peu connue vit mobiliser des forces immenses pour l’époque, se solda par des pertes humaines et matérielles énormes, fut un désastre pour l’Angleterre, et n’aboutit qu’au retour au statu quo ante.

Sommaire

[modifier] L’« asiento » et la détérioration des relations anglo-hispaniques

Une frégate espagnole remorquant une prise britannique.
Une frégate espagnole remorquant une prise britannique.

Les Espagnols ne pratiquaient pas la traite des noirs (achat , transport , et revente des esclaves ) mais, vu l’étendue de leur domaine colonial, achetaient un nombre considérable d’esclaves d’origine africaine. Aussi l’asiento (le monopole de la traite des noirs) était-il concédé à une nation étrangère : France, Portugal, ou Angleterre. Lors de la signature du traité d'Utrecht, l’asiento pour les colonies espagnoles fut concédé à l’Angleterre, pour une période de 36 ans. Par ailleurs, l’importation de marchandises anglaises dans les colonies espagnoles était sévèrement contingentée. Un seul navire de marchandises anglaises (le navio de permiso) pouvait venir décharger, une fois par an. Cette semi-autorisation, et l’avidité de la haute société créole pour les produits manufacturés d’origine anglaise entraîna le développement de la contrebande. Pour lutter contre ce trafic, il fut convenu (au traité de Séville de 1729) que tout bateau espagnol, même appartenant à un armateur privé, pouvait faire office de garde-côte, et inspecter tout bateau de commerce anglais croisant dans les eaux espagnoles. Ce "droit de visite", et la confiscation des marchandises de contrebande qui s’ensuivait souvent, révulsait les Anglais, qui criaient au piratage, et réveillait le vieil antagonisme datant de l’époque élisabéthaine.

En 1731 un navire contrebandier anglais, le Rebecca, capitaine Robert Jenkins, fut ainsi arraisonné dans les eaux espagnoles. Le capitaine espagnol, nommé Julio Leon Fandino saisit Jenkins au collet, lui trancha une oreille, et lui dit:

« Porte-la à ton roi, et dis-lui que je lui ferai la même chose si je le vois par-ici!».

Cependant, en Angleterre, industriels et commerçants cherchaient à élargir les débouchés pour leurs produits manufacturés issus de la révolution industrielle naissante, et le désir d’hégémonie anglaise sur tout le bassin atlantique se renforçait.

Sept ans après l’incident de la Rebecca, le parti belliciste et les parlementaires tories, parti d’opposition au premier ministre whig Robert Walpole, ourdirent une manœuvre : ils appelèrent Jenkins à comparaître devant la Chambre des Communes. Jenkins raconta son histoire, demanda justice, montra le bocal à cornichons contenant son oreille, et les parlementaires unanimes poussèrent un cri d’indignation, invoquèrent le casus belli, exigèrent que l’honneur britannique soit lavé de l’insupportable affront. Walpole, qui était partisan de la paix, fut forcé de déclarer la guerre à l’Espagne, le 23 octobre 1739.

[modifier] La première attaque anglaise ( 22 Novembre 1739)

L'attaque de Porto Bello par Vernon
L'attaque de Porto Bello par Vernon

La première cible anglaise fut Porto-Bello, petit port de la Nouvelle Grenade (actuellement au Panama), et non le grand port de La Havane, d'où partaient les gros galions chargés de métaux précieux, et qui était donc trop bien défendu. Six vaisseaux de ligne sous le commandement de l'amiral Edward Vernon écrasèrent la bourgade mal défendue et prise au dépourvu, qui fut ensuite mise à sac. Ce coup d'essai (une des premières applications de " la politique de la canonnière") fut déclaré "victoire" et célébré sans retenue en Angleterre : on frappa des médailles commémoratives, rebaptisa "Portobello Road" le boulevard Green Lane où se tenait un marché de fripes bien connu des Londoniens, chanta pour la première fois "God save the King" en présence du roi George II, lors d'un banquet offert en l'honneur de l'amiral Vernon. La conquête de l'empire colonial paraissait assurée et le nationalisme triomphait, exacerbé par les nouvelles gazettes où abondaient les caricatures ridiculisant les Espagnols et les gravures prenant à témoin les mânes de Cavendish, Raleigh et Drake.

Porto Bello
Porto Bello

Cependant les Espagnols cherchaient une parade aux attaques anglaises : ils mirent en alerte leurs troupes coloniales et renforcèrent les défenses de leurs ports. Ils réorganisèrent aussi leur acheminement des métaux précieux : au lieu de centraliser le transport dans les grands ports de Vera Cruz, Cartagène et surtout La Havane, et d'utiliser de gros galions, ils chargèrent de nombreux petits bateaux dans plusieurs petits ports. Pour desservir leurs colonies du Pacifique, ils prirent la route maritime du Sud, par le cap Horn, au lieu de traverser l'isthme de Tehuantepec (de Vera Cruz à Acapulco) par les chemins muletiers.

[modifier] Le tour du monde du Commodore Anson

Encouragée par le succès du raid sur Porto Bello, l'Angleterre voulut harceler également les colonies espagnoles du Pacifique, et réitérer un profitable exploit : la capture du "galion de Manille". Elle confia au commodore George Anson, aristocrate bien en cour et habile marin, le commandement d'une flotte composée du navire de ligne HMS Centurion (de 60 canons et 400 hommes d'équipage), de quatre frégates, d'un sloop, et de deux navires de transport (pour les apparaux de rechange et les provisions). L'escadre leva l'ancre en septembre 1740, un peu tard dans la saison pour doubler le cap Horn pendant l'été austral. Elle essuya là-bas une série de terribles tempêtes . Deux frégates (la Pearl de 40 canons, et la Severn de 50) furent désemparées au point de devoir retourner vers l'Angleterre.

Lord George Anson.
Lord George Anson.

Plus tard, dans les "quarantièmes rugissants", alors que l'escadre tirait des bords contre le vent pour chercher à s'élever dans l'ouest, une autre frégate, la Wager (Défiante), de 28 canons, fut jetée à la côte du Chili. Les marins survivants furent recueillis par les indiens alakalufs, puis capturés par les Espagnols et internés aux iles Chiloé. Un jeune midship de la Wager, John Byron, rédigea une relation de ces aventures.

Aprés s'être éloignée du Horn et avoir mis cap au Nord, l'escadre relâche aux îles Juan Fernandez en juin 1741. Les navires sont en piteux état, comme les hommes; il ne reste d'ailleurs que 335 hommes sur les 1900 jack-tars (Jack-le-goudron) qui prirent la mer en septembre 1740. Les causes de cette hécatombe sont : le scorbut (qui ouvre la porte aux infections diverses), la mauvaise qualité de l'eau et de la nourriture ( qui sont de plus rationnées), le manque d'hygiène et la promiscuité, les dures conditions de vie à bord , le surmenage également, car les effectifs sont réduits. Au mouillage, les réparations vont bon train, et on marche à pied (la grotte de Selkirk[1] fut notamment un but d'excursion), on collecte des vivres frais, on pêche , on chasse phoques et chèvres. Les autres navires de l'escadre , rescapés du Horn , finissent par arriver en piêtre état à Juan-Fernandez .

Quittant Juan-Fernandez, les navires à peu près réparés avec leurs équipages requinqués remontent vers le Nord, dans le sillage des corsaires d'Élisabeth Ire, puis longent la côte du Pérou. Anson surprend et met à sac (14 & 15 novembre 1741) la petite ville côtière de Païta (prés de l'actuelle frontière entre le Pérou et l'Équateur), puis, avant de mettre cap à l'ouest, abandonne quatre bateaux qui étaient en trop mauvais état, et dont l'équipage était devenu trop insuffisant : la frégate Gloucester de 50 canons, le sloop Tryal (Essai), et les deux bateaux de transport. C'est le Centurion, seul, manœuvré par les hommes transférés des autres bateaux (335 en tout), qui traverse le Pacifique : après une escale à l'île de Tinian, il arrive à Macao, et Anson doit négocier âprement avec les Chinois pour obtenir des provisions et se faire caréner et réparer. Il repart croiser le long des côtes des Philippines, à l'affut du "galion de Manille" . Le Centurion finit par surprendre le galion : la Nuestra Senora de Covadonga se rend après un combat symbolique (20 juin 1743). Anson retourne à Macao, vend aux Chinois le galion et sa cargaison, ne garde que le plus précieux du butin, et repart en toute hâte vers l'ouest : il doit passer avant que la nouvelle de la prise du galion n'atteigne Madrid. Chargé de richesses jusqu'aux écoutilles (rien qu'en argent, les Anglais ont pris sur le galion prés d'un million et demi de grosses "piéces-de-huit" en argent, valant chacune huit réaux espagnols) le Centurion taille sa route, double le cap de Bonne Espérance le 11 mars 1744, remonte l'Atlantique en se jouant de la chasse franco-espagnole, et touche l'Angleterre, sous les ovations et le grand pavois, le 15 juin 1744.

galion espagnol
galion espagnol

Le butin du galion est porté en triomphe, Anson le circumnavigateur est couvert d'honneurs, reçu par le roi George II, adulé par la presse qui l'égale à Sir Francis Drake. Son exploit occulte les pertes humaines et matérielles ( plus de 1700 personnes, 90% des équipages, sept navires sur huit), et aura pour conséquences d'intensifier l'activité des corsaires français et espagnols des deux côtés de l'Atlantique, faisant pâtir le commerce anglais. Quant au partage de l'énorme butin rapporté, il aurait pu se faire facilement, puisqu'il ne reste que 188 survivants, mais il donnera lieu à d'âpres disputes devant les tribunaux. Finalement, après prélèvement de la part de la Couronne, chaque homme d'équipage survivant touchera pour sa part de prise environ 300 £ (environ 45 000 livres sterling actuelles). Le Commodore Anson recevra 91 000 £ (plus de 14 000 000 de livres actuelles); il pourra faire rénover le château familial, se faire élire député (de 1744 à 1747). Il sera nommé vice-amiral après sa victoire au cap Finisterre, élevé à la pairie, deviendra Premier Lord de l'Amirauté (1752-1762).

En 1748 parut "A voyage around the world", la relation de la circumnavigation d'Anson, rédigée par son chapelain Richard Walter. L'ouvrage, sobre, précis et objectif, sera très apprécié et aura un impact certain , tant dans le milieu maritime ( il revèle de nombreuses notions nouvelles , et confirme les théories de Edmond Halley) - que dans le milieu littéraire de l'époque ( il promeut le mythe du bon sauvage).

[modifier] L'aide française

Elle fut demandée par l'Espagne, qui invoqua les clauses du Pacte de famille ( 1733). Le cardinal Fleury envoya aux Caraïbes une escadre de 22 navires de guerre, sous l'amiral d'Antin. Mais les Français, affaiblis par les maladies tropicales et manquant d'approvisionnement, restèrent le plus souvent en rade de Saint-Domingue, à peu de distance de la Jamaïque. Après quelques engagements mineurs, une trêve tacite fut conclue avec la Royal Navy.

[modifier] Sur le continent Nord-Américain

Les opérations à Bloody Marsh et Gully Hole Creek
Les opérations à Bloody Marsh et Gully Hole Creek

Espagnols et Anglais s'affrontèrent aussi à la frontière de la Floride (colonie espagnole) et de la Géorgie (colonie anglaise portant le nom du roi anglais) où eut lieu une série d'escarmouches indécises, menées avec l'aide des tribus indiennes et des colons. D'ailleurs les Anglais mettront fortement leurs colons à contribution : un contingent d'entre eux, attiré par l'or espagnol, sera recruté en Virginie et en Vermont lors de l'expédition contre Cartagène. Des 3 000 qui partiront, bien peu reviendront. En Amérique, les Anglais occupèrent la localité de San-Agustin, puis repoussèrent la contre-attaque espagnole à la bataille du Bloody Marsh ("Marécage sanglant") en 1742. La Floride changea de mains plusieurs fois, et sera finalement plus tard échangée par les Espagnols contre les villes de La Havane et de Manille, que les Anglais réussissent à occuper à la fin de la Guerre de Sept Ans. Elle ne restera d'ailleurs anglaise que de 1763 à 1781, les Espagnols commandés par le gouverneur Galvez la reprenant pendant la guerre d'indépendance américaine.

[modifier] L'affrontement majeur: le siège de Cartagène-des-Indes

Attaque de Carthagène
Attaque de Carthagène

Cartagène (aujourd'hui en Colombie) était avec Vera-Cruz et La Havane l'un des trois grands ports d'où étaient exportés les métaux précieux vers l'Espagne. L'Angleterre décida de frapper un grand coup en mars 1741, en prenant la ville et en en faisant un port britannique. Des moyens techniques et humains énormes furent mis en œuvre à partir de La Jamaïque: 186 navires (dont 29 vaisseaux de ligne), portant 2 620 canons, amenaient à pied d'œuvre 31 000 hommes[2] (15 400 marins de la Royal Navy, 2 000 fantassins, 6 000 hommes de l'infanterie de marine, 5 000 marins de commerce, 3 000 soldats coloniaux et 1 000 noirs recrutés dans les plantations). La ville n'était défendue que par 6 vaisseaux de ligne et 3 300 hommes : 1 100 fantassins, 400 hommes de l'infanterie de marine, 300 miliciens, 600 marins, 600 archers indiens et 300 macheteros (esclaves noirs coupeurs de canne, armés de leur machette). La partie semble donc jouée d'avance.

L'amiral Edward Vernon
L'amiral Edward Vernon

Mais l'expédition anglaise souffrait de deux handicaps notables. D'ordre logistique tout d'abord : il était très difficile d'entretenir et d'approvisionner à grande distance une armée et une flottes aussi énormes, surtout sans point d'appui ni chantier naval ni ressources à terre. Par ailleurs, leur commandement bicéphale fut un gros handicap pour les Anglais : la mésentente régnait entre l'amiral Vernon, commandant de la flotte, et Wentworth, commandant les forces d'invasion.

Après avoir intensivement bombardé Cartagène pendant deux semaines, les Anglais lancèrent,le 5 avril 1741, leurs vagues d'assaut : des centaines de chaloupes déversèrent les assaillants sur les plages, ainsi que de l'artillerie légère, pour attaquer la position avancée de Boca Chica. Elle tenait le chenal d'entrée dans la lagune et était défendue par ses batteries et les six vaisseaux de ligne espagnols. Les Espagnols défendirent leurs casemates avec acharnement, puis reculèrent en combattant pied-à-pied, pendant que deux de leurs vaisseaux se sabordaient et bouchaient le chenal. L'élan des Anglais fut brisé, l'assaut tourna court. L'ordre vint de se rembarquer pour se regrouper et pénétrer ultérieurement dans la lagune. La deuxième tentative d'attaque frontale, du côté de la mer, fut couplée avec une attaque de diversion, menée du côté terre. Elles échouèrent toutes deux, les Anglais perdant 600 hommes.

Blas de Lezo
Blas de Lezo

La tactique élaborée par le commandant espagnol, Don Blas de Lezo, se montra donc efficace : il avait décidé de maintenir une défense élastique autour de Carthagène en attendant le début de la saison des pluies, qui devait commencer début avril, et qui désorganiserait à coup sûr l'armada anglaise. Don Blas de Lezo, vieux stratège expérimenté et tenace (militaire de métier, perclus de blessures de guerre, borgne, manchot et unijambiste, il avait été affectueusement surnommé Medio-hombre, le "Demi-homme" par ses hommes) tirait parti de tout. Le terrain l'aiderait : il savait que les plages basses de sable mou, les marécages, les roselières et la lagune peu profonde allaient freiner le déploiement de l'artillerie débarquée, les évolutions de masse de l'infanterie anglaise et l'accès des bateaux ennemis. Il prévoyait que les Anglais éprouveraient rapidement de grandes difficultés à approvisionner leurs troupes et leurs équipages, et à entretenir leurs bateaux. Il savait que, une fois les pluies tropicales arrivées, la chaleur, l'humidité saturante, les moustiques, l'insalubrité d'un camp improvisé inondé de trombes d'eau, la boue paralysant l'artillerie et les fantassins anglais lourdement équipés, et par là-dessus la survenue d'épidémies de maladies tropicales seraient les meilleurs alliés des Espagnols.

En effet, face à une garnison espagnole bien à l'abri derrière ses remparts récemment rénovés, habituée au climat et soudée derrière son chef par la discipline et l'intérêt commun, le corps expéditionnaire anglais ne tarda pas à offrir un spectacle affligeant: vaisseaux mal entretenus ou à l'abandon faute de personnel, troupiers affamés, malades, démoralisés (les pertes furent en moyenne de prés de 300 hommes par jour), commandement divisé face à des troupes elles-même hétéroclites (allant des highlanders aux esclaves noirs), équipements aussi mal adaptés au climat que la plupart des hommes. Ainsi, les 3 000 colons du Vermont et de Virginie périrent presque tous de maladie[3].

Le pire fut cependant l'absence de coordination dans le commandement, due aux conflits entre l'amiral Vernon et le général Wentworth. Ainsi, quand ce dernier voulut lancer un assaut général contre Carthagène, l'amiral lui refusa l'appui-feu des canons de ses navires: à cause des haut-fonds de la lagune, ils ne pourraient, disait-il, s'approcher assez des murailles pour assurer leur tir uniquement sur les défenseurs. Un assaut, lancé dans la nuit du 14 avril 1741, échoua parce que les échelles étaient trop courtes : les assiégés tirèrent à bout portant dans la masse d'assaillants empêtrés dans les douves au pied des remparts, puis sortirent en furie et massacrèrent tous les survivants.

Quand les pluies s'intensifièrent, le camp fut transformé en bourbier. Les Anglais décidèrent de replier tout le monde sur les bateaux. Mais là, la promiscuité et le manque d'hygiène firent s'étendre les maladies. Finalement, à la mi-mai 1741, au bout de 67 jours, devant la démoralisation générale et les énormes pertes (18 000 hommes) dues moins aux combats qu'à la famine et aux maladies (scorbut, gangrène, tuberculose, dysenterie, paludisme, fièvre jaune), les Anglais complètement groggy[4] décidèrent d'abandonner le siège et de rentrer à La Jamaïque. Ils furent même obligés d'incendier et de couler 50 de leurs navires, trop délabrés et trop pauvres en hommes pour les manœuvrer.

Cependant, en Angleterre, la nouvelle d'une écrasante victoire était parvenue alors que les Espagnols résistaient encore tenacement dans la citadelle et le fort San Felipe de Barajas. Comme en 1739, la Cour exulta, des médailles commémoratives furent frappées, la presse se répandit en louanges, des gravures montrèrent entre autres allégories Don Blas de Lezo en soldat ingambe agenouillé devant Lord Vernon. Toute l'euphorie retomba à l'annonce du désastre, le roi George II interdit qu'on mentionne désormais Carthagène. L'amiral Vernon ne rentra pas immédiatement en Angleterre: il préféra laisser l'émotion retomber et prit son temps pour rédiger un rapport dans lequel il rejetait toute la responsabilité du désastre sur Wenworth. Celui-ci, pour essayer de se racheter, se lança dans une tentative d'invasion de Cuba : le débarquement à Guantanamo (18 Juillet 1741), qui fut à nouveau un échec total.

[modifier] Les résultats du conflit

La nouvelle du désastre fut occultée en Angleterre dans un premier temps, puis fut noyée dans l'annonce du début de la Guerre de Succession d'Autriche. A partir de 1742, la lutte entre l'Espagne et l'Angleterre se déplaça vers l'est, mais la Royal Navy affaiblie ne put assumer son rôle en Méditerranée qu'avec retard : 25 000 soldats espagnols purent ainsi être transférés en Italie.

La mer des Caraïbes restait espagnole , et l'Angleterre le vit bien en 1776 , pendant la Guerre d'Indépendance Américaine , quand Bernardo de Galvez , gouverneur de la Louisianne , fondateur de Galveston , s'appuyant sur les places fortes du Golfe du Mexique paralysa son action dans le Sud de l'Amérique du Nord . Le transfert des métaux précieux continuait, la réputation des Espagnols sortait grandie du conflit, qui n'avait été pour la Grande-Bretagne qu'un désastreux coup d'épée dans l'eau.

Le retour au statu quo ante fut entériné par le Traité d'Aix-la-Chapelle (1748). L'Espagne laissa même l' asiento et le navio de permiso à l'Angleterre, qui lui revendit d'ailleurs deux ans plus tard le reliquat de ses droits pour la somme de 100 000£ au Traité de Madrid de 1750.

Cependant, l'Angleterre allait poursuivre avec sa ténacité proverbiale sa course à la suprématie maritime et coloniale : la guerre de Sept Ans (1763-1760), en plus de nombreuses possessions françaises, lui apportera l'occasion de se venger de l'Espagne alliée des Français. Elle prendra enfin La Havane et Manille, mais, devant l'impossibilité de réduire les îles de Cuba et des Philippines, elle échangera ces deux capitales contre la Floride.

Caricature anglaise
Caricature anglaise

La Royal Navy reconquéra tardivement son prestige face à la flotte espagnole : victoires navales anglaises du cap Saint-Vincent, de la baie d'Algéciras (1801), du cap Finisterre et de Trafalgar (1805), avant l'opération d'invasion des colonies espagnoles d'Amérique du Sud (1806-1807) qui sera le dernier conflit entre l'Angleterre et l'Espagne coloniale et terminera en fiasco pour la première.

Cette guerre "de l'oreille de Jenkins", lancée sur un prétexte dérisoire par le lobby impérialo-mercantile anglais débuta sur fond de traite des noirs et contrebande, entraîna d'énormes pertes matérielles et humaines (29 000 morts au moins) et se solda par un retour au statu quo ante. Seul le spectaculaire périple de Anson fut un léger succès nautique. Si l'on cherche les bénéficiaires de cette guerre, on ne voit guère que les fabricants de médailles et la jeune presse anglaise. Ses caricaturistes, graveurs, écrivains, libellistes et pamphlétaires trouvèrent là l'occasion d'exalter le nationalisme anglais, mais jetèrent aussi les fondations d'un puissant contre-pouvoir démocratique. Finalement, c'est la gouaille populaire qui eut le dernier mot: comme les Français purent dire qu'ils s'étaient battus " pour le roi de Prusse", les Anglais, en surnommant par dérision ce conflit "guerre de l'oreille de Jenkins" sous-entendirent qu'ils n'avaient pas gagné dans cette affaire plus que la valeur d'un petit bout de cartilage.

[modifier] Notes et références

  1. Alexander Selkirk, matelot qui fut marooned (abandonné par punition) sur Juan-Fernandez par Dampier. Il y vécut seul de 1704 à 1709, et son aventure inspira des récits, et en particulier le roman réaliste " La vie et les étranges aventures de Robinson Crusoê" de Daniel Defoé, qui parut en 1720 et connut un grand succès.
  2. Pour revoir un opération amphibie de pareille ampleur, il faudra attendre le débarquement allié en Normandie.
  3. Un des chefs des colons virginiens, Lawrence Washington, demi-frère de George Washington, survécut au siège de Cartagène, et aux épisodes ultérieurs (débarquement sur Cuba, combats en Géorgie...) de la Guerre de l'Asiento.
  4. Edward Vernon, qui était toujours vêtu d'un habit de gros-grain(soie côtelée) fut surnommé Grogg dans la Royal Navy. C'est lui qui institua plus tard l'usage de diluer avec de l'eau et du jus de citron la ration de rhum à laquelle les marins avaient droit, ce qui fut en somme plutôt bénéfique.

[modifier] Sources

  • Articles Wikipédia en anglais et espagnol sur " Guerre de l'oreille de Jenkins" - Siége de Carthagéne" - "Anson"- etc.
  • Dictionnaire Larousse en 6 volumes