Croisade des enfants

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La croisade des enfants par Gustave Doré
La croisade des enfants par Gustave Doré

Les croisades des enfants se constituent de deux cortèges qui partent, dans l’euphorie des croisades, indépendamment l'un d’Allemagne et l'autre de France. Elles se situent entre la quatrième et la cinquième croisade, en 1212. Ces entreprises impressionnent par leur mobilisation comme par leur rayonnement spirituel, mais ne rencontrent pas le succès : l’une s'achève dans les villes d’Italie et l’autre à Marseille.

Il a existé d'autres croisades populaires initiées sans l'appui des puissants et même souvent contre eux, comme par exemple la croisade des Pastoureaux en 1251.

En réalité la croisade des enfants n’a pas été menée que par des enfants. L'erreur provient d'une traduction du mot latin « pueri » qui, outre « enfants » aux sens strict, peut signifier « les enfants de Dieu » ou « des hommes se trouvant en état de pauvreté ».

Cette dernière acception semble plus appropriée, car on voit dans les archives des auteurs insister sur la misère des pèlerins. Les partisans seraient donc surtout des paysans pauvres.

Sommaire

[modifier] Contexte

Contaminés par la folie religieuse, qui s’est répandue à cette époque-là dans toute l’Europe, et après deux échecs des croisés dans le but de libérer la Terre sainte des mains des Turcs seldjoukides, les plus pauvres sont persuadés d’être le peuple élu, et que les puissants ont échoué lors des croisades passées à cause de leurs moeurs immorales et de la culpabilité qu’ils portent ainsi sur leurs épaules.

Au début de l'année 1212 cet état d'esprit est exacerbé par les processions qui sont organisées dans l'Europe chrétienne pour soutenir les chevaliers engagés dans la péninsule Ibérique dans des combats contre les Sarrasins qui aboutiront à la bataille de Las Navas de Tolosa le 16 juillet.

C'est à cette occasion qu'apparaissent deux jeunes personnages : Nicolas en Allemagne et Étienne de Cloyes en France qui prétendent avoir reçu un message de Dieu les appelant à réunir une troupe pour libérer Jérusalem. Les sources parlent d’un enthousiasme devenant presque déjà fanatique dont les partisans sont enflammés.

Les deux chefs de la croisade pensaient qu'ils seraient conduits par Dieu à Jérusalem pacifiquement et que la mer Méditerranée s'ouvrirait pour leur laisser le passage jusqu'en Terre sainte.

[modifier] Cortège allemand

[modifier] Nicolas

La croisade des enfants en Allemagne prend ses sources sur la place de la cathédrale de Cologne. Un jeune berger, appelé Nicolas, qui a entre 12 et 14 ans y prononce de longs discours. Il doit vraiment être un orateur très éloquent, parce qu'en peu de temps, une foule se rassemble autour de lui pour écouter ses paroles. Nicolas affirme qu’un ange est venu lui demander d’aller délivrer la Terre sainte des mains des musulmans. Bientôt toute la région de Cologne connaît la présence de ce jeune garçon et en quelques jours Nicolas a rassemblé plusieurs milliers d’enfants et d’adultes autour de lui. Il leur promet un miracle : La Méditerranée se fendra devant eux quand ils atteindront Gênes, leur permettant d'atteindre la Terre sainte à pied. Ceux qui l’entendent sont tellement fascinés par ses visions qu’ils ne le quittent plus, bien que personne ne connaisse son origine.

Nicolas ne reste pas longtemps à Cologne. Après quelques jours déjà il quitte la ville pour commencer la croisade. Ses nombreux partisans le suivent. Ce sont à peu près 20 000 croisés qui partent de la ville ; et le cortège trouve dans chaque ville de nouveaux partisans et grandit de plus en plus. Le nombre de ceux qui abandonnent avant le passage des Alpes est négligeable.

[modifier] Itinéraire

Après avoir quitté Cologne, le cortège marche sous la conduite de Nicolas le long du Rhin. Il traverse les villes situées le long du fleuve: Coblence, Mayence, Worms, Speyer...

Lors de leur passage à Coblence, la chronique d'un religieux tiré d'un témoignage d'un des survivants de la croisade raconte que le ciel s'embrasa et que Nicolas prit cela comme un encouragement envoyé par Dieu pour qu'ils continuent leur croisade. De récentes recherches ont été menées au Planétarium de Bochum où la configuration du ciel de 1212 a été reproduite. Les astronomes ont cherché si entre 1202 et 1220 un passage de comètes où une supernova avait eu lieu mais les résultats furent négatifs. La réponse se trouve sûrement dans l'apparition d'une aurore boréale souvent décrite à l'époque comme un symbole du Saint-Esprit.

Arrivés à Bâle, ils quittent le Rhin et continuent leur chemin en direction des Alpes. Après avoir traversé Berne, le cortège passe les Alpes au col du Mont-Cenis.

Comme les « croisés » sont surtout des pauvres hommes, la situation pendant leur marche est misérable. La plupart des partisans n’ont pas de chaussures, ils n’ont apporté ni à manger, ni à boire. Grâce aux nombreux ruisseaux devant lesquels le cortège passe, ils ont la possibilité d’assouvir leur soif. Mais en ce qui concerne la nourriture, tout le cortège est dépendant de la générosité des habitants des villages qu’ils traversent.

De nombreux habitants se sentent honorés par le passage du cortège devant leur village, mais il ne leur est pas permis d’y entrer de peur des maladies. Les habitants leur donnent quand même le plus de nourriture possible, mais cette année là, les moissons n’ont pas été très fructueuses. Même les plus grandes villes ont des difficultés à nourrir la troupe de 20 000 hommes pendant quelques jours. Les partisans n’arrivent donc pas à calmer leur faim. La faim et la maladie causent déjà des morts au moment où le cortège est encore en Allemagne.

Mais le nombre de décès augmente fortement lors du passages des Alpes. Cette traversée est d’une durée extrêmement longue, parce que le cortège doit escalader les chemins pierreux sans chaussures. Le besoin en nourriture augmente donc tandis que la quantité baisse. Il y a de plus en plus d’épidémies et de morts de fatigue ou de froid. Plusieurs d’entre eux perdent aussi la vie à cause de mauvaises conditions météorologiques, d’avalanches ou de chutes de pierres.

Au final lors du passage des Alpes plus des trois quarts des croisés meurent. Sur les 30 000 partisans du début, il ne restent que 7000 à leur arrivée en Italie. Cette traversée a donc coûté la vie à environs 23 000 hommes, femmes et enfants.

[modifier] Fin de la croisade

Quand les « croisés » atteignent Gênes, ils s'attendent à ce que la mer se fende devant eux comme comme cela avait été promis par Nicolas. Mais malgré toutes leurs prières, le miracle ne se produit pas. L’entrain des pèlerins disparaît tout d’un coup. A ce moment-là plusieurs d’entre eux, ayant perdu tout espoir concernant la réussite de leur croisade, tentent de retourner chez eux. Cela signifie affronter à nouveau la traversée des Alpes. La plupart abandonnent sur le chemin du retour et sont engagés comme travailleurs mal payés, d’autres meurent de maladie et de faim. Ceux qui parviennent à revenir en Allemagne sont accueillis avec des moqueries.

Nicolas, qui n’a pas encore abandonné, est toujours accompagné par un millier de partisans. Il traverse Pise, une centaine de pèlerins parviennent à s'embarquer sur deux bateaux pour la Terre Sainte. On ne sait pas s’ils ont pu y arriver. Avec les mille « croisés » qui lui restent Nicolas continue à marcher à travers l’Italie. Le cortège se disperse de plus en plus, ceux qui ne restent pas dans les villes ou villages meurent de maladies ou sont tués par des bandits. Enfin un grand nombre de femmes sont vendues à des maisons closes et les hommes sont vendus comme esclaves.

Ce qui arrive alors à Nicolas est incertain. La plupart des chroniques ne l’évoquent pas. Quelques-uns disent qu’il a atteint la Terre Sainte, y a combattu pendant la 5e croisade et qu’il est ensuite retourné à Cologne comme homme riche. Mais ce-ci n’est certainement qu’une légende.

[modifier] Cortège français

[modifier] Étienne

Étienne de Cloyes, le meneur de la croisade des enfants française, provient du village Cloyes-sur-le-Loir, situé au sud de Paris dans l'Orléanais. Il a 12 ou 15 ans : dans ce cas les chroniqueurs sont en désaccord. Il vit dans une famille pauvre et est obligé de travailler dans les champs, d’aider pour garantir l’alimentation et la survie de la famille. Étienne est un garçon très sage et religieux, ce qui ne représente pas une rareté à cette époque-là.

Étienne prononce pour la première fois ses discours appelant pour la croisade à Vendôme, une ville près de son village natal. Lui aussi semble être très éloquent et arrive à convaincre rapidement un grand nombre d’enfants et d’autres religieux.

Étienne part avec une petite partie de ses partisans pour Paris dans le but d’obtenir l'aide du roi Philippe II de France pour leur projet. De nombreux autres adeptes sont envoyés comme ambassadeurs dans tout le Nord de la France pour propager l’appel pour la croisade. En Lorraine et en Bourgogne, cet appel connaît un grand succès.

À Paris, Étienne est vu comme un vrai prophète, ce qui lui donne aussi droit à une audience devant le roi Philippe. Or celui-ci n’a pas du tout l’intention de donner sa bénédiction à cette croisade et leur demande de retourner chez eux. Mais environ 30.000 partisans se rassemblent en juin 1212 à Vendôme, pour rejoindre Marseille, où la mer, d’après les promesses d’Étienne, s'ouvrira devant les croisés.

[modifier] Itinéraire

Le lieu de départ de la croisade française se trouve à Vendôme. Les croisés partent pour Tours tout en suivant le courant de la Loire, traversant Bourges et Nevers jusqu’à ce qu’ils arrivent à Lyon. À partir de là, les croisés passent le long du Rhône jusqu’à Avignon.

Dans cette ville, les pèlerins rencontrent des troupes de croisés en train de se diriger vers l’Occitanie, le « pays des hérétiques », pour renforcer les armées du duc Simon de Montfort et de l’abbé Amalrich de Citeaux qui essaient depuis 1209 de décimer les cathares par le « feu et l’épée » . C’est à ce moment-là que les pèlerins prennent conscience de la différence il y a entre eux et ces croisés armés de la tête aux pieds.

D’Avignon les croisés passent par le delta du Rhône pour arriver enfin à Marseille. Si le cortège français n'eut pas à affronter des obstacles naturels meurtriers, les famines, maladies et épidémies ont fait ici aussi augmenter le nombre de décès.

[modifier] Fin de la croisade

Arrivé à Marseille, les survivants de cet immense pèlerinage espèrent voir le miracle qui allait ouvrir les eaux de la Méditerranée. Mais il ne se produira pas. Néanmoins ils ne considérèrent pas leur « guide » Étienne comme un charlatan et continuèrent leur prière.

Après quelques jours d’attente, entre désespoir et malheur, deux commerçants de Marseille proposent leur aide aux pèlerins : ils sont prêts à affréter sept bateaux pour atteindre la Terre-Sainte. Comme Hugues Ferreus et Guillaume de Posqueres possèdent des sièges commerciaux à Acre, leur propre flotte et ont bonne réputation à Marseille, les marchands gagnent la confiance d’Étienne et de ses partisans qui interprètent cette promesse comme un signe envoyé par Dieu.

À la fin du mois d’août les bateaux se dirigent avec 7000 croisés à bord vers Jérusalem. Mais les deux commerçants n'ont pas l’intention de les amener jusqu’à la Terre Sainte ; ils ont prévu une autre destination. Arrivés en pleine mer, les jeunes croisés sont enfermés dans les cales par les marins qui s'avérèrent être des marchands d'esclaves.

Les survivants de la longue route jusqu’à Marseille doivent encore supporter l’enfer sur les bateaux des commerçants : ils sont tout le temps entassés comme des bêtes sous le pont, où il ne reste presque plus d’air pour respirer. Comme les bateaux sont tous surchargés, une alimentation suffisante ne peut pas être garantie. La puanteur provenant des excréments devient insupportable, les infections et les épidémies se propagent parmi les pèlerins comme la peur de leur futur. Une fois de plus la faim et la maladie font des ravages dans les rangs des croisés.

Après deux jours à bord de la flotte des marchands, une tempête éclate sur la mer et projette deux bateaux aux écueils de l’île San Pietro juste avant la côte sud-ouest de la Sardaigne. Tous les passagers et l’équipage trouvent la mort. Une chapelle est le seul témoignage qui reste de leur passage sur l’île.

Les cinq autres bateaux survivent au grand orage et se dirigent vers la côte algérienne à Bougie. Dans ce port et plus tard à Alexandrie, les croisés français sont vendus comme esclaves aux arabes. 400 d'entre eux furent vendus à un calife qui les traita bien et leur laissa la liberté religieuse, les autres n'eurent pas cette chance et beaucoup périrent en refusant d'abjurer la foi chrétienne.

D’après les chroniqueurs, très peu de pèlerins ont réussi à retourner dans leur villages natals.

[modifier] Bilan

Les croisades des enfants sont des évènements tragiques. Les pèlerins n’ont jamais atteint leur destination, la Terre-Sainte. Elle échoue comme les deux croisades précédentes (3e et 4e). Le nombre de morts, environ 50 000, est énorme et le destin des survivants, qui sont surtout vendus comme esclaves, est aussi malheureux que triste. La simultanéité des deux croisades, partant de l’Allemagne et de la France est très troublante, car on ne connaît pas de lien entre leurs origines. C’est aussi du au manque de sources et de témoins oculaires. C’est pourquoi ce cortège tombe de plus en plus dans l'oubli.

Cette histoire a inspiré à Marcel Schwob l'un de ses livres les plus connus, La Croisade des enfants (1895). Elle a également inspiré Thea Beckman, une écrivaine Néerlandaise, pour son livre "Kruistocht in spijkerbroek" (Croisade en jeans).

Une croisade d'enfants est également peut être à l'origine de la légende du Joueur de flûte de Hamelin.

[modifier] Point de vue de l’Église

Il y a eu dès le début une forte polarisation des opinions dans les régions traversées par les croisades des enfants. Au départ les adeptes des croisades les interprètent comme un « miracle divin ». Mais après leur échec, les personnes qui désapprouvaient ces idées de cortège sont majoritaires. Elles considèrent les pèlerins comme des escrocs. Il existe cependant peu de chroniques contemporaines.

Dans les textes qui furent écrits plus tard, on peut observer deux prises de positions bien distinctes : les membres de communauté religieuse ayant choisi de vivre dans la pauvreté vantent le mérite de ces jeunes enfants ayant une foi inébranlable ; documents émanant des ordres ascétiques et mendiants sont souvent interprétées comme des appels à la noblesse et au clergé : « regardez ce que ces pauvres paysans font et nous, nous dormons ! »

Pour les conservateurs, cardinaux et évêques, le ton est tout autre, selon eux l'insouciance de ces jeunes gens est difficilement compréhensible et ils critiquent ce mouvement qui n'avait aucune chance de réussir. Il est donc difficile de trouver des témoignages neutres sur cet évènement oublié.

[modifier] Sources historiques

Il existe peu de témoignages sur cet évènement oublié. Un survivant de la croisade allemande raconta son histoire à un religieux. C'est une des seules chroniques qui existent sur cet évènement avec celle d'un religieux qui décrit l'arrivée des jeunes français à Marseille et leur capture par des marchands d'esclaves.

Le fait même que cette croisade ait été menée par des enfants est aujourd'hui controversé: les documents d'époque utilisent le terme latin "pueri", qui signifie généralement enfant, mais peut aussi être traduit par pauvre. Or ces mêmes documents soulignent la pauvreté des participants, mais pas leur âge. Il pourrait donc s'agir d'une Croisade des pauvres, devenue Croisade des enfants suite à une traduction malencontreuse.

[modifier] Liens externes