Quatrième croisade

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La quatrième croisade est une campagne militaire qui fut lancée de Venise en 1202. Elle avait été levée à l'origine en vue de conquérir l'Égypte, mais la croisade fut détournée par les Vénitiens et aboutit à la prise de Constantinople par les croisés et à la fondation de l'Empire latin d'Orient en 1204.

Sommaire

[modifier] Appel à la croisade

En 1198, six ans seulement après la précédente, le pape Innocent III appela à une nouvelle croisade ; l'appel fut ignoré par les seigneurs européens. En effet, après l'échec de la précédente croisade, l'Europe était réticente à engager une autre campagne militaire contre les musulmans. Les Germaniques luttaient contre le pouvoir papal et l'Angleterre et la France se livraient une guerre entre elles.

Néanmoins, grâce au prêche de Foulques de Neuilly, une armée croisée fut finalement organisée lors d'un tournoi se déroulant à Écry, aujourd'hui Asfeld par le comte Thibaut III de Champagne en novembre 1199. Thibaut en fut élu commandant mais mourut le 24 mai 1201 et fut remplacé par un comte italien, Boniface de Montferrat. Boniface et les autres chefs envoyèrent leurs émissaires, dont l'historien Geoffroi de Villehardouin, à Venise, Gênes et dans d'autres villes-états, pour négocier un contrat de transport jusqu'à l'Égypte. En effet, les souverains d'Europe avaient acquis la conviction que l'empire byzantin était hostile à leur cause, aussi préféraient-ils dorénavant lancer leur croisade directement en terre musulmane, sans passer par Constantinople. Par ailleurs, l'Égypte était une des plus riches provinces d'Orient, et sa conquête devait porter un coup fatal aux musulmans. Gênes déclina l'offre, mais la République de Venise, qui était la principale puissance maritime de Méditerranée, accepta d'affréter le nombre suffisant de navires pour transporter 30 000 croisés, un nombre considérable.

[modifier] Dette des croisés aux Vénitiens

Dandolo prêchant la croisade. Gustave Doré
Dandolo prêchant la croisade. Gustave Doré

Au cours de l'été 1202, l'armée croisée se réunit à Venise, bien que beaucoup moins nombreuse que prévue. Les Vénitiens étaient dirigés par le vieux (et peut-être aveugle) doge de Venise, Enrico Dandolo. Ce dernier refusa que les navires quittent le port sans que les croisés aient versé la totalité du montant prévu, qui était de 85 000 ducats d'argent. Les croisés ne purent en verser que 51 000, et durent même pour y arriver en être réduits à la plus extrême pauvreté. Les Vénitiens reléguèrent les croisés sur le Lido pour décider de la suite à donner aux événements.

Finalement, Dandolo accepta de reporter la dette, en échange de quoi la puissante armée devait reprendre le port de Zara (maintenant Zadar en Croatie), une ancienne possession vénitienne en Dalmatie, pour le compte de Venise. Dandolo fit grand bruit de son allégeance à la croisade durant une cérémonie ayant lieu à la basilique Saint-Marc de Venise. Cela fait, il dirigea la flotte croisée contre la ville portuaire hongroise. Ils y arrivèrent la nuit du 11 novembre et projetaient d'y passer l’hiver, car Dandolo ne les avaient pas laissé quitter Venise à la belle saison[1]. Mais le roi hongrois Émeric était lui-même catholique et avait aussi accepté de rejoindre la croisade. De nombreux croisés furent opposés à cette attaque fratricide et certains rentrèrent chez eux, dont une division commandée par Simon IV de Montfort. Les citoyens de Zara pendirent des bannières portant des croix à leurs fenêtres pour montrer qu'ils étaient également catholiques. Les croisés assiégèrent quand même la ville et la prirent. Les Vénitiens et les croisés furent immédiatement excommuniés pour cet acte par le pape Innocent III.

[modifier] Détournement de la croisade vers Constantinople

Boniface, qui dirigeait la croisade, avait cependant quitté la flotte avant son départ de Venise et rendit visite à son cousin Philippe de Souabe. Les raisons de cette visite sont sujet à débats : il avait peut-être compris les plans vénitiens et avait tenté d'éviter l'excommunication. Peut-être voulait-il plutôt rencontrer Alexis IV Ange, beau-frère de Philippe et fils de l'empereur byzantin Isaac II Ange, réfugié chez Philippe après l'usurpation du trône par son oncle Alexis III Ange. Isaac II avait en effet été dépossédé en 1195 par son propre frère et était gardé prisonnier dans les geôles de Constantinople, il avait de plus été aveuglé.

Alexis fit à Boniface une proposition alléchante : le paiement de la dette des croisés à Venise contre une aide pour récupérer le trône de Byzance. Peut-être Boniface se rappelait-il aussi de son propre frère, Conrad de Montferrat, qui avait épousé une des filles de l'empereur byzantin Manuel Ier Comnène, somptueusement dotée bien sûr, mais avait dû quitter l'empire vers 1190, suite à quelques scandales. Alexis et Boniface rejoignirent donc ensemble la flotte croisée à Corfou, que les croisés avaient ralliée après la prise de Zara. Les Vénitiens furent ravis de l'idée d'Alexis, car ils étaient en conflit ouvert avec leurs anciens suzerains les Byzantins depuis 1182, lorsque leur comportement commercial et religieux à Constantinople avait déclenché des émeutes populaires qui coûtèrent la vie à de nombreux marchands occidentaux, dont une bonne partie était des Vénitiens.

Les croisés n'étaient pas tous enclins à se battre contre d'autres chrétiens, mais furent convaincus par le clergé catholique que les Byzantins orthodoxes étaient aussi mauvais que les musulmans (outrés par les pillages des croisés, les Byzantins avaient négocié une trêve avec Saladin lors de la troisième croisade, et n'avaient pas fait assez, selon les croisés, pour aider la deuxième croisade): ils devaient donc être punis pour leur tiédeur. Alexis IV était, quant à lui, persuadé d'être accueilli en libérateur ; malheureusement pour lui, les citoyens de Constantinople préféraient un usurpateur bon administrateur à un empereur soutenu par des étrangers. Les croisés et les Vénitiens décidèrent de le placer sur le trône manu militari et un assaut par voie maritime eut lieu en 1203. Étrangement, Alexis III paniqua devant l'armée des croisés et s'enfuit, laissant femmes et enfants dans la ville. Le peuple de Constantinople dut accueillir de mauvaise grâce Alexis IV, qui fut couronné empereur. Son père, Isaac II fut libéré des geôles et installé co-empereur.

[modifier] Guerre civile entre Byzantins et Latins

Les croisés étaient opposés à l'accession au trône d'Isaac II : ils ne l'avaient jamais vu, il ne faisait pas partie du marché, et il avait auparavant négocié avec Saladin. Cependant, les citoyens byzantins ne voulaient pas d'Alexis comme seul souverain, car ils ne lui faisaient pas confiance, et il entendait puiser dans le trésor public pour payer ses dettes à l'égard des croisés. De plus, Isaac II réalisa que son frère avait vidé les coffres de Byzance en quittant de trône, ce qui força Alexis IV à revenir sur les termes du marché qu'il avait proposé aux croisés.

Dans ce climat tendu, une véritable guerre civile commençait à éclater, car les citoyens de Byzance supportaient très mal le comportement d'occupants des « Latins » dans leur ville. De leur côté ceux-ci étaient choqués de trouver dans la ville chrétienne des synagogues, des mosquées ayant pignon sur rue, et aussi des juifs et des musulmans se promenant librement et parfois en armes, comme les chrétiens. Côté moeurs et idées aussi, les différences étaient mal perçues des deux côtés : les croisés trouvaient les Byzantins efféminés et schismatiques, tandis que les Byzantins trouvaient les croisés sales, malodorants, brutaux et hérétiques (question du filioque et interprétation politique du statut de primus inter pares du pape). Les opposants anti-occidentaux provoquaient fréquemment les croisés qu'ils trouvaient sur leur route, des bagarres ne cessaient d'éclater, il y eut des morts et Alexis fut forcé de demander à ses alliés de lever le camp pour s'installer de l'autre côté de la Corne d'Or (l'estuaire qui divise Constantinople en deux). Les affrontements ne cessèrent pas pour autant, et s'aggravèrent même: pendant une attaque croisée sur une mosquée, une grande partie de Constantinople fut brûlée. Une révolution contre Alexis IV se prépara alors et le chef de l'opposition anti-occidentale, Alexis Doukas, prit le pouvoir et se fit couronner empereur Alexis V. Alexis IV fut étranglé et son père Isaac II mourut également dans les jours suivants, probablement d'infarctus.

[modifier] Deuxième assaut contre la ville

L'entrée des croisés à Constantinople, huile d'Eugène Delacroix (1840)
L'entrée des croisés à Constantinople, huile d'Eugène Delacroix (1840)

Les croisés et les Vénitiens, enragés par le meurtre de leur protecteur, attaquèrent de nouveau la ville en 1204. Alexis V, qui avait une armée beaucoup plus grande mais moins entraînée, envoya ses troupes à l'extérieur des murs pour un assaut total sur les croisés. Ces derniers furent pris de panique et s'armèrent de tout ce qu'ils purent trouver, mais l'armée d'Alexis V fit demi-tour et rentra dans la ville. Il est possible que ses fantassins aient eu peur des chevaliers occidentaux qui les avaient déjà vaincus lors d'escarmouches ; cela dit, la cause réelle de ce repli est inconnue. Contre l'avis du pape Innocent III, les croisés attaquèrent par terre pendant que les Vénitiens rompaient la lourde chaîne qui barrait l'accès à la Corne d'Or, avant de lancer un assaut maritime. Les Varègues, qui constituaient la garde impériale, luttèrent aux côtés de l'armée d'Alexis V, mais Alexis lui-même prit la fuite à la nuit tombée.

Les croisés creusèrent des trous dans les murs, ce qui permit aux chevaliers de pénétrer l'enceinte ; les Vénitiens arrivèrent également à détruire les remparts par la mer, mais durent payer un lourd tribut en vies humaines aux Varanges. Les croisés s'emparèrent de la partie nord-ouest de la ville autour du palais des Blachernes et l'utilisèrent comme base pour mener l'assaut contre le reste de la ville. Ils se défendirent en créant un mur de feu, mais le feu se propagea pour causer un incendie encore plus terrible que le premier. Les croisés furent finalement victorieux, mais considérés par les citoyens byzantins comme des usurpateurs. Les occidentaux n'en eurent cure et mirent la ville à sac pendant trois jours, au cours desquels de nombreuses œuvres d'art furent volées ou détruites. Les quatre chevaux qui ornent la basilique Saint-Marc à Venise sont un des nombreux témoignages du sac de Constantinople.

[modifier] Partage de l'empire byzantin et affaiblissement de la papauté

Les Vénitiens et les seigneurs croisés se partagèrent l'essentiel de l'empire byzantin selon un traité conclu entre les deux parties ; ce fut la naissance de l'Empire latin de Constantinople. Boniface ne fut pas élu empereur, bien que de nombreux croisés le considérassent comme tel ; les Vénitiens le pensaient trop proche de l'ancien empire à cause du mariage de son frère, et installèrent le franc Baudouin VI de Hainaut (Baudouin IX de Flandres) sur le trône. Boniface fonda le royaume de Thessalonique, un État vassal du nouvel Empire latin. Marco Sanudo, un Vénitien fonda le duché de Naxos dans la Mer Égée, avec l'aval de la République qui se constitua un vaste empire colonial constitué de comptoirs situés tout le long de la voie maritime entre Venise et Constantinople.

Tout l'Empire byzantin n'avait cependant pas été conquis par les croisés. Les familles impériales byzantines fondèrent dans les territoires restées sous leur contrôle leurs propres États: l'Empire de Nicée dirigé par Théodore Ier Lascaris, le despotat d'Épire dirigé par la dynastie des Anges, et l'empire de Trébizonde dirigé par la dynastie des Comnènes.

La quatrième croisade avait complétement échappé au pouvoir de la papauté qui en était à l'origine. Cette dernière perdit par la suite beaucoup de son pouvoir politique au profit des monarques européens en général et de l'empereur romain germanique en particulier. La République de Venise en revanche se renforça considérablement et tira le meilleur parti de cette quatrième croisade, au dépend de l'empire byzantin. Les croisades suivantes seront effectuées par des monarques séculiers.

[modifier] Notes

  1. Robert de Clari, La Conquête de Constantinople, XIV

[modifier] Liens externes