Apostrophes

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Apostrophes était une émission de télévision littéraire française créée et animée par Bernard Pivot chaque vendredi soir à 21h30 sur Antenne 2 entre le 10 janvier 1975 et 22 juin 1990.

Sommaire

[modifier] Principe de l'émission

L'émission consistait en la présentation de romans et d'essais par leurs auteurs et par l’animateur ainsi qu'en un débat. Quelques Grands Entretiens introduisent un peu de variété dans la formule.

Elle connut quelques moments forts, lui donnant un grand impact médiatique :

  • Les Grands Entretiens qui présentèrent au petit écran des personnalités alors peu connues du grand public mais consacrées par leurs pairs (Claude Lévi-Strauss, Georges Dumézil, Jorge Luis Borges...). Pivot délaissait alors le studio habituel d'Apostrophes (il y en eut trois en quinze ans) et le cadre de l'émission-débat pour une formule plus intime et plus simple. Les contraintes de réalisation y étaient plus grandes (l'exiguité des lieux rend difficile les travellings et autres champs-contre champs dont Apostrophes était friand) mais l'émission gagnait en légitimité culturelle (auprès des institutions culturelles qu'elle met en lumière, des pouvoirs publics, de la direction d'Antenne 2) ce qu'elle perdait en spontanéité (ces Grands Entretiens étaient diffusés en différé alors que le direct chez Pivot représente à l'ordinaire un atout majeur puisqu'il empêche toute censure). En tant que fervent lecteur, Pivot n'avait pas son pareil pour mettre en lumière les aspects les plus accessibles et les plus attractifs d'une œuvre. L'illustre invité, mis en confiance par des questions presque banales mais énoncées sur un ton courtois et un respect non feint, pouvait alors séduire son public par le velours de sa voix, ses silences, les épisodes marquants de sa vie, les reliefs changeants de son œuvre.
  • 1983 : Éreintement de Maria-Antonietta Macciocchi (De la Chine, 1970) par Simon Leys (Ombres chinoises, 1976) : «  Il est normal que les imbéciles profèrent des imbécillités comme les pommiers produisent des pommes, mais moi qui ai vu chaque jour depuis ma fenêtre le Fleuve jaune charrier des cadavres, je ne peux accepter cette présentation idyllique par madame de la Révolution culturelle. » Dès le lendemain de l'émission, les ventes du livre de Maria Antonietta Macciochi s'effondrent et son prestige singulièrement terni. Un "effet Apostrophes" à rebours de celui escompté...
  • 1982-1983 : Controverse entre Bernard Pivot et Régis Debray. Régis Debray, alors conseiller de François Mitterrand, Président de la République française, dénonce l'ascendant pris par Apostrophes sur la vie intellectuelle en France. Bernard Pivot, qui songeait alors à arrêter l'émission, après quelques signes de lassitude, contre-attaque et décide de poursuivre l'aventure. 1983 correspond à l'apogée d'Apostrophes en terme d'audience (avec des parts de marché dépassant les 12% de téléspectateurs dans son créneau horaire) mais aussi à celle d'Antenne 2 (devenue cette année-là la chaîne de télévision la plus regardée de France devant TF1).
  • 22 septembre 1978 : vif échange entre Cavanna et Charles Bukowski, ivre mort, qui quittera le plateau en titubant après avoir caressé le genou de Catherine Paysan.
  • Bernard Pivot assurant que Paul-Loup Sulitzer ne serait pas l'auteur de ses propres livres.
  • Agression physique de Marc-Édouard Nabe par Georges-Marc Benamou lors du cocktail suivant une émission (1985).
  • Dispute entre Pierre Guyotat et Benoite Groult (1980). Dispute entre Françoise Renaudot et Elisabeth Badinter (1980).

Le dispositif de l'émission n'est pas aussi fixe qu'il n'y paraît : durant les premiers numéros, il a à ses côtés Gilles Lapouge, chroniqueur d'Ouvrez les Guillemets, présente par la suite seul l'émission littéraire, ce qui en soi, rompt avec la tradition établie du ou des producteurs entourés de ses chroniqueurs. Tirant parti des oppositions idéologiques de la guerre froide, il organise des débats tranchants qui prolongent l'action entreprise par lui dès 1973 : réception des intellectuels soviétiques dissidents à la télévision française (comme Soljenitsyne), mise en minorité des intellectuels engagés (comme Sartre déconsidéré lors de l'émission qui lui est consacrée suite à sa mort en 1980), primauté accordée aux "Nouveaux philosophes" (autour de Bernard-Henri Lévy). Fondant sa réussite sur la rencontre entre les débats de société et la littérature ouverte au plus grand nombre, Pivot offre à des personnalités un appui de bon aloi. Le 10 février 1975, François Mitterrand surprend son auditoire par la qualité de ses lectures et de sa veine littéraire. Valéry Giscard d'Estaing invité en 1979 n'aura pas le même bonheur. Outre, le traditionnel débat, Apostrophes consacre très tôt des "Grands Entretiens" aux figures du monde littéraire que Pivot souhaite distinguer, tel Vladimir Nabokov dès 1975.

Apostrophes fut remplacé par Bouillon de culture, produite par Bernard Pivot, le 12 janvier 1991.

[modifier] Spécificité d'Apostrophes en tant que médiateur culturel

L'expérience réussie de Bernard Pivot avec Ouvrez les guillemets, la renommée acquise comme critique littéraire au Figaro littéraire montrent chez celui-ci une conjonction rare : celle d'un très bon lecteur et d'un homme de télévision à l'affût des dispositifs les plus porteurs (présentateur unique, débats de société ou politiques, augmentation de la publicité à la télévision). L'effet Pivot réside d'abord dans la plus-value accordée à l'ouvrage présenté à Apostrophes. Une prestation honorable de l'auteur associée à une belle mise en place dans le rayon Apostrophes suscitent souvent une augmentation spectaculaire à la grande joie des professionnels du livre mais au dam de certains intellectuels (comme Régis Debray, voire Pierre Bourdieu, confronté à Fernand Braudel le 21 décembre 1979) et d'écrivains (Julien Gracq qui refusera toujours d'apparaître sur le plateau d'Apostrophes).

Outre sa longévité, la variété de ses invités, les écoles qu'elle a révélées (Nouvelle Histoire, Nouveaux intellectuels…), Apostrophes a surtout coincidé avec une embellie culturelle : relais de la diplomatie culturelle française, elle est enviée par l'intelligentsia new yorkaise qui suit dès le milieu des années 1980 sa retransmission via la câble. Les Américains figurent en bonne place parmi les invités de Pivot : (Susan Sontag, Norman Mailer, Robert Darnton), rompus aux règles de l'exercice télévisuelle et admiratifs de la médiation culturelle assurée par le petit écran.

En un sens, Apostrophes participe de l'exception culturelle française et incarne une forme originale de résistance à la progression de la télévision commerciale durant les années 1980.

[modifier] Quelques références bibliographiques

  • « Littérature et télévision », dans Dossiers de l'audiovisuel, no  29, janvier-février 1990
  • Edouard Brasey, L'effet Pivot, Ramsay, Paris, 1987
  • Jean-Noel Jeanneney, L'Echo du siècle. Dictionnaire de la radio-télévision, Hachette Littératures, Paris, 1996. Une bible de l'audiovisuel réalisée par un collectif de chercheurs sous l'égide de l'actuel président de la BNF, rapporteur du projet de loi sur le dépôt légal de l'image animée en 1992 et l'un des pionniers de l'histoire des médias en France. Reportez-vous, entre autres à la notice consacrée à Bernard Pivot et à la brève synthèse réalisée par Yannick Dehée sur les magazines littéraires à la télévision.
  • Rémy Rieffel, La tribu des clercs. Les intellectuels sous la Ve République, CNRS Editions, Paris, 1993
  • Michel Winock, Jacques Julliard, Dictionnaire des intellectuels français, Le Seuil, Paris, 1998. Parmi les nombreux articles, reportez-vous à celui rédigé par Jérôme Bourdon et intitulé : « Télévision : émissions littéraires ».
  • Bernard Pivot, Le métier de lire. Réponses à Pierre Nora : d'Apostrophes à Bouillon de culture, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 2001
  • Michel Trebitsch, « Les Intellectuels au micro », [lire en ligne]
  • Frédéric Delarue, Les intellectuels et la télévision : les émissions littéraires à la télévision française des origines à nos jours, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (thèse d'histoire comtemporaine), 2003-

[modifier] Anecdote

L'émission Apostrophes succèda à l'émission Italiques (ORTF) produite et animée par Marc Gilbert .

[modifier] Lien externe

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