Alexandre Kojève

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Alexandre Kojève (de son vrai nom Александр Владимирович Кожевников), né à Saint-Pétersbourg le 28 avril 1902 et mort à Bruxelles le 4 juin 1968, est un philosophe français d'origine russe qui a renouvelé l'étude de Hegel en France. Hegel avait été introduit en France par les efforts de Victor Cousin, au XIXe siècle. Mais on peut dire que c'est à Kojève que l'on doit la place éminente qu'occupe Hegel en France aujourd'hui.

Kojève occupe une place assez singulière dans la philosophie française du XXe siècle, puisqu'il est celui par qui Hegel va être lu par les élites françaises, grâce aux cours qu'il assurera de 1933 à 1939 à l'École pratique des hautes études à Paris (où il remplace Alexandre Koyré) et qu'il abandonne toute activité d'enseignement après la guerre pour occuper un poste stratégique au Ministère de l'Économie et des Finances, où il tiendra le GATT sur les fonts baptismaux. Personnage controversé et mystérieux (il est soupçonné d'avoir longtemps été un agent soviétique), Kojève reste une figure importante dans la réflexion sur la philosophie politique.

Sommaire

[modifier] Biographie

Né en Russie dans une famille très aisée (sa mère lui enverra longtemps de l'argent après la révolution de 1917), avec pour oncle le peintre Kandinsky. Étudiant à Berlin dès 1920, il y rencontre Alexandre Koyré, Leo Strauss, et beaucoup d'autres étudiants qui deviendront plus tard des intellectuels de premier plan. Après une thèse sur Soloviev avec Karl Jaspers, Alexandre Kojève vient en France (il sera naturalisé en 1937), où il achève de perdre sa fortune du fait de mauvais placements financiers. Contraint de trouver du travail, il va donner des conférences sur la Phénoménologie de l'Esprit de G.W.F. Hegel à l'École pratique des hautes études à Paris de 1933 à 1939. Ces conférences seront suivies par Raymond Queneau, Georges Bataille, Jacques Lacan, André Breton et Raymond Aron. On raconte que le public était si peu nombreux (quoique fidèle), qu'il fallait faire venir les épouses et les époux, afin que le quota d'auditeurs soit atteint.

Après la Seconde Guerre mondiale, période pendant laquelle il se trouve à Marseille avec Léon Poliakov et Nina Ivanoff (et où il écrit son texte sur La notion d'autorité, en 1942) et où il participe à un maquis basé à Gramat, près de Souillac, dans le sud de la France, Kojève est désœuvré.

Il est recruté à la fin de la guerre à la Direction de la recherche et des études économiques (DREE) par Robert Marjolin, auditeur en 1938 et 1939 du fameux séminaire (1933-1939) à l'École pratique des hautes études sur La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel. Il fut secrétaire de l'Organisation européenne de coopération économique (OECE) à partir de 1948. Toute sa seconde carrière consista, jusqu'à sa mort survenue à Bruxelles lors d'une réunion du Marché commun, à conseiller les gouvernements français sur les dossiers les plus importants. Il jouera un rôle non négligeable en 1950 dans les suites du plan Schuman concernant le programme de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). Il occupera une position de premier plan dans toutes les négociations internationales, à la CNUCED ou au GATT.

Tombe de Kojève au cimetière d'Evere (Bruxelles).
Tombe de Kojève au cimetière d'Evere (Bruxelles).

Il abandonne ainsi une carrière universitaire vacillante et tout en poursuivant sa réflexion philosophique, il change d'orientation professionnelle. C'est lors de l'une des réunions internationales qu'il meurt en juin 1968 à Bruxelles, d'une crise cardiaque. Il est inhumé non loin du siège de l'OTAN.

[modifier] Œuvre

Les conférences de Kojève sur la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel sont publiées en 1947 sous le titre : Introduction à la Lecture de Hegel. C'est semble-t-il son ouvrage le plus connu (plus précisément, il ne s'agit pas, stricto sensu, d'un ouvrage ; c'est Raymond Queneau qui en a rédigé la plus grande partie, à partir des notes prises lors du séminaire, ainsi que quelques textes de A. Kojève lui-même). Il est le premier qui cherchera à combiner Marx, Hegel et Heidegger, et de ce fait il est regardé comme la plus importante source du radicalisme français d'après-guerre, aux côtés de Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Simone de Beauvoir, Frantz Fanon, etc., bien que les positions officielles de Kojève aient été le plus souvent marquées par la provocation (« Je suis le seul vrai stalinien », « je suis un dieu vivant », etc. étaient des formules qui ne faisaient pas peur à Kojève).

La lecture que Kojève fait de Hegel met l'accent sur la dialectique du maître et de l'esclave, tout en reformulant tout le système de Hegel autour du concept de Reconnaissance, central dans cette dialectique. La dialectique de la reconnaissance occupe seulement une petite section dans la Phénoménologie de l'Esprit, mais dans le premier ouvrage systématique de celui-ci, le Système de la Vie Éthique (1802), la reconnaissance joue un rôle central dans le développement de la médiation. Dans ce sens, on peut dire que Kojève expose de manière très puissante et très convaincante la pensée de Hegel.

Avec la montée des mouvements sociaux après la Seconde Guerre mondiale en Europe, ce thème de la reconnaissance va être l'axe central de la philosophie dite continentale. Kojève suit le mouvement de formation de la philosophie de Hegel depuis Aristote et Platon, et comprend la dialectique de Hegel comme l'accroissement du développement des produits objectifs de la culture humaine, plus que le résultat du travail de l'Esprit, cette dernière interprétation étant celle de Hegel. Kojève insiste sur la question de la fin de l'histoire et sur le fait que rien de nouveau ne peut véritablement surgir dans le monde - la réalité est devenue vraiment rationnelle. On peut penser rapidement que Kojève tira cette conclusion vers la pratique en abandonnant la philosophie et en consacrant le reste de sa vie à la planification économique.

Au moment du décès de Kojève, l'édition de l'Histoire raisonnée de la philosophie païenne est sur le point d'aboutir. Le premier des trois volumes paraît en 1968, le deuxième en 1973 et le dernier deux ans plus tard. Ces volumes proviennent des notes de lectures que Kojève avait faites surtout sur les philosophes du néo-platonisme. Son intérêt pour Soloviev, et en général pour le conflit entre philosophie et théologie l'avait préparé à lire les philosophes de l'Antiquité tardive avec un regard précis, en particulier sur l'empereur Julien, sur qui Kojève a écrit un texte impertinent, paru dans un volume d'hommages à Leo Strauss (L'empereur Julien et son art d'écrire). C'est d'ailleurs du fait de Leo Strauss, rencontré dans les années 1920 à Berlin (Strauss y travaille à die Akademie für die Wissenschaft des Judentums, sous la houlette de Julius Guttmann), que Kojève fait traduire et éditer en français, par l'entremise de Raymond Queneau, le commentaire de Strauss sur le Hiéron de Xénophon. Ce commentaire est suivi d'une réponse de Kojève, intitulée Tyrannie et Sagesse, réponse elle-même suivie d'une mise au point. Le volume paraît en 1954 sous le titre de De la Tyrannie. Les thèmes de la vie politique et de l'autorité tiennent une grande place dans les réflexions d'Alexandre Kojève : il n'est donc pas étonnant qu'il ait été en conversation avec Leo Strauss, dont c'est l'axe majeur de pensée. Strauss, dans sa correspondance, moque la tendance affichée du jeune Kojève à l'instabilité sentimentale et porte des critiques particulièrement sévères à l'endroit de certaines connaissances de Kojève, dont le philosophe Eric Weil ; Strauss et Kojève resteront en correspondance toute leur vie. Kojève avait tendance à mépriser les États-Unis, aussi ne fit-il véritablement jamais d'efforts pour y rencontrer son ami berlinois, qui y avait émigré, pour enseigner d'abord à New York, puis à Chicago. Celui-ci lui envoya cependant quelques élèves, notamment Allan Bloom et Stanley Rosen.

Le goût prononcé de Kojève pour la chose politique lui fit tenir une correspondance avec le juriste constitutionnaliste Carl Schmitt, qui au sortir de la Seconde Guerre mondiale, du fait de ses affinités en 1932 avec le parti national-socialiste, était passablement discrédité. Cependant Kojève tenait Schmitt pour un penseur de premier plan. Alors qu'il répondait à la question de Rudi Dutschke : « Que faire ? » par cette réponse abrupte : « Apprendre le grec ! », ce philosophe qui passait pour être farouchement stalinien aurait dit à Jacob Taubes, qui s'étonnait de voir Kojève s'apprêter à rendre visite à Schmitt à Plettenberg : « Qui donc d'autre vaut la peine d'être rencontré en Allemagne ? ».

[modifier] Idées

La fin de l'histoire

  • La fin de l’histoire a eu lieu en 1806, comme le disait Hegel, avec la victoire des idées de la Révolution (liberté et égalité) à Iéna. Depuis le chemin se poursuit vers l’État universel homogène (libéral et démocratique) mais il n’y a plus d’amélioration des principes fondamentaux, qui sont seulement étendus et approfondis.
  • La fin de l’histoire est déjà réalisée, surtout aux États-Unis (société sans classes). La Chine, l’URSS et les États-Unis ne font qu’explorer des chemins différents vers un même but.
  • La fin de l’histoire marque la fin de l’homme historique, de l’Action au sens fort. Désormais l’homme s'adonne à l’art, à l’amour et au jeu. Il (re-)devient animal.
  • La seule alternative est le snobisme japonais, qui pourrait s’étendre au reste du monde.

Cette hésitation entre deux possibles destins (retour à l'animalité ou maintien dans une certaine forme d'humanité) s'exprime dans les longues notes - très souvent citées - des pp. 464-7 de l'Introduction à la Lecture de Hegel.

[modifier] Œuvres

  • Introduction à la lecture de Hegel. Paris, Gallimard.
  • Histoire raisonnée de la philosophie païenne. Paris, Gallimard, 3 volumes (collection « Tel »).
  • Tyrannie et Sagesse, in Leo Strauss, de la Tyrannie. Paris, Gallimard.
  • « Les romans de la sagesse », in Critique, LX, 1952. (à propos de trois romans de Raymond Queneau).
  • L’Empereur Julien et son art d'écrire. Paris, Fourbis. (Article initialement paru dans un volume d'hommages à Leo Strauss).
  • L’Athéisme. Paris, Gallimard, 1998.
  • L’Idée du déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne. Paris (1990)
  • La Notion d'autorité. Paris, Gallimard.
  • Esquise d'une phénoménologie du droit (1981). Paris, Gallimard.

[modifier] Articles connexes

Kandinsky | Queneau | Karl Jaspers | Leo Strauss | Allan Bloom | Carl Schmitt