Utilisateur:Wart Dark/Wikipédia : une expérience politique ?

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Nombreux sont les essais publiés au sujet de Wikipédia, jusqu'à peu ceux en français n'étaient le fait que de wikipédiens, mais désormais des universitaires du monde francophone s'intéressent de près à cet outil émergent du Web 2.0. Peu hésitent à aborder l'ovni wikipédien à la lumière de modèles politiques ou philosophiques. Ainsi, en mai 2006, Marc Foglia et Chang Wa Huynh ont publié sur l'encyclopédie de l'Agora un article intitulé Wikipedia : perspectives où Wikipédia est décrite comme héritière du relativisme et communiste, point de départ d'une polémique portant entres autres sur le bien fondé de ces rapprochements. En tant que wikipédien, je ne me reconnais pas en eux. Patrice Létourneau, autre wikipédien francophone, les qualifient dans son carnet de « confusions des genres », qu'il explique par cette remarquable citation d’André Breton : « L’intraitable manie qui consiste à ramener l’inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux ». Aussi juste soit elle, cette explication ne me convainc pas d'écarter ces analogies sans plus de réflexion : si des personnes, dont certains wikipédiens, voient en notre bien aimé encyclopédie un communisme, une démocratie, ou une anarchie - voire en un peu des trois - plutôt que d'autres régimes politiques, il doit bien avoir des raisons. Reste à déterminer lesquelles...

Sommaire

[modifier] Prérequis et contexte

Wikipédia n'est pas idéologiquement orientée : elle ne cherche ni à promouvoir ni à blâmer une quelconque idéologie politique, religieuse, ou philosophique. Elle ne possède pas de ligne éditoriale. Ainsi, les principes consciemment suivis par tous les wikipédiens, les seules doctrines wikipédiennes d'un point de vue ethnométhodologique, ne sont qu'au nombre de cinq : caractère encyclopédique, neutralité de point de vue, copyleft, mutuel respect et confiance, et enfin capacité d'initiative. Ce sont les principes fondateurs du projet, les cinq piliers sur lesquels s'est bâtie l'encyclopédie.

La définition de ce qui est ou non encyclopédique fait l'objet de moult débats internes qui n'ont que peu de rapport avec le sujet actuel, pour plus d'informations consultez Wikipédia:Quelle encyclopédie ?. Sachez tout de même que la recommandation de citer ses sources est partagée par une large majorité des wikipédiens.

Le copyleft, c'est le caractère libre de l'encyclopédie, le libre dont il est question ici, auquel Wikipédia doit son titre d'encyclopédie libre, se réfère à la libre réutilisation du contenu, assurée par la licence GFDL et dont le principe est née dans les années 1980 avec le mouvement informatique des logiciels libres qui fit émerger une « culture libre ». Pour résumé, les adeptes de la culture libre distribuent gratuitement leurs logiciels (mais des prestations de services peuvent être payantes) et mettent à la disposition de tout un chacun leurs codes sources (on parle d'open source). Ils laissent donc n'importe qui modifier et distribuer leurs programmes à l'unique condition que les dérivés et copies de leur travail soient elle-même open source. Dès lors différentes versions alternatives circulent, ainsi que des correctifs et plugins complémentaires. Évidemment les utilisateurs-développeurs cherchent à créer des améliorations répondant au mieux à leurs besoins, et les simples utilisateurs, à défaut de pouvoir les concevoir, les privilégient et combinent. Ainsi, selon un processus évolutionnaire, émergent des programmes meilleurs que ceux réalisés sans la participation active de l'utilisateur. Appliqué à une encyclopédie, ce principe selon lequel tout contributeur est aussi utilisateur et tout utilisateur peut devenir contributeur pose une difficulté majeure : comment concilier la nécessité encyclopédique d'un contenu uniforme et synthétique avec le risque qu'au moindre désaccord émergent des versions alternatives d'articles, voire de l'encyclopédie entière, les forks, qui dispersent les rédacteurs et ruinent la crédibilité auprès des lecteurs ? Autrement dit, comment le contenu peut-il convenir à tous ?

La réponse à ce problème est la neutralité de point de vue, périphrase toute wikipédienne pour l'Impartialité. Une impartialité qui n'est pas le point de vue médian, mais l'expression de tout les points de vue pertinents sur chaque sujet, qui amène à créer des articles « polyphoniques », où la parole est donnée aux partisans de chaque doctrine de tel sorte que « les partisans et les détracteurs puissent s'accorder » (Jimbo Wales). La neutralité de point de vue induit l'effacement du locuteur, en clair la disparition de la première personne, au profit de ces différents protagonistes, et rejoint en cela une nécessité imposée par l'écriture collective : empêcher que des propos soient indûment attribués à une personne par des modifications ultérieures et non consenties de ses écrits.

Mais cette juxtaposition de paradigmes n'a pas été adoptée simplement parce qu'elle est la meilleure solution pour que des personnes de tous horizons réalisent ensemble une encyclopédie avec un minimum de heurts : elle vise l'objectivité, suivant le célèbre principe selon lequel « l'objectivité est la somme de toutes les subjectivités ». Ainsi, pour les wikipédiens convaincus, ce qu'elle produit répond à un véritable besoin de notre société de l'information. Au même titre que l'engagement philosophique et politique de l'Encyclopédie répondait au besoin de lutte contre l'obscurantisme et l'intolérance de son époque, la neutralité de point de vue de Wikipédia est nécessaire en ce début de troisième millénaire, où l'information se balade d'un bout à l'autre du monde à la vitesse de la lumière dans des câbles optiques. Cette information mondialisée - diffusée par des médias de masse généralistes et thématiques, mais aussi par chacun d'entres nous à l'aide des multiples outils du Web 2.0 (blogs, podcast, peer-to-peer...) - ne cessant de croître en volume et en répercussion, il est plus que jamais nécessaire que chacun puisse la décrypter en pouvant découvrir toutes les cultures dans leur diversité et sans biais, comprendre les Autres dit plus simplement. C'est cela le but ultime de la neutralité de point de vue : exposer tout les référents culturels, des brillantes civilisations gréco-romaines au monde indien en passant par les mangas. Certains s'offusquent en voyant Astro, le petit robot mis sur le même plan que Platon ; c'est dommage pour eux. L'universalité que cherche à atteindre Wikipédia ne consiste pas à proclamer que tout les arts ont la même beauté, que tout les points de vue se valent, et qu'aucune culture n'est meilleure qu'une autre, et encore moins à créer une pseudo-culture mondiale. C'est idéalement un simple exposé dans toutes les langues vivantes de tout les faits et de toutes les idées dont a pris connaissance l'Homme, il ne doit donc soutenir aucune argumentation. Si cet objectif, ô combien ambitieux, pouvait ne serait-ce qu'être approché cela serait déjà une formidable réussite !

[modifier] Communiste ?

Selon Marx, « les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée. » (chapitre 2 « Prolétaires et communistes » du Manifeste du Parti communiste). Or sur Wikipédia, il n'y a nul abandon de la part des rédacteurs de leur droit d'auteur, aucun wikipédien ne cède ses écrits auprès d'une oeuvre collective détenue par la Fondation Wikimedia. Celle-ci n'assume aucune fonction d'éditeur, chaque contributeur est juridiquement et moralement responsable de ce qu'il publie sur Wikipédia. Tout les documents diffusés sur Wikipédia peuvent être précisément attribués à leurs auteurs respectifs par le biais des historiques présents sur toutes les pages et que possèdent aussi les documents multimédias. Certes cette identification des auteurs est parfois laborieuse et nombreux sont les wikipédiens à employer des pseudonymes, mais il n'empêche qu'elle reste à la portée de tous. Ainsi, Wikipédia est aussi communiste que le Quid, voire moins si l'on suit la logique de ceux qui affirment le contraire, puisque celui-ci n'indique pas ses auteurs. Taxée Wikipédia de « communiste », c'est donc se méprendre sur le sens de ce mot en le réduisant à la seule notion de « collectif ».

[modifier] Pas d'anarchie !

L'anarchie, construit sur l'ajout du privatif an- au grec archos (commandement), et signifiant donc étymologiquement l'absence de commandement, est une société sans autorité politique coercitive. Il ne faut la confondre ni avec l'anomie, l'absence de lois, dont Wikipédia est pourvue en sa qualité d'encyclopédie libre et impartiale, ni avec l'absence d'organisation sociale, existant implicitement sur le projet par la confiance et la reconnaissance que connaît certains contributeurs.

Comme Wikipédia possède des autorités, à savoir les administrateurs et les arbitres, qui reçoivent leurs pouvoirs de la communauté pour résoudre les inévitables manquements aux principes fondateurs, on ne peut qualifier stricto sensu Wikipédia d'anarchie. Cependant l'analogie n'est pas sans fondement : les administrateurs et les arbitres interviennent rarement dans le quotidien des wikipédiens respectant les principes que s'est fixé la communauté et inhérents au projet, et ces bons wikipédiens ne sont pas inquiétés, et encore moins sanctionnés ou contraint à quoi que ce soit, par ces autorités. Celles-ci ne veulent donc pas utiliser des moyens coercitifs à l'égard des wikipédiens adhérants aux principes fondateurs. Et nul doute que si les tribunaux disposés de moyens comparables à ceux des comités d'arbitrage wikipédiens (possibilité de voir toutes les actions effectuées par une personne via les historiques), il est sûr que l'erreur judiciaire ne serait plus de ce monde.

En outre, Wikipédia ne possédant pas de ligne éditoriale, les interventions sur le contenu encyclopédique sont réduites relativement à la taille du dit contenu. La définition de ce qui est ou non encyclopédique étant, rappelons le, large et sujette à débats internes, seules les aberrations manifestes sont directement supprimés par les administrateurs. Cependant, la communauté n'hésite pas à poser des limites et à faire appel aux administrateurs pour supprimer les pages mis au piloris après votes publiques. Approximativement une vingtaine d'articles sont ainsi remis en cause chaque jour sur la branche francophone de Wikipédia, la moitié étant supprimée et l'autre conservée, généralement après des remaniements.

Tout n'est donc pas permis sur Wikipédia, et ceux qui conçoivent l'anarchie comme une liberté absolue doivent passer leur chemin ici. Wikipédia serait-elle alors une démocratie avec ses représentants élus (arbitres et administrateurs) et ses votes publiques ?

[modifier] une démocratie ?

Que nenni ! Certes l'administration wikipédienne est élue démocratique, mais n'oublions jamais que les membres de la Fondation Wikimedia, possédant les serveurs hébergeant le site web, ne sont pas élus. Mais ce n'est pas la raison principale pour laquelle Wikipédia n'a de démocratique que les apparences. En effet, dans la réalité des pays démocratiques ont, comme Wikipédia, des autorités non élus, et pas des moindres, (pensez aux têtes couronnées de Belgique, d'Espagne, et d'Angleterre et voyez Jimbo en Juan Carlos :) et les membres du board de la Fondation leur sont semblables dans la mesure où ils sont attentifs aux besoins de la communauté. Et pourtant, je le répète, Wikipédia n'est pas démocratique. Pourquoi ?

Parce que dans l'idéal démocratique la loi, l'ensemble des lois, émane du peuple et reflète sa volonté. Or sur Wikipédia, les principes fondateurs, faisant en quelque sorte office de constitution si l'on suit le raisonnemment assimilant la communauté wikipédienne à une nation, sont inamovibles. C'est toujours ces fameux piliers : caractère encyclopédique, neutralité de point de vue, copyleft, mutuel respect et confiance, et capacité d'initiative.

Si un jour, quelques uns n'apprécient plus la neutralité de point de vue ils n'auront plus qu'à partir ailleurs, comme d'autres avant eux l'ont fait dans le fork de WikiInfo. Il en serait de même si un autre jour des voix s'élèveraient contre la réutilisation commerciale : Dehors. C'est à la communauté d'adhérer aux principes fondateurs, et non aux principes fondateurs d'évoluer selon les goûts des wikipédiens.

De plus, le caractère intrinsèquement encyclopédique du projet l'empêche d'être démocratique. En effet le savoir ne s'élabore pas démocratiquement. Pour preuve que cette idée est admise par les wikipédiens, ce qu'ils conçoivent comme l'article idéal doit inclure en abondance des sources pertinentes, c'est à dire de notoriété établie. C'est pour notre projet, qui souffre d'un manque de crédibilité du fait de l'anonymat wikipédien et de son ouverture à tout les internautes - son coté « populaire » - un moyen d'assoir sa légitimité encyclopédique sur l'argument d'autorité.

Il ne faut pas penser cet idéal d'un article fiable car composé d'informations vérifiables, pour ne pas dire d'origine « traçables » et sélectionnées, comme contradictoire avec l'existence d'une « administration démocratique ». En effet les administrateurs n'ont pas pour mission d'influencer les articles, que cela soit pour y exprimer leurs points de vue ou ceux de leurs électeurs ; ils utilisent seulement leur fonction d'administrateur pour effectuer des tâches de maintenance (lutte contre le vandalisme, retrait des contenus non libres,...) maintenant la qualité des articles en empêchant leur dégradation. C'est pourquoi nombreux sont ceux qualifiant leurs outils d'administration de « super-balai ».

On peut pousser plus loin l'analyse, les communautés wikipédiennes ne possèdent pas les serveurs hébergeant le contenu dont elles sont légalement propriétaires (cf ultra), et n'ont donc aucun droit légal dessus. Si elles prennent néanmoins des décisions sur les conditions d'accès aux droits d'écriture et d'administration, c'est parce que la Wikimedia Fundation leur délègue ces aspects de la gestion de Wikipédia. Mais, en soi, c'est la Fondation qui détient l'entier pouvoir. Voilà pourquoi Wikipédia n'est pas d'essence démocratique. Il n'en est pas moins indéniable que le projet est partiellement organisé suivant le modèle démocratique. Ce caractère démocratique n'est cependant que accidentel, pour citer David Berardan « Si le meilleur des fonctionnements est la démocratie, soit. Si ce n'est pas le cas, alors wikipédia n'a pas à être une démocratie ». (inWikipédia:Sondage/Wikipédia, une démocratie ?)

On pourra certes arguer que les communautés et la Fondation sont co-gestionnaires, qu'elles travaillent en symbiose - la Fondation ne pouvant que difficilement réaliser une encyclopédie libre sans un système wiki, et les wikipédiens pouvant encore moins s'organiser sans un financement et donc une structure légale - il n'en reste pas moins que Wikipédia en tant que site web (c'est à dire en tant que marque, nom de domaine, et logo déposés) n'est pas la propriété des wikipédiens. Ils ne peuvent donc réclamer aucun droit dessus, mais bien sûr la Fondation leur laisse en pratique un droit de regard et de proposition, une partie des membres du comité d'administration (board) de la Fondation étant élue par les wikipédiens.

[modifier] un modèle libéral ?

Les théories libérales font primer les intérêts privés des individus sur l'intérêt général de la collectivité, appelant à limiter le pouvoir des institutions étatiques - censées réduire les libertés individuelles - lorsqu'elles sont minarchistes, les plus extrémistes affirmant que la notion même d'intérêt général est une fiction entretenue par les États pour justifier leur existence et n'hésitant pas à prendre la forme d'un anarchisme.

Certes les wikipédiens sont relativement libres, le cadre dans lequel leurs action sont contenues étant large, cependant ils travaillent conjointement dans un but commun. Bien que chaque wikipédien est libre d'adhérer ou non au projet, cette adhésion est un engagement impliquant le respect d'une éthique, des principes fondateurs, de règles et de normes adoptées pour mener à bien l'objectif collectif (d'une encyclopédie libre) et non pour satisfaire au mieux les desiderata individuels .[1] En ce sens, il est aussi absurde de déclarer que Wikipédia est organisée selon un modèle libéral que de proclamer au contraire qu'elle est organisée selon un modèle communiste. L'engagement wikipédien demande une abnégation en faveur de la communauté, un renoncement à sa vérité comme absolu, mais est aussi une source de plaisir et d'enrichissement personnel. Il est indéniablement choisi pour ces deux aspects et ne peut être expliqué par un seul d'eux.

[modifier] Mais alors qu'est-ce que Wikipédia ?

Wikipédia est avant tout une encyclopédie libre. Il ne faut pas oublier que cet aspect est antérieur à tout les autres : le wiki n'a été installé initialement qu'en complément d'un système classique de soumission d'articles (avec un comité de relecteurs universitaires), Nupédia. Et si le complément a supplanté le noyau, des projets de soumission d'articles restent encore en gestation. Le wiki n'est donc qu'un moyen pour réaliser une encyclopédie libre, et non une expérimentation politique. Si des processus de décision propres aux démocraties, comme le vote et la recherche de consensus, ont été adopté sur Wikipédia, ce n'est pas comme fins en soi mais comme moyens en vue de la réalisation d'une encyclopédie libre.

S'il advenait que le système actuel ne soit plus le meilleur moyen pour réaliser l'idéal wikipédien, rien n'interdit qu'il soit remodelé en profondeur. L'interdiction de l'édition des IPs, censée réduire le vandalisme, l'obligation de révéler sa véritable identité, et d'autres mesures restrictives similaires, sont ainsi les vieux serpents de mer de la communauté wikipédienne...

NB : Si vous souhaitez faire des remarques sur cet essai, n'hésitez pas à faire un tour sur la page de discussion qui lui est associée. Et n'oubliez pas qu'il n'est représentatif que du point de vue d'un seul wikipédien, qui serait tout de même heureux de savoir que quelques uns de ses confrères partagent ses vues :)

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. On atteint là la limite de l'analogie entre Wikipédia et une nation : on choisit d'adhérer au projet wikipédien, alors que notre nationalité, notre environnement culturel, et les lois de notre pays s'imposent à nous à notre naissance