Tapisserie d'Aubusson

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La Tapisserie d'Aubusson compte six siècles d’histoire : depuis les « verdures » du XVe siècle, puis la Manufacture Royale de 1665, un début de XXe siècle florissant, la crise de l'entre-deux guerres et sa renaissance grâce à la venue de Jean Lurçat, en 1939.


Sommaire

[modifier] Historique

[modifier] Origine

Longtemps, la tradition a voulu que la tapisserie Aubusson soit le fait des Sarrasins. Après leur défaite de l'an 732, à Poitiers, certains seraient venus s'établir sur les bords de Creuse. Ils y auraient installé des métiers à tisser. En fait, le mot « sarrasin » a dû se substituer à « sarrasinois » (terme désignant des tapis naguère fabriqués à Aubusson, s'apparentant semble-t-il davantage à la broderie qu'à la lisse). L'hypothèse arabe ne tient guère en vérité.

L’origine est peut-être liée à Louis de Bourbon, alors comte de la Marche. Il connaissait bien les Flandres et ses tapisseries. Il s'intéressait aussi tout particulièrement à la ville d'Aubusson à laquelle il avait confirmé les privilèges en 1331. Louis de Bourbon avait de plus pour épouse Marie de Hainaut, issue d'une vieille famille des Flandres. Autant d'éléments qui peuvent laisser supposer que le comte de la Marche ait incité des tapissiers flamands à venir sur les bords de Creuse dont on se plaisait déjà à vanter la qualité des eaux acides pour dégraisser la laine et alimenter les teintures. Mais rien n'est sûr. Aucun élément tangible ne permet de l'affirmer. À l'époque, Aubusson et Felletin fabriquaient des draps et avaient donc une véritable culture textile. Leurs habitants possédaient un savoir-faire en la matière. Aussi, que ce soit à l'initiative de Louis de Bourbon ou beaucoup plus sûrement de marchands désireux de profiter d'une réelle opportunité locale, l'économie drapière se reconvertit. Les paysans possédaient traditionnellement des troupeaux de moutons dont la laine était valorisée localement. Elle allait désormais permettre la fabrication de tapisserie. L'influence flamande fut d'emblée évidente dans les ateliers : même technique de la basse lisse, même sainte patronne (Sainte-Barbe).

[modifier] La Dame à la licorne

Icône de détail Article détaillé : La Dame à la licorne.
La dame à la licorne - La vue , XVe siècle, laine et soie
La dame à la licorne - La vue , XVe siècle, laine et soie

Depuis sa découverte au château de Boussac par George Sand et Prosper Mérimée, en 1844, la dame n'a cessé de séduire. Elle a malheureusement quitté le patrimoine de la Creuse en 1882, date de son départ pour le musée de Cluny. « La Dame » a longtemps eu une origine mystérieuse...

En vérité, La Dame à la licorne a été réalisée à l'initiative de Jean Le Viste. Issu d'une famille lyonnaise qui s'implanta en Bourgogne et en Île-de-France et s'illustra dans l'administration royale, il devint septième maître à la Chambre des requêtes en 1471 puis président de la Cour des aides. Il remplissait cette fonction lorsqu'il décéda en 1500. Les historiens ont établi qu'il aurait commandé La Dame à la licorne vers 1484, année de la mort de son père au cours de laquelle il devint alors chef de famille. Jean eut une fille unique, Claude. Elle hérita donc de ses biens. Les tapisseries arrivèrent au fil des héritages entre les mains de Jeanne de La Roche Aymon qui, en 1660, épousa François de Rilhac. C'est ainsi que La Dame à la licorne alla décorer le château de Boussac... Elle y resta jusqu'au XIXe siècle.

[modifier] Les différentes inspirations

[modifier] Les verdures

Elles possèdent un aspect énigmatique. L'une des plus belles illustrations est la suite des tapisseries d'Anglards de Salers. Les verdures, sous différentes formes, caractérisent la tapisserie marchoise. Les lissiers les tissèrent au {{XVIe siècle]}} mais aussi les siècles suivants. Encore aujourd'hui, elles représentent une part non négligeable de l'activité des ateliers même si elles sont moins en vogue depuis une trentaine d'années. La verdure, pour beaucoup, incarne la tapisserie d'Aubusson.

[modifier] Les scènes de chasse

Les lissiers ont, au XVIe siècle notamment, beaucoup tissé de scènes de chasse : chasse à la licorne, au loup, au lion, au sanglier, au cerf... Les ateliers réalisaient inlassablement des tentures de cette veine. Elles ne sont pas sans rappeler les verdures mais elles représentent dans des tons sobres des personnages, souvent des cavaliers, aidés par des chiens, aux prises avec divers animaux.

[modifier] Les scènes religieuses

Les ateliers marchois trouvaient l'inspiration également dans la religion et la mythologie. La vie des saints, l'Ancien Testament ou encore dans les sujets historiques.

[modifier] Les artistes

[modifier] Les peintres du XVIIe siècle

Le peintre Isaac Moillon a réalisé de nombreux cartons qui ont permis un magnifique répertoire pour la tapisserie d'Aubusson, et ce avant qu’elle ne reçoive le titre de Manufacture royale en 1665 et 1689[1]. Certaines tapisseries de Moillon sont actuellement exposées dans le Château de Villemonteix en Creuse[2].

[modifier] Les peintres du XVIIIe siècle

Les fables de La Fontaine de Jean-Baptiste Oudry : Musée Nissim-de-Camondo à Paris
Les fables de La Fontaine de Jean-Baptiste Oudry : Musée Nissim-de-Camondo à Paris

De tous temps, la création a été une préoccupation majeure. Pour Aubusson, l'apport de Jean-Joseph Dumons a été considérable et stimulant. Les ateliers marchois s'inspirèrent également beaucoup de peintres comme Jean-Baptiste Oudry (1686-1755). Il réalisa, dès 1731, des modèles pour Aubusson. L'atelier Picqueaux tissa par exemple Les métamorphoses d'Ovide, étonnamment décorative. On retrouva ce caractère particulier dans les « verdures fines », « les fables de La Fontaine » ou les chasses. Oudry était d'abord un peintre animalier. Devenu directeur artistique des Manufactures de Beauvais (1734) et des Gobelins, il exerça une influence très forte sur la tapisserie française et donc sur la production marchoise. François Boucher (1703-1770) inspira lui aussi les lissiers qui tissèrent volontiers ses scènes pastorales ou mythologiques. C'était un artiste habile et populaire. Watteau, Jean-Baptiste Huet, Le Brun, Lancret, ainsi que le successeur de Dumons, Jacques-Nicolas Julliard (peintre des manufactures marchoises à partir de 1755) fournirent quantité de modèles. Bien évidemment, le rôle de Julliard (élève de Boucher) fut important jusqu'à sa mort, en 1790. Julliard, comme Dumons avant lui, collabora avec des artistes creusois dont l'un des plus connus fut François Finet qui, au XVIIIe siècle, se consacra passionnément à la tapisserie. Il excellait dans les chairs et d'une manière plus générale dans les personnages. En 1760, il devint « peintre en chef de Felletin »... Gilbert Finet et François Roby fournirent également des cartons aux ateliers, tout comme Sallandrouze. Le travail de Barraband fut particulièrement intéressant. Jacques Barraband (1768-1809) connut une notoriété nationale. Sa gloire naissante fut contrariée par la Révolution. Il dut alors élargir son éventail de production. Il illustra par exemple L'histoire naturelle des oiseaux d'Afrique de Le Vaillant ainsi que divers ouvrages. Il créa des décors, réalisa des cartons destinés aux Gobelins et aux ateliers de savonnerie. Il connaissait la gloire lorsqu'il décéda à Lyon où il exerçait en tant que professeur à l'école spéciale des arts et dessin. Avec Barraband, François Roby marqua son époque. Professeur de dessin à partir de 1742, il suppléa Dumons en fournissant des dessins de tapis et en réalisant des cartons de tapisserie pour la Manufacture de Felletin. En 1805, le sous-préfet d'Aubusson affirmait dans un rapport que les « fabriques ont éprouvé, dans le cours de la Révolution, un anéantissement complet. Elles se rétablissent depuis quelques années et en ce moment leurs produits sont d'une certaine importance. Le luxe indispensable dans un grand état, pourra leur faire reprendre leur ancienne splendeur. Déjà à Aubusson il a été fabriqué des objets destinés aux palais de l'Empereur et des grands dignitaires ». Albert Castel, auteur d'un intéressant livre paru en 1876, expliquait que « ce fut l'habitude qu'avaient prise les manufactures d'Aubusson de fabriquer des tapis de pied et de la tapisserie commune qui sauva leur industrie après la Révolution ».

[modifier] La tapisserie au XIXe et XXe siècle

La tapisserie, au XIXe siècle, souffrait d'un véritable manque de création. Certes une certaine prospérité revint mais son art continua à s'abâtardir. Elle s'employait de plus en plus à imiter la peinture, perdant ainsi toute personnalité. Les tapissiers, reproduisaient les nuances des toiles peintes. Dégradés et lointains vaporeux se multipliaient à l'infini. En 1917, André-Marius Martin fut nommé directeur de l'ENAD. L'arrivée de ce peintre-graveur constitua une chance pour Aubusson. Il allait pendant treize années œuvrer de manière exemplaire en faveur du renouveau de la tapisserie. Peu de temps après avoir quitté la direction de l'école aubussonnaise, il publia un article dans la revue hebdomadaire de l'architecture La construction moderne du premier avril 1934. Il y résumait sa démarche et ses réflexions. Ce texte a conservé un caractère fondamental. Martin posa les bases du « carton moderne » de la tapisserie. Il dénonçait l'influence néfaste d'Oudry (tissage en simili-peinture). En I930, Elie Maingonnat (I892-I966) succéda à Marius Martin à la direction de l'ENAD. Il la dirigea jusqu'en I958. Maingonnat était un disciple de Martin. Il fut son élève avant d'être son collaborateur. Ce descendant d'une vieille famille de tapissiers et de peintres cartonniers se consacra à son tour passionnément au renouveau de la tapisserie. Maingonnat créa des cartons de tapisserie. Il s'employa surtout à conforter l'école de la tapisserie, la dotant par exemple d'une salle d'exposition permettant d'intéressantes présentations. Elie Maingonnat cherchait à intéresser les artistes à la tapisserie. Il créait des cartons qui renouvelaient le genre des verdures en simplifiant les formes. Il respectait les bases établies par Martin.

Jean Lurçat
Jean Lurçat

Pour la première fois, Maingonnat et François Tabard rencontrent Jean Lurçat à Paris lors de l'Exposition Internationale de 1937. Ils prirent rendez-vous et se retrouvèrent donc à Aubusson durant l'été de la même année. Lurçat demanda à Maingonnat de lui faire tisser des échantillons. Ils furent réalisés dans l'atelier-école que dirigeait Denis Dumontet. L'ENAD tissa notamment Bosquets et Le chien afghan. L'hiver suivant, Tabard entreprit la réalisation de Moissons, une pièce qui partit pour les États-Unis mais Lurçat n'était pas satisfait. Il aborda alors la technique dite du carton numéroté. Le peintre s'inscrivait dans un réel courant rénovateur initié par Marius Martin. En I960, Aubusson accueillit de très nombreux peintres. Michel Tourlière devint directeur de l'ENAD. Des stagiaires fréquentaient cette école et ils rencontraient des artistes de renom comme Calder, Lapicque, Lagrange, Prassinos, Dom Robert... Actuellement, les ateliers tissent des œuvres d’artistes contemporains dans le respect de la tradition.

[modifier] Les ateliers

[modifier] Ateliers d’Aubusson et artistes dont les œuvres sont tissées dans ces ateliers

  • Atelier Andraud : Gaston Thiéry, Bleynie.
  • Atelier Bernard Battu : Valérie Adami, Jean Lamore, Pol Gachon, Garouste et Bonetti.
  • Atelier Evelyne et Jean Marie Dor[3] : il travaille pour le Mobilier National.
  • Atelier Bernard Petit : Clavé, Miotte, Richard Texier.
  • Atelier Philiponnet : il est spécialisé dans la copie de tapisseries anciennes.
  • Atelier Hervé Lelong[4] à Paris : créations de Hervé Lelong.
  • Manufacture Robert Four : Louis Toffoli, Lartigaud, Folon, Dufy.
  • Manufacture Saint-Jean : Garouste et Bonneti, Jacquelot.
  • Atelier Caron à Blessac : production diversifiée, recherches originales.
  • Atelier de France-Odile Crinière à Vallière : elle a opté pour une création contemporaine.
  • Atelier Nicole David à Blessac : Lartigaud, J. Cinquin.
  • Atelier René Duché à Saint-Dizier-Leyrenne (Meilleur ouvrier de France en 1991) : production diversifiée.
  • Atelier Catherine Finck à Blessac : Dom Robert - Marc Téhéry.
  • Atelier André Magnat à Blessac : Jean Picart le Doux, Lartigaud, Marc Petit.
  • Atelier Aznar-Colson à Meyssac : créations contemporaines et copies d'anciens.
  • Manufacture Pinton[5] à Felletin : Gromaire, Coutaud, Estève, Gilioli, Lagrange, Le Corbusier, Lartigaud, Lurçat, Caly, Sonia Delaunay, Perrot, Marc Petit, Zadkine.
  • Manufacture Chevalier-Conservation : elle travaille pour le Louvre et d'autres musées. Recherche de pointe sur la conservation des tapisseries, tapis, textiles anciens.

[modifier] Ateliers ayant cessé leur activité

  • Atelier Paul Avignon : Maingonnat, Lurçat, Jullien, Lanskoy, Bureau-Chigot.
  • Atelier Denis Dumontet
  • Atelier François Faureau : Jansen, Lurçat, Saint-Saëns, Lauer.
  • Atelier Pérathon : Lurçat, Maingonnat, Chaye.
  • Michel Berthaut : Picart-le-Doux.
  • Atelier Bonjour : Chaye.
  • Atelier Bourcy à Felletin : Favèze.
  • Atelier Bouret
  • Atelier Borderies à Felletin.
  • Atelier Henry : Matégot, Patrice Sully.
  • Atelier Jansen : Lurçat.
  • Atelier Quatre Barbe
  • Atelier Pierre Simon
  • Manufacture Bascoulergue (meilleur ouvrier de France) : Perrot, Legrand.
  • Manufacture Tabard : Lurçat.
  • Manufacture Tapisseries de France : Lartigaud, Poulet, Fumeron.
  • Manufacture Braquenié : tapisserie, tapis savonnerie, restauration.
  • Manufacture Croc-Jorand
  • la Manufacture Danton
  • Manufacture Hamot
  • Atelier Michel Duché : production diversifiée.
  • Atelier Suzanne Goubely : Gromaire, Prassinos, Dom Robert, Tourlière, Lagrange, Hartung, Agam...
  • Atelier Camille Legoueix : Jullien, Wogensky, Gleb, Borderie, Chaye, Sautour-Gaillard.
  • Atelier la Lisse : Lartigaud – Poulet.
  • Atelier Raymond Picaud : Jean Picart-le-Doux , Adam, Loewer, Braque , Delphine Bureau-Chigot, Le Corbusier, Calder, Dali, Jacques Lagrange, Marc Petit , Nicolas de Staël, Poliakoff, Max Ernst Arp, Picasso, Dufy, Chirico, Lapicque, Lanskoy, Linder, Magnelli, Léger, Seuphor, Zadkine, Agam, Arp, Bram Van Velde, Grekoff, Debré, Chazaud.
  • Atelier Fougerol[6] : Maxime Fougerol est décédé en 1992, il est célèbre pour sa collection de tapisseries anciennes. Il a fait don de 135 tapisseries du XVIe, XVIIe, XVIIIe, et XIXe siècle à la commune d’Aubusson en 2006.
  • Atelier Gisèle Brivet : Masson, Hartung, Duvillier.

[modifier] Pour reconnaître une tapisserie d’Aubusson

Dans le tissage de la tapisserie, pour l'identifier, doivent figurer la marque de l'atelier (M. R. Daubusson, XVIe -XVIIIe siècle, M.R. de Felletin..., logos des ateliers contemporains) et pour les tapisseries du XXe siècle, la signature de l'artiste et le numéro de tissage. Il s'y ajoute obligatoirement un bolduc (petite pièce cousue à l'envers de la tapisserie) qui indique le nom de l'atelier, celui de l'artiste avec sa signature, les dimensions et le numéro de tissage. Chaque modèle est limité à huit exemplaires.

Trop souvent, le grand public confond les différents types de tapisseries. Aux côtés de la tapisserie de basse (ou de haute) lisse réalisée à la main existent des productions diverses qui ne sont pas considérées comme œuvres d'art. Les plus connues sont :

  • les tapisseries Jacquard, tissage mécanique du nom du Lyonnais Joseph-Marie Jacquard (1752-1834) ;
  • les tapisseries sérigraphiées sur laine. C'est une impression réalisée sur un tissu type « reps » afin de créer l'illusion du tissage ;
  • le canevas, « tapisserie au point » pratiquée à l'aiguille sur un tissu tramé et coloré ;
  • les tapisseries, dites de style, désignent des œuvres de lisse, de tissage récent, réalisées selon des modèles anciens. Ne pas les confondre avec des tapisseries d'époque tissées aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle.

[modifier] Pour approfondir

[modifier] Notes et références

  1. Conseil Général de la Creuse
  2. Inventaire du ministère de la culture
  3. Atelier Evelyne et Jean Marie Dor
  4. Atelier Lelong
  5. Les ateliers Pinton
  6. La donation Fougerol

[modifier] Articles connexes

Cathédrale de Laval
Cathédrale de Laval

[modifier] Bibliographie

  • Weigert : Cinq siècles de Tapisserie d’Aubusson – Paris - 1935
  • Cassou, Damain, Moutard : La Tapisserie Française et les Peintre Cartonniers - Paris -1957
  • Verlet, Florisoone, Hoffmeister, Tabard : LA TAPISSERIE - Histoire et technique du XIVe au XXe siècle - Dépôt légal n°4671 - 1977 - ISBN 2-88001-044-6
  • Robert Guinot : AUBUSSON - Son histoire, ses rues, sa tapisserie - Imprimerie d’Aubusson - 1980
  • Centre de documentation de la tapisserie – 10, avenue des Lissiers – 23200 Aubusson
  • Robert Guinot : La tapisserie d'Aubusson et de Felletin, 1996 - ISBN 2 9507553-4-8
  • Vivante Tapisserie Française, 1979 (SEMA)
  • Métiers d'Art - la Tapisserie, N°47-49 992 (SEMA)

[modifier] Liens externes