Sur les falaises de marbre

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Sur les falaises de marbre (Auf den Marmorklippen) est un récit d'Ernst Jünger publié en 1939 qui représente ce que beaucoup de critiques considèrent comme son chef-d'œuvre[1]. Il s'agit d'un roman allégorique, ou encore un « récit légendaire »[2], dénonçant la barbarie[3]. Il a été traduit en français par Henri Thomas.

Sommaire

[modifier] Récit

Dans ce texte, Ernst Jünger décrit deux frères qui travaillent au sein d'un vaste ermitage, occupés par leur bibliothèque et leur immense herbier, vivant paisiblement dans la contemplation de la nature. Leur quiétude est brutalement brisée par l'irruption du Grand Forestier dont les hordes sèment la dévastation :

« Les actes de banditisme que la Campagna connaissait déjà se renouvelaient alors, et les habitants étaient enlevés à la faveur de la nuit et du brouillard. Nul n'en revenait. Ce que nous entendions chuchoter de leur destin parmi le peuple faisait songer aux cadavres des lézards que nous trouvions écorchés sous les falaises, et nous remplissait le cœur d'affliction.[citation nécessaire] »

Certains voient dans cette figure du "Grand forestier" une vision à peine transposée d'Hitler. L'auteur, alors âgé de 97 ans, s'est lui-même exprimé sur ce point :

« À vrai dire, je songeais à un type de dictateur plus puissant encore, plus démoniaque. (...) S'il allait bien à Hitler, l'histoire a montré qu'il pouvait aussi convenir à un personnage de plus grande envergure encore : Staline. Et il pourra correspondre à bien d'autres hommes.[4] »

[modifier] Genèse de l'œuvre

[modifier] Réactions autour du livre

Sa vie, ainsi que celle de son éditeur, est menacée par la publication du livre, mais il échappe à toute sanction car Hitler éprouvait de la sympathie pour ses premiers récits de guerre (et en particulier Orages d'acier) et sa figure de héros de la Première Guerre mondiale.

Le livre a connu dès sa publication un vif succès et le premier tirage en fut vite épuisé[5].

George Steiner estime que le livre a peut-être été « le seul acte de résistance majeure, de sabotage à l'intérieur, qui se soit manifesté dans la littérature allemande sous le régime hitlérien.[6] »

[modifier] Analyse du récit

Julien Gracq a livré un texte dans lequel il commente sa lecture du récit[7]. Pour lui, Sur les falaises de marbre, « Ce n'est pas une explication de notre époque. [Il] n'est pas non plus un livre à clé où on puisse, comme certains ont été tentés de le faire, mettre des noms sur les figures inquiétantes ou imposantes qui se lèvent de ces pages. Avec plus de vérité, on pourrait l'appeler un ouvrage symbolique, et ce serait seulement à condition d'admettre que les symboles ne peuvent s'y lire qu'en énigme et à travers un miroir[8]. »

Selon Michel Vanoosthuyse, le personnage du Grand Forestier renvoyait d'emblée à Staline et certainement pas à Hitler :

« Faire du satrape viveur et tout oriental qu'est par certains côtés le Grand Forestier le décalque de Hitler, c'est être myope. Que les victimes du Grand Forestier et de ses sbires soient justement les artisans et les paysans sédentaires de la Marina, fidèles à leurs rites, à leurs fêtes et à leurs ancêtres, amateurs d'ordre, devrait inciter à la prudence, ou suggérer, si l'on veut à tout prix maintenir l'interprétation antinazie du roman, que Jünger ne comprend décidément rien à la politique ; en réalité, il la comprend trop bien[9]. »

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Bernard Rapp qualifie cette œuvre de « plus beau roman de ce siècle » au début du numéro de l'émission Un siècle d'écrivains consacré à Ernst Jünger.
  2. Geneviève Coste écrit : « Jünger choisit la forme synthétique et symbolique du récit légendaire comme instrument d'une vision subtile (...) » dans « La marche dans les solfatares ou : l'irrésistible exténuation du temps » in Philippe Barthelet (dir), Ernst Jünger, L'Âge d'Homme, collection Les Dossiers H, 2000, p. 302.
  3. Isabelle Grazioli-Rozet remarque dans son essai Qui suis-je ? Jünger : "Les critiques littéraires proposent souvent deux grilles de lecture pour analyser le roman et le rapport qu'il entretient avec l'histoire. Les uns l'ont déchiffré comme un roman littéraire à clef (...). Les autres affirment la valeur du modèle mythique et insistent sur le caractère intemporel de l'œuvre (...)." p. 54
  4. Entretiens publiés par Frédérick de Towarnicky dans le livre Ernst Jünger - Récits d'un passeur de siècle, éditions du Rocher, 2000, p. 33
  5. 35 000 exemplaires ont été écoulés en 1940 et 67 000 exemplaires en ont été vendus à la date d'octobre 1943. Isabelle Grazioli-Rozet, op. cit., p. 54
  6. Cité par Frédéric de Towarnicki in « Ernst Jünger l'écrivain qui a défié Hitler », L'Œil de bœuf, numéro 5/6, décembre 1994, p. 161.
  7. « Symbolique d'Ernst Jünger » in Œuvres complètes, tome 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, p. 976-982.
  8. « Symbolique d'Ernst Jünger », Op. cit., p. 977.
  9. Michel Vanoosthuyse, Fascisme et littérature pure, éd. Agone, 2005, p. 178-209.
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