Sémantique générale

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La sémantique générale, système de pensée présenté par son auteur comme « non-aristotélicien », a été fondée par Alfred Korzybski à la suite de ses observations sur les erreurs d'évaluation qui peuvent éventuellement avoir des conséquences dramatiques. Korzybski en expose les principes, principalement dans son ouvrage majeur Science and Sanity, an introduction to non aristotelian systems and general semantics, dont la première édition paraît en 1933.

Le terme sémantique générale prête à confusion et pourrait faire penser que cette « théorie » se rattache à la seule sémantique. C’est-à-dire à l’étude du « sens » des symboles et expressions. L’ambition de Korzybski dépasse ce cadre symbolique : il s’agit ici de considérer le « sens » de façon opérationnelle, par la façon dont notre organisme réagit à son environnement (y compris lui-même). La sémantique générale englobe certes la sémantique comme cas particulier, mais s’oriente autant et davantage vers la neurophysiologie, la psychiatrie ou les théories de la communication.

L’article suivant tente de définir de manière extensionnelle (cf. infra) la sémantique générale.

Sommaire

[modifier] Historique

Dès les années 1920, Korzybski se demanda comment les êtres humains faisaient des évaluations erronées.

Il commença par formuler la faculté, qu’il baptisa Time-binding, de pouvoir, grâce à l’usage des symboles, transmettre l’acquis d’une génération à la suivante. Ceci fait, grosso modo, l’objet de son premier ouvrage, Manhood of humanity (disponible en version PDF ici : [1]).

[modifier] Hypothèses neurologiques de la sémantique générale

« Ce qui peut être montré ne peut être dit. » Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.

Invoquant les progrès de la neurologie et de la psychiatrie en 1933, Korzybski rappela que notre représentation du monde s'effectue par des perceptions - ou interactions - ayant :

  • leurs limites (par exemple, le proche infrarouge invisible à l'œil),
  • leurs pertes (un son masqué par un autre),
  • leurs éléments non-conscients (taux d’oxygène dans le sang, proprioception),
  • et d’autres enfin peuvent être sans rapport avec l’objet perçu (hallucinations, illusions d’optique, acouphènes…).

En tout état de cause, notre perception du « réel » demeure partielle et personnelle.

  • Exemple presque quotidien : un voyageur met « sans s'en rendre compte » ses pieds sur une banquette ou jette un papier à terre. Cela peut causer l'irritation d'un autre voyageur qui le lui fera remarquer ; mais comme le premier « n'a rien remarqué » de son propre comportement, il pourra percevoir cette intervention au contraire comme une agression gratuite, à laquelle il cherchera des motivations sans rapport avec la réalité (d'autant qu'un processus de déni de l'élément d'origine sera à l'œuvre).
  • En sens inverse, les « objets » qui nous entourent pourraient également être décrits par des jeux de molécules, atomes, etc. en perpétuelle évolution, sans que notre compréhension globale y gagne quoi que ce soit (voir l'article Émergence).

Notre esprit est donc amené à se construire des « représentations » internes du monde extérieur (cartes) à l’aide d'informations filtrées. Ces cartes, symboliques (désignation verbale, par exemple) ou non, ne prétendent nullement dupliquer exactement l'objet réel, dynamique et unique ; il s’agit du principe de non-identité, résumé dans l’apophtègme célèbre : « Quoi que vous disiez qu’une chose est, elle ne l'est pas ! ».

De ces constatations, Korzybski rappelle trois choses essentielles :

  • Une carte n’"est" pas le territoire qu’elle représente : les mots ne "sont" pas les 'objets réels', le mot « chien » ne mord pas, etc. ; cela peut paraître trivial, mais qui n'a pas par exemple nommé un jour ou l'autre « souris » le pointeur associé à celle-ci qui apparaît sur son écran ? La confusion entre carte et territoire constitue un phénomène courant dont les conséquences se manifestent quand on ne s'y attend pas.
  • Une carte ne recouvre pas tout le territoire qu’elle représente : le symbole omet de représenter certains « attributs » de l' « objet » qu’il représente ; quel âge a cette chaise ? Quel masse a cette voiture ? Etc. ; or comment être certain « avant de conduire son raisonnement » que ce qui a été négligé dans ce processus d'abstraction n'est pas justement essentiel ?
  • Toute carte (est) autoréflexive : 'on' peut construire une carte de la carte (sa légende), une carte 'parle' autant de son 'objet' que du cartographe qui l’a créée, etc.

Imaginant alors le cheminement de l’influx nerveux lors du fonctionnement normal du cerveau, Korzybski suppose la présence d’un premier traitement dans le système limbique et thalamique, c’est-à-dire dans des centres encéphaliques archaïques responsables des sensations, des impressions — et non des fonctions symboliques. Il met ainsi en évidence l’importance de ce qu’il appelle les « niveaux silencieux », premiers filtres au travers desquels notre système nerveux traite et répond aux informations qui lui parviennent. Après avoir traversé le complexe limbo-thalamique, l’influx (ou plutôt les influx, étant donné le nombre de connexions neuronales activées) arrive dans les zones corticales et néocorticales où il acquiert une valeur symbolique (nom) par comparaison et catégorisation avec des expériences antérieures (« niveaux verbaux »).

À chaque étape de ce processus, les informations entrantes sont traitées, colorées, interprétées, un processus que Korzybski nomme abstraction ; il baptise l’ensemble des abstractions qui ont lieu à l’occasion d’un stimulus évaluation, et la réaction de notre système nerveux, à tous les niveaux, réaction sémantique (r.s.).

Chez l’homme, le résultat de ces abstractions successives, peut servir, par réentrance, à produire un nouveau stimulus (p.ex. : au travers de discours, écrits…), qui produira chez le même ou chez d’autres individus une nouvelle évaluation (commentaire à propos d’un discours…), etc. Jean-Pierre Changeux l'exprimerait de nos jours en disant que les concepts sont constitués par association neuronale de percepts ou de percepts avec d'autres concepts, ou même de concepts entre eux.

La chaîne des niveaux d’abstraction, chez l’homme, est indéfinie, mais de ce fait de moins en moins signifiante. Or les plus hautes abstractions produites par l’homme à chaque époque correspondent souvent à des descriptions du niveau le plus bas, formant ainsi une sorte de boucle. Ces raisonnements servent de base à la conception du différentiel structurel, un diagramme qui représente physiquement ce processus d'abstraction.

Ces hypothèses de Korzybski se vérifient en neurophysiologie 'moderne' (2004) par l’étude anatomique et fonctionnelle de l’encéphale, et la description clinique de certaines pathologies, particulièrement la prosopagnosie, l'aphasie, incapacités qu’a un patient de passer des niveaux silencieux (~ perception) aux niveaux verbaux (impossibilité de nommer un objet, suite, par exemple à une lésion de l’aire de Wernicke). Les niveaux silencieux sont eux-mêmes scindés en plusieurs sous-niveaux, puisque certains patients atteints de lésions de l’aire V1 du cortex visuel primaire (aire 17 de Brodmann), quoique n’ayant plus de perceptions visuelles 'conscientes' (rupture de la chaîne d’abstractions), se révèlent néanmoins capables de localiser et de suivre le mouvement des objets qui leur sont présentés ('perception' visuelle sous-corticale).

[modifier] L’importance de la structure

Poursuivant l’analyse de nos représentations, Korzybski remarque que nous construisons des relations (plus haut, plus bas, plus grand, à gauche, à droite…) qui aboutissent à des cartes de cartes, et ainsi de suite, conformément au troisième principe énoncé ci-dessus. Mais ces cartes ne servent que dans la mesure où le système de relations qui les lient (structure) correspond exactement au système de relations qui relie les « objets » qu’elles réprésentent, à l’image d’une carte au sens traditionnel de la cartographie.

Comme nous ne connaissons le « réel » que par le truchement de son action (relations) sur notre système nerveux, nous ne pouvons le comprendre qu’en inventant des ensembles de symboles et de relations dont nous essayons de faire coïncider la structure avec celle des « objets » que nous étudions : tel est le but de la « mathématique », entre autres. Korzybski écrit :

« Comme les mots ne sont pas les objets qu’ils représentent, la structure et la structure seule devient notre liaison entre les processus verbaux et les faits empiriques. […] nous devons d'abord étudier les caractéristiques structurelles du monde et seulement après bâtir des langages de structure analogue, et non appliquer au monde nos structures linguistiques primitives. Toutes nos doctrines, institutions, etc. dépendent de principes verbaux. Si ces derniers s'expriment dans une langue possédant une structure inadaptée, nos doctrines et nos institutions posséderont la même inadaptation, ce qui nous conduira tout droit vers un désastre. » Science & Sanity, p. 59.

[modifier] Une analyse du langage

[modifier] Intensionnalité et extensionnalité

Muni de ces axiomes cadres, Korzybski poursuit son analyse dans le domaine du langage. De la mathématique élémentaire, il « importe » les notions d’intensionnalité et d’extensionnalité. Définir un ensemble en intension consiste à formuler une propriété commune aux objets de l’ensemble (ex : « l’ensemble des voitures bleues ») ; l’extension consiste à énumérer tous les éléments de cet ensemble (« voiture de Guy, de Pierre, de Monique… »).

Parfois, il faut énumérer une série d’objets semblables, sans pouvoir les différentier a priori par un attribut particulier. Korzybski suggère alors d’utiliser, à l’image des mathématiques, une indexation numérique : table(1), table(2), etc. Cette indexation peut également s’appuyer sur des distinctions temporelles (Le Petit Robert(1999), Le Petit Robert(2002), etc.) ou spatiales (l’océan Atlantique à Biarritz, à la Baule, à Brest…).

Si les ensembles sont finis, il est possible de les énumérer en un temps fini. Quand l’ensemble est infini, cela n’est pas possible (par ex. l’ensemble des nombres premiers) ; il s’agit d’ailleurs d’un 'avantage' de la définition intentionnelle : elle permet de 'spécifier' de manière concise une collection de taille importante, voire infinie. Pour profiter de cet avantage, tout en conservant l’orientation extensionnelle, Korzybski recommande l’utilisation des signes etc. ou … : il s’agit ici de clore une énumération faute de place/temps, tout en gardant à l' 'esprit', et en avertissant le lecteur/interlocuteur, que celle-ci continue, voire ne s’achève pas. On pourra ainsi énumérer l’ensemble des nombres premiers par {2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, etc.}.

Indexer spatio-temporellement constitue l’un des premiers moyens d’éviter des incompréhensions ou de démonter des arguties : parler de la science en général n’a pas de signification précise, à l’inverse de la science(ici, maintenant) ou de la science chez les papous il y a 200 ans. Cette remarque attire l’attention sur le fait qu’il existe une catégorie de mots, majoritairement abstraits (science, philosophie, vie, environnement, économie…), qui représentent des fonctions (selon le sens mathématique) : à moins de les préciser par un index spatio-temporel, ou, plus généralement, par un contexte particulier, ils ne possèdent pas d’acception clairement définie.

L’utilisation du symbole etc. nous permet également de nous conformer au deuxième principe, la non-toutité : si nous ne pouvons 'tout' dire sur un objet, nous pouvons en énumérer quelques propriétés, et compléter par etc. pour montrer que nous savons que la liste ne se clôt pas. Une pomme ronde, verte, jutueuse, mûre, etc. (par ex. : véreuse !) ; cet homme est grand, etc. ; etc.

[modifier] Observations et inférences

Lorsqu’un auditeur écoute une phrase prononcée par un locuteur, il s’approprie ce discours, et l’abstrait : il associe son contenu avec diverses expériences mémorielles, habitudes, catégories, attributs… souvent au « niveau silencieux » ; il s’agit de l’évaluation du discours. Cependant, rien ne nous assure que les évaluations du locuteur et de l’auditeur concordent (nous savons même qu’elles ne peuvent que diverger dans une mesure plus ou moins importante) ; faute de se mettre au préalable d’accord sur la signification exacte des termes utilisés, il y a des chances de mésentente.

L’une des manifestations les plus flagrantes de ce phénomène réside dans la distinction entre observations et inférences. Les observations dérivent d’une expérience perceptive directe : je vois une pomme. Maintenant, si je me tourne vers mon voisin qui me demande : « Que vois-tu ? » et que je lui dis : « Je vois une pomme », si lui ne peut pas la voir, il va sans doute se la représenter (activation des « niveaux silencieux ») comme possédant un certain nombres d’attributs (ronde, verte ?, sucrée, etc.).

Si maintenant je lui demande : « Quelle forme a ma pomme ? », il répondra sans doute : « Ronde ». Or, la pomme que je vois a été à moitié croquée et n’est donc plus ronde. Mon interlocuteur, en répondant, a confondu une carte « interne » (objet rond, vert, croquant, juteux, sucré…) qu’il a automatiquement associée au mot « pomme » avec un fait constaté (observation). Il a attribué une signification à mon observation qu’elle ne possédait pas. On parle dans ce cas d’inférence. Cette dernière ressortit à ce que l’on nomme confusion d’ordre d’abstractions, c’est-à-dire la confusion de mon abstraction (mon observation) avec une autre abstraction, qui résulte non d’une observation directe de cette pomme, mais de mon abstraction (donc d’ordre plus élevé). Cette distinction de l’ordre des abstractions occupe une place centrale en sémantique générale. Nous y reviendrons.

Autre exemple : les illusions d’optique. On peut rappeler à ce sujet que 80 % des afférences du corps genouillé latéral, qui constitue le premier relais thalamique de la vision, viennent de l’encéphale et non de la rétine…). Il faut concentrer son attention ou s’entraîner pour remarquer les différences. Korzybski a écrit un article intitulé : « Le rôle du langage dans les processus perceptuels », consultable ici : [2].

Dernier exemple. Si je vous dis : « José est rentré chez lui en voiture. », et qu'ensuite je vous demande : « Est-ce que José a pris sa voiture pour rentrer chez lui ? », si vous répondez : « Oui. », vous commettez une inférence. José a pu prendre la voiture de quelqu'un d'autre, en louer une ou encore être raccompagné par un tiers. La distinction observation inférence prend ainsi un rôle primordial dans le domaine des enquêtes policières.

Nous avons besoin, pour notre 'fonctionnement' normal, de jouer sur les observations et les inférences ; dans la plupart des cas, nos inférences se révèlent justes : un mouton aura bien quatre pattes, le paquet contiendra bien l'objet que nous attendons, etc. Elles forment le piment des phrases à double sens, à sous-entendus. Aux « niveaux silencieux », les inférences nous servent à anticiper des comportements, des mouvements, à saisir des objets, parfois à deviner des traits de caractère (intuition : « je le sens pas », « j'y crois dur comme fer ! », etc.). Cependant, pour ne pas commettre d'erreurs de jugement, il convient de demeurer conscient de la différence entre observation et inférence, de sorte à ne pas prendre l'un pour l'autre (et vice-versa).

Généralement, confondre observations et inférences ne se traduit, au pire, que par des surprises éphémères et sans conséquences majeures. Toutefois, certaines confusions sont plus préjudiciables, surtout quand elles renforcent de fausses tautologies (toutité : 'tous' les 'jeunes’sont des 'sauvageons'…) ; le lecteur cherchera lui-même quelles peuvent être les inférences reliées à certains noms ou adjectifs comme : « Arabe », « Américain », « Corse », « Juif », etc.

Quelques tests permettent d'évaluer l'aptitude à différencier observations et inférences. Voir ici : [3].

L'on peut remarquer que confondre observation et inférence consiste souvent à attribuer sans fondement des attributs à un 'objet' particulier que l'on n'a pas observé, ou insuffisamment, mais qui appartient à une 'catégorie' ('classe') connue possédant des caractéristiques 'habituelles'. Il s'agit donc, une nouvelle fois, d'une orientation (abusive) vers la ressemblance au détriment de la différence.

[modifier] Termes non-définis

Si nous parcourons un dictionnaire en commençant par un mot quelconque, que nous recherchons la définition des mots qui servent à le définir, et ainsi de suite, nous arrivons fatalement à tomber sur une boucle linguistique : le corpus lexical fini ne peut donner naissance à une chaîne de définition infinie. Ainsi, le mot B définira le mot A, le mot C définira B, et A définira C.

Korzybski remarque que cette particularité se rencontre dans la plupart de nos activités symboliques. Ainsi que nous l’avons dit, en science, nous construisons des théories mathématiques, logiques… de très haut niveau, inférentielles (dans le sens où nous les basons sur des hypothèses et que nous cherchons à les confirmer par des observations), dont la structure cherche à reproduire celle des phénomènes 'réels' que nous observons. Si la structure au temps t ne convient pas, nous la modifions en fonction de nouvelles observations. Etc. Il y a donc, là aussi, un phénomène de boucle. Bertrand Russell remarqua à ce sujet que : « Les mathématiques sont la science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle ni si ce que l’on dit est vrai. »

Korzybski dénomma cette caractéristique générique du savoir humain circularité.

Cependant, chacun de nous croit comprendre le discours des autres, ce qui signifie, que nous attribuons une valeur commune à certains aspects de notre vocabulaire. Compte-tenu de la circularité, cela implique que chaque personne possède un sous-ensemble lexical de base formé de termes primaires, non-définis, à l’aide desquels il construit ou interprète le sens des autres vocables qu’il connaît. Cet ensemble résulte de certaines catégorisations que nous effectuons d’après notre mémoire, expérience… Il s’agit d’un ensemble fluctuant, dynamique.

Si, en 1933, la neurologie ne possédait pas encore assez d’éléments pour appuyer cette thèse (dont la validité ne peut se contester), les découvertes récentes incitent à penser que les diverses aires corticales catégorisent nos 'perceptions' (séparation d’un 'objet' et de son 'environnement', du 'moi' et du 'non-moi', etc.) et établissent des corrélations automatiques entre les différentes 'catégories' pour former des scènes complexes. Pratiquement, cela signifie que la « relation », l' « ordre » spatio-temporel auraient un caractère inné. D’autres sensations, comme « froid », « chaud », « sucré », « clair », « agréable », « douloureux »… résultent également de l’évaluation directe de stimuli par le système limbothalamique (voire réflexe).

[modifier] Multiordinalité

— « Je ne suis certain de rien. »
— « En êtes-vous sûr ? »

Si nous prenons conscience qu’une phrase et une phrase à propos de cette phrase constituent deux niveaux d’abstraction différents, nous pouvons élégamment éviter de tomber dans le piège de certains paradoxes de langage, comme celui d’Épiménide : « Je mens ». Je mens s’interprète comme : « Je prononce une phrase P, dont j’affirme la fausseté. ». Mais P appliquée à P, c’est-à-dire : « Je prononce la phrase : « Je prononce la phrase P, dont j’affirme la fausseté », dont j’affirme la fausseté », n’est pas P, mais une métaproposition P', d’ordre d’abstraction plus élevé, indépendante de P, même si elle s’exprime dans les mêmes termes. Il n’y a ainsi aucune contradiction à ce que P soit vraie, et P' fausse, et ainsi de suite. Korzybski rejoint donc sur ce point la Théorie des types, formalisée par Russell et Whitehead.

Il se rendit compte également qu’une classe de mot possédait une 'propriété' particulière :

« Les mots 'oui', 'non', 'vrai', 'faux', 'fonction', 'propriété', 'relation', 'nombre', 'différence', 'nom', 'définition', 'abstraction', 'proposition', 'fait', 'réalité', 'structure', 'caractéristique', 'problème', 'savoir', 'penser', 'parler', 'haïr', 'aimer', 'douter', 'cause', 'effet', 'sens', 'évaluation' et ainsi de suite, un nombre très important des mots de notre vocabulaire doivent être considérés comme multiordinaux (m.o.). Ces termes ont une caractéristique sémantique très importante, à savoir qu’ils sont en général ambigus, ou \infty-valués, et que chacun d’entre-eux n’acquiert une signification définie, ou précise, qu’à l’intérieur d’un contexte fixé, quand l’ordre d’abstraction peut être connu. […] Tester la multiordinalité d'un terme est facile : faites une phrase à laquelle le terme s'applique ('vrai', 'faux', 'oui', 'fait', 'réalité', 'penser', 'aimer', etc.) ; faites maintenant une autre phrase a propos de la première et regardez si le même terme peut s'y appliquer : le cas échant, vous tenez un terme multiordinal. »

Science & Sanity, p. 433.

Par exemple, pour le mot « fait » :

  • « Je vois le train qui part » : un fait ;
  • « Je dis : je vois le train qui part » : un autre fait.

Pour « croire » :

  • « il fait beau » ; je le crois.
  • J'ai dit : « il fait beau. » ; je crois (que je l'ai dit).

En termes mathématiques : P(a) \ \wedge \ [Q(P)](a) : il existe une proposition 'P' possédant la propriété 'a' et une 'métaproposition' Q qui, quand on lui applique P comme variable, possède aussi la propriété 'a'. Les termes m.o s'appliquent donc à des phrases de quelque niveau d'abstraction que ce soit.

Il convient cependant de bien remarquer que, pour tester la multiordinalité d'un terme, il faut construire une seconde phrase à propos de la première, pas à propos du sens de la première.

Les termes multiordinaux n'ont pas de sens en 'général'. Tenter de les définir dans l'absolu ne conduit à rien, sauf à la confusion : l'Existence ? laquelle ? ; la Conscience ? De quoi ? ; l'ensemble ? De quoi ? ; la liberté ? De ? ; l'Idée ? Laquelle, de qui, de quoi ? ; la Pensée ? À quel propos ? ; etc.

De fait, explique Korzybski, beaucoup d’encre et de temps ont été dépensés en de vaines controverses 'philosophiques' à propos de ces termes puisqu’il s’agissait avant tout de se mettre d’accord sur le niveau d’abstraction de leur usage avant d’en parler, ce qui n’a pas été fait. En revanche, ces mots donnent beaucoup de souplesse à la langue, lorsqu’on prend la précaution de les utiliser correctement.

[modifier] Les termes el-, l’objectification

Dans l’ordre normal d’évaluation, nous partons du phénomène sensoriel (l’interaction) pour monter vers l' 'objet' silencieux puis les niveaux verbaux, où nous employons un symbole. En principe donc, nous ne devrions pas employer de symboles qui ne se réfèrent à rien ; un symbole sans signifié ne représente rien, son utilisation ne crée que du bruit. Les banquiers, remarque Korzybski, se révèlent particulièrement susceptibles envers vous quand vous faites un usage abusif d’un symbole, par exemple un chèque, alors que vous ne possédez plus l' 'objet' auquel ce chèque se réfère. La même règle devrait s’appliquer dans le contexte discursif.

Cependant, de tels symboles sans signifiés aux niveaux silencieux existent ; la science moderne a démontré que 'temps' et 'espace' ne correspondaient pas à la 'réalité', pas plus que 'onde' et 'particule' ou 'corps' et 'esprit'. Korzybski appelle objectification l’attribution d’un signifié fictif à un symbole non-référent. Ce comportement inverse l’ordre naturel d’évaluation, projette des 'réalités' verbales vers la 'réalité' silencieuse : il fait donc partie de la pathologie.

Les termes 'espace', 'temps', 'onde', 'particule', etc. qui séparent verbalement ce qui ne peut être séparé aux niveaux silencieux sont appelés élémentalistes, ou el..

[modifier] L’identification, et l’usage du verbe « être »

Nous abordons ici un des points clefs de la Sémantique générale.

Korzybski commence par détailler le mécanisme de réflexe conditionné, étudié chez les chiens par Pavlov. Il avance que le système nerveux fonctionne par associations, et que ces associations, lorsqu’elles sont souvent sollicitées, deviennent quasiment automatiques. De même, durant ses études en milieu psychiatrique, il note que certains patients réagissent systématiquement de la même façon à certains stimuli, dans quelque contexte que ce soit ; il cite également le cas de ce patient, atteint d’allergie au pollen de rose, qui commença une crise lorsqu’on lui présenta une rose en papier. Ce dernier identifia la rose 'réelle' avec sa copie crépon.

Korzybski met ainsi en évidence le caractère pathologique de certains comportements, fondés sur des associations inconditionnelles (justement !), des identifications. En tous les cas, poursuit-il, ces réactions résultent de ce qu’il nomme une confusion d’ordre d’abstraction : le sujet ne perçoit pas la différence entre des niveaux d’abstractions différents ; il confond le symbole et l' 'objet', l’observation et l’inférence, la situation actuelle avec un souvenir, etc.

L’objectification, ce que la psychiatrie appelle la projection, l’anthropomorphisme, la magie ou bien encore la confusion entre une inférence et une observation font partie des confusions d’ordres d’abstraction, des identifications. Ces identifications constituent la base des réflexes conditionnés des animaux. Appliqués tels quels à l’homme, ils ne peuvent que donner lieu à des comportements inadaptés. Une affirmation que l’on retrouve, sous une forme cachée, dans le dicton : « La peur n’évite pas le danger. »

Or, notre structure de langage, hérité des peuplades primitives indo-européennes, utilise principalement la relation type sujet-prédicat et fait un usage abondant du verbe « être » (« Qu’est-ce que c’EST ? C’EST une pomme ! », « Je SUIS un menteur »), lequel, quand il est utilisé comme dans cet exemple introduit invariablement cette confusion d’ordre d’abstractions en identifiant deux termes non équivalents d’une proposition. Ainsi, dans la première phrase, il y a confusion entre l' 'objet', qui appartient aux niveaux silencieux, et son symbole, et dans la seconde phrase, entre un nom de personne 'je' et un nom représentant une classe 'menteur'. Mais alors, comment répondre à la question « Qu’est ce que c’EST ? » ; réponse de Korzybski : « Nous devons pointer notre doigt vers l’objet et nous taire, car, quoique nous puissions dire de l’objet, cela restera à jamais au niveau verbal, incapable d’atteindre les niveaux silencieux auxquels l’objet appartient. »

Lorsqu'un bébé commençant à parler montre sa table couverte d'une nappe bleue en demandant Qu'est-ce que c'est ?, quel est le parent qui n'hésitera pas entre les réponses :

  • C'est une table
  • C'est une nappe
  • C'est du tissu
  • C'est du bleu

Comme, poursuit Korzybski, nos abstractions verbales ont un caractère essentiellement statique (nos catégories, sauf accident, se modifient, mais lentement), identifier revient également à attribuer une sorte de caractère immuable à un 'objet' : « l’homme est un animal » donne l’impression d’un état de fait éternel ; « c’est une pomme », mais si la pomme pourrit, quand finit la pomme et quand commence le 'quelque chose pourri' ? ; « la pomme est verte », mais si elle mûrit, quand va-t-elle cesser d' « être verte » ? Etc.

L'espagnol introduit ici une précision supplémentaire en ayant recours à deux verbes "être", ser et estar, l'un désignant les qualités permanentes et l'autre les attributs accidentels. Cela étant, il n'existe pas forcément beaucoup d'attributs permanents : "Je suis espagnol", "je suis grand", "je suis un homme" n'ont pas la volatilité de "je suis enrhumé", mais n'en sont pas pour autant des caractéristiques nécessairement permanentes dans la vie d'un individu, même si elles sont de fortes chances de l'être.

Seule la voix passive fait un usage réellement inoffensif du verbe « être » (et difficilement escamotable) : « La pomme est mangée par Jérôme ». On remarquera qu'il n'est alors utilisé que comme simple auxiliaire de conjugaison et non pour sa signification propre. Tout autre marqueur ferait aussi bien l'affaire.

[modifier] Les outils extensionnels

Comme nous l’avons vu, plus nous 'montons' dans les niveaux d’abstraction élevés, plus nous avons tendance à utiliser des catégories générales, de moins en moins individualisées, statiques, inférentielles, de plus en plus éloignées de la 'réalité', susceptibles d’identification. Si nous souhaitons nous mettre d’accord, il nous faut à l’inverse employer des abstractions de bas niveau (redescendre !). Pour cela, nous devons favoriser l’utilisation de procédés extensionnels. Il en existe un certain nombre, que nous avons déjà vus :

  • Indexer : la chaise(1), la chaise(2), etc. ;
    • Indexer en chaîne : chaise (1, 1), chaise (1, 2), etc. pour exprimer que le 'même' 'objet' se trouve dans des contextes différents ;
    • Utiliser les dates (cas particulier d’index) : José(2000), José(1999), José(2003), etc. ;
  • Le symbole etc. ;
  • Les apostrophes ' ' : pour monter que l’on est 'conscients' que l’on utilise un terme el. ou m.o abusivement pour les besoins du discours — y compris en bougeant les index à l’oral ;
  • Le trait d’union : pour relier des mots exprimant des réalités silencieuses inséparables : espace-temps, onde-particule, psycho-logie, etc.
  • Définir un 'objet' ou 'ensemble' en extension plutôt qu’en intension ; {Pierre, Paul, Jacques, etc.} plutôt que : « Les gens que je n’aime pas. » ;
  • Utiliser « je » plutôt que « on » ou des tournures impersonnelles ;
  • La pause thalamocorticale : se donner un temps, même imperceptible, avant de réagir à une situation pour laisser une chance à l’ensemble des centres nerveux, y compris néo-corticaux, de participer à la réponse ;
  • Etc.

L’utilisation de ces procédés aide à éviter des identifications abusives (Jean 'est' 'toujours' 'égal à' lui-même, la situation X 'est' 'la même que' la situation Y que j’ai vécue il y a dix ans…), introduit une stratification et un ordre, et met l’accent sur les différences entre 'objets' (dynamiques) plutôt que sur les ressemblances entre catégories. Elle nous aide également à rester 'conscients' que nous 'abstrayons' : l’acquisition de la 'conscience d’abstraire' constitue un des objectifs de la sémantique générale.

[…] (Non achevé, à suivre)

[modifier] Une théorie non-aristotélicienne

« Les mots toujours et jamais, il faudrait toujours se souvenir de ne jamais les employer ! » M. Kendig.

Korzybski repère ensuite, dans les édifices classiques (gravitation de Newton, géométrie euclidienne) la présence d'a priori, d'hypothèses confondues avec le réel (addition des vitesses, "postulat" des parallèles) qui se révèlent parfois non-conformes aux expériences (false to facts) ou bien valables uniquement dans le cadre d’approximations données.

Il remarque également que ces inférences se fondaient sur des mots el. : 'espace' et 'temps' absolus (en face de l’espace-temps), 'observateur' et 'observé', 'corps' et 'esprit', (en face de la psycho-logique), 'onde' et 'particule', etc. qui forment des 'tout' aux niveaux silencieux.

Korzybski baptise alors les théories scientifiques modernes (1933 : relativité générale, physique quantique, psychiatrie…), bâties sur le rejet de ces présupposés, théories non- : non-E, non-euclidiennes ; non-N, non-newtoniennes. Pour le reste, écrit-il :

« Je rejette la structure aristotélicienne, qu’on appelle généralement métaphysique (350 av. J.-C.) et je lui substitue la science moderne (1933). Je rejette les aspects structurels et sémantiques suivants du système A, que j’appelle postulats, et qui fondent le système aristotélicien :

  1. L’unicité de l’assertion sujet-prédicat ;
  2. La logique binaire, ainsi qu’exprimé dans le postulat du tiers-exclu : tout doit être ou bien ne pas être ;
  3. La confusion sémantique causée par la similitude entre le « être » d’identité, que je dénie totalement, le « être » de prédication, le « être » d’existence et le « être » auxiliaire ;
  4. L’élémentalisme qui s’exprime dans la différence nette entre corps et esprit, émotions et intellect, etc. ;
  5. La théorie el. des 'significations' ;
  6. Le postulat el. rigide de la cause et de l’effet ;
  7. La théorie el. de la définition, qui ignore l’existence des termes non-définis ;
  8. La théorie tridimensionnelle (statique) des propositions et du langage ;
  9. L’hypothèse de la validité générale de la grammaire ;
  10. La préférence pour les orientations intentionnelles ;
  11. La définition el. et additive de l’homme.

[…]

Je fonde mon système non-aristotélicien sur des prémisses négatives n'est pas, qui ne peuvent être réfutées, sauf à apporter un contre-exemple impossible, et donc j'accepte différence, différenciation, etc. comme fondamentaux.

  1. Je postule le caractère fondamental des relations, de l'ordre, de la structure ;
  2. J'accepte la logique floue de Łukasiewicz et Tarski, qui devient, dans mon système, une sémantique \infty-valuée ;
  3. J'accepte la description fonctionnelle autant que faire se peut ;
  4. Je postule le principe de non-élémentalisme et l'applique partout, ce qui me conduit à :
    • Une théorie non-el des 'significations' ;
    • Une théorie non-el des 'définitions' fondée sur les termes non-définis ;
    • Une théorie psycho-physiologique des réactions sémantiques.
  5. Je postule l'individualité absolue de chaque évènement aux niveaux silencieux, ce qui signifie qu'aucun prédicat ne peut jamais être certain, d'où un nécessaire principe d'incertitude dans chaque proposition ;
  6. J'accepte l' 'existence logique' comme fondamentale ;
  7. J'utilise des méthodes différentielles et quadridimensionnelles (dynamiques) ;
  8. J'utilise les fonctions prépositionnelles de Russell ;
  9. J’accepte les fonctions doctrinales de Keyser, et généralise les systèmes fonctionnels de Sheffer ;
  10. Je fonde la théorie quadridimensionnelle des propositions et du langage ;
  11. J’établis la multiordinalité de certains termes ;
  12. Je découvre et applique des considérations psychophysiologiques aux niveaux d’abstractions (non-el.) ;
  13. Je généralise le rapport binaire cause-effet à une \infty-causalité ;
  14. Je postule la validité de la théorie \infty-valuée du maximum de probabilité plutôt que du simple choix binaire ;
  15. Je fonde mon système non-A sur des procédés extensionnels, qui nécessitent l’utilisation générale du symbole etc. ;
  16. J’offre une définition fonctionnelle et non-el. de l’homme. »

Science & Sanity, p. 93-94.

En fait, Korzybski refuse principalement l'essentialisme hérité de la scolastique médiévale, et qui était encore très présent dans les esprits de son temps. Toutefois, il en reste lui-même imprégné et fonde son propre édifice de façon scolastique également. Il n'y mentionne pas par exemple l'inférence bayésienne pourtant connue à son époque et qui permet à chacun de réviser rationnellement ses a priori, ni ne s'attarde sur les travaux de Hume, Locke ou Russell.

Les terminologies de "non-A", "non-E", "non-N" ne sont pas dénués d'un potentiel mystificateur dont plusieurs organismes de formation à but lucratif sauront plus tard abuser.

[modifier] Conclusion

Cet article n’a évidemment pas l’ambition de faire le tour de 'toute' la sémantique générale. Korzybski insiste sur le côté inachevé de son travail, et sur la nécessaire remise à jour de la théorie en fonction des avancées de la science. Reste qu’à ce jour, à part les chapitres consacrés aux colloïdes, théorie tombée en désuétude après la découverte de l’ADN et du mécanisme de synthèse protéique, les conclusions structurelles esquissées en 1933 n’ont pas de raison d’être mises en cause. Pire : 'on' assiste parfois à des bourgeonnements épidermiques d’objectification, comme la fameuse question : « Qu’y avait-il avant le Big Bang ? » (voir cependant Gabriele Veneziano).

La sémantique générale n’a pas eu - jusqu'à maintenant - énormément de succès. Ses principales idées ont souvent été reprises ça et là, y compris dans des livres scientifiques récents, cependant sans véritable crédit à leur auteur. La difficulté de positionner le système à l’intérieur de la catégorie hermétique des théories scientifiques, sa compréhension malaisée et sa difficulté de « mise en œuvre » (comprendre verbalement le système ne suffit pas à l’appliquer aux niveaux silencieux, application qui demande 'temps' et patience pour contrebalancer les effets de la structure A de la majorité de nos langues) ainsi que sa fréquente confusion avec ou récupération par des 'dogmes' de type 'new-age' (ou la Scientologie), n’ont pas aidé à sa généralisation. Notons aussi que Science & Sanity est écrit dans un anglais assez lourd, la langue maternelle de Korzybski n’étant pas l’anglais mais le polonais.

L’écrivain A. E. van Vogt a contribué à populariser une certaine 'idée' de la sémantique générale dans ses trois romans (cf. Le monde des Ā, Les joueurs du Ā, La Fin du Ā), mais il semble que l’auteur canadien ait été plus attiré par le côté « super-intelligence » que promettait par endroits Korzybski à ceux qui embrasseraient la S.G. que par la réelle pratique de celle-ci. Or, la S.G. ne consiste pas en une série de recettes miracles pour rendre les gens plus intelligents. Le but de Korzybski semblait plutôt d’aller vers une 'théorie' de la 'santé mentale' (sanity), bâtir des gens 'responsables', 'humains', qui raisonnent mieux et plus sainement.

Elle attire notre attention sur un certain nombre de phénomènes, erreurs, abus, etc. et nous donne des moyens de les repérer et d’éviter de les commettre nous-mêmes. Les outils extensionnels insistent sur les différences, développant ainsi notre esprit critique et notre souplesse d’adaptation. La pause corticothalamique améliore également notre adaptabilité. Les termes multi-ordinaux expliquent la vacuité de certaines discussions, les trois principes évitent les identifications et dénoncent l’emploi d’un symbolisme excessif, où les symboles ne se réfèrent à 'rien', ce que Korzybski qualifie de « bruits de bouche » ou à 'tout', etc.

La S.G. nous invite également à essayer de mettre à jour nos « prémisses », c’est-à-dire nos postulats silencieux, reponsables de nos inférences. N’oublions pas que les théories scientifiques modernes se sont constituées précisément en prenant 'conscience' du caractère superflu d’un certain nombre de prémisses, comme le postulat des parallèles en géométrie. Elle ouvre ainsi la voie à une théorie générale de l’entendement et de la compréhension mutuelle dont l’état actuel du Monde montre plus que jamais l’urgence.

« Même si le système non-A ne réussit qu’attirer l’attention de l’humanité sur des questions jusque là ignorées ; qu’il se contente d’ouvrir la voie, non vers la panacée, mais vers un programme scientifique pratique, constructif et unifié grâce auquel de futurs désastres pourront être évités ou amoindris — j’en serai fort satisfait. » Science & Sanity, p. 561

Etc. !

[modifier] Vulgarisation - Artistes et auteurs

L'auteur de science-fiction A. E. van Vogt a popularisé les théories de Korzybski par le biais du Cycle du Ā dont Boris Vian a traduit les deux premiers romans en français. Ces théories ont parfois servi à appâter de simples naïfs lorsqu’elles étaient enseignées par certains formateurs peu scrupuleux.

La sémantique générale a été aussi popularisée indirectement par le peintre René Magritte dans son tableau La Trahison des images (1929) où il peint l'objet « pipe » (à fumer) et où il est peint en légende « Ceci n’est pas une pipe » dans le sens où le tableau ne constitue qu’une représentation de l’objet. Il interroge également le type de relation particulière entre le représenté et l'original, en montrant au même niveau - c’est-à-dire dans le cadre physique en bois par exemple, de la peinture - une pipe peinte et son modèle dans Les Deux Mystères [4] (1966).

Gaston Bachelard signale la sémantique générale dans son ouvrage La Philosophie du non (1940). Il y a notamment écrit : « Le monde où l'on pense n'est pas le monde où l'on vit », éclairant sous un autre jour un des axiomes principaux énoncé par Korzybski : « La carte n'est pas le territoire. »

Le biologiste français Henri Laborit a élaboré sa théorie de l'inhibition de l'action et ses travaux sur la structure des organismes vivants sur la sémantique générale, avec La Nouvelle Grille.

Henri Laborit et Gaston Bachelard étaient tous deux membres honoraires de l'Institute of General Semantics.

L'écrivain américain William Burroughs, qui avait suivi les cours de Korzybski, expérimenta les fonctions non-aristotéliciennes de l'écriture (la fonction de time-binding, et celle qui consiste à créer la réalité), dans les Essais, tomes 1 et 2.

[modifier] Remarques

  • Le verbe « être » est si peu usité en langue russe que tout s’y passe presque comme s’il n’existait pas. On n’a pas constaté pour autant chez ce peuple de vision spécifiquement plus claire que celle de n’importe quel autre. Il ne faut pas 'identifier' (m.o) le phénomène d’identification, structurel, avec l’emploi du verbe « être », linguistique. Ne pas utiliser le verbe « être » ne signifie pas « ne pas 'identifier' ».
  • 'On' constate souvent qu’une phrase gagne en clarté, tant chez son récepteur que chez son émetteur, si l’on prend soin d’en éliminer les verbes d’état comme « être » (sauf s’il est utilisé comme auxiliaire grammatical) pour les remplacer par des verbes opérationnels, qui possèdent - eux - une définition claire et non ambiguë. Utiliser, autant que faire se peut, des termes fonctionnels.
  • Une « langue » inspirée de l’anglais et n’autorisant pas le verbe être a été nommée E-prime. Dans la pratique, il s’agit juste d’un anglais s’imposant des règles faisant en sorte qu’on sache à tout moment définir ce dont on parle en ne s’exprimant qu’en termes opérationnels. Cela n’interdit pas les conversations sur le subjectif : on décrit alors simplement le résultat observable de ses états d’âme. Ces conventions sont tout à fait utilisables - et d’ailleurs utilisées - dans le quotidien, en anglais comme en français courant, par les locuteurs prudents ; elles ne semblent donc pas nécessiter un nom de langue distinct et particulier.

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Bibliographie des livres en ligne d'Alfred Korzybski:

En français:

Extraits de « Science and Sanity »:

En anglais:


[modifier] À propos de la sémantique générale

Sont regroupés ici quelques avis et commentaires sur la théorie qui préexistaient à la refonte de la page :

[modifier] La théorie et le monde réel

« La carte n'est pas le monde ». Affirmation dénuée de sens (Quelle carte ? Quel monde ?), puisque le verbe "être" n'en a pas non plus. Ce raccourci abusif met cependant bien en avant les différences qu'il peut y avoir entre ce qu'on voit ou croit du monde, d'une représentation et de ce qu'on peut en attendre réellement.

On peut reprocher à Alfred Korzybski d’avoir cédé parfois lui-même à une approche un peu mystique : de même que les succès de la Relativité venaient de son caractère non-newtonien, et de la géométrie non-euclidienne de l’espace de Minkowski, il vantait la sémantique générale comme une logique non-aristotélicienne. Sans être totalement fausse, cette présentation des choses a surtout popularisé la théorie auprès d’exaltés.

Dans son livre Science and sanity, Korzybski s’inquiète du danger d’un monde où il devient possible par les médias de manipuler les esprits en leur inculquant des visions coupées du monde réel (voir Philip K. Dick). En URSS, Italie et Allemagne, les événements sont alors en train de lui donner tristement raison : l’ouvrage paraît en 1933 !

Les techniques de psychologie comportementale controversée de la PNL se référent aussi à la sémantique générale.

Korzybski a été épinglé par le livre de Martin Gardner Fads and fallacies in the name of science comme philosophe naïf, peu organisé, répétitif et verbeux. La difficulté à le traduire en témoigne, et peut conduire à préférer les ouvrages de Bertrand Russell sur le même thème du rapport entre la réalité et la notion que nous en construisons. Il est probable que c’est le battage médiatique organisé autour de Korzybski à une époque qui a indisposé Gardner au moins autant, sinon plus, que son insistance à séparer l’univers du discours de l’univers réel, habitude tellement passée dans les mœurs aujourd’hui que nous ne la remarquons même plus . Elle ne nous sépare que davantage des cultures qui ne montrent pas cette capacité. Voir Pensée spéculative.

Bien sûr il faut voir aussi le fait que la sémantique générale n'a pas eu la chance d'avoir de prédécesseur pour rectifier son travail après sa mort. On peut n'y reconnaître que le souhait par un homme d'établir un changement utile dans les habitudes intellectuelles de tous. Dans la plupart des cas, la création d'une science nécessite le travail cumulé et combiné de plusieurs hommes; au-delà de l'intuition - même juste - d'un seul.