Mutinerie des soldats russes à La Courtine

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La Courtine est une commune française, située dans le département de la Creuse et la région Limousin. En 1901, un camp militaire y a été créé. Pendant la guerre 1914-1918, il sert de base arrière aux armées comme centre d'instruction et de préparation au front. En 1917, environ 8 000 soldats russes installèrent dans le camp une véritable république soviétique.

Sommaire

[modifier] Contexte

Le tsar Nicolas II de Russie
Le tsar Nicolas II de Russie

Les premiers mois de la guerre ont décimé les armées françaises qui connaissent une pénurie d’hommes. Il est envisagé dès 1915, d'envoyer au front la classe 1916. À la demande de Joffre, Paul Doumer, sénateur et futur Président de la République, se rend en Russie en décembre 1915, auprès de l'allié russe. Paul Doumer vient demander à Nicolas II de Russie des hommes afin de renforcer les armées françaises en difficulté. La Russie, faute de moyens matériels, ne peut pas utiliser tous les hommes en âge de se battre. La France demande 40 000 hommes par mois, en parallèle la délégation parlementaire française confirme la livraison à la Russie d'armes dont 450 000 fusils. Finalement la France obtient "seulement" 45 000 hommes dont 750 officiers, qui sont armés et équipés par elle.

Deux brigades sont envoyées en France (les première et troisième) et deux autres dans les Balkans (les deuxième et quatrième). Les deux brigades de soldats russes rejoignent la France par mer de Vladivostok à Marseille en passant par le canal de Suez. Elles débarquent en France le 20 avril 1916. Les soldats russes sont reçus comme des sauveurs par la population française. Dès leur arrivée, ils sont envoyés au front à Mailly. Là, ils s'entraînent à la guerre des tranchées, se familiarisent avec leur nouvel armement et avec la protection contre les gaz. Au cours de l'été 1916, ils sont affectés au secteur de Suippes et d'Aubérive où ils furent par la suite remplacés par la troisième brigade en octobre 1916. Les pertes de la première brigade s'élèvent déjà à 500 morts et blessés.

[modifier] Les soldats russes sur le front

En décembre 1916, le général Robert Nivelle prend la tête des armées à la suite de Joffre et lance au début de l'année 1917 de grandes offensives. Les pertes sont importantes dans les deux camps. Les Russes sont mis à la disposition de la Ve armée et participent à ces attaques aux côtés des troupes coloniales et bretonnes qui constituaient d'ordinaire la première ligne d'attaque, la plus vulnérable en pertes humaine. Ils interviennent à l'est du Chemin des Dames, entre Craonne et Reims. Les ordres sont de prendre les positions allemandes "d'un seul élan".

Avant l'offensive, ayant appris avec plusieurs de mois de retard que la Révolution avait éclaté en février dans leur pays, provoquant la chute du Tsar et la formation d'un gouvernement provisoire, décide de se constituer en comité de soldats, comme le prévoyait le pricaz n°1 du soviet de Petrograd. Ainsi, dans chaque compagnie, ils décident de voter de participer ou non à l'offensive. Mais ne pouvant communiquer avec tous leurs camarades pour connaître le résultat du vote, ils se résignent à partir au combat, qui, pour eux, serait le dernier sur le sol français. En trois jours, plus de cinq mille soldats russes sur environ dix-neuf mille sont tués ou blessés. Certains officiers auraient été tués par leurs hommes. Ces offensives d'avril 1917 marquent un tournant dans la guerre : après elles, les mutineries se généralisent aussi bien dans les armées française et allemande que parmi les appelés russes.

À la fin de l'offensive, les comités de soldats russes réclament leur retour en Russie. Pour éviter une mutinerie les Russes sont envoyés dans les Vosges et en Haute-Marne où ils vont défiler le 1er mai en chantant la Marseillaise en conspuant leur commandement. Les défilés des soldats russes du 1er mai 1917, chantant la Marseillaise, tournent à la rébellion : sur les drapeaux certains soldats russes ont inscrit « LIBERTÉ ». Des oriflammes rouges sont accrochés aux drapeaux. Le commandement militaire français s’inquiète de la possible contagion des idées révolutionnaires sur les soldats des armées françaises, dont bon nombre sont en rébellion larvée. Il décide immédiatement de les isoler. Les Russes sont alors déplacés loin du front dans le camp de La Courtine dans la Creuse.

[modifier] La mutinerie

La première Brigade, composée majoritairement de soldats en révolte, arrive fin juin à La Courtine, et la deuxième plutôt loyaliste début juillet repliée à Felletin. Dès leur arrivée, les soldats russes de la première Brigade s'organisent pour rallier les loyalistes et déclarent : "Dès notre arrivée en France, on a considéré le soldat russe non comme un homme, mais comme un objet utile et n’ayant pour seule valeur que sa capacité au combat. Mais au premier combat, une partie d’entre nous perd cette valeur et suit le sort déplorable d’un fardeau inutile jeté dans les hôpitaux. Pour éviter cela, il faut s’unifier et catégoriquement refuser d’aller au front. [...] Nous exigeons qu’on nous renvoie en Russie, d’où nous avons été chassés par la volonté de Nicolas le sanglant. Là-bas nous serons du côté de la liberté, du côté du peuple laborieux et orphelin." Des rumeurs parcourent le camp comme quoi les soldats russes auraient été achetés par l'armée française avec la fourniture de fusils aux armées du tsar Nicolas II.

Le camp de La Courtine devient alors un camp autogéré par les hommes de troupe et des sous-officiers, plus de 8 000 soldats qui exigent du gouvernement provisoire de rentrer en Russie. Ils désignent eux-mêmes leurs chefs. Après Baltaïs, qui négocie sans résultat avec les émissaires de Kerensky leur retour en Russie, c’est un Ukrainien, Globa, qui prend la tête des rebelles.

Pendant les négociations, les Russes fraternisent avec la population et participent aux travaux des champs, les hommes français étant au front. Effrayé par l'intransigeance des soldats et du risque de contagion sur les soldats français, l’état-major français envoie en août 3 000 soldats français pour isoler le camp de La Courtine. Les consignes sont strictes : utiliser la force pour réduire la rébellion. Une compagnie d'artilleurs russes est également envoyée sur place.

Le 12 septembre, la population civile est évacuée de la périphérie du camp. Le 14 septembre, le général commandant du Corps expéditionnaire somme les mutins de se livrer. Pendant que des mutins, à la demande de Globa, jouent la Marseillaise et la Marche funèbre de Chopin, les premiers obus tombent sur le camp, les mutins se protègent dans les casernes, les premiers soldats se rendent. Le lendemain, les coups de canons reprennent. Les redditions se multiplient, mais une centaine des plus déterminés, assiégés et bombardés, résistent. Enfin, le 19 septembre, les derniers mutins sont capturés et Globa est arrêté. Près de 150 soldats sont tués et un certain nombre réussissent à s'échapper.

[modifier] Épilogue

Le bilan officiel est de plus d'une centaine de morts. Pendant longtemps les autorités française ont tenu secret cette rébellion. Conscients que cet épisode ne pouvait, par son exemple, que susciter d'autres troubles, le haut commandement militaire décide a dissolution des deux brigades. Leurs chefs, dont Globa, seront mis au secret dans une forteresse.

Près de 400 officiers et sous-officiers tsaristes s'engagèrent aux côtés des armées françaises, dont certain après l'armistice, participeront aux combats contre l'Armée rouge. Quant aux soldats brigadistes, 11 000 seront intégrés à des compagnies de travail. Ceux qui refusèrent, près de 5000, ou se rebellèrent et furent déportés en Algérie dans des camps militaires, les autres étant placés d'office dans des fermes pour remplacer les fellhas combattant en France.

Ce n'est qu'à partir de 1920, qu'un certain nombre d'entre eux purent rentrer en Russie, d'autres s'installeront en France. On peut voir des tombes de soldats russes dans les cimetières de Cerny, Pontavert et à Saint-Hilaire-le-Grand.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Filmographie

"20 000 moujiks sans importance", documentaire de Patrick Le Gall (1999)

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie

  • Histoire des soldats russes en France 1915-1920 - Les damnés de la Guerre de Rémi Adam publié en 1993 Editions l'Harmattan
  • Les damnés de la guerre - Les crimes de la justice militaire (1914-1918); Roger Monclin; Paris ; Mignolet & Storz; 1934.
  • Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-1999) de Nicolas Offenstadt publié en 2000 un livre repris en collection Poche des éditions Odile Jacob
  • Les Mutineries de 1917 de Guy Pedroncini 1967.
  • Le Chemin des Dames, de l'événement à la mémoire, dirigé par Nicolas Offenstadt, chapitre de Rémy Cazals page 217 et suivantes Paris, Stock, 2004.
  • Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, préface de Rémy Cazals, première édition : Maspero, 1978; rééditions Éditions La Découverte, 1997 et 2003.
  • 1917,la révolte des soldats russes en France de Rémi Adam publié en 2007 Editions lbc, collection Histoire