Musique de chambre française du XIXe siècle

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Sommaire

[modifier] Introduction

« Si l'idée que « les Français ne sont pas musiciens » reste solidement ancrée dans les esprits, nul ne songerait plus à affirmer qu'il en fut toujours ainsi. Charpentier, Couperin, Rameau, Marais, Campra, Delalande et bien d'autres ont pris à présent la place qu'ils méritent dans l'histoire de la musique. En revanche, si l'on examine la période qui va de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, la constatation inverse s'impose. Certes, Berlioz, Debussy et Ravel appartiennent au grand répertoire » B. Duteurtre, in 150 Ans de Musique Française, p. 14.

Précisons cependant que d'une part, ces compositeurs se révèlent comme des exceptions émergeant d'un apparent désert, et que d'autre part, ils n'ont pas été particulièrement attirés par la musique de chambre. En effet, Berlioz n'a composé que six piécettes insignifiantes comme Rêverie et Caprice op. 8 pour violon et piano, Chasse à la grosse bête pour hautbois et basson ainsi que quatre autres pages perdues; on ne peut bien entendu négliger les véritables chefs-d'œuvre que constituent les quatuors à cordes de Ravel et Debussy, le trio avec piano et la sonate pour violon du premier, ainsi que la sonate pour violon et la sonate pour violoncelle du second. Coups d'essai, coups de maître. Toutefois, le catalogue de la musique de chambre de ces deux compositeurs est resté fort mince, et surtout, en ce qui nous concerne, leurs œuvres n'appartiennent plus à l'esthétique du XIXe siècle.

Examinons les deux autres illustres noms liés à l'histoire de la musique en France durant cette période. Chopin (tout de même un peu polonais...) n'a composé qu'une sonate pour violoncelle et un trio à clavier, pièces certes bien écrites mais n'arrivant pas à la cheville de ses géniales œuvres pianistiques. Quant à Franck, il constitue l'autre « cas » : né Belge, on peut cependant l'assimiler à un musicien français, eu égard à l'important rôle qu'il a joué dans la vie musicale française.

Le premier tour d'horizon terminé, qui donc reste-t-il en piste pour animer la scène française de la musique de chambre au XIXe siècle ?

[modifier] Contexte

Vers 1800, la vogue de la musique lyrique sévit par l'intermédiaire des Méhul, Berton, Boïeldieu, Lesueur, Catel, Cherubini ou Grétry, ne laissant que très peu de place à la musique de chambre. De plus, la Révolution française n'a évidemment pas favorisé ce style instrumental qui se pratiquait d'abord dans les salons où ne se côtoyait que du « beau monde » et où, en fin de compte, la virtuosité l'emportait sur l'Essence musicale que recèle la musique de chambre.

Cependant, des prémices s'étaient dessinées au travers de la trentaine de quatuors à cordes de Pierre Vachon (1731-1803) et des douze quatuors de Hyacinthe Jadin (1769-1800). Las, jusqu'en 1850, Paris est surtout pris d'assaut par des artistes étrangers dont le destin devient souvent inséparable de l'art français comme Viotti, Cherubini, Pleyel, Kalkbrenner, Reicha, Herz, Thalberg, Chopin et Liszt qui se sont distingués en tant qu’instrumentistes virtuoses, mais n'ont pas œuvré — en tout cas de manière significative — dans le domaine de la musique de chambre.

[modifier] Les débuts

Quelques compositeurs, dont la postérité n'a pas retenu le nom à juste titre, écrivent des pages sans grande importance tombant dans le piège de la mode de l'air varié (Platel, 1777-1835; Baillot, 1771-1842) ou succombant à la virtuosité de salon, comme Rode (1774-1830) avec ses «Quatuors brilliants» dont le premier violon ignorerait presque les trois autres instruments !

Par contre, Alexandre Boëly (1785-1858), George Onslow (1784-1853) puis Louise Farrenc (1804-1875) et Charles-Valentin Alkan (1813-1888) occupent une place bien plus importante que nous ne leur laissons encore actuellement (même si la reconnaissance que nous leur accordons a quelque peu progressé durant ces dernières années) : ils constituent le premier réel ferment de la musique instrumentale française entre l'avènement du Premier Empire (1804) et la chute du Second (1870). Ils n'eurent certes pas la vie facile pour faire passer leur message, comme le souligne Brigitte François-Sappey : « Quelle chance était donnée à des compositeurs, entièrement occupés de musique instrumentale «sérieuse», dans la France de Stendhal et Balzac, soucieuse de mondanité et de prospérité, toute bruissante des gloires étrangères et d'airs d'opéras ? » in 150 Ans de Musique Française, p. 54.

De fait, la musique de chambre doit aussi faire face au renouveau de l'opéra (Gounod, Bizet) et à la création de l'opérette (Offenbach, Chabrier, Delibes, ...). La France ne possédant pas de réelle tradition en musique de chambre, Boëly, Onslow et Alkan se basent sur les « modèles » germaniques : Beethoven, Schubert, Spohr, Mendelssohn, Schumann, etc. pour préparer l'avènement de la véritable École Française de musique de chambre.

[modifier] Tournant

Les années 1850 forment un tournant : Boëly et Alkan disparaissent, tandis que naissent les premières œuvres de Louis Théodore Gouvy (1819-1898), Édouard Lalo (1823-1892) et Camille Saint-Saëns (1835-1921). La musique de chambre est lancée, certes péniblement, mais son évolution sera consolidée par la création de plusieurs sociétés dont la célèbre Société Nationale de Musique, fondée en 1871 par Camille Saint-Saëns, Alexis de Castillon (1838-1873), Henri Duparc et Romain Bussine.

À partir des années 1870, outre Saint-Saëns qui continue à composer inlassablement, Castillon, Fauré (1845-1924), Chausson (1855-1899) et d'Indy (1851-1931) écrivent leurs premiers opus, sauf Franck (1822-1890), qui en est déjà à ses chefs-d'œuvre, et Lalo qui, après une longue période d'abstinence pour cause de découragement, compose ses derniers opus. Ce regain d'inspiration créatrice correspond, selon Jean Gallois, au fait que « le nationalisme, mis à mal par la défaite de Sedan, vient fouetter les énergies. C'est déjà tout un programme que la devise de la Société Nationale de Musique : « Ars Gallica ». Ce deviendra une sorte d'impératif moral, esthétique d'écrire de la musique française, même si elle reste plus ou moins marquée par le mage de Bayreuth. » in 150 Ans de Musique Française, p. 105.

C'est ici qu'il faut mentionner la seconde influence germanique due à Wagner et parvenue en France principalement par l'intermédiaire de Franck : sur les bases acquises, le franckisme donne un élan définitivement novateur.

[modifier] Conclusion

En résumé, la musique de chambre française, qui s’est heurté durant les trois quarts du XIXe siècle au dédain suscité par l’immense succès de l’opéra et de l’opéra-comique, s'est, grosso modo, développée laborieusement en quatre étapes :

  • les balbutiements des Vachon, Jadin et consort ;
  • les prémices, grâce à Boëly, Alkan, Farrenc et Onslow ;
  • les grands débuts : Gouvy, Lalo et Saint-Saëns ;
  • le début de la vraie reconnaissance, enfin, grâce à tous les compositeurs qui œuvrent dans les années 1870 et suivantes.

Du point de vue stylistique, la base provient essentiellement de la musique allemande via les professeurs et les voyages d'Alkan, Onslow, Boëly, Farrenc et Gouvy. Lalo et Saint-Saëns poursuivent dans cette voie, y apportant progressivement la verve et l'élégance typiquement françaises.

C'est alors que le travail discret de Franck, en tant que compositeur et pédagogue, commence à porter ses fruits : ses grandes innovations comme le chromatisme et la forme cyclique sont reconnus, défendus et repris par ses disciples Castillon, Chausson et d'Indy, également grands admirateurs de Wagner. Cependant, Ars Gallica oblige, Chausson déclare en 1886 : « Il nous faut déwagneriser ».

Par la suite, la musique de chambre française connaîtra un nouvel âge d'or grâce aux périodes de maturité de Fauré (1845-1924) et d'Indy (1851-1931), puis de Pierné (1863-1937), Magnard (1865-1914), Koechlin (1867-1950), Roussel (1869-1937), Vierne (1870-1937), Tournemire (1870-1939) et Schmitt (1870-1958) qui feront les beaux jours de la France musicale durant la première moitié du XXe siècle.

[modifier] Répertoire (sélection)

Ce répertoire, classé par ordre chronologique, omet volontairement les sonates (violon & piano; violoncelle & piano) pour se limiter aux principaux trios, quatuors, quintettes, etc.

Trios avec piano

(sauf mention contraire : violon & violoncelle)

  • Onslow
9 Trios (1806-1823)
  • Franck
Trio op. 6 (1834)
3 Trios op. 1 (1839-42)
Trio op. 2 (1842)
  • Alkan
Trio op. 30 (1841)
  • Onslow
Trio op. 83 (vers 1850)
  • Lalo
Trio op. 7 (1850)
Trio op. - (1852)
  • Farrenc
Trio op. 33 (? 1850-55)
Trio op. 34 (? 1850-55)
Trio op. 44 (cl, vc) (1861)
Trio op. 45 (fl, vc) (1862)
  • Gouvy
5 Trios (1853-1863)
  • Castillon
Trio op. 4 (1870)
Trio op. 17 b (1870)
  • Lalo
Trio op. 26 (1880)
  • Chausson
Trio op. 3 (1881)
  • d'Indy
Trio op. 29 (cl ou v, vc) (1887)
  • Saint-Saëns
Trio op. 92 (1892)
Quatuors à cordes
  • Onslow
36 Quatuors
  • Boëly
4 Quatuors op. 27 à 30 (1827)
  • Lalo
Quatuor op. 19 (1859)
  • Chausson
Quatuor op. 35 (inachevé) (?)
  • Castillon
Quatuor n° 1 op. 3 (1867)
Quatuor n° 2 (inachevé) (?)
  • Franck
Quatuor en ré majeur (1889)
  • d'Indy
Quatuor op. 35 (1890)
Quatuor op. 45 (1897)
  • Saint-Saëns
Quatuor op. 112 (1899)
Quatuors avec piano
  • Saint-Saëns
Quatuor en mi bémol majeur (1853)
  • Gouvy
Sérénade (1865)
  • Castillon
Quatuor op. 7 (1870)
  • Saint-Saëns
Quatuor en si bémol majeur (1875)
  • Fauré
Quatuor op. 15 (1875/76)
  • d'Indy
Quatuor op. 7 (1878-88)
  • Fauré
Quatuor op. 45 (1885/86)
  • Chausson
Quatuor op. 30 (1897)
Quintettes à cordes
  • Onslow
34 quintettes (2 vc)
  • Gouvy
Sérénade (4r & cb) (1853)
Quintette avec 2 violoncelles (1876)
Quintettes avec piano
  • Farrenc
Quintette op. 30 (avec cb) (1842)
Quintette op. 31 (avec cb) (? 1845-50)
  • Onslow
Quintette op. 70 (avec cb) (1846)
Quintette op. 76 (avec cb) (1849)
  • Lalo
Quintette (?)
  • Saint-Saëns
Quintette op. 14 (1855)
  • Gouvy
Quintette (1861)
  • Castillon
Quintette op. 1 (1870)
  • d'Indy
Scherzo (1871)
  • Franck
Quintette en fa mineur (1879)
  • Magnard
Quintette op. 8 (p & vents) (1894)
Autres combinaisons instrumentales
  • Onslow
Sextuor op. 30 (fl, cl, cor, bn, cb) (1806-26)
Nonette op. 77 (fl, hb, cl, cor, bn, 3o, cb) (1849)
Sextuor op. 77 bis (fl, cl, cor, bn, cb, p) (1849)
Septuor op. 79 (fl, hb, cl, cor, bn, cb, p) (1849)
Quintette op. 81 (fl, hb, cl, cor, bn (1850)
  • Farrenc
Nonette op. 38 (3o, cb, hb, cl, cor, b) (? 1850-55)
Sextuor op. 40 (p, cl, fl, hb, cor, bn (1851-52)
  • Saint-Saëns
Sérénade op. 15 (p, org, v, vc (1866)
Romance op. 27 (p, org, v (1868)
  • Massenet
Introduction et variations (fl, hb, cl, cor, bn, 4r, cb) (1872)
  • Saint-Saëns
Septuor op. 65 (tp, p, 4r, cb) (1881)
  • Gouvy
Octuor (fl, hb, 2 cl, 2 cors, 2 bn) (1882)
  • d'Indy
Suite dans le style ancien (tp, 2 fl, 4r) (1886)
  • Saint-Saëns
Carnaval des Animaux (1886)
Caprice sur des airs danois et russes (fl, hb, cl, p) (1887)
  • Gouvy
2 Sérénades (fl, 4r, cb) (1890)
  • Chausson
Concert op. 21 (v, p, 4r) (1891)
  • Saint-Saëns
Barcarolle op. 108 (v, vc, org, p) (1897)
  • Gouvy
Suite gauloise (fl, 2 hb, 2 cl, 2 cors, 2 bn) (1898)

3o = trio à cordes ; 4r = quatuor à cordes ; bn = basson ; cb = contrebasse ; cl = clarinette ; fl = flûte ; hb = hautbois ; org = orgue ; p = piano ; tp = trompette ; v = violon ; vc = violoncelle

[modifier] Bibliographie

  • 150 Ans de Musique française, Actes Sud, Biennale de la Musique Française, Lyon, 1991
  • Walter W. Cobbett, Dictionnaire encyclopédique de la musique de chambre, compl. sous la dir. de C. Mason, ed. fr. revue et complétée par A. Pâris, Robert Laffont, Bouquins, 1999
  • Norbert Dufourcq, La Musique française, Larousse, Paris, 1949
  • René Dumesnil, La Musique française romantique, 1944
  • Joël-Marie Fauquet, Les Sociétés de musique de chambre à Paris de la Restauration à 1870, Paris, Klincksieck, 1986
  • Marc Honegger, La Musique française de 1830 à 1914, Kassel, 1962
  • Lionel de La Laurencie, « Les Débuts de la musique de chambre en France », Revue de Musicologie, XV, 1934
  • Paul Landormy, La Musique de chambre en France de 1850 à 1871, S.I.M., août-septembre 1911
  • Paul Landormy, La musique française de la Marseillaise à la mort de Berlioz, Paris, 1944
  • Jean Mongrédien, La Musique en France, des Lumières au romantisme : 1789-1830, Flammarion, 1986
  • Frédéric Robert, La Musique française au XIXe siècle, P.U.F., Paris, 1963/R 1970
  • François-René Tranchefort, Guide de la Musique de Chambre, Paris, 1989