Litote

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Voir « litote » sur le Wiktionnaire.

Sommaire

[modifier] Étymologie

« litote » vient du grec « λιτότης » qui signifie « apparence simple, sans apprêts » et qui avait le sens rhétorique d’une figure par laquelle on laisse entendre plus qu’on ne dit.

[modifier] Avertissement

On trouve ici et là beaucoup de définitions de la litote mais celle-ci reste cependant au premier abord difficile à cerner.

  • Définitions traditionnelles

« Figure par laquelle on n'atténue sa pensée que par calcul, afin d'en laisser entendre davantage. On dit le moins pour le plus. » (Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, PUF, 1975)

« Figure de style qui consiste à employer les mots de façon atténuée pour suggérer davantage que ce qui est dit. »

« Affaiblir une expression pour lui donner davantage de force. » (D. Fontaine)

« Figure de rhétorique qui consiste à atténuer l'expression de sa pensée pour faire entendre le plus en disant le moins. On se sert d'une litote quand on suggère une idée par la négation de son contraire… Au lieu d'affirmer positivement une chose, la litote nie absolument la chose contraire, ou la diminue plus ou moins, afin de donner plus d'énergie et de poids à l'affirmation positive qu'elle déguise. » (Fontanier)

« L'art de paraître affaiblir par l'expression une pensée qu'on veut laisser dans toute sa force. On dit moins qu'on ne pense; mais on sait bien qu'on ne sera pas pris à la lettre; et qu'on fera entendre plus qu'on ne dit. » (Laharpe (1739-1803), cité par Fontanier.)

  • Il peut paraître paradoxal d’exprimer une chose avec plus de force en commençant par l’affaiblir. Un certain abus de langage fait qu’il devient alors problématique en s’appuyant sur cette définition de distinguer la litote de l’atténuation (dit encore aujourd’hui euphémisme) qui suivrait donc le même principe mais dont le résultat est complètement différent. La litote dépasse le poids sémantique des mots; l’atténuation le prend volontiers en charge.
  • La litote qui est principalement dynamique se produit rarement par calcul. On ne peut non plus asseoir cette figure sur la négation du contraire d’une idée pour retrouver systématiquement une affirmation renforcée puisque dans le champ sémantique une négation n’est pas elle-même équivalente à un contraire. La négation d’un contraire devra être nécessairement interprétée. Et, de fait, l’on constate que cette forme négative ne donne pas couramment une accentuation mais bien plus souvent une modulation de l’idée exprimée.
  • La dernière citation (Laharpe) : « on sait bien qu’on ne sera pas pris à la lettre » est juste, excepté, comme on le verra, qu’on ne peut prévoir absolument l’interprétation qui en sera faite par le ‘récepteur’ (mot qui remplacera : interlocuteur, lecteur, auditeur, etc.)

[modifier] Définition

La litote est une figure de style qui consiste à caractériser une expression de façon à susciter chez le récepteur un sens beaucoup plus fort que n’aurait fait la même idée exprimée en toute simplicité. Pour employer traditionnellement une formule lapidaire : "C'est laisser entendre plus qu'on ne dit". Cette figure envoie comme un signal destiné à être amplifié, mais cependant son intensité dépendra de la personnalité du récepteur.

L'effet de la litote est principalement généré par un vocabulaire neutralisé, ou une tournure inhabituelle: négation d'un contraire, formule décalée, ou enfin une expression de contournement : ce que P. Fontanier appelle une métalepse, figure qui conduit à l’expression indirecte d’une pensée.

[modifier] Recension

[modifier] Litotes et fausses litotes

1/ Exemples qui emploient comme la litote des formules négatives mais qui présentent des sens différents:

  • On reproche aux équipes de football françaises de jouer pour ne pas perdre
Doit-on comprendre qu'elles veulent absolument gagner ?
Non, un amateur de ce sport comprend tout de suite qu'on leur reproche de trop défendre et de ne pas suffisamment prendre de risques à jouer l'offensive pour inscrire plus de buts.
  • C’est loin d’être tout faux.
= c’est absolument exact !
= ce n’est pas tout à fait exact mais il y a là tout de même des choses justes à considérer.
  • Il n’est pas complètement stupide.
= il est très intelligent !
= pas une lumière mais il faut reconnaître qu’il trouve à dire des choses intéressantes.

Les adverbes « tout » et « complètement » ont été ajoutés ici pour apporter plus facilement une nuance et simuler par écrit un contexte oral où le ton du locuteur décidera du sens à donner (ton enthousiaste ou conciliant, par exemple). À ce sujet, on se rappellera la fameuse équivoque familière: « Ce n’est pas même la moitié d’un imbécile ! » par laquelle on laisse malicieusement l’interlocuteur pencher vers un sens ou l’autre.

Nous constatons que la différence sera faite selon l’impression donnée par l’émetteur. Familièrement, la forme la plus fréquente tourne justement autour de la négation d’une affirmation contraire et les exemples ci-dessus démontrent bien qu’il y aura soit une litote, soit une concession ou une modération du propos.

C’est le schéma :

  • On est obligé de constater que c’est tout à fait vrai (litote)
  • Il faut reconnaître qu’il y a une part de vrai (concession)
  • On n’ira pas jusqu’à dire que tout est vrai (modération)

2/ L'antiphrase ou la négation d’une évidence

« Nous voilà dans de beaux draps ! »

Pour signifier que la situation est devenue embarrassante. Cette expression fait partie de la multitude d’antiphrases du langage courant. On remarquera d'ailleurs que cette expression est si usitée telle quelle qu'il nous serait difficile de la placer dans son sens direct !

« Ce lieu reflète l’ordre et la propreté »

Pour désigner une pétaudière insalubre.

  • L’antiphrase est une figure qui feint de nier la réalité d’une chose qui ne peut l’être raisonnablement, pour mieux en accentuer le caractère d’exception. Elle se base sur la réaction prévue de l’interlocuteur qui n’ignorant pas la situation ne pourra en accepter la négation et devra rétablir l’affirmation pour l’apprécier.
  • Il n’y a pas comme dans la litote un élargissement de sens à interpréter mais sa normalisation obligée. Sa spécificité touche essentiellement au domaine de la plaisanterie, de l’ironie ou de la désillusion résignée.

3/ Distinction entre litote et métalepse

Fontanier en introduisant la métalepse a senti la difficulté de la distinguer de la litote dont il fait un cas particulier.

Exemple extrait d’une pièce de Racine (Bérénice)

Antiochus (qui aime Bérénice en secret et doit se résigner à l’éloignement)

...Je pars, plus amoureux que je ne fus jamais.

Bérénice.

Seigneur, je n'ai pas cru que dans une journée
Qui doit avec César unir ma destinée,
Il fût quelque mortel qui pût impunément
Se venir à mes yeux déclarer mon amant.
Mais de mon amitié mon silence est un gage:
J'oublie en sa faveur un discours qui m'outrage.

Le « ne pas croire » de Bérénice n’équivaut pas ici à une litote car son incrédulité est feinte. Elle atténue l’expression de surprise scandalisée, qu’elle aurait été en droit de tenir, pour ne pas accabler davantage le pauvre Antiochus, amoureux sans espoir.

Le « J’oublie » est plus délicat à interpréter.

  • On peut considérer d’abord cette expression comme un adoucissement (ou euphémisme) si on pense qu’Antiochus aurait pu être sévèrement réprimandé de son aveu inopportun. Ainsi traduit-on la réaction de la reine : mais non, il ne s’est rien passé ! (cf. : l’expression familière : Bon, je n’ai rien entendu !).
  • Le sens équivalent à « je pardonne » peut aussi très bien s’imposer et nous sommes alors plus proches de la litote. C'est-à-dire penser qu’après sa bévue, Antiochus comprend que la reine est sans agressivité et plutôt compatissante, et qu’il peut dès lors partir le cœur plus serein, se sachant pardonné par celle qu’il aime et épargné de tout ressentiment (le ressentiment, un comble pour un amoureux !).

4/ Litote et euphémisme

  • Un exemple très intéressant, tiré d’un film dont le titre "traduit mot à mot" est « Meurs un autre jour » (Die another day) montre une scène de baisers entre Bond et Miss Frost, qui pour échapper à la vigilance des gardiens, se trouvent obligés de simuler un couple d’amoureux. Miss Frost qui jusque là ne semblait pas apprécier la suffisance donjuanesque de l’agent secret, met de l’application dans son jeu de partenaire amoureuse. Si bien qu’après trois ou quatre échanges de plus en plus sensuels, on se demande avec Bond si le plaisir n’est pas partagé. Entre deux respirations, Bond lui déclare : « Je vois que vous êtes en progrès. »
Tout d'abord, on pourrait croire que Bond emploie une formule qui atténue la réalité, ne serait-ce que pour ne pas choquer l’amour-propre très vif de la jeune femme. Mais on comprend pourtant que ce n’est qu’une feinte car il joue sur deux situations : celle qui la complimente sur son talent de comédienne et celle accentuant par taquinerie sa confusion qui a trahi son émoi érotique.
  • Deux expressions ressemblantes mais à sens différents:
J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs... (Hugo, Les Contemplations)

Le dernier vers du poème « Afin que je m'en aille et que je disparaisse. » ne laisse aucune autre option de compréhension et il y a bien la litote: « j'ai bien assez vécu » qui veut dire : « je suis las de vivre et je puis mourir ».

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine... (Chénier, Élégies)

Le premier vers est habituellement donné sans appel comme une atténuation (ou euphémisme) pour édulcorer l'idée : elle est morte. Pourtant la litote n'est pas loin. La prosodie du vers fait naître tout de suite un autre sentiment, que le corps du poème confirme : il se dessine au fil des vers la nostalgie d'un appétit de vivre, d'un destin plein de promesses tragiquement coupé. « ... étonnée et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.» « Hélas ! chez ton amant tu n'est point ramenée, Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée,... » Elle est morte mais elle avait tout pour vouloir vivre encore...

[modifier] Litotes classiques

Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez-m’en,
Que le chien de Jean de Nivelle,

La Fontaine (Le Faucon et le Chapon)

Dans cette litote sans ambiguïté, la négation indique avec force que le chien était loin d’être « bête » et qu’il s’est comporté en chien prudent et finaud.

Autre exemple de litote cité par Fontanier

Racine (Iphigénie, Acte IV, scène IV)

Iphigénie …

Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente,
Et respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m' avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance
Paraît digne à vos yeux d'une autre récompense,
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J'ose vous dire ici qu'en l'état où je suis
Peut-être assez d'honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,

« Ne pas souhaiter perdre la vie ! » traduit bien la répulsion que la jeune, belle et comblée Iphigénie oppose au dessein de son père obnubilé par son expédition contre Troie et prêt à sacrifier jusqu’à sa fille.

Exemples de litotes passées en expressions courantes

Comme pour toutes les expressions devenues ‘triviales’, l’impact s’est affaibli.

  • Vous n’êtes pas sans savoir
= vous savez absolument, vous ne pouvez pas nier que.
  • Voilà une chose qui n’est pas sans rappeler.....
= c’est exactement la même chose qui arrive

Cas d’une litote dépendant de la personnalité de l’émetteur

« J’aimerais pouvoir dire qu’ils sont moins bons. »

On pourrait en conclure absolument: « je constate qu’ils sont trop forts » !

Avec le contexte, le sens est contrasté. Texte original: (extrait d’un site infos)

Enfin, le père de Linux (Linus Torvalds) a estimé que la machine était désormais lancée et pouvait très bien fonctionner sans lui :s’il devait partir; ce qu’il ne compte pas faire pour le moment. Selon lui, d’autres peuvent très bien reprendre le flambeau, avant d’ajouter avec humour: «J’aimerais pouvoir dire qu’ils sont moins bons. »

Nous avons récupéré le comparant: « moins bons que moi ». Torvalds fait mine d’être jaloux mais pour mieux se montrer satisfait de ses collaborateurs et potentiels successeurs. Les élèves vont sans doute dépasser l’œuvre du maître, lequel fait dans le même temps un clin d’œil: il se pourrait même, tant ils sont bons, que l’on en finisse par m’oublier ! (Heureusement pour lui le nom de système est tout de même décliné de son prénom)

[modifier] Autres cas de litotes

1/ Litotes par changement de point de vue


La litote pourrait bien apparaître dans cet exemple ci-dessus ce que les Anglo-saxons nomment l’« understatement » Elle joue sur le décalage du point de vue et l'humour est une des ses composantes. La langue française assimile très bien ce procédé que l’on retrouve fréquemment dans les feuilletons états-uniens.
  • G. House (éponyme du feuilleton) en cure pénible de désintoxication reçoit la visite de Wilson, ami indéfectible mais désabusé sur le caractère cynique du docteur. Lors de l’entrevue, le coriace docteur paraît plus sensible, se confie plus facilement et reconnaît enfin contre toute attente l’amitié véritable que son collègue lui témoigne. Ce qui étonne agréablement Wilson qui est vite détrompé par House : « Cela fait partie du programme psychologique. » Mais Wilson ne peut pas être dupe : il sait que c’est un réflexe de pudeur de la part de House et croit l’épanchement de son ami d’autant plus sincère.
  • Le docteur Mc Coy (Star Trek) fait une succession de compliments très flatteurs à une collaboratrice qui lui répond avec humour : « Vous n’avez rien d’autre à ajouter ? » La dame n’attend pas vraiment une suite mais signifie par là que si les compliments l’ont beaucoup touchée, elle les trouve excessifs à son égard.
  • Dans Pretty Woman, Édouard qui vient de quitter Viviane après une belle soirée passée ensemble mais sans avoir encore décidé franchement de la suite de leurs relations, remet l’écrin du collier de diamants au directeur de l’hôtel pour qu’il le remette à la bijouterie qui l’avait prêté. Le directeur le réceptionne et lui dit : « Il est difficile de se séparer d’une chose si belle ! » Edouard n’est pas directement concerné par le collier mais le jeu de mots sur la « chose » le ramène brusquement à une affaire de cœur à laquelle il devra donner une vraie fin.
Ce type de litote est de plus en plus utilisée en français: son but principal est de générer de l'ironie. Exemple inspiré d'un article d'un journal gratuit du matin traitant de la prochaine visite du couple présidentiel français à la Cour de Londres.


  • « ...L'une des photos, déjà vue dans un magazine espagnol, montre l'ex-mannequin nue avec des cuissardes. Il paraît que la reine préfère les chapeaux. »
Le changement inattendu de point de vue ramène brusquement au premier thème: passage sans transition à un objet innocent pour faire revenir sur le premier qui l'est beaucoup moins. [Le principe fait penser à celui de l'antiphrase mais cette dernière ne joue que sur la négation d'une seule et unique situation.]


2/ Litotes par détournement de situation

  • Une mère de famille reçoit de sa fille un message écrit du type: « Ça va ? » mais pressent aussitôt que sa fille est en difficulté et qu’il lui faut la rappeler au plus vite.
Il faut donc dans cet exemple établir le corollaire sous-entendu: « car chez moi ça ne va pas en ce moment… » Dans une simple phrase, le sens peut donc être plus large que celui qui est immédiat et dépendre de l’interprétation par le récepteur. L’émettrice connaissant la nature inquiète de sa mère espérait sans doute cette réaction.


3/ Litotes comme ressort dramatique (théâtre)

La litote est une figure scéniquement très employée pour promouvoir des sentiments dont l’expression directe serait par trop
conventionnelle.


« Signore, ascolta » est un air célèbre chanté par Liù, servante tombée amoureuse de son maître Calaf lorsqu’un jour celui-ci lui a souri. Elle veut le dissuader de vouloir conquérir le cœur de Turandot. Son chant douloureux se termine ainsi : et si vous mourriez [dans l’épreuve mortelle imposée par Turandot], le père perdrait un fils et, moi, le reflet d'un sourire.

Ei perdera suo figlio...
Io l'ombra d'un sorriso!
La cause proclamée pour l’effet ! C'est le type d'expression que Fontanier aurait appelé une métalepse. Contrairement au spectateur, Calaf pris par une passion folle ne devine pas à ces mots l’amour secret et ardent de Liù, laquelle plus tard se sacrifiera pour lui.


On ne peut ignorer la scène 6 de l’acte II des Plaideurs de Racine qui est un modèle de litote à répétition.
Isabelle a fait croire à son père Chicanneau que le billet doux qu’elle vient de recevoir puis de soustraire à sa lecture en le déchirant brusquement était un exploit d’huissier qu’elle a méprisé. Léandre, amoureux qui vient de se déclarer par ledit billet ne sait pas encore si ce dernier a été bien accueilli. Il est déguisé en commissaire intervenu avec l’intimé (l’huissier) et cela va lui permettre de la questionner avec une intention secrète qu’un tiers comme Chicanneau ne décèlera pas.
Le spectateur comprend la véritable signification des propos de Léandre tandis qu’Isabelle ne va la découvrir qu’au cours du dialogue.
(Évidemment, le jeu et l’intonation des comédiens prendront une grande importance.)


Chicanneau.

Hé ! Je n y pensais pas.
Prends bien garde, ma fille, à ce que tu diras.

Léandre.

Là, ne vous troublez point. Répondez à votre aise.
= soyez franche avec moi
On ne veut pas rien faire ici qui vous déplaise.
= je suis là pour vous conquérir
N'avez-vous pas reçu de l'huissier que voilà
Certain papier tantôt ?

Isabelle.

Oui, monsieur.

Chicanneau.

Bon cela.

Léandre.

Avez-vous déchiré ce papier sans le lire ?

Isabelle.

Monsieur, je l'ai lu.

Chicanneau.

Bon.

Léandre.

Continuez d écrire.
Et pourquoi l'avez-vous déchiré ?

Isabelle.

J'avais peur
Que mon père ne prît l'affaire trop à cœur,
Et qu'il ne s'échauffât le sang à sa lecture.
(Isabelle prend donc le billet à son compte)

Chicanneau.

Et tu fuis les procès ? C'est méchanceté pure.

Léandre.

Vous ne l'avez donc pas déchiré par dépit,
Ou par mépris de ceux qui vous l'avaient écrit ?

Isabelle.

Monsieur, je n'ai pour eux ni mépris ni colère.
= Isabelle indique clairement que la lecture du billet lui a fait le plus grand plaisir et qu’elle
n’est pas insensible aux vœux de Léandre. C’est la litote la plus efficace du dialogue

Léandre.

Écrivez.
  • À partir de là, Léandre va boire du petit lait en faisant à mots couverts s’affirmer les sentiments d’Isabelle et autant dire que s’ils sont transcrits sur papier (Écrivez !) les propos de cette dernière demeureront gravés dans son cœur pour ne pas être oubliés de sitôt !

Chicanneau.

Je vous dis qu'elle tient de son père :
Elle répond fort bien.

Léandre.

Vous montrez cependant
Pour tous les gens de robe un mépris évident.

Isabelle.

Une robe toujours m’avait choqué la vue ;
Mais cette aversion à présent diminue.
= Léandre se révèle donc séduisant et de beaucoup d’esprit

Chicanneau.

La pauvre enfant ! Va, va, je te marîrai bien,
Dès que je le pourrai, s'il ne m'en coûte rien.

Léandre.

À la justice donc vous voulez satisfaire ?
= vous avez donc agréé mon billet ?

Isabelle.

Monsieur, je ferai tout pour ne vous pas déplaire.
= je veux y répondre de tout mon cœur

L'intimé.

Monsieur, faites signer.

Léandre.

Dans les occasions
Soutiendrez-vous au moins vos dépositions ?
= vous ne changerez pas de sentiment ?

Isabelle.

Monsieur, assurez-vous qu'Isabelle est constante.
= je suis toujours fidèle en amour

Léandre.

Signez. Cela va bien : la justice est contente.
= j’ai la réponse que je souhaitais
Çà, ne signez-vous pas, monsieur ?

Chicanneau.

Oui-da, gaîment,
À tout ce qu'elle a dit, je signe aveuglément.'

[modifier] Autres exemples

Litote par pronomination

Dans Phèdre (Racine), le protagoniste amène par un portrait moral à faire penser à un autre qui est scandaleux. Faire ainsi deviner plus fort que ce qui est dit. En réalité, c’est le spectateur qui profite de l’écart entre l’apparence conventionnelle du propos et sa signification profonde et plus abrupte.
  • Voici l’exemple où par des allusions diffuses le propos est voilé pour le personnage antagoniste de la scène mais déployé dans toute sa force pour l’entendement du spectateur.

Phèdre.

Dieux ! Que ne suis-je assise à l'ombre des forêts !
Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière,
Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière ?
  • Hypallage : noble poussière= soulevée par le fils du roi, Hippolyte
  • Métonymie : Hippolyte, on l’a appris, est un fervent conducteur de char

Œnone.

Quoi, madame ?
Dans cette sorte de situation, la confidente peut être complice ou ignorante; si elle devine, c’est la crainte de l’imprudence ou bien l’indignation. Cependant, lors de cette scène, Œnone n’est pas encore avertie et seul le spectateur ressent à travers ces simples mots la puissance de l’évocation.
Débute alors une sorte de syllepse où l’image de l’époux va être transposé peu à peu en celle de l’amant potentiel.

Phèdre

Que dis-je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois, je lui parle ; et mon cœur... Je m'égare,
Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.

Hippolyte.

Je vois de votre amour l'effet prodigieux.
Tout mort qu'il est, Thésée est présent à vos yeux;
Toujours de son amour votre âme est embrasée.
  • Hippolyte n’est pas encore prêt à saisir l’allusion; Phèdre doit continuer

Phèdre.

Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu'on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,

Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue.

Hippolyte

Dieux ! Qu’est-ce que j’entends ? Madame…
Hippolyte, à travers l'évocation de l'aventure de son père (les deux derniers vers), vient de rétablir le sens du récit, c’est le choc ! Mais il devra être vite « détrompé » par Phèdre qui voit qu’elle est allée trop loin.


Litote par annomination

Faire penser à un mot par un ou plusieurs mots ‘paronomastiques’ (sonorités approchantes) ou par un ou plusieurs sens approchants.


Si que me voilà seul à présent, morne et seul,
Morne et désespéré, plus glacé qu'un aïeul,
Et tel qu'un orphelin pauvre sans sœur aînée.
O la femme à l'amour câlin et réchauffant,
Douce, pensive et brune, et jamais étonnée,
Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant!
En opposition avec « plus glacé qu’un aïeul », « réchauffant » est mis ici pour réconfortant, re-vit-alisant.

Cas tout de même subtil où il faut une certaine attention et une culture certaine pour saisir l’allusion de Verlaine si on n’ignore pas qu’il fut poète souvent scabreux et de surcroit compagnon intime de l’auteur des Remembrances du vieillard idiot (se « re-membrer... »).

Ce procédé est fréquent chez certains auteurs où la litote est un masque contre la censure ou la bienséance. Cette strophe comporte elle-même d’autres mots à sens caché, si on se réfère au glossaire rimbaldien.
Certains mots conservent donc sous un aspect modéré un sens fort. Ce sont principalement des mots édulcorés mais qui couvrent une connotation sexuelle (la sexualité est une constante vivace):
  • « baiser » est l'exemple type du verbe qui a d'abord contourné le sens de "posséder sexuellement" et qui, sous d'autres mœurs, est devenu un synonyme pleinement évocateur. Il agit même en extension : tromper, berner, tous des verbes qui acquièrent une nuance péjorative d'humiliation, de rancune, etc.

[modifier] Cas topique : « Va, je ne te hais point »

Corneille, Le Cid, acte III scène 4

  • Comme on l’a vu, on peut traduire cette réplique en termes familiers : « J’ai peur que tu ne m’en veuilles – Mais non, je ne t’en veux pas, je n’ai pas de haine contre toi. » Ce qui, évidemment, aurait un sens simple et ne serait pas une litote. La compréhension de ladite phrase réclame la situation précise. Un curieux poème de Hugo titré « Satan pardonné » reprend, comme un clin d’œil, le célèbre hémistiche :
Que vais-je devenir, abîmes ? J’aime Dieu !
Je suis damné ! L’enfer c’est l’absence éternelle.
Vers qui monte en pleurant mon douloureux souhait,
Cieux, azurs, profondeurs, splendeurs, --l’amour me hait !--
-- Non, je ne te hais point !...

Pas d’ambiguïté, il s’agit du sens direct, car « …Dieu n’est pas une âme, c’est un cœur… », Dieu est incapable de haïr.


  • Dans le duo de la scène, Rodrigue arrive désespéré et suicidaire: sa mort seule pense-t-il peut dénouer la situation tragique où l’honneur des antagonistes est en jeu. Chimène ne peut se résoudre à perdre Rodrigue qu’elle aime, qu’elle adore. Elle l’exhorte à partir avec ce réconfort suprême, qu'elle l’aime toujours. Comme le dit sur cet exemple Henri Morier: « elle dit le moins pour le plus. » et lui déclare «… qu'elle l'aime envers et contre tout. » Belle déclaration d’une fiancée dans un moment aussi dramatique. Si l’on en croit Fontanier, on doit le succès de cette "litote" à Laharpe (1739-1803) qui étudia l’œuvre théâtrale du Grand Siècle.

Cependant, un doute surgit et on peut légitimement s’étonner: comment des amants en arrivent-ils à ne plus pouvoir se dire tout simplement : « Je t’aime. » ? Comment un aveu immuable qui se suffit à lui-même depuis toujours pourrait-il être remplacé par une formule précieuse digne d’une ruelle du XVIIe siècle ? Et en quelque sorte s’affadir ! Car n’apprécions-nous pas ici, comme Laharpe lui-même, davantage la tournure de l'expression que son sens même, ne louons-nous pas la forme plutôt que le fond ? Jamais en tous cas des amants ne se seraient offusqués de ce mot magique, même dans toute sa nudité, même cent fois répété, de ce mot qui agit toujours avec une force identique.

  • En réalité, l’auteur des Stances à la Marquise est tout sauf un sentimental, il est même "l'anti-romantique" par excellence. Qu’est-ce qui peut attirer ces deux amoureux l’un vers l’autre ? On ne voit pas l’un s’extasier sur l’attrait physique de l’autre. Rodrigue trouve-t-il belle Chimène ? Chimène le trouve-t-elle beau ? Il nous faut donc voir une autre façon d’aborder l’œuvre. Comme on disait autrefois, les amants cornéliens s’aiment d’admiration. Ils doivent se montrer dignes de l’estime d’autrui. Ils sont tous deux de la même classe sociale, la plus haute, la plus intransigeante aussi. On y est subordonné à son pays et à son roi. Rodrigue représente l’avenir du royaume. Chimène brille à la Cour et représente le plus beau parti du pays. Leur seul souci est leur gloire. Gloire ! Un mot typiquement cornélien (rencontré quelque 35 fois dans la pièce), maintes fois cité par chaque personnage de la pièce impliqué dans la conservation de la sienne. Si Rodrigue n’a pas peur de mourir, Chimène est obsédée par sa gloire sans laquelle elle perdrait Rodrigue, qui, alors, ne pourrait aimer une Chimène sans honneur. La gloire, c’est la famille ancestrale illustre, le rang tenu dans le royaume à force de rigueur, de morale, d’abnégation et de courage, c’est le respect inspiré aux égaux et à ceux qui les servent, enfin socialement : leur seule raison de vivre.

Chimène :

« Il y va de ma gloire, il faut que je me venge… »
« Pour conserver ma gloire… »
« Ma gloire à soutenir et mon père à venger… »
« Pour souffrir qu’avec toi, ma gloire se partage… »

Elle conclut :

« Je suivrai ton exemple, et j’ai trop de courage… »

Il est malaisé de voir en Chimène une simple amoureuse. Elle est devant un dilemme qu’elle ne pourra sans doute pas résoudre seule. Corneille dont c’est la première ‘tragédie’ importante (il y a eu seulement l’obscure Médée) n’est pas encore au faîte de son art. Camille sera plus directe. Horace aussi ! La psychologie dans cette pièce, il faut le reconnaître, est un peu embrouillée. Corneille n’aura jamais ni la finesse ni l’habileté de Racine. Gérard Philipe jouait un Rodrigue moderne mais de la même manière qu’il jouait Lorenzaccio. Trop romantique, trop fragile, au détriment du génie du dramaturge. Depuis, on a conservé cette image.

Chimène reste lucide et maîtresse d’elle-même :

De quoi qu’en ta faveur notre amour m’entretienne
Ma générosité doit répondre à la tienne :
Tu t’es, en m’offensant, montré digne de moi,
Je me dois par ta mort montrer digne de toi.

Chimène est, dans la fameuse scène, bien plus gênée par la présence de Rodrigue - car le risque est énorme qu’on ne le voie chez elle - que prête à renouveler l’aveu d’un amour. Elle ne cesse de repousser Rodrigue.

« Va, laisse-moi mourir…
« Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau…
« Va, je ne te hais point.
« Va-t-en, ne montre plus…
« Va-t-en.
« Va-t-en, encore un coup, je ne t’écoute plus…

Concédons que les exclamations de cet échange prétendument amoureux sont défrisantes. Traduisons donc dans un autre esprit le fameux dialogue :

Rodrigue

Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir de ta main qu’à vivre avec ta haine.

Chimène

Va, je ne te hais point. (Va-t-en ! Je n'arrive pas à te haïr)

Rodrigue

Tu le dois. (Tu dois y parvenir !)

Chimène

Je ne puis. (Mais j’en suis bien incapable !)

Rodrigue

Crains-tu si peu le blâme et si peu les faux-bruits ?
Quand on saura mon crime et que ta flamme dure,
Que ne publieront point l’envie et l’imposture ?
Force-les au silence et, sans plus discourir,
Sauve ta renommée en me faisant mourir.
  • Mais nous allons faire jaser à la Cour ! Imagine les ragots, le mépris ! C’en est fait de notre réputation ! Arrête tout ça et fais ton devoir !

Il est difficile dès lors de voir en Chimène une femme victime languissante qui pleure sa passion. Elle lui signifie que les sentiments ne se commandent pas, tout simplement, et qu'on ne peut haïr de sa propre volonté. Des commentateurs avaient été jusqu’à dire que Rodrigue, après ça, pouvait repartir content ! Difficile à croire. C’est le type de traduction mal inspirée qui se perpétue sans relecture. La stichomythie de Corneille (dialogue rapide avec échange de phrases courtes) de nature souvent héroïque peut tromper. Rodrigue, dont, pour exalter le fameux effet de cette prétendue litote, on escamote toujours la réaction et les réponses, ne paraît pas du tout dans cette scène disposé à roucouler et il fait carrément de fortes injonctions et des reproches à sa fiancée. Et un « je t’aime » est bien la dernière chose qu’à ce moment Rodrigue qui veut en finir avec ce cruel dilemme, veut entendre de la bouche de Chimène. Cette dernière ne le sait que trop, d’où sa précaution... (donc un euphémisme par métalepse).

[modifier] Conclusion

Pour reprendre les termes de linguistique moderne employés par Molinié, cette figure est macro-structurale: la signification générale du segment informatif, une fois reçu, dépasse en intensité le sens propre des termes transmis. Le contexte psychologique, le degré de complicité, le niveau culturel, etc. seront déterminants pour "décoder" une litote. C’est une figure dynamique, qu’on ne peut définir par un système d’expression figée.

[modifier] Litote et style

Henri Morier (Dictionnaire de rhétorique et de poésie, 1975) rappelait que par extension le styliste parle de litote pour caractériser une manière d'écrire serrée, où l'adjectif et l'adverbe se font rares, où le simple est mis pour le composé, le positif pour le superlatif. Recours donc à l'ellipse, à la phrase nominale, sans périphrase ni hyperbole. Laconisme, sobriété, dire beaucoup en peu de mots, en restant en deçà de la substance à exprimer. Style dépouillé, rigoureux, dense et serré.

On retrouve ce sens dans un hebdomadaire d'informations:

Aujourd'hui, ils vivent une paix de plus en plus armée. « Je ne remarque pas de tension supérieure à celle que j'ai pu observer chez leurs prédécesseurs », dit avec son habituel sens de la litote et un flegme inébranlable le conseiller social...

Selon le mot connu, on peut considérer que la langue française classique est à elle-même une litote. La litote comme esprit d’écriture a été surtout le style d’une époque (XVIIe siècle et XVIIIe siècle) certes révolue mais qui a été déterminante pour la formation de la langue sur laquelle elle a laissé une empreinte qui subsiste aujourd’hui.

[modifier] Bibliographie de référence

  • Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, PUF, 1975
  • Pierre Fontanier, Les figures du discours, Flammarion, 1977.
  • Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, LGF, 1992.
  • Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, LGF, 1993.
  • Jong-Oh Lee, Contribution à une étude linguistique des figures de style : l'ironie, l'hyperbole et la litote dans "Belle du seigneur", d'Albert Cohen, Aix-en-Provence, 1994, 534 p. (thèse)