Lanceur d'alerte

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L'expression lanceur d'alerte sert à désigner un simple citoyen, un professionnel ou un chercheur qui découvre des faits pouvant constituer un danger pour l'homme ou son environnement et qui décide de les porter à la connaissance d'instances officielles, d'associations ou de médias, parfois contre l'avis de sa hiérarchie. A la différence du délateur, le « lanceur d'alerte » est dépourvu de connotation négative.

En langue française, la notion, récente, est inventée par Francis Chateauraynaud et Didier Torny ; elle a notamment été popularisée par André Cicolella.

Au cours des vingt dernières années, en France, plusieurs personnes ayant lancé de telles alertes ont été menacées ou poursuivies par leur employeur ou d'autres acteurs, cela a incité des mouvements associatifs ou politiques à demander la mise en place d'une législation afin de protéger les lanceurs d'alerte, en s'inspirant ainsi du droit existant dans différents pays dont les États-Unis. Le Grenelle de l'environnement, en 2007, a proposé une protection juridique des lanceurs d'alerte.

Sommaire

[modifier] Définition de la notion

S'inspirant de travaux sociologiques sur les sciences et les risques, la Fondation Sciences citoyennes[1] définit ainsi le lanceur d'alerte : « Simple citoyen ou scientifique travaillant dans le domaine publique ou privé, le lanceur d’alerte se trouve à un moment donné, confronté à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics. Malheureusement, le temps que le risque soit publiquement reconnu et s’il est effectivement pris en compte, il est souvent trop tard. Les conséquences pour le lanceur d’alerte, qui agit à titre individuel parce qu’il n’existe pas à l’heure actuelle en France de dispositif de traitement des alertes, peuvent être graves : du licenciement jusqu’à la « mise au placard », il se retrouve directement exposé aux représailles dans un système hiérarchique qui ne le soutient pas car souvent subordonné à des intérêts financiers ou politiques. »[2]

[modifier] Historique de la notion

[modifier] En langue française

En France, l'émergence d'un droit de critique par les salariés prend place dans la seconde moitié des années 1990.[3]

En langue française, la notion de lanceur d'alerte a en partie été popularisée par André Cicolella, chercheur en santé environnementale à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris).

  • 1996. La notion est créée par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny, dans le cadre de leurs travaux sur les risques. Après un rapport remis au CNRS en 1997, intitulé "Alertes et Prophéties", ils publient « Les Sombres précurseurs : Une Sociologie pragmatique de l’alerte et du risque »[4]. Pour ancrer leurs concepts, les auteurs analysent les processus d’alerte à partir de trois exemples de risques technologiques : l’amiante, le nucléaire (risque radioactif) et la « vache folle ».
  • 1999. Avec la publication de leur livre, « Les Sombres précurseurs : Une Sociologie pragmatique de l’alerte et du risque », la notion de lanceur d'alerte commence à se répandre.
  • 2000. La Cour de cassation rétablit André Cicolella (cf. infra pour les détails juridiques de l'affaire) dans ses droits en reconnaissant le caractère abusif de son licenciement et reconnaît pour la première fois dans son arrêt la nécessité de « l’indépendance due aux chercheurs », l’employeur devant « exercer son pouvoir hiérarchique dans le respect des responsabilités » qui leur sont confiées. [5]
  • 2003. Les premières utilisations publiques de la notion remontent aux colloques scientifiques « La protection du lanceur d’alerte sanitaire » organisé par la Fondation « Sciences citoyennes » à Paris V - Faculté de Jussieu (29 mars 2003) et la «Conférence sur la clause de conscience» organisée par l'APSAB (Association for the promotion of scientific accountable behaviour)[6] à Genève (Suisse) le 25 septembre 2003[7].
  • 2005. Le livre « Alertes Santé »[8] permet à André Cicolella et Dorothée Benoit-Browaeys de faire connaitre la notion au grand public : « Le caractère cancérigène de l’amiante a été prouvé dès 1950. Pourtant, l’amiante n’a été interdit en France qu’en 1997 ! Ce scandale ne doit pas se reproduire. Il est donc essentiel d’être à l’écoute des lanceurs d’alerte. »
  • 2007. A l'occasion du Grenelle de l'environnement, plusieurs associations proposent d'accorder un statut juridique aux lanceurs d'alerte. Le principe d'une loi sur cette question y est acté.[9]
  • 2008. La mission Corinne Lepage, chargée de la traduction juridique des orientations prévues par le Grenelle de l’environnement en matière de gouvernance écologique intègre la question de la protection juridique des lanceurs d'alerte dans son rapport publié en février 2008[10].


[modifier] En langue anglaise

La notion la plus proche de l'expression « lanceur d'alerte » en langue anglaise est le « whistleblower}} ». Cette expression renvoie à l'idée de « délation » qui n'est pas autant négativement connotée en anglais et se traduit mieux par « tireur d'alarme ».

[modifier] Origine et définition

L’expression « whistleblower » désigne à l'origine les policiers soufflant (« blow ») dans leurs sifflets (« whistle ») à la fois pour appeler les forces de l'ordre et pour alerter les citoyens d'un danger.

Le « whistleblower » est un employé ou ex-employé d'une entreprise ou d'une agence gouvernementale qui signale une mauvaise conduite à une autorité susceptible de mettre fin à cette mauvaise conduite. Cette dernière recouvre les violations de lois et réglements et/ou une menace directe sur l'intérêt général telle qu'une fraude, de la corruption ou une menace sur la santé et/ou la sécurité des hommes.

Il s'applique en particulier aux questions liés aux ententes illégales entre producteurs.

[modifier] Protection juridique des « whistleblower »
  • Au Royaume-Uni, le « Public Interest Disclosure Act » protège depuis 1998 les « whistleblower » du licenciement et des pressions.
  • Aux États-Unis, la protection des « whistleblower » dépend notamment du sujet abordé par la dénonciation et du statut du dénonciateur. Un ensemble complexe de lois adoptées entre 1912 (« Lloyd-La Follette Act ») et 2002 (« Sarbanes-Oxley Act ») pourrait être modernisé par un nouveau projet de loi intitulé « Whistleblower Protection Act » présenté en 2007.
  • Plusieurs autres pays bénéficient de législations protégeant les lanceurs d’alerte. Marie-Angèle Hermitte et Christine Noiville, membres du CNRS citent notamment la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou encore de l'Afrique du Sud[11].
  • En France, divers études et enquêtes ont mis en évidence une faible propension des salariés français à dénoncer des fraudes[12], par peur d'être licencié, voire pour ne pas mettre en péril l'activité économique de l'entreprise. Leur participation efficace à l’alerte environnementale et sanitaire impliquerait des garanties accordées au salarié de bonne foi. Il existe une règle générale de protection, plus ou moins appliquée quand aux cause valables (réelles et sérieuses) de licenciement, ou des règles plus spécifiques.
    Une confidentialité garantiée pour le recueil de l’alerte peut rassurer les grandes entreprises, mais non ceux des très petites entreprises. Les signalements de discrimination, harcèlement, maltraitance et corruption, sont réputés, comme droit d’expression du salarié, protégés par le code du travail :
    • Article L. 1132-3 - Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés ; [Ces articles concernent des discriminations]
    • Article L. 1132-4 - Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. Article L. 1153-3 - Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.
    • Article L. 1153-4 - Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul.
    • Article L. 1152-2 - Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
    • Article L. 1152-3 - Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
    • Article L. 2281-3 - Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement. [Il s’agit ici du droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation du travail
    • Article L. 4131-3 - Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.
    • Art. R. 4624-18. - Tout salarié bénéficie d’un examen médical à la demande de l’employeur ou à sa demande. La demande du salarié ne peut motiver aucune sanction.
Dans un établissement ou service social ou médico-social, l’article L. 313-24 du Code de l’action sociale et des familles interdit à l’employeur de prendre en considération, notamment pour décider la résiliation du contrat de travail le fait que le salarié a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements.
Un relatif vide juridique existe cependant en France concernant les alertes en matière de pollution ou de mise en péril potentiel ou effective de l'environnement (Proposition du Grenelle de l'Environnement). Idem pour les « alertes professionnelles financières » (proposition du rapport Antonmattei-Vivien).

[modifier] Quelques exemples de « whistleblower »

Parmi les « whistleblower » les plus célèbres, on compte Jeffrey Wigand, cadre de l'industrie du tabac qui révéla au grand public que cette industrie connaissait depuis longtemps le caractère addictif et cancérigène des cigarettes. Son combat a été écranisé par Michael Mann sous le titre Révélations (The Insider) en 1999.

[modifier] Champ d'application de la notion

Commentant la proposition du Grenelle de l'environnement d'accorder une protection juridique aux lanceurs d'alerte, le journaliste altermondialiste Hervé Kempf précise « qu'à l'origine de la découverte des risques de l'amiante, du nucléaire, de la vache folle, et de bien d'autres problèmes écologiques et sanitaires, il y a eu des lanceurs d'alerte. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, des lois protègent de tels "trublions". »[9]

[modifier] Quelques exemples de lanceurs d'alerte

  • Henri Pézerat, chimiste , un des membres fondateurs du collectif intersyndical de Jussieu qui, dès le début des années 1970 a alerté sur les dangers de l'amiante - voir le livre Danger ! Amiante qui raconte l'histoire du conflit de l'amiante en France. Animant la contre-expertise notamment en toxicologie, il a également contribué au retour de l'amiante dans le débat public au milieu des années 1990.
  • Jean-François Viel, épidémiologue et Professeur à l'Université de Besançon, auteur notamment d'une étude sur les leucémies autour des sites nucléaires de La Hague, laquelle avait créé un précédent en matière d'exposition des populations riveraines autour des centres nucléaires français - sur le modèle de Sellafield en Angleterre. Cette étude, publiée dans une revue anglo-saxonne, a été reprise en France par Science&Vie en décembre 2005, dans un numéro qui titrait "Nucléaire et cancer".
  • Georges Méar, pilote de ligne ayant fait construire une maison à Brest en 1989 et subi un empoisonnement chimique lié aux matériaux de construction de cette maison, a porté, des années durant, une alerte sur la pollution intérieure des habitations, qui n'a fini par devenir un problème public et reconnu, en France, qu'à partir de la fin des années 1990. Un lanceur d'alerte qui a réussi, puisqu'a été créé en 2001 l'Observatoire de la Qualité de l'Air Intérieur (OQAI).
  • André Cicolella, chercheur à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), est sanctionné[13], en 1994, par sa direction pour avoir souligné publiquement les dangers de l'éther de glycol. En octobre 2000, après six ans de procédure, la Cour de cassation le rétablit dans ses droits en reconnaissant le caractère abusif de son licenciement.
  • Pierre Meneton, chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et spécialiste des maladies cardio-vasculaires, attaqué en justice le 31 janvier 2008 pour avoir dénoncé le poids des lobbies dans le domaine de la santé. Le Comité des salines de France lui reproche d'avoir dit dans une interview, en mars 2006, que « le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire industriel est très actif. Il désinforme les professionnels de la santé et les médias ».[14] En France, on consomme 10 g de sel par jour. André Cicolella conclue : « Si on passe à 6 g par jour, on réduit de 22 % les accidents vasculaires cérébraux et de 16 % les infarctus, selon les estimations des experts. ». Le 13 mars 2008, le tribunal correctionnel de Paris donnait raison à Pierre Meneton et déboutait le Comité des salines de France[15].
  • Étienne Cendrier, porte-parole de l'association « Les Robins des toits » soulignant les dangers mal évalués des ondes générées par la téléphonie mobile, poursuivi en diffamation par les compagnies de téléphone portables (il a été relaxé dans deux cas, la procédure se poursuit dans un troisième).[14]
  • Christian Vélot, chercheur à l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire subit de nombreuses privations matérielles : confiscation de la totalité de ses crédits pour 2008, privation d’étudiants stagiaires, menace de déménagement manu militari, et décision arbitraire de non renouvellement de son contrat. Il estime que sa direction le sanctionne parce qu'il a pris publiquement position sur les risques sanitaires liés à l'introduction des organismes génétiquement modifiés dans l'alimentation.[16]
  • Véronique Lapides, présidente du Collectif Vigilance Franklin[17] soulignant le nombre élevé de cancers parmi les enfants ayant fréquenté l’Ecole maternelle Franklin Roosevelt construite à Vincennes sur une partie du site de l'ancienne usine chimique de la société Kodak. [18]
  • Thierry Souccar, journaliste et écrivain scientifique a fait connaître au grand public les résultats d'études mettant en cause de nombreux aliments transformés par l'industrie agro-alimentaire et pourtant innocentés ou recommandés par les autorités sanitaires. Il a ainsi dès 1997 souligné la responsabilité du sucre et des céréales raffinées dans le risque d'obésité et de diabète, alors que cette responsabilité était encore en 2001 contestée par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Dès 2004, il a souligné que la consommation de laitages au niveau des recommandations officielles ne prévient pas l'ostéoporose et qu'elle peut favoriser des maladies chroniques[19].

[modifier] sources et références

[modifier] Bibliographie

[modifier] Colloques et conférences

[modifier] Filmographie

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. (fr) L'Association Sciences citoyennes association fondée en 2002 qui vise à « développer une expertise citoyenne au sein de la société civile ».
  2. (fr) Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?, 29 janvier 2008
  3. (fr) Santé publique et droit du travail, Marie-Angèle Hermitte, Marthe Torre-Schaub (Chercheurs au Centre de recherches sur le droit des sciences et des techniques, Paris I - CNRS), 4 novembre 2005.
  4. (fr) Paris, Editions de l'EHESS, 1999, (ISBN 2-7132-1331-2).
  5. (fr) arrêt de la Cour de cassation du 11 octobre 2000.
  6. (fr) « L'APSAB (Association for the promotion of scientific accountable behaviour) se consacre à la promotion de la responsabilité en matière de durabilité écologique au sein de la communauté des scientifiques et des ingénieurs. Inquiète de la croissance des inégalités, et plus particulièrement lorsque celles-ci procèdent d'un développement incontrôlé des nouvelles technologies qui peuvent dans certains cas menacer l'ensemble des hommes et leur l'environnement, l'APSAB se définit comme une passerelle entre les scientifiques et les ingénieurs d'une part, et le public d'autre part. » cité par Débat santé environmentale
  7. (fr) "Le public doit exercer un contrôle éthique sur la science", interview de André Cicolella publiée sur transfert.net le 11 septembre 2003.
  8. (fr) Editions Fayard, Paris, 2005, (ISBN 2-213-61918-2)
  9. ab (fr) Les "lanceurs d'alerte" demandent un statut qui les protège, Le Monde, le 23 octobre 2007
  10. (fr) Rapport mission Corinne Lepage post auditions Version Finale _IX_ bis, Paris, février 2008
  11. (fr) Les "lanceurs d'alerte" français en quête d'un cadre législatif protecteur article de Paul Benkimoun publié dans Le Monde le 31 mars 2008.
  12. Les Echos, article du 5 juin 2007
  13. licenciement pour faute grave le 10 mai 1994, soit quelques jours après l'organisation d'un symposium international sur la question de l'éther de glycol.
  14. ab (fr) « Il faut une loi pour protéger les lanceurs d'alerte », Le Monde, 29 janvier 2008
  15. (fr) Les méfaits du sel caché, article de Paul Benkimoun publié le 15 avril 2008 dans Le Monde.
  16. (fr) « Le cas Christian Vélot » sur le site de l'Association Sciences citoyennes
  17. (fr) Site du Collectif Vigilance Franklin.
  18. (fr) Ministère de la Santé : Sécurité sanitaire et santé publique, École Franklin Roosevelt à Vincennes
  19. Souccar T., Robard I. : Santé, mensonges et propagande. Ed. du Seuil, Paris, 2004