Investissement socialement responsable

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Sommaire

[modifier] Définition

L’investissement socialement responsable (ISR) est un investissement individuel ou collectif effectué selon des critères sociaux, environnementaux, éthiques et de gouvernance d'entreprise sans occulter la performance financière.

Pour certains, l’ISR est même « la déclinaison financière et spéculative du développement durable »[1].

Autrement dit, l’investissement socialement responsable se définit comme la composante financière du concept de développement durable par lequel l’investisseur, au lieu de s’intéresser limitativement aux critères financiers - rentabilité et risque - utilise également dans sa décision d’investissement des critères extra-financiers ; en l’occurrence les critères à caractère éthique, de gouvernance, social et environnemental.

[modifier] Formes de l’ISR

L’ISR peut prendre 4 formes principales :

  • les fonds socialement responsables ou de développement durable : ils intègrent des critères sociaux et environnementaux d’évaluation d’une entreprise cotée qui sont croisés avec des critères financiers pour sélectionner les compagnies les plus performantes d’un point de vue du développement durable. On évoque alors d’approche positive pour désigner les "best in class", les meilleurs (élèves).
  • les fonds d’exclusion : ils excluent a contrario certains secteurs comme l’armement, le jeu, le tabac…, approche d’exclusion, dite historique de l’ISR.
  • l’engagement actionnarial : il consiste, pour les investisseurs, à exiger des entreprises une politique de responsabilité sociale plus forte par un dialogue direct, mais aussi par l’exercice des droits de vote en assemblées générales. On parle également dans ce cas d’activisme actionnarial.
  • les produits financiers solidaires et les fonds de partage: cette catégorie s’inscrit plutôt dans la logique de l’investissement solidaire que celle d’investissement socialement responsable, en raison du degré de perte financière élevé que les investisseurs de cette catégorie sont prêts à accepter pour satisfaire ce type de critère extra-financier.

[modifier] Historique

Dénommé également SRI pour Socially Responsible Investing,[1] la tradition anglo-saxonne de l’ISR trouve ses racines dès le XVIIIe siècle notamment avec le mouvement philanthropique des Quaker, ou encore à la fin du XIXe siècle aux États-Unis où des communautés religieuses interdisaient à leurs membres d’investir dans des sociétés d’armes, d’alcool ou de tabac.

Le premier ISR de l’économie moderne remonte à 1971. À cette date, deux pasteurs de l’Église méthodiste, Luther Tyson et Jack Corbett, lancent le "Pax World Fund" pour investir dans les entreprises non liées à l’armement.

Depuis le 27 avril 2006, les Principes pour l’Investissement Responsable ou UNPRI sont désormais consacrés par les Nations unies dans le prolongement du pacte mondial. Ces principes marquent la reconnaissance de l’ISR à l’échelle mondiale

[modifier] Pourquoi ?

L’ISR est fondé sur la conviction que la prise en compte de facteurs sociaux et environnementaux, d’éthique et de gouvernance assure la performance financière des sommes investies à moyen et long terme compte tenu d’une meilleure appréhension des risques et d’un meilleur management.

Pour les investisseurs confessionnels, l’approche ISR correspond à une démarche qui a des fondements religieux profondément liés à leur "éthique des affaires" dont les perspectives sont spécifiques.

On pourra considérer rétrospectivement que la récente consécration de M. Muhammad Yunus, père du microcrédit constitue une approche ISR avant l’heure parfaitement adaptée à la réalité des sphères d’économiques marchandes écartées des circuits de financements traditionnels dans les économies sous-développées, comme celles dites développées.

L’ISR ne peut constituer en tous les cas a contrario un label d’investissement super-performant ce qui est peut être « préjudiciable à sa généralisation », selon Danyelle Guyatt (thèse à l’université de Bath (UK Identifier et dépasser les obstacles comportementaux à l’investissement responsable à long terme, Le Monde Economie 05/12/2006, p. II).

Enfin, pour les promoteurs du développement durable in concreto, l’ISR marque d’évidence le signe que le levier financier est désormais capable d’apporter tout son poids à l’évolution des modèles macro et micro-économiques qu’il nourrit. Une nouvelle sensibilité dans le conseil, une orientation stratégique majeure affichée par les institutions financières publiques comme privées qui peuvent permettre d’activer plus rapidement de nouveaux comportements sur toute la chaîne de valeur du producteur au consommateur qui devront internaliser le principe pollueur-payeur.

Le développement de l'ISR sera en tous les cas intrinsèquement lié à la manière dont les investisseurs dans leur ensemble sur un marché financier globalisé appréhendent la donne sociale et environnementale. Les rapports annuels du CERES indiquent clairement depuis 2005 un changement d'attitude de plus en plus net notamment dans le secteur bancaire, véritable "colonne vertébrale" de l'économie mondiale qui prend de plus en plus au sérieux l'impact du changement climatique dans sa gestion des risques. Des progrès sont sans doute encore à faire de la part des banques en matière de transparence non seulement de leurs produits mais aussi sur leurs activités au regard de l'ISR et de leur engagement au titre de la RSE (responsabilité sociale de l'entreprise) compte tenu des dernières enquêtes de certaines associations de consommateurs dans plusieurs Etats membres comme le rappelle une question d'un parlementaire européen.

[modifier] Comment ?

Construire une grille

Les grilles multi-critères ISR à caractère extra-financier utilisées par les responsables de ces fonds expriment la recherche d’un investissement durable plus porté sur le long et moyen terme que sur la spéculation « courtermiste » des fonds spéculatifs (ou hedge funds). Ces grilles contribuent comme la RSE pour les dirigeants d’entreprises à être un facteur de gestion du risque car ils permettent une meilleur visibilité et prévisibilité de l’entreprise.

Hétérogènes dans un marché en croissance, ces grilles varient par secteur et selon la culture et l’expérience de chaque investisseur, institutionnel ou non, grand ou petit. Diverses agences de notation ou rating social spécialisées proposent leur grille et classement pour aider les investisseurs à faire leur choix sur le marché. Ces grilles tendent toutes à traquer les risques spécifiques, parfois sociétaux et les pratiques bonnes ou mauvaises des entreprises visées.

La recherche dans le domaine n’en est qu’à ses débuts. Les principaux investisseurs ISR ont décidé de développer la réflexion analytique sur une logique d’investissement qui bouleverse les habitudes en soutenant financièrement une association dédiée EAI ou l’Enhanced Analytic Initiative.

Documenter la grille

L’ISR repose avant tout sur les documents produits par les entreprises cibles et par conséquent sur leur rapport annuel de développement durable. En 2005, seul 25 % des entreprises du SBF 120 ont fait vérifier par tiers expert ces données en tout ou partie. Dans ce dernier cas, on trouve 10 à 20 % d’erreurs ce qui est normal pour des données qualitatives dont la comptabilisation dépend de systèmes réglementaires hétérogènes.

Dans les années à venir, les investisseurs ISR seront sans doute de plus en plus exigeants avec le détail et la fiabilité des données et des indicateurs de suivi. Les tableaux de marche de la réalisation des objectifs proposés par les entreprises seront au centre de cette vigilance.

Les enquêtes voire des tests sur le terrain complémentaires à la revue documentaire devraient également compléter cette vérification des engagements pris.

Le cas particulier du financement de projet

Concernant plus particulièrement le financement de projet, les principes d’Equateur auxquels une partie grandissante des institutions financières adhèrent, constituent un facteur de réduction d’hétérogénéité des approches ISR et favorisent son ancrage au cœur des projets.

Les ONG interpellent de plus en plus les banques qui financent des projets qu'elles contestent, des barrages hydrauliques aux centrales nucléaires (Centrale nucléaire bulgare Belène qui oppose la BNP et les Amis de la Terre) .

[modifier] L’ISR à travers le monde

Les montants investis au titre de l’ISR connaissent des progressions diverses suivant les places financières et parfois remarquables ; mais l’investissement ISR conserve une part négligeable au regard de l’investissement total mondial.

Comme l’indique Stuart Langdridge, spécialiste britannique de l’ISR (European Voice, 29/11/2006, p. 37), "Les petites et moyennes valeurs sont seulement juste "sur le radar" ce qui laisse présager de réelles progressions pour ces entreprises dont potentiel ISR n’est pas à écarter.

[modifier] Afrique/ Moyen-Orient

Afrique du Sud : FTSE et la Bourse sud-africaine (JSE) ont lancé le projet "Philosophie et Critères" en vue d’établir un index d’investissement socialement responsable.

Maroc : La Wafabank crée un premier fonds de partage en 2000.

[modifier] Amériques

États-Unis: constituent par sa tradition financière le premier marché IRS (176 Md. $ en 2002 selon SIF). Les acteurs économiques ne font pas de différence entre l’investissement solidaire et l’investissement socialement responsable qui est synonyme.

Canada : second marché en importance (50 Md. $ placés dans des fonds "éthiques", données 2002).

[modifier] Asie

L'Asie s'ouvre peu à peu également à cette nouvelle approche ISR et notamment à Singapour, au Japon et en Corée du Sud via le secteur bancaire.

[modifier] Europe

Comme l'indique Y. Roudeaut (cf. Le Monde, Comment investir utile, 11-12/05/2008), chaque pays privilégie une approche différente. "Entre la vision britannique qui promeut l'activime actionnarial, l'approche scandinave, accordant une place importante à l'exclusion, l'allemande, privilégiant les fonds verts, et l'attitude plus modérée des Français en matière d'engagement actionnarial, l'ISR, offre de multiples visages".

Le suivi des valeurs ISR en Europe repose principalement sur deux indices utilisés par les fonds pour mesurer la performance ISR : DJSI Europe Composite et FTSE4Good Europe. Des associations spécialisées comme SAM (Suisse) ou Ethibel (Belgique) enrichissent par leurs propres indices utilement la lecture ISR.

European Social Investment Forum (Eurosif) a lancé un code de transparence pour rendre l'ISR plus accessible aux non-initiés. Selon les derniers chiffres 2006 (septembre 2006 SRI Studies), l'ISR dépasse 1000 milliards, soit 10-15 % des encours européens globaux d’euros dans 9 pays européens. Mais les fonds institutionnels prédominent (94 %) contre 6 % de particuliers.

Brefs échos des marchés nationaux européens de l'ISR (chiffres 2005 Eurosif, montant des encours des fonds):

Allemagne: 6e marché européen de gestion ISR (3 milliards € d'encours). ).

Autriche: 9e marché européen de gestion ISR (1 milliard € d'encours). ).

Belgique: 3e marché européen de gestion ISR (9,5 milliards € d'encours).

Espagne: 8e marché européen de gestion ISR (1,5 milliard € d'encours). ).

France :4e marché européen de gestion ISR (8,2 milliards € d'encours). 137 fonds ISR en 2006 ne représentaient que 1 % des actifs de la gestion collective française, pour un montant de 12,5 milliards € d'encours, chiffre qui a signifiquement augmenté par rapport à 2005. Novethic annonce un encours de 22,1 milliards d'euros pour 2007.

Italie : 7e marché européen de gestion ISR (2,8 milliards € d'encours). ).

Pays-Bas : 1er marché européen de gestion ISR (41,5 milliards € d'encours).

Royaume-Uni : 2e marché européen de gestion ISR (30,5 milliards € d'encours).

Suède: 5e marché européen de gestion ISR (7 milliards € d'encours). Les fonds de pensions ont été obligés par le législateur d'intégrer des placements ISR dans leurs portefeuilles.

[modifier] L’ISR en France

Le modèle ISR en France a progressé en 2006; mais il semble avoir toujours du mal a se populariser sans doute compte tenu de l’absence d’une culture d’épargne actionnariale directe à l’anglo-saxonne et ce malgré l’accroissement progressif de l’épargne salariale. Les "zinzins" ou investisseurs institutionnels restent déterminants en créant des fonds ISR en actions et/ou en obligations.

"Selon une étude publiée par Novethic, l’ensemble du marché de l’ISR (OPCVM et fonds dédiés) a progressé de 88 % pour s’établir à 16,6 milliards d’euros en 2006 mais seuls 6,06 milliards provenaient des particuliers. Et encore, sur ce montant, seulement 3,25 milliards d’euros proviennent de produits ISR vendus aux particuliers par les réseaux bancaires, le solde étant engagé dans l’épargne salariale" [2].

Peut-être un début d'explication sur ce défaut de popularité :"Ce soudain engouement pour les fonds verts pose cependant un problème : il est difficile d'y voir clair, pour l'épargnant particulier, dans une offre assez peu structurée. " Il y a confusion entre produits verts et fonds d'investissement socialement responsable (ISR). Ce sont deux catégories différentes, mais certains produits verts peuvent être ISR ", résume Anne-Catherine Husson-Traoré , directrice générale de Novethic , le média en ligne du développement durable" [3]..

Outre le succès de cette formule d’épargne via les intermédiaires financiers, son débouché naturel en faveur de l’écoindustrie nationale semble laisser à désirer en France en comparaison avec d’autres circuits financiers. Selon le rapport Chambolle de 2006, « Une autre voie qui mériterait d’être explorée est celle de l’investissement socialement responsable. Dans les autres pays comparables, une part de cet investissement se consacre au développement des éco entreprises (fonds cleantech), ce qui n’est pas le cas en France. (…). Un dialogue devrait s’ouvrir avec les responsables de ces fonds sur ce point. » (cf. p. 29).

Mais le système bancaire français semble prendre l'ISR au sérieux. L'approche bilan carbone initiée par la Caisse des dépôts pour sa propre politique d'investissement pourrait inspirer les modèles d'investissements selon le principe d'efficacité et le principe de neutralité carbone comme d'autres banques l'affichent déjà dans le monde. La Caisse d’épargne proposera bientôt dans le cadre de son programme Bénéfice futur l'étiquetage ISR de tous ses produits bancaires selon trois critères : risque financier, intensité carbone et prise en compte des impacts sociaux et environnementaux.

Pour le secteur de l'assurance, cette approche commence à trouver un certain succès avec la CNP et BNP Paris Assurance.

En matière de gestion de fonds ISR, l'approche française semble privilégier celle de l'approche best in class en sélectionnant par secteur les sociétés les mieux notées du point de vue de leur quotation extra-financière.

Paris Europlace vient de publier mi-mai 2008 11 recommandations pour favoriser l'ISR : une initiative indispensable pour crédibiliser l'engagement des acteurs français dans cet enjeu d'investissement qui n'est désormais plus du tout un simple phénomène de mode.

Pour promouvoir la réflexion française sur l'ISR, une chaire dédiée à l’ISR et intitulée "Finance durable et investissement responsable" sera mise en place dès 2008 avec le soutien de l'AFG.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes

  1. (cf. 2e RapportBernard Carayon Septembre 2006 À armes égales, pp. 49-50), en ligne : [pdf] 2e rapport Carayon, septembre 2006 À armes égales, pp. 49-50)
  2. La Tribune, 08/06/2007, "Focus; L’ISR a encore du mal à convaincre les particuliers"
  3. La Tribune, 02/11/2007, "ISR: l'investissement socialement responsable a le vent en poupe"


[modifier] Bibliographie (Articles/Etudes/Ouvrages)

1. Philippe Arnaud et Anne Garans, Lancement des principes pour des investissements responsables, Organisation des Nations unies, Environnement et technique * n° 257, 1 juin 2006, p. 59-60

2. Bernard Carayon À armes égales, septembre 2006, extrait, pp. 49-50.

3. Marianne Lagrange, "L'investissement socialement responsable ne fait pas encore recette", La Tribune, 20/03/2007, p. 26.

4. "L'ISR n'a pas la cote auprès des banques", L'Echo-Actualités, 27/04/2007.

5. Xavier de Bayser et Yves Jégourel :"Investissement responsable ou investissement socialement responsable ?", Le Monde Economie, 25/04/2007.

6. La Tribune, "Mettez votre portefeuille au vert", 07/09/2007. Photographie des fonds verts sur le marché.