Eugénie Niboyet

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Eugénie Mouchon-Niboyet, née le 24 septembre 1799 à Montpellier et morte le 5 janvier 1883 à Paris, est une romancière, essayiste et journaliste féministe française.

Sommaire

[modifier] Sa vie

Née dans une famille bourgeoise riche et protestante, Eugénie Mouchon épouse en 1822 Paul-Louis Niboyet, un avocat de Lyon. Ils auront un fils.

Pour le reste de sa vie, Eugénie Niboyet se retrouvera continuellement impliquée dans divers mouvements de réforme. Elle rejoint d’abord une organisation radicale, La Société de la morale chrétienne. Considérée comme un peu sulfureuse en raison de ses positions pro-républicaines mais aussi pro-anglaises (se rappeler que la Terreur et Waterloo ne sont vieux que de quelques années). La Société de la morale chrétienne s’impliqua dans nombre de sujets « sensibles » :

  • la réforme des prisons (il faut dire que beaucoup de républicains se retrouvaient soit au bagne soit à Sainte-Pélagie) ;
  • l’amélioration de l’éducation (notamment pour les pauvres et les femmes) ;
  • l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

Une autre organisation religieuse, Le Comité international des dames, défendait lui aussi certaines idées féministes.

En 1830, La Société de la Morale Chrétienne partageait ses salles de conférences avec les saint-simoniens. Eugénie était restée au delà de l’heure impartie pour entendre parler les saints-simoniens qui prêchaient un message social, des réformes économiques et religieuses, dans un cadre légaliste. Réformes qui mises en application de manière correcte, auraient pu améliorer les aspects les plus négatifs de la Société patriarcale. Le mouvement de Saint-Simon avait attiré un nombre considérable de femmes. Gagnée à leur cause, défenseure enthousiaste de ce mouvement naissant, Eugénie convertit fils et mari au nouveau groupe.

Dans ce mouvement, elle réussit à s’élever au grade de co-directeur des industriels du quatrième arrondissement.

Comme avec n’importe quel mouvement, les diverses factions saint-simoniennes privilégiaient telle ou telle partie de la philosophie de Saint-Simon : elles finirent par s’opposer.

L’affrontement devint patent lorsqu’un des plus hauts chefs du mouvement, Barthélemy Prosper Enfantin, proposa de changer radicalement les règles de la morale sexuelle, en établissant la communauté des femmes (les saints-simoniennes appartiendraient alors de facto à tous les saints-simoniens). Niboyet prit, à gauche, la tête du mouvement de protestation. Pas encore désabusée par le message économique de Saint-Simon, en 1832, Niboyet s’implique fortement dans le mouvement de Fourier. À certains égards tout à fait semblables au saint-simonisme, le fouriérisme s’est concentré sur les changements économiques par le développement de « phalanges » ou d’« associations », où une grande partie du travail, en particulier le travail domestique, devait être mis en commun entre tous les membres du groupe.

Dénué du mysticisme religieux de Saint-Simon et ignorant les libertés sexuelles qui avaient menacé la famille et les mœurs sexuels traditionnels, le fouriérisme attira beaucoup d’anciens saints-simoniens. Insistant sur le fait que dans une société, le traitement des femmes était la mesure la plus vraie du progrès social, la philosophie de Fourier influença, très tôt, beaucoup de féministes dont : Flora Tristan, Désirée Véret, Anna Wheeler, Anne Knight et Louise Otto. Incapable de réunir le capital pour établir les communautés d’essai préconisées par Fourier, ce mouvement bien organisé au départ se transforma lentement en société littéraire. Et peu à peu, les journaux de la société s’éloignèrent progressivement des questions féministes pour aborder (la plupart du temps) les problèmes du pacifisme et de la lutte de classes.

En 1833, Eugénie, de retour à Lyon, fonde un nouveau journal : Le Conseiller des femmes, le premier journal féministe non-parisien. L’année suivante, Niboyet aide un groupe de pacifistes français et commence un autre journal avec ce mouvement, La Paix des deux mondes, alors que d’autres féministes fondaient : L’Athénée des femmes. Niboyet soutint de multiples réformes favorables aux femmes, touchant l’éducation, l’industrie, la loi et la politique, mais aussi le foyer.

Cherchant toujours des manières d’améliorer le sort des femmes, Niboyet s’implique dans un nouveau journal, primo-édité en juillet 1836, la Gazette des Femmes. S’apercevant que la bourgeoisie qui seule votait (d’après la loi de propriété-possession), ne représentait que 2% (env.) de la population française, le journal créée par des « amis » dont Charles Frédric Herbinot de Mauchamps et qui reprenait les travaux d’Eugénie, fit campagne auprès des hommes et des femmes « pour l’exercice des droits politiques et civiques des femmes. »

Sur le modèle des sociétés américaines et britanniques anti-esclavagistes, La gazette des Femmes met en avant les réformes légales et encourage le vote et les pétitions. Puisque les lois limitent les réunions publiques « à moins de 20 personnes », les rédacteurs et les abonnés du journal se réuniraient ensemble une fois par semaine pour des « réunions d’affaires ». Une partie de ces affaires concernaient le journal : il fallait s’assurer de sa bonne gestion mais aussi que sa ligne rédactionnelle reflétait bien les vues de ses abonnés, cependant la principal objet de ces discussions portait sur la politique, plat principal de ces réunions d’affaires comme dira Eugénie. C’est elle qui fera rentrer Flora Tristan dans le groupe en tant que participante à ces réunions d’affaires. Elle participera, entre autres aussi à la Gazette des Femmes.

Quand la révolution de 1848 éclate, Niboyet était au premier rang des luttes des femmes. La levée des restrictions sous la pression de l’Assemblée a permis à beaucoup d’organismes de masse, y compris des groupes féministes, de se former.

En mars 1848, pour la première fois, un journal ne traitant que des questions des femmes est créé ; c’est : la Voix des femmes d’Eugénie Niboyet, « un journal socialiste et politique, organe d’intérêts pour toutes les femmes ». C’est le premier quotidien français féministe, à être édité. À la Voix des femmes va bientôt s’adjoindre un club politique. Des féministes, dont Jeanne Deroin, Désirée Gay (ex Véret), Suzanne Voilquin, Elisa Lemonnier et Anaïs Ségalas, qui avaient été des saint-simoniennes ou fouriéristes très actives ou qui avaient écrit dans La Gazette des femmes rejoignent la nouvelle organisation. Des auteures populaires tels que Gabrielle Soumet, Amélie Prai et Adèle Esquiros contribuent au journal. Bien que des articles aient été écrits par des femmes et des hommes, y compris Hugo, Jean Macé et Paulin Niboyet (son propre fils), le message féministe y était encore très fort.

Adoptant une plate-forme étendue de réformes domestiques et civiques favorables aux femmes, La Voix des femmes préconisait, entre autres, le droit pour les femmes de former des clubs politiques, de parler en public des questions politiques, de voter, de concourir pour le bureau, et de servir dans le bureau (à condition qu’il soit légalement élu.

Lorsque le suffrage fut étendu à tous les hommes sans condition de propriété, les femmes comprenant l’importance de chaque voix exigent le suffrage, aussi, pour elles-mêmes, aussi. Défaites sur ce point, les femmes découragées ne poursuivirent pas leur revendication.

Le 6 avril, le journal de Niboyet proclame comme un « honneur » (mais à son insu) l’élection de George Sand à l’Assemblée constituante. Sand, hélas, la désavouera promptement. Cependant, exaspéré par les efforts continus des organisations féminines sur la question du suffrage et des droits des femmes, le gouvernement décida finalement de fermer tous les clubs de femmes. Finalement le 20 juin, La voix des femmes cesse sa publication et son rédacteur, Eugénie Niboyet, se retire de la vie publique.

La sévérité de la répression et les effets dévastateurs du gouvernement contre-révolutionnaire envers le mouvement féministe n’ont pas été exagérés. Dès 1852, toutes les têtes du féminisme sont complètement dispersées : Suzanne Voilquin aux USA, Jeanne Deroin à Londres, Eugénie Niboyet à Genève, Désirée Gay en Belgique.

Malgré quelques appels très courageux, vers la fin de la décennie, de Jenny d'Héricourt et de Juliette Adam prenant en public la défense des femmes, il faudra attendre près de vingt ans avant que le mouvement féministe renaisse, tel un Phénix, de ses cendres. Mais même alors, la crainte des représailles gouvernementales, laissent le mouvement très timide.

Le féminisme français reconstitué dans les années 1860 ne pouvait aucunement se fonder sur le mouvement de 1848. En 1860 seulement, Eugénie Niboyet revient en France. Maintenant à soixante ans passés, elle ressort ses écrits et désavoue les aspects plus révolutionnaires de son passé, probablement pour conserver ou même ne pas s’aliéner son lectorat.

De 1848 à 1860, Niboyet travaille d’une part comme traductrice, notamment de Charles Dickens et de livres d’enfants édités, par Lydia Maria et Maria Edgeworth, et d’autre part comme auteure de l’histoire vraie (selon elle) de 1848 dans : le Vrai livre des femmes (Paris, E. Dentu, 1863).

Pourtant Niboyet continuait toujours de s’intéresser au mouvement féministe comme en attestent ses lettres à Léon Richer, directeur de la revue, Le Droit des femmes. À 78 ans, Eugénie Niboyet fut célébrée au congrès féministe de Paris en 1878.

[modifier] Un extrait du journal le Conseiller des Femmes de Niboyet

Écrit dans le numéro du 15 mars 1834 par Jane Dubuisson pour Le Conseiller des Femmes de Niboyet paraissant à Lyon, « Des femmes de la classe ouvrière à Lyon », illustre graphiquement la nécessité pour les femmes de faire campagne tant dans les élections privées (associatives, cultuelles) que publiques (Caisse des écoles, Conseil municipal…)[1].

À la différence d’autres textes de cette série, le choix présent se focalise sur le harcèlement physique, moral et sexuel des femmes de la classe ouvrière du XIXe siècle directement sur leurs lieux de travail. En voici un extrait :

« Des plumes éloquentes et des cœurs généreux ont souvent parlé en faveur des malheureux ouvriers de notre ville mais, excepté Mr Jules Favre[2], personne n’a considéré la situation déplorable des femmes et des filles de la classe ouvrière. Et par classe ouvrière je veux dire non seulement ceux qui travaillent sur machine mais également, ceux directement ou indirectement, attachés à la fabrication de la soie ; incluant dans ce groupe : les bobiniers, les fringiers, les agrafeuses, les coupeurs de châle, etc. etc. Dans cette partie aussi malheureuse qu’utile de la population de notre ville opulente, la misère et ses horreurs n’épargnent pas, même les enfants. Prenons le cas fréquent d’une petite fille : dès l’âge de six ans, la malheureuse est arrimée à une roue mécanique pendant dix-huit heures par jour. Elle gagne huit sols mais en dépense deux ou trois ou plus, pour ajouter quelque nourriture à celle insuffisante déposée brute sur son pain encore plus brut. Fanée par un travail qui excède sa force, brutalisée par une existence, entièrement contraire à la nature et qui se déroule d’une manière affreuse dans des ateliers malpropres et malsains, cette enfant végétera dans l’ignorance la plus déplorable. Si son enfance maladive résiste à tous ces maux, elle arrivera à une adolescence encore plus malheureuse. Confinée dans la fabrication des unis d’étoffes (travail le plus mal le payé), cette femme travaillera quinze ou dix-huit heures, souvent dimanches et vacances compris, afin de gagner un salaire tout juste suffisant pour la moitié de ses besoins plus pressants. Si elle se lasse de cette situation qui la détruit, et si la continuation des permis de travail lui permet de faire ainsi – si, je dis si – que souhaite-t-elle : un métier dont elle puisse vivre mais, son intelligence native, annihilée depuis l’enfance, l’empêchera de suivre n’importe lequel de ces métiers qui exigent un minimum d’études. Souhaite-t-elle fraiser la soie ? Afin d’obtenir le travail, il n’est pas suffisant de pouvoir le faire bien et d’être scrupuleusement honnête ; elle doit d’abord être recommandée, par quelque moyens possibles, au commis qui prend les décisions.
Cette personne, cependant d’importance secondaire en lui-même, prête peu d’attention aux ordres du patron, ou, s’il ne peut éluder un ordre pour donner le travail à une certaine ouvrière qui n’a pas recherché sa protection, elle subit alors une série de vexations qui conduiraient la personne la plus patiente au désespoir. Dégoûtée par une situation dans laquelle il est impossible à travailler excepté sous protection, l’ouvrière devra se révolter ou continuer à sacrifier une période de sa vie, longue et irrécupérable dans un atelier de fabrication afin d’apprendre un métier plus lucratif. Là elle découvrira d’abord que la maîtresse d’atelier est parente (ou proche) du Principal ou de son commis principal… Ainsi l’ouvrière devra dans chacune de ses recherches d’emploi, ou aller dans des ateliers dans lesquels la maîtresse, suivant l’exemple des fabricants, fera d’énormes bénéfices en lui payant seulement un salaire minimal (sans compter les actes illicites et les vexations qu’il sera dans sa puissance d’infliger) ou l’ouvrière devra d’elle-même accepter l’ignoble ou bien se révolter.
Et ne pensez pas que toutes les femmes ainsi exposées à beaucoup de séductions horribles y cèdent. Oh non ! J’ai vu des femmes droites et cependant misérables, qui, placées devant un tel choix, entre le vice et la faim, ont refusé d’aussi honteuses transactions et, qui à cause de ce refus, se sont faites renvoyer. Et ont perdu leur travail ! Leur pain quotidien !
Ainsi l’ouvrière qui n’a pas été corrompue par la misère et le mauvais exemple doit toute sa vie, souffrir les privations les plus extrêmes, et, au milieu de cette lutte entre le malheur et l’infamie, voit arriver trop tôt vieillesse et infirmités. Ce qu’elle n’a pas donné, lui est volé, ou plus clairement, fait la fortune de ceux qui ne rougissent pas de s’enrichir de la sueur des plus pauvres. Quelqu’un, peut-être essayera de mettre face à ce tableau, l’immense quantité de charité qui est distribuée chaque année dans la ville. Mais ce n’est pas la charité qui défraîchit [ces femmes].
Que désirent ces pauvres victimes de l’avarice ? Elles demandent un travail, difficile mais continu. Un travail qui les nourrira, les fera aller de l’avant et ne les conduira pas seulement à la famine et l’hôpital[3].
Quand de tels abus étalent d’eux-mêmes – saignements, palpitations, horreur – parlera-t-on encore cette philanthropie qui ne traite rien, parce qu’elle ne reconnaît pas, les vraies blessures de l’humanité, les vrais maux de la société ?
Ah ! si vous aviez vu, comme nous l’avons vu, les larmes amères qui sortent de ces yeux, rougis ayant travaillé la moitié de la nuit, si vous aviez entendu les cris douloureux de ces cœurs ulcérés, vous maudiriez comme nous ces meurtriers qui frappent une génération jusqu’à ses racines. »

[modifier] Notes et références

  1. Traduit par Karen M. Offen, ce document est repris dans le livre de Bell et Offen : Women, the Family, and Freedom, the Debate in Documentsvol. 1, 1750-1880 ; p 201-2. (Femmes, la famille, et la liberté, débats et documents).
  2. Favre était un avocat réformiste de Lyon qui deviendra plus tard un leader du parti républicain
  3. Au XIXe siècle, les hôpitaux servaient essentiellement de dernier recours pour les malades et les pauvres en attente de la mort.

[modifier] Bibliographie

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Wikisource propose un ou plusieurs textes écrits par Eugénie Niboyet.

[modifier] Bibliographie anglaise

  • Macmillian, 'Biographies : Women’s Suffrage,' The Development of Women’s Movements, 1789-1914 © - Pr James McMillan, University of Strathclyde. 22 Juin 2002.
  • Book review by Doris Y. Kadish of Lawrence C. Jennings’s French Anti-Slavery : The Movement for Abolition of Slavery in France, 1802-1848. Cambridge UP, 2000. [1]
  • Moses, French Feminism. Claire Goldberg Moses, French Feminism in the 19th Century [Albany: State University of New York, 1984]
  • Anderson, Joyous Greetings. Bonnie S. Anderson, Joyous Greetings: The First International Women’s Movement 1830 – 1860 [Oxford University Press, 2000]
  • Karen Offen, European Feminisms, 1700 – 1795: A Political History [Stanford, Ca, Stanford University Press, 2000].
  • Bell et Offen: Women, the Family, and Freedom, the Debate in Documents/ Femmes, la famille, et la liberté, débats et documents, vol. 1, 1750 - 1880;
  • Susan Groag Bell and Karen M. Offen, Women, the Family, and Freedom, the Debate in Documents, vol. 1, 1750 – 1880 [Stanford University Press, 1983].
  • Claire Goldberg Moses and Leslie Wahl Rabine, Feminism, Socialism, and French Romanticism [Bloomington, Indiana University Press, 1993]